L’Agence des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) doit enquêter sur les naufrages mortels des migrants haïtiens et africains

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La victime Fritznel Richard retrouvé mort de froid près du chemin Roxham
    « Une autre fois, peut-être à minuit ou à l’aube d’un jour naissant, – j’en ai la ferme conviction – le sang certainement coulera encore. Mais ce sera pour la dernière fois. Car ce sang qui coulera ne sera plus le nôtre. Il sortira des veines ouvertes des bourreaux pendus la tête en bas… »                    
(Robert Lodimus, L’Inconnu de Mer Frappée, page 243)

 

Le cadavre du migrant haïtien Fritznel Richard a été découvert finalement le mercredi 4 janvier 2023 dans la neige, près du chemin Roxham, à Saint-Bernard-de-Lacolle. Sa famille avait contacté le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) le 26 décembre 2022 afin de signaler sa disparition. Selon les médecins légistes, Fritznel est mort d’hypothermie. Le pauvre homme de 44 ans avait repris le périple en sens inverse, comme son épouse et son enfant l’avaient fait quelques semaines avant lui pour aller l’attendre aux États-Unis. Sans permis de travail, le couple et leur bébé ont vécu des moments difficiles au Canada. Comme les parias de son espèce, victimes de l’impérialisme mondialisé, Fritznel Richard, abandonné en plein milieu d’une tempête par un chauffeur de taxi, – qui aurait dû être interrogé par la police –, s’est retrouvé écrasé entre son rêve et son destin. Dimanche 8 janvier, devant le complexe Guy-Favreau à Montréal, une quarantaine de camarades ont rendu un dernier hommage au défunt. Les participants ne cachaient pas leur colère. Frantz André, porte-parole et coordonnateur du Comité d’Action des Personnes sans Statuts, a déclaré ouvertement « que le gouvernement canadien a tué quelqu’un à cause de ses politiques migratoires [1]». De son côté, Aboubacar Kane, du comité de Solidarité sans Frontières, l’un des organisateurs du mouvement, ajoutait : « On pense qu’on devrait accepter tout le monde, et surtout prendre soin de ceux qui sont ici pour leur permettre d’avoir un statut, une vie digne et acceptable [2].»

Peut-être que M. Frantz André n’a pas vraiment tort, lorsqu’il fait également porter à l’État canadien le chapeau  de cette tragédie mortelle. Depuis quelques années, le Chemin Roxham défraie la chronique. Les cas des réfugiés arrivant des États-Unis pour demander l’asile politique au Canada font jusqu’à présent l’objet de vives discussions entre les dirigeants des trois pays limitrophes : États-Unis, Canada et Mexique. Comme nous l’avons indiqué plus haut, le Chemin Roxham occupe une place tous les jours dans les médias canadiens. Il demeure un sujet épineux et incontournable d’actualité. Ottawa et Québec en ont fait leur cheval de bataille. En toute logique, les migrants qui empruntent le Chemin Roxham, dans un sens ou dans un autre, à n’importe quel moment de la journée et de la nuit, peuvent-ils échapper à la vigilance des gardes-frontières? Cette zone, extrêmement sensible, serait-elle livrée à elle-même? Serait-elle dépourvue du moindre dispositif de surveillance électronique à un point tel que n’importe qui peut y entrer et en sortir sans être repéré? Conformément aux Conventions de Genève sur les droits des réfugiés, l’opinion publique mondiale mérite des explications sur les circonstances qui ont entouré le décès tragique de Fritznel Richard, que certains, soit dit en passant, ont tendance à interpréter dans le sens de  M. Frantz André. Pourquoi ce père de famille désorienté, qui titubait probablement au milieu de cette tempête violente, avant de s’écrouler dans la neige abondante comme un mulet crevé, n’a-t-il pas été localisé et secouru à temps? Nos remarques sont loin d’être le « J’accuse » d’Émile Zola dans l’affaire Dreyfus! We only asked questions. We just want to know. L’affaire Richard serait-il un cas de « non assistance à personne en danger ? »

Des migrants illégaux empruntant le Chemin Roxham, à St-Bernard-de-Lacolle, porte d’entrée au Canada

À plusieurs reprises, des organismes de droits humains n’ont-ils pas dénoncé publiquement les comportements criminels de plusieurs États occidentaux qui ont choisi d’ignorer les signaux de détresse de nombreux réfugiés africains sur le point de se noyer. Le 24 novembre 2021, 31 migrants, dont 4 portés disparus, ont péri dans la Manche sans avoir été secourus. Le 24 novembre 2022, soit une année après le drame, des dizaines d’organisations humanitaires françaises, britanniques et belges ont publié un rapport d’enquête qui a fait l’objet d’un article dans Le Monde. Le Quotidien a écrit : « Un an après le naufrage ayant entraîné la mort par noyade de trente et un migrants, dont des enfants, soixante-cinq associations humanitaires françaises, britanniques et belges travaillant sur les questions migratoires pointent, dans une tribune au « Monde », des manquements inacceptables de la part des secours français et anglais [3].» Et le journal a précisé plus loin : « Les investigations sur les conditions du naufrage révèlent que les migrants ont appelé à l’aide à de nombreuses reprises. Les secours français ont attendu qu’ils passent dans les eaux anglaises. Aucun moyen de sauvetage ne leur a été envoyé [4].»

Embarcations coulées

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Mai 2007. Le monde entier apprend une triste nouvelle!  Des paysans haïtiens qui fuyaient leur pays pour échapper au « mal vivre » sont morts noyés dans les îles Turks et Caïcos. La  page de cette tragédie a été tournée avec mépris et  légèreté… Bien que les survivants du naufrage aient parlé clairement de crime : leur embarcation, soutiennent-ils, aurait été coulée par la marine britannique. Ces déclarations, qu’il faudrait courageusement ratisser comme le fond de la mer, n’ont jamais pu être vérifiées. Ce jour-là, aux micros de la presse étrangère, les naufragés ont littéralement explosé de rage. Ils n’avaient pas hésité encore une fois à mettre en relief l’implication nébuleuse et criminelle des autorités de la région dans les aboutissements tragiques de ces mésaventures regrettables qui, disaient-ils,  se soldent toujours, étonnamment, par des pertes importantes en vie humaine. De notre côté, nous croyons que la fréquence de ces drames, d’une similarité invraisemblable, – car ils se produisent toujours de la même façon, – devraient effectivement mettre des puces à l’oreille de l’opinion internationale. Les termes stupéfiants d’« assassinat camouflé » revenaient dans toutes les explications que les sinistrés de mai 2007 tentaient de donner à leurs malheurs… L’enquête diligentée par le Premier ministre de l’époque, M. Jacques Édouard Alexis n’a accouché, à notre humble connaissance, que d’un rapport mitigé qui visait ostensiblement à ombrer les zones de responsabilité criminelle.

Des dizaines d’Haïtiens périssent chaque année en mer. La plupart sont portés disparus. Mystérieusement. Certaines informations révélées par les miraculés – difficiles à vérifier, certes – vont même jusqu’à parler de torpillage de voiliers… Comme Rony, ce jeune homme d’un bidonville de Port-au-Prince, rescapé d’un naufrage lourdement meurtrier, que nous avons interrogé :

« Nous regardions au loin…, disons pas tellement si loin, les terres de la Floride…Nous jubilions de joie, tous les camarades… Le type complètement chétif, encore plus amaigri par les semaines de jeûne involontaire que nous venions  de passer   à bord  de la bicoque flottante remplie comme un œuf, a souri pour la première fois. Ses lunettes de Gandhi ne tenaient plus sur le visage squelettique creusé par des rides profondes… Il avait finalement entrevu le soleil de la vie. Il allait enfin traverser le seuil du « paradis » de l’Amérique… dans le sens qui fait sourire! Soudain, c’est la grande panique! Au lieu d’entendre la voix bienveillante de Saint Pierre, c’est Lucifer qui crache le feu… en anglais  à travers des mégaphones assourdissants: « Rendez-vous! Vous avez violé les eaux territoriales des États-Unis… »

« ..Et puis j’ai vu cette « chose » qui provenait du navire des gardes côtes américains  fendre  la mer à la vitesse de la lumière pour venir fracasser notre frêle embarcation… Nous avons vécu l’horreur. Les marines ont repêché quelques-uns d’entre nous dans les eaux froides de l’océan, disons les plus résistants; et les autres, ils ont coulé comme des blocs de ciment… Naturellement, les marines ont fait de leur mieux – c’est ce qu’ils ont raconté après – pour sauver tout le monde…! »

Le 25 décembre 2013, au moment où des peuples plongés dans leurs traditions socioreligieuses commençaient à se dégriser, environ 50 Haïtiens se débattaient dans les eaux tumultueuses des îles Turks et Caïcos. 17 d’entre eux se sont noyés le jour même où une catégorie de l’humanité (les chrétiens) célébrait fastueusement la « naissance du Sauveur…». Quelle sombre coïncidence ! Encore une tragédie survenue dans des circonstances tout aussi bizarres que celle – non élucidée – enregistrée en mai 2007 dans la même région, et qui avait fait plusieurs victimes et occasionné de nombreux disparus.

Les États des pays appauvris ne devraient-ils pas prendre le temps de réfléchir rationnellement sur les « causes véritables » qui provoquent ces tragédies en mer, et qui, de l’avis de plus d’un, semblent s’apparenter plutôt à des meurtres collectifs en série aux effets de dissuasion ? Les gouvernements débauchés comme ceux d’Haïti, de certains pays d’Afrique, d’Asie et d’Amérique Latine n’ont jamais manifesté la ferme volonté d’enquêter sur ces histoires mystérieuses de naufrage meurtrier   et, le cas échéant, de saisir la Cour Pénale Internationale (CPI) à la Haye, aux Pays-Bas, des agissements odieux et révoltants des États délinquants et présumés assassins qui y seraient impliqués.

Hommage à Fritznel Richard de la Communauté haïtienne à Montréal devant le complexe Guy-Favreau

Durant ces dernières années, beaucoup d’Africains qui tentent de regagner les rives d’Italie connaissent le sort des boat-people haïtiens. Ils meurent noyés dans les eaux glaciales et profondes de Lampedusa sous l’indifférence de l’Union européenne. La mer de la Méditerranée devient le cimetière de la jeunesse noire de l’Afrique. Là aussi pèsent sur le dos de la communauté internationale des soupçons énormes de bateaux coulés expressément… pour  protéger les territoires de l’Europe de l’émigration indésirable provoquée par le chômage et la pauvreté. Chems Eddine Chitour, le 11 octobre 2013 sur Mondialisation.ca,  dresse le bilan des catastrophes :

« Depuis 1999, plus de 200 000 personnes venant d’Afrique et d’Asie, fuyant la guerre, la faim et la misère, se sont échouées là-bas. On estime que 10 à 20 000 personnes sont mortes pendant la traversée. Depuis janvier 2013, 22 000 réfugiés ont atteint Lampedusa. » La mairesse de Lampedusa, Giusi Nicolini s’indignait devant ce drame humain et interrogeait le « Ciel » : « Quelle taille le cimetière doit-il atteindre sur mon île [5]? »

Nous avons trouvé génial cet écriteau brandi par des militantes progressistes pour dénoncer le manque de charité et la cruauté des États impérialistes : « Excusez-nous de vous déranger en ne les laissant pas se noyer! » Durant l’année 2022, les pays européens ont ramené en Libye 17 000 réfugiés composés de femmes, d’enfants et d’hommes. Enfermés dans des centres carcéraux, ces malheureux ont subi des formes de maltraitance inimaginables.

Le drame affreux de Cayo Lobos en 1980 est un fait scandaleux qui a marqué notre mémoire de jeunesse. Des boat people haïtiens sont restés bloqués durant trois mois sur l’île déserte du même nom. Ils se sont nourris, comme des animaux sauvages, de criste-marine : une plante de la famille des ombellifères, au goût de fiel. Le gouvernement de Jean-Claude Duvalier, quoiqu’il ait été informé par un paysan du groupe, qui avait bravé la mer dans le but de trouver de l’aide pour ses compatriotes, choisissait d’ignorer les appels de détresse des éprouvés. Les autorités de l’époque attendaient plutôt le pire, pour se débarrasser des migrants indésirables.

Quelles contradictions

Des individus rêvent de partir! D’autres, de revenir! Et croyez-nous, dans un sens ou dans un autre, les obstacles se dressent aux devants de ces deux rêves contrastants, comme la tempête de sable du désert qui enterre vivant le pèlerin égaré. Les répartitions dichotomiques des richesses mondiales ne seraient-elles pas à la base des durcissements des normes migratoires internationales? D’un côté : l’arrogance du gaspillage ! De l’autre : l’indécence de l’insuffisance !  Les pauvres ne sont pas bien accueillis en Europe et en Amérique du Nord. Les  barrières de barbelés se dressent dans tous les  sens pour empêcher le Sud de venir troubler le sommeil de l’opulence du Nord. Le droit à la libre circulation n’existe plus pour les « Dieubon, Dieuseul, Dieumaime» sur la planète du « Bon Dieu ». Des femmes, des hommes, des enfants, des vieillards sont maintenus arbitrairement en prison dans les pays qui s’approprient pourtant la paternité de la civilisation universelle, parce que tout simplement, ils ont cherché à atteindre des rives plus clémentes qui leur permettraient de rester accrochés à la vie. Le moteur de cette soi-disant civilisation humaine est grippé par la politique d’exclusion sociale et économique que les pays riches appliquent envers les marginalisés.

Les pauvres ne sont pas nés à l’abri du feuillage [6] 

De temps en temps, la presse internationale revient aux problèmes des braceros haïtiens en République dominicaine. Les films documentaires affligeants sur les conditions de vie des « congos » dans les bateys ne se comptent plus. Ils nous parlent tous de sang dans le sucre qui adoucit le café fumant de l’Occident. Et ce sang, c’est celui de nos sœurs et de nos frères terriens que le « Capital » suce exécrablement pour étancher sa soif des « plus-values ». Cela fait trop longtemps que l’opinion internationale en parle. Mais l’État haïtien, malheureusement, reste sur son  séant. Sa nature faiblarde, médiocre, incompétente le cloue dans l’immobilisme. Dans l’amorphisme.

Alcidamus a dit: « Dieu a fait libre tous les hommes, et la Nature n’en a  fait aucun esclave. » Pourtant, en plein vingt-et-unième siècle, les médias étrangers parlent toujours d’esclaves haïtiens en République dominicaine dans leurs reportages écrits, parlés et télévisés.

Aucun individu ne devrait jouir du privilège de posséder 1 million de dollars sur son compte bancaire, quand des milliards d’autres n’ont même pas de quoi acheter un morceau de pain et une bouteille d’eau potable. C’est encore honteux de constater que, sur une planète qui est censée l’héritage commun de la « Création », des individus habitent dans des châteaux construits sur des milliers d’hectares de terres cultivables, alors que d’autres se recroquevillent toutes les nuits sur les trottoirs humides ou glacés des mégalopoles. Quelle triste vérité d’observer des enfants qui vagabondent dans les ruelles étroites et serpentines des favelas, alors que d’autres, au même moment, se trouvent dans les meilleurs établissements d’enseignement du monde où ils apprennent les rudiments de l’alphabet, étudient la géographie, l’histoire, la sociologie…, s’initient aux sciences dures (mathématiques, physique, biologie, chimie) pour préparer et assurer leur avenir social, politique, économique, culturel…!

Toutes les richesses matérielles et intellectuelles de la planète ne sont-elles pas confinées entre les mains d’une famille idéologique dominante?

Malgré les réalités dures et cruelles, pour les citoyennes et citoyens qui luttent afin de « laisser un monde meilleur derrière eux », il importe de garder l’espoir que les prisonniers de la faim, les victimes de l’exploitation économique et financière, les esclaves du capital, les sujets de l’exclusion sociale, les vaches à lait de la gabegie fiscale, finissent par reconquérir leur dignité : celle que confère la jouissance pleine et entière des droits individuels et collectifs.


Références

[1] Violette Cantin, Hommage à Fritznel Richard mort de froid à la frontière, Le devoir, 16 janvier 2023.

[2] Violette Cantin, Hommage à Fritznel Richard mort de froid à la frontière, Le devoir, 16 janvier 2023.

[3] Le Monde, 24 novembre 2022, 08h00.

[4] Le Monde, 24 novembre 2022, 08h00.

[5] Chems Eddine Chitour, le 11 octobre 2013 sur Mondialisation.ca

[6] En référence à Jean de La Fontaine, Le Chêne et le Roseau.

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