Intervention militaire, consensus introuvable en Haïti et à l’International

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Le ministre haïtien des Affaires étrangères, Jean Victor Généus, l’un des porte-étendards de cette intervention étrangère, et le Premier ministre canadien Justin Trudeau

(1ère partie)

Depuis l’appel au secours et la demande officielle du Premier ministre de facto haïtien, Dr Ariel Henry, d’une intervention militaire en Haïti il y a près de trois mois, le moins que l’on puisse dire, c’est que le dossier ne suscite guère d’enthousiasme de la part du reste du monde à part les Etats-Unis et le Canada. Et pour cause. Même en Haïti, il n’existe aucun consensus ni auprès de la population ni auprès de la classe politique concernant cette demande d’occupation étrangère. Certes, le débat est loin d’être terminée sur la question mais, au fil des jours et des semaines, l’on s’aperçoit qu’il existe davantage de points de désaccord que de consensus.

En plein blocage du pays et de la capitale, notamment au moment où la vie s’était arrêtée nette durant des semaines, la question de faire venir une force militaire étrangère pour débloquer la situation paraissait une nécessité pour certains acteurs politiques paniqués devant l’ampleur qu’avait pris ce mouvement de contestation conduit par divers acteurs sociaux de tendance et de motivation politique différentes.

Même certains groupes armés s’étaient mêlés de la partie et avaient pris part au mouvement de revendication de la population qui réclamait une baisse des prix des produits pétroliers et des produits de première nécessité. Paniqué et inquiet, le gouvernement était convaincu que son heure était arrivée et que, pour rester aux commandes de la Transition, il fallait autoriser le chef du Pouvoir exécutif à lancer ce SOS qui consiste à demander une aide militaire pour l’aider à maintenir l’ordre et reprendre le contrôle de la situation. Or, malgré cet appel pressant à l’International, rien ne s’est passé comme l’auraient espéré les autorités.

Tout d’abord, sur le plan local, le pays est divisé en deux camps entre les partisans d’une intervention étrangère et ceux qui sont foncièrement contre cet acte antinational considéré, d’ailleurs, par certains comme un acte de trahison des dirigeants haïtiens. Divers leaders politiques et personnalités de premier plan se sont déclarés ouvertement contre cette option et militent plutôt pour une solution à l’haïtienne. Dans le secteur de la Société civile, des voix, et non des moindres, se sont fait entendre dans ce concert de contestation pour s’opposer à la venue des soldats étrangers sur le territoire national.

La ministre canadienne des Affaires étrangères Mélanie Joly et le secrétaire d’État américain Antony Blinken

Une grande partie aussi de la population a manifesté son désaccord avec ce projet. L’opinion publique, sous diverses formes, a marqué son hostilité et ne veut pas entendre parler d’intervention étrangère en Haïti. Une attitude non surprenante quand on connait le nationalisme des Haïtiens et l’attachement à leur pays. Curieusement, mêmes les signataires de divers Accords politiques qui se placent ouvertement dans l’opposition au pouvoir de Transition ne manifestent guère l’envie de voir se pavaner sur la terre de Dessalines des militaires américains, canadiens et autres. Ces acteurs préfèrent continuer de chercher un compromis entre eux, même sans aucun espoir de trouver un consensus sur la modalité d’une sortie de crise sans l’apport de la Communauté internationale.

Le positionnement politique des différentes entités haïtiennes teintées de nationalisme, certes de façade pour la plupart, a tout de même refroidi l’ardeur des Etats qui seraient intéressés à envoyer des troupes en Haïti. Malgré le prosélytisme du ministre haïtien des Affaires étrangères, Jean Victor Généus, l’un des porte-étendards de cette intervention étrangère, et le plaidoyer de l’ambassadeur d’Haïti à Ottawa en soutien à la demande du Premier ministre Ariel Henry : « C’est un privilège ; le Canada est un des partenaires jouissant d’une prestigieuse réputation en Haïti et qui a déjà présidé plusieurs réunions internationales sur Haïti au cours de cette année. Dans l’âme de n’importe quel Haïtien, une force étrangère n’est jamais la bienvenue dans le pays. D’ailleurs, c’est ainsi indiqué dans la première Constitution de la République.

Mais, la démocratie n’est pas seulement le bon fonctionnement des institutions, elle a pour corollaire la justice, la lutte contre la corruption, la reddition des comptes » avait lancé l’ambassadeur haïtien au Canada, Wien Weibert Arthus, lors de son allocution devant la réunion du Comité des Affaires étrangères de la Chambre des Communes du Canada, le mercredi 2 novembre 2022. Il ne reste pas moins que le projet des autorités haïtiennes fait peur et que ces dernières demeurent suspendues aux seules décisions de deux pays qui semblent encore croire à une éventuelle option militaire et s’intéressent aux cris de Port-au-Prince. Mais, rien n’est joué.  Si en 2004, les Etats-Unis, la France et le Canada, compte tenu d’un risque de guerre civile entre les Haïtiens, avaient vite convaincu les Nations Unies de la nécessité ou du moins de l’urgence d’envoyer un Corps expéditionnaire en Haïti pour maintenir l’ordre, selon la terminologie de l’époque, en 2022 et 2023, il semble qu’on est très loin de cette problématique. Personne n’arrive à convaincre personne.

Les Etats-Unis eux-mêmes hésitent de prendre l’affaire en main. En tout cas, Washington ne paraît guère pressé de se lancer seul dans une aventure qui lui semble assez hasardeuse et peu convaincante compte tenu, cette fois, de la division de la Société civile sur la question et que la classe politique haïtienne elle-même n’est guère enthousiaste à l’idée de cautionner une énième occupation étrangère du pays. Surtout, les précédentes interventions n’ont pas vraiment été à la hauteur de l’espérance que les soutiens locaux avaient mise en ces « Bons Samaritains » venus de l’extérieur. Mais, ne voulant se dérober à ses responsabilités de protecteurs de son Pré-carré, l’Oncle Sam s’est orienté vers l’ONU qui reste une de ses bases politiques où il compte beaucoup d’amis grâce à sa diplomatie de dollars et où il peut faire jouer son influence diplomatique. En deux temps trois mouvements, Washington avait obtenu une réunion du Conseil de sécurité sur la tragédie haïtienne où la population fait face à une armada de gangs armés qui lui rend la vie insupportable.

L’ambassadeur du Canada aux Nations Unies, Robert (Bob) Rae

Mais, aux Nations Unies non plus, la chose, pour une fois, n’a pas été facile surtout avec les Représentants de la Russie et de la Chine qui voulaient savoir un peu plus sur le projet et surtout mettre les Etats-Unis devant, justement, ses responsabilités dans le drame que traverse le peuple haïtien avec ses soutiens sans faille et continus aux dirigeants haïtiens menant une politique dictée par Washington et le FMI (Fonds Monétaire International). Après bien des explications, les Etats-Unis ont fini par décrocher une Résolution (2653) lui donnant le feu vert de prendre la tête d’une nouvelle croisade militaire pour aller combattre les hordes de gangs armés qui terrorisent la population haïtienne. Mais, tout le monde aura compris, c’est une décision pour aller secourir l’équipe de Transition totalement failli à ses engagements vis-à-vis du pays mais restant attachée aux ordres de la Maison Blanche et du Département d’Etat. Téméraire,  certes, mais pas bête pour autant, Washington a déjà compris que ce ne serait pas une opération facile sur le terrain pour ses « G.I ».

Car, leur venue à Port-au-Prince n’est pas franchement attendue à bras ouvert par l’ensemble des acteurs politiques encore moins par une population devenue méfiante vis-à-vis de cet « Oncle » qui ne lui facilite guère la vie sur le plan de l’indépendance politique. Alors, Washington s’est approché d’Ottawa et l’entraîne à marche forcée dans une opération dont il n’est pas demandeur. Partenaire docile et effacé, le Canada ne refuse jamais rien aux Etats-Unis. Historiquement, on ne connaît point de désaccord ou conflit politique ou économique majeur entre ces deux plus grands pays du continent Nord-américain. Ottawa demeure un partenaire loyal et soumis qui ne fait pas de l’ombre à Washington lequel se contente d’imposer son leadership sur le reste du monde tout au moins là où on le laisse faire. Tout en restant en arrière plan dans le dossier haïtien, les autorités américaines filent le bébé à leurs homologues canadiens. C’est Justin Trudeau, le Premier ministre canadien, qui joue l’entremetteur entre Port-au-Prince, Washington et le reste du monde.

Une fois la Résolution N° 2653 sur Haïti votée, Washington confie le dossier à Trudeau qui tente, depuis trois mois, de le vendre ou de le faire accepter par d’autres partenaires, disons les alliés des Etats-Unis sur le continent américain. Tout abord, le Premier ministre canadien envoie une Mission en éclaireur à Port-au-Prince auprès des protagonistes de la Transition afin de prendre le pouls de la situation et leur avis sur la demande du chef du gouvernement de facto. Il en ressort que les envoyés spéciaux ne se font aucune illusion, il n’existe pas de consensus sur la demande des autorités haïtiennes. Les membres de la Mission sont convaincus que les premières difficultés avec les acteurs sur place viennent du fait que tous ou presque refusent de parrainer la demande d’intervention étrangère du Dr Ariel Henry.

Parmi les acteurs rencontrés, des membres, entre autres, du Protocole d’Entente Nationale dit (PEN modifié), c’est-à-dire des dissidents de PEN signataires de l’Accord de Montana. N’empêche le discours est le même  partout : c’est « Niet » pour une occupation étrangère du pays. Les cinq membres de la Délégation canadienne ont pris une douche froide lors de la rencontre, selon les responsables du PEN modifié : « Nous leur avons dit clairement et fièrement que nous ne voulons pas d’une force étrangère sur le sol haïtien parce que les interventions militaires antérieures n’avaient jamais rien apporté de bon, car on en a pour preuves des générations qui en souffrent. En ce sens, nous leur avons dit qu’il faut une assistance technique aux Forces armées d’Haïti et à la Police nationale d’Haïti. S’il doit y avoir une assistance quelconque de l’International, ce ne sera pas dans l’objectif de consolider le gouvernement d’Ariel Henry, mais de soutenir nos deux forces nationales afin de lutter contre les gangs armés qui menacent la paix publique » ont fait savoir les Haïtiens aux émissaires de Premier ministre Trudeau. Après ce premier contact avec la réalité du terrain en Haïti qui les a ralenties dans leur élan, les autorités canadiennes ont multiplié les rencontres sur Haïti au Canada et à l’étranger sur la question, puisque Washington les pressait de prendre en charge le dossier de l’intervention.

Or, après ces différentes discussions entre les concernés en Haïti, les Etats susceptibles de se joindre à la force militaire multinationale et le soutien de strict minimum des Etats-Unis, les canadiens se rendent presque à l’évidence que cette intervention militaire deviendrait mission impossible. Le Coordonnateur du dossier pour le Premier ministre Justin Trudeau, l’ambassadeur du Canada aux Nations Unies, Robert (Bob) Rae, semble perdre espoir. Dans un entretien accordé à des médias, notamment au quotidien canadien The Global and Mail,  au cours de ce mois de janvier 2023, il reconnaît qu’« Une intervention militaire majeure en Haïti n’aurait pas d’impact durable. Nous devons admettre qu’il y a eu une histoire de ce que j’appellerais des interventions militaires à grande échelle qui n’ont pas fonctionné. Le Canada veut insister sur une approche « dirigée par les Haïtiens », a confié le diplomate canadien. C’est une approche qui ne colle pas du tout avec l’esprit antinational des dirigeants de la Transition. Mais c’est aussi un aveu d’échec pour le Premier ministre de facto, Ariel Henry et  du gouvernement canadien devant l’absence de consensus à l’International pour intervenir militairement dans la crise haïtienne, car c’est bien de cela qu’il s’agit.

(A suivre)

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