Intervention militaire, consensus introuvable en Haïti et à l’International (2)

(2e partie)  

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De gauche à droite : le ministre haïtien des Affaires étrangères Jean Victor Généus, le Premier ministre du Canada Justin Trudeau et l'ambassadeur du Canada aux Nations Unies Bob Rae. La Presse canadienne/Sean Kilpatrick

Même si le Premier ministre canadien, Justin Trudeau, depuis qu’il est chargé par les Etats-Unis du dossier d’intervention militaire en Haïti, a toutes les peines du monde pour monter l’expédition, il n’empêche qu’il continue à multiplier les réunions et rencontres avec les partenaires de Washington et d’Ottawa sur la question. Il a convoqué, en quelques semaines, pas moins de trois rencontres avec le « Groupe d’intervention pour discuter de la situation d’Haïti » tant les autorités américaines lui mettent la pression. Ce Groupe est composé de l’ambassadeur du Canada à Port-au-Prince, Sébastien Carrière, de celle accréditée à Washington, Kirsten Hillman, de Bob Rae, Représentant Permanent du gouvernement canadien aux Nations-Unies, de la ministre des Affaires étrangères, Mélanie Joly et d’autres hauts fonctionnaires de l’Administration canadienne, et, bien entendu, du Premier ministre Justin Trudeau. Après la troisième rencontre, une première annonce avait été faite à l’opinion publique par ce fameux groupe de travail « Les Etats-Unis souhaitent que le Canada prenne le leadership d’une force d’intervention en Haïti. 

Le groupe a discuté sur d’autres moyens de soutenir le peuple haïtien en cette période difficile, notamment en collaboration avec la Communauté des Caraïbes (CARICOM), les Nations-Unies, les États-Unis d’Amérique, des organisations de la Société civile et d’autres partenaires. Le Premier ministre Trudeau a souligné la nécessité de soutenir la mise en œuvre d’une solution dirigée par les Haïtiens pour faire face à la situation actuelle » stipule un communiqué du Groupe d’intervention. Car, contrairement à la version 2004, très peu d’Etats amis des Etats-Unis et d’Haïti souhaitent vraiment s’engager dans cette opération qui n’est ni une opération de maintien de l’ordre dans un pays où règne la guerre civile ni non plus partir soutenir un pays ami en guerre contre un autre Etat.

Il s’agit tout simplement d’aller se stationner dans un pays souverain et de se comporter en force d’occupation juste pour sauver la mise à un pouvoir de facto en difficulté face à quelques bandes armées, en dépit de l’effort reconnu de ses forces de police. Et là, ça change tout. Ce que, d’ailleurs, ont très vite compris tous les pays de la région de l’Amérique latine et des Caraïbes qui, jusqu’à maintenant, restent très en retrait et ne sont guère pressés pour donner leur avis malgré le volontarisme et l’accord du Secrétaire général de l’OEA (Organisation des Etats Américains) Luis Almagro et même celui de l’ONU (Organisation des Nations Unies) Antonio Guterres sur la situation en Haïti.

Certes, lors du VIIe Sommet des chefs d’Etats et de gouvernement de la Communauté des Etats de l’Amérique latine et des Caraïbes (CELAC) en Argentine le 24 janvier dernier, cette organisation régionale, dans sa déclaration finale, laissait entendre qu’elle « Encourage les pays membres qui le peuvent à étudier les options présentées par le Secrétaire Général des Nations Unies dans sa lettre du 8 septembre 2022 adressée au Président du Conseil de Sécurité (S/2022/747), en vue de participer à la force multinationale spécialisée sollicitée par Haïti pour aider les forces de sécurité haïtiennes à lutter contre la prolifération du crime organisé et le trafic illicite d’armes et de munitions, éradiquer les gangs qui ont pris le pays en otage, empêchent la libre circulation des personnes et des biens, limitent l’accès des personnes vulnérables à l’aide humanitaire et aux soins de santé et handicapent les préparatifs pour l’organisation des élections libres, transparentes et inclusives ».

Le parlementaire canadien d’origine haïtienne, Emmanuel Dubourg

Une position, d’ailleurs, qui n’est pas nouvelle de la part de CELAC, qui, somme toute, prend la précaution de rajouter dans la même déclaration qu’elle « exhorte le gouvernement à poursuivre sa politique d’ouverture en direction des différents secteurs de la vie nationale, en vue de rendre fonctionnelles les institutions démocratiques, le plus rapidement possible, dès que l’environnement sécuritaire et les moyens techniques le permettront », une façon aussi de souligner sa prudence vis-à-vis de l’option militaire.

Mieux, même le nouveau Président du Brésil, Lula Da Silva, qui était pourtant l’un des premiers en 2004, lors de son premier mandant à engager le plus fort contingent militaire de la Mission des Nations-Unies pour la Stabilisation d’Haïti (MUNUSTAH) se montre très réticent et a fermé presque la porte aujourd’hui sur le sujet. «Les efforts ont été énormes lors de notre participation jadis, ce qui nous a apporté beaucoup de problèmes. Une participation militaire du Brésil au sein de la MINUSTAH a été largement impopulaire dans le pays. Après ladite intervention militaire, la situation en matière de sécurité en Haïti s’est empirée. La participation du gouvernement brésilien ne s’annonce pas facile même au niveau d’une force multilatérale », a déclaré Celso Amorim, le Conseiller en politique étrangère du Président Luiz Inacio Lula Da Silva. En clair, aucun Etat de l’Amérique latine et des Caraïbes, ne semble convaincu, en tout cas, pour le moment, par la démarche de Washington et d’Ottawa ne cessant de les menacer de représailles financières en cas de refus définitif.

En fait, le vrai problème de cette expédition est l’absence de consensus entre les acteurs intérieurs et extérieurs sur l’opportunité d’une intervention militaire en Haïti. Certains acteurs reprochent à la Communauté internationale d’être la première responsable de la situation d’insécurité et de la mal-gouvernance qui a fini par rendre le pays ingouvernable avec des dirigeants n’ayant aucune crédibilité ni légitimité aux yeux des citoyens. En favorisant l’arrivée d’individus très peu préparés à s’occuper des choses publiques mais aussi par le fait qu’ils sont soumis à la politique prônée par Washington, la Communauté internationale a largement contribué à cette situation et de fait a produit le chaos actuel. De même pour cette Transition qui n’en finit pas. Selon certains observateurs nationaux et étrangers, longtemps les haïtiens auraient pu trouver un compromis pour une sortie de crise si Washington en particulier et une partie de la Communauté internationale en général ne jouaient pas à un double jeu, voire plus avec l’espoir que les acteurs haïtiens ne sortiraient jamais de cette pièce et que le pays continue à sombrer dans le néant.

D’où la méfiance aujourd’hui de certains Etats de la région refusant, cette fois-ci, de continuer à alimenter l’insécurité et la mauvaise gouvernance dans un pays pris au piège de la politique dictée par les Etats-Unis. D’où aussi les difficultés pour les autorités haïtiennes de faire valoir l’intérêt de leur appel au secours aux Etats membres des institutions régionales, la CARICOM, l’OEA et CELAC par exemple, refusant de participer à ce qu’ils considèrent comme un marché de dupes. D’ailleurs, au fur et à mesure que le temps passe, le Premier ministre canadien, Justin Trudeau, commence à comprendre pourquoi les américains lui ont filé cette patate chaude et en dépit d’un certain respect qu’il a auprès des partenaires du Canada, pourquoi il a du mal à trouver des volontaires qui veulent bien courir le risque de se jeter dans la gueule du loup en Haïti. S’agissant d’une intervention militaire en Haïti, tout le monde trouve une bonne raison pour ne pas encourager le gouvernement canadien dans cette voie. Selon Emmanuel Dubourg, un député canadien d’origine haïtienne, le seul d’ailleurs élu à la Chambre des Communes à Ottawa, la capitale fédérale (…)

« Le gouvernement canadien a participé à la formation des policiers haïtiens, pourtant bon nombre d’entre eux ont abandonné la Police nationale d’Haïti faute de salaire pour se mettre du côté des gangs armés. Après le passage des forces militaires en Haïti, la situation s’est toujours de nouveau envenimée à cause de la fragilité des institutions haïtiennes. Les Haïtiens indistinctement doivent contribuer afin de faciliter les choses. Autrement, les mêmes choses vont se répéter. Les Haïtiens doivent recoller les morceaux entre eux. L’intervention militaire en Haïti doit être une solution de dernier recours face au risque de se transformer en bain sang (…) » estime le parlementaire canadien. Emmanuel Dubourg n’est pas la seule voix connue du milieu canado-haïtien à émettre des réserves sur l’activisme du Premier ministre Trudeau. L’Académicien haïtiano-canadien, Dany Laferrière, s’exprimant sur la question, croit pour sa part que la décision du chef du gouvernement canadien d’envoyer des militaires en Haïti a été précipitée. Donc, Dany conseille la prudence.

L’Académicien haïtiano-canadien Dany Laferrière

D’où, peut-être, les déclarations de Justin Trudeau ne laissant aucun doute sur son envie de se retirer du dossier, en tout cas, de donner une autre tournure à cette histoire d’envoyer des troupes en Haïti. Aujourd’hui, Ottawa ne demande rien de moins aux acteurs haïtiens concernés que de trouver entre eux un compromis au préalable avant d’entreprendre quoi que ce soit concernant l’envoi des militaires canadiens sur le terrain en Haïti. A Tunis, la capitale de la Tunisie, Trudeau a été très clair lors de sa conférence de presse du 20 novembre 2022 en marge du Sommet de la Francophonie : « Les politiques et les élites haïtiennes doivent d’abord trouver un consensus national. Les différents partis politiques haïtiens doivent donner leur approbation, sans quoi, les forces militaires canadiennes n’interviendront pas en Haïti. Le Canada est très ouvert, mais nous devons trouver un consensus haïtien. Il faut qu’il y ait un véritable compromis entre les membres du gouvernement en place et les différents acteurs politiques haïtiens. C’est le seul moyen de trouver des solutions durables et efficaces aux problèmes qui rongent la société haïtienne. Pour cela, nous pensons à de meilleures approches, mais qui se fera étape par étape », a-t-il indiqué. Autant dire, la mission que lui avait confié Washington sur Haïti a vraiment du plomb dans l’aile.

Si le Premier ministre Justin Trudeau ne perd pas l’espoir de lever une force armée multinationale pour intervenir en Haïti dans le cadre de l’aide sollicitée par les autorités de Port-au-Prince et soutenue par Washington, il n’en demeure pas moins qu’il commence à chercher une autre voie de sortie quand il annonce : « Nous sommes conscients qu’Haïti fait face à une grave crise. Il est urgent qu’on agisse afin d’aider la population haïtienne. Le peuple haïtien doit retrouver globalement sa stabilité. Un montant de 16,5 millions de dollars est prévu, en termes d’investissements, pour aider Haïti à retrouver sa stabilité. 5 millions pour aider les autorités concernées à enquêter, poursuivre et à juger les cas de corruption et de criminalité économique, de blanchiment des avoirs. 3,5 millions de dollars seront alloués au renforcement et à l’amélioration de l’accès à l’aide juridique en rapport aux victimes de violences basées sur le genre, mais aussi pour lutter contre la corruption et l’impunité en Haïti. Pour répondre aux besoins de la population touchée par la crise actuelle, 8 millions de dollars seront alloués » avait conclu le Premier ministre canadien le 20 novembre 2022 depuis Tunis en présence de Jean Victor Généus, le ministre haïtien des Affaires étrangères, et de Mélanie Joly, la cheffe de la diplomatie canadienne.

Il ne reste que la politique de sanctions entreprise à l’encontre de certains leaders politiques et hommes d’affaires haïtiens par les gouvernements canadien et américain pour faire plier les  plus récalcitrants en Haïti sur un éventuel consensus sur l’intervention militaire et peut-être aussi pour faire diversion afin de réaliser en douceur un projet qui paraît de plus en plus compromis faute d’entente entre les différentes parties haïtiennes et internationales. Mais, l’on continue à faire confiance aux déclarations de l’incontournable ambassadeur du Canada aux Nations-Unies, Bob Rae, qui symbolise à lui seul toute l’ambivalence de la Communauté internationale sur la question d’intervention militaire en Haïti et la complexité de monter une telle opération aujourd’hui après les échecs successifs de multiples missions internationales antérieures en Haïti.

(Fin)

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