En guise de vœux, je partage avec ceux et celles qui s’intéressent à Haïti une lecture de la trajectoire de 217 années d’enfumage qui a vu Haïti passer du mythe de l’indépendance à un rituel d’indigence. Mais au-delà du constat terrifiant, toute la question est de savoir, si Haïti dispose encore de la charge d’énergie suffisante pour oser le saut éthique vers la lumière.
Des marrons de la liberté aux marrons de l’indignité
Alors que tout Haïti est plongée dans le rituel de la soupe de l’indépendance, vieux déjà de 217 années, je viens, en guise de vœux, proposer à ceux et celles qui s’intéressent à ce pays une lecture osée qui retrace ce qu’il convient d’appeler la trajectoire maudite par laquelle Haïti a sombré de l’Indépendance à l’Indigence.
C’est une manière de mettre ici en perspective ce que l’absence de courage intellectuel et le mépris pour la vérité tendent à occulter : Haïti n’est pas un pays. Mais un lieu d’expérimentation de la misère et de la médiocrité. Le drame haïtien ne peut être exorcisé qu’en remontant aux sources de l’histoire et de la barbarie esclavagiste. L’entente des noirs et des mulâtres qui, au lendemain de l’indépendance, a permis de construire le mythe de la Première République Noire Indépendante a été un pacte plein de malices, et rempli de failles. Ce sont ces failles qui ont rendu instables et chancelantes les fondations du projet national haïtien.
Mon propos est d’analyser, à travers la célébration officielle de l’indépendance par les autorités haïtiennes, le symbolisme du travestissement de l’indépendance en indigence. Le poing éclairant du flambeau qui s’était levé en 1804, en Haïti, pour briser les chaînes de la barbarie a été armé, gonflé et retourné contre Haïti pour faire exploser la légende de l’indépendance en une retentissante indigence. Le peuple haïtien doit trouver le courage, la patience et l’intelligence pour remonter aux sources des valeurs de l’indépendance afin d’oser le saut anthropologique pour sortir de l’indigence.
En effet, en ce 1er janvier 2021, si le contexte sécuritaire du pays le permet, les autorités haïtiennes sortiront leurs habits de fête et s’attrouperont aux Gonaïves, dans une festive engeance, sur la place d’armes des héros de l’indépendance, pour commémorer les 217 années d’indépendance de cette république dont la réputation n’est plus à faire. Cette commémoration donne l’occasion de revenir sur l’impasse dans laquelle le peuple haïtien se trouve aujourd’hui. Si tous les peuples sont capables du meilleur comme du pire, le peuple haïtien semble n’avoir connu de meilleur que la fulgurance de son envol vers l’indépendance en 1804 ; car, depuis, le pire s’est installé dans une permanence qui occulte tout, si bien que même le moins bon probable n’est qu’enfumage.
En effet, si Haïti a émerveillé le monde en 1804 par l’exploit des marrons de la liberté dont les faits d’armes héroïques ont conduit à l’Indépendance, elle étonne cependant aujourd’hui par l’effroi que procure son état d’indigence sous les méfaits désarmants de ses nouveaux héros: les marrons de la précarité. C’est là un contraste anthropologique à la fois saisissant et terrifiant qu’il faut souligner. Dans un contexte d’inhumanité caractérisée, des esclaves, objets meubles, décrétés par le Code Noir et privés de tout, ont sublimé leurs effroyables conditions de vie et ont su conférer à cette terre de douleur le noble statut de Première République Noire Indépendante du Nouveau Monde. Par contre, dans un contexte moins atroce, des hommes et des femmes libres, bardés de titres et de diplômes, dont certains sont mêmes décorés par les Blancs, ont troqué leur héritage de dignité et de liberté pour quelques réussites précaires, et ont contribué à donner à Haïti un statut de shithole par sa situation de Première République Délabrée, Gangstérisée et Assistée de l’Amérique.
Cette progression erratique dans le temps dessine une trajectoire dont la défaillance vertigineuse tend à confirmer ce que certains considèrent comme une malédiction par laquelle les premiers sont des éternels condamnés à devenir les derniers. On s’empressera toutefois de retenir que les malédictions ne relèvent d’aucune fatalité. Elles ne sont que des sorts jetés, par des démiurges ou des rois vengeurs, à ceux qui, respectivement, doutent de leur divinité ou transgressent leur autorité.
Pourtant, ignorant la réalité indigente dans laquelle se trouve Haïti, les acteurs étatiques haïtiens, dans la limite des pouvoirs que leurs tuteurs étrangers leur laissent, fanfaronneront en ce jour sur les valeurs de l’indépendance et s’offriront ainsi un éclat médiatique à hauteur de leurs œuvres. Une décennie de pouvoir qui n’a apporté que désastre, désolation et détresse à Haïti. Ils oseront même se hisser, du haut de leur indignité, pour se projeter dans la gloire des prouesses des pères de la patrie. Comme pour se congratuler eux-mêmes, ils n’auront à la bouche que des superlatifs qui retentiront de louange, de grandeur et d’honneur. Ils exalteront, par des phrases creuses, l’héroïsme de ceux qui ont imprimé, dans la mémoire de l’humanité, la fierté et la dignité originelle d’Haïti. Un acte que Victor Hugo a salué en des termes lumineux : « Haïti est maintenant une lumière. Il est beau que parmi les flambeaux du progrès, éclairant la route des hommes, on en voie un tenu par la main d’un nègre [1]».
deux siècles et environ deux décennies après 1804, ce qu’il reste de lumière à Haïti n’est qu’un fumier activement foisonnant.
Et c’est apparemment pour se projeter dans cette fierté originelle et s’auto éclairer que les mécréants, qui dirigent Haïti aujourd’hui, chercheront, frauduleusement, à marcher dans les pas des héros de l’armée indigène. Ils feront semblant d’oublier que, c’est pourtant par leurs œuvres et celles de leurs prédécesseurs, deux siècles et environ deux décennies après 1804, ce qu’il reste de lumière à Haïti n’est qu’un fumier activement foisonnant. La vénalité, l’indignité et la précarité croquent l’humain à si belles dents en Haïti, depuis notamment ces dix dernières années, qu’on dirait un lieu de non-humanité ; tout juste, un dépotoir élu où la médiocrité internationale expérimente ses indigences. Tout laisse croire que des démiurges vengeurs ont, intentionnellement, laissé fleurir, sur le foyer irradiant la flamme de l’indépendance, un foisonnant fumier qui a fini par transformer Haïti en ce gigantesque étouffoir. Tout un symbole pour faire vivre une certaine malédiction et montrer au monde entier l’échec retentissant de la première révolte noire pour la dignité et la liberté contre l’oppression et la barbarie blanche.
Indépendance, je maudis l’engeance autour de toi
De fait, l’indépendance d’Haïti, maculée par deux siècles d’errance et d’indigence programmée, n’est plus qu’une illusion entretenue en toute imposture. D’ailleurs, l’état infect dans lequel se trouve le patrimoine mémoriel, qui sert de mausolée aux héros de l’indépendance, traduit une certitude : pour les dirigeants haïtiens actuels, l’indépendance a été longtemps hypothéquée et liquidée. En effet, l’autel de la patrie, où sont conservées les dépouilles des héros de l’indépendance, est un véritable dépotoir [2]. Cette infamie est si bien assumée par les autorités actuelles que le 18 novembre 2020, comme pour confirmer leur servitude vis-à-vis de leurs tuteurs étrangers, les autorités communales de la ville du Cap ont célébré Vertières avec des banderoles mentionnant la « victoire finale [des colons blancs] sur l’armée indigène »[3]. Toute une métaphore pour caractériser le mépris que portent les couches dominantes haïtiennes aux symboles de l’indépendance. Ce qui confirme que, de mythe fondateur d’une nation noire libre et digne, l’indépendance n’est plus qu’un rite de travestissement où les fossoyeurs de la république viennent célébrer l’errance d’une république qu’ils ont délabrée et dépecée.
Pourquoi ceux-ci sont-ils plus prompts à briller dans les légendes des autres plutôt que d’œuvrer en synergie pour construire la reliance utile au progrès de leur pays ?
Cette mise en contexte est nécessaire pour qu’on ait bien en tête que c’est le renouvellement d’un bail infamant qui sera célébré, ce 1er janvier 2021. Une entente sacrée pour maintenir Haïti dans son statut de république pestiférée. Une entente séculaire entre les représentants des descendants des anciens colons et les représentants des descendants des traitres ayant assassiné Jean Jacques Dessalines en 1806. Ce qui donnera loisir d’actualiser la photo de famille de la joyeuse engeance constituant les maitres absolus du shithole haïtien. Ils perpétueront ce jeu de dupes séculaire par lequel les puissances impérialistes et néocoloniales confient, aux plus affreux, aux plus vils et aux plus soumis des Noirs, la gestion d’un pouvoir qui permet de mieux tenir en laisse l’immense majorité des Noirs. Tout cela, dans l’intérêt de la caste économique étrangère dont les représentants, en dignes héritiers des anciens colons, concentrent toutes les richesses du pays tout en servant les intérêts de cette partie de la communauté internationale envers laquelle ils ont prêté allégeance.
Ainsi, dans la plus pure tradition des commissions civiles, au 1er jour de l’an 2021, devant les représentants diplomatiques des puissances impérialistes et néocoloniales, les esclaves volontaires, promus commissaires du shithole, viendront, sans distanciation éthique, postillonner, en abondance, pour déverser, à gorges déployées, des flots de baves sur la mémoire et la gloire des héros de 1804. Une manière pour eux de se mouiller d’indignité et mieux mériter la confiance des impérialistes qui n’accordent leur soutien indéfectible qu’à ceux qui savent mettre en valeur leur laideur humaine.
La mémoire figée dans le passé par impuissance
Mais quelle tristesse de voir un si imposant héritage de dignité, de liberté et d’humanité galvaudé par deux siècles d’irresponsabilités, de servilité volontaire et de médiocrités ! Étrange ironie de l’histoire qui aura vu des esclaves, privés d’éducation, marqués au fer rouge, se révolter pour conquérir leur liberté, alors que leurs descendants, bardés de diplômes et de titres distinctifs, préfèrent se soumettre aux injonctions étrangères pour se projeter dans des rêves qui ne sont pas les leurs.
Entre corruption et misère, entre défaillance institutionnelle et instabilité, entre désespérance et envies d’ailleurs, entre terrorisme d’état et colère impuissante des masses, entre escroquerie et soumission, entre impunité et inertie, le chaos haïtien s’enlise et perpétue le drame et la détresse d’une population d’environ onze millions d’âmes. Quel gâchis humain que cette collectivité, constituée de groupuscules sociaux dispersés, désarticulés, désunis, dérive sans repères, sans leadership et sans organisation dans un écosystème où la seule règle est la survie ! Il va sans dire qu’une certaine impuissance s’est emparée du collectif haïtien. Elle est le résultat d’un processus de « crassification », de la société qui a ouvert la voie au triomphe de la facilité sur l’effort, de la bêtise sur l’intelligence, du simplisme sur la complexité, de l’imposture sur la droiture. Cette médiocrité pesante a fini par façonner la pensée collective haïtienne, l’orientant vers un vide qui est la négation de tout ce qui est structuré, rationnel, cohérent, authentique et digne.
Dans ce vide, s’est inscrit un ensemble de médiocrités professionnelles et personnelles dont le rayonnement indigent a réfléchi ses ombres sur toutes les institutions étatiques et toutes les organisations de la société. Il flotte en permanence dans l’écosystème haïtien un impensé stratégique qui autorise chaque groupe à se donner la légitimité pour prioriser ses intérêts au détriment du collectif. Confiné dans cette malice égocentrique qui pousse à la débrouillardise individuelle, l’intelligence collective haïtienne a sombré dans une inertie abêtissante. Si bien, que chaque Haïtien se retrouve incapable de faire confiance à un autre. Un manque de confiance qui est encore plus notable quand il s’agit de faire œuvre commune pour la justice, la vérité et la solidarité. Chacun, œuvrant dans le sens de ses motivations propres, le tissu social, mal ficelé à l’origine, s’est effiloché et n’est plus qu’un voile décousu, troué, maintenu par des fils sans reliance et sans consistance.
Ce tissu effiloché est une métaphore puissante pour expliquer l’autoroutage de la société haïtienne vers l’indigence. Mais comment un pays société peut-il sombrer dans une telle errance, alors qu’on lui reconnait un grand nombre de talents individuels ? Pourquoi ceux-ci sont-ils plus prompts à briller dans les légendes des autres plutôt que d’œuvrer en synergie pour construire la reliance utile au progrès de leur pays ? En effet, par absence de perspectives communes, par absence d’intelligence, mais aussi par absence d’humanité, les Haïtiens et les Haïtiennes vivent dans un espace qu’ils n’habitent pas et que logiquement, ils ne prennent pas le temps de construire et de sécuriser. Vivant en transit perpétuel sur leur propre territoire, ils restent, en grande partie, accrochés en permanence à des rêveries et des envies d’ailleurs. Ce qui achève de rendre presque tous les groupes, presque tous les secteurs disponibles pour tout projet qui met à mal la dignité du collectif pourvu que ce soit sectairement profitable pour eux. Il nous semble que cette absence de reliance a agi comme une forme d’érosion qui a fini par « évider » la conscience de l’Haïtien en lui enlevant toute autre espérance que la survie ou la fuite. Fuir à tout prix ce lieu maudit devient un gage imminent de réussite. Comme jadis où les esclaves se faisaient marrons pour aspirer à la liberté, les nouveaux héros haïtiens se font marrons pour échapper à la précarité. Il s’en est résulté alors une irresponsabilité totale et un encanaillement collectif qui carbonise tout. Fuir la précarité, pour survivre à l’indigence, devient la seule priorité des groupes et des individus !
Cette absence de reliance conduit à une précarisation énorme de l’écosystème. Une précarité si forte qu’elle a lézardé les rapports sociaux en leur imprimant la marque d’une exclusion qui est à la fois politique, économique, sociale et culturelle. Au fond, l’exclusion est au cœur du drame inhumain qui se joue en Haïti. C’est par elle et à travers elle que les fabricants de shithole précarisent l’écosystème pour mieux imposer les choix et les intérêts d’une minorité au détriment des besoins du collectif, lequel se résigne à survivre. Si dans sa forme politique et économique, l’exclusion est matériellement déshumanisante ; dans sa forme sociale et culturelle, elle évolue vers un entre-soi nonchalant qui n’est pas moins violent. La précarité agit si bien qu’elle conduit aussi à l’auto-exclusion poussant de plus en plus d’Haïtiens et d’Haïtiennes sinon à fuir leur pays, du moins à déserter les espaces socio-politiques où se joue pourtant leur avenir.
Par impuissance, par lassitude, par facilité, par paresse et aussi par médiocrité, les Haïtiens préfèrent ne pas comprendre ce qu’il leur arrive pour ne pas se sentir contraints d’être acteurs de leur destin. Oubliant qu’ils peuvent toujours faire quelque chose de ce qu’on a fait d’eux, dans leur immense majorité, ils pensent que fuir leur territoire en difficulté ou y vivre en transit est la seule issue honorable pour échapper à l’indigence et à la précarité. Pourtant leur déracinement est une aliénation, une désocialisation qui perpétue l’indigence en orientant le savoir-faire du pays vers d’autres ailleurs. En effet, comme le dit l’Historienne Aurélia Michel, si on admet que la richesse des puissances esclavagistes et colonialistes d’hier reposait exclusivement sur le travail forcé d’esclaves qui étaient des êtres déracinés de leur milieu, le travail moderne qu’on appelle travail libre dans les sociétés capitalistes modernes qui repose en partie sur le savoir faire des immigrés est une forme moderne d’esclavage. Car, « toute production « pour autrui », qui a pour destination une autre société que celle dont le travailleur est extrait et que l’on nomme « travail » n’est que de l’esclavage [4] ».
Donc exclusion, précarisation et déracinement sont des survivances de l’esclavage qui tendent à figer la mémoire d’Haïti dans son passé. Un passé certes glorieux, mais qu’il faut pourtant dépasser en le magnifiant par d’autres légendes. C’est en somme une indigence de voir Haïti se projeter, corps et âme, dans un passé qui est devenu sa seule référence, alors même que son présent déshonore la mémoire de ce passé. Quand le présent d’un peuple occulte la flamme forgée par ses ancêtres, s’attarder à honorer ce passé tout en s’éloignant de ses valeurs est un signe d’impuissance et d’insignifiance. Il est affligeant de voir toute la dignité d’un peuple se figer dans la commémoration d’un fait historique vieux de plus de deux siècles, tandis que ses élites abdiquent et renoncent à toute volonté de s’engager et d’agir, avec courage et intelligence, sur le présent pour inventer un possible humain dans ce chaos.
Une avant-garde éthique pour irradier la conscience collective
Osons le dire, quitte à nous attirer la foudre collective, l’indépendance d’Haïti, dans sa forme d’indigence résiliente, n’est qu’un mythe du passé à dépasser. D’autant que le présent ne fait que l’éclabousser par l’indignité qui donne la mesure du temps. Osons assumer que les générations d’après 1804 n’ont pas été dignes de la légende de l’indépendance. D’ailleurs elles ont successivement contribué à ramener Haïti à son passé d’esclavage par la dépendance créée vis à vis de l’assistance internationale. Non, la légende des peuples n’est pas éternelle. Elle s’estompe et tombe dans l’oubli, faute de dignité active et mobilisatrice pour la maintenir allumée. Ce constat n’a toutefois rien d’une fatalité. Il permet de prendre conscience de l’impasse dans laquelle on s’est rendu. Mais une impasse n’est pas un lieu où l’on est condamné à trépasser ou à agoniser. C’est juste un lieu qui demande davantage d’humanité, davantage d’intelligence, davantage de reliance, davantage d’agilité pour chasser la cendre qui couve et enfume la braise de la dignité et la porter à incandescence. C’est seulement ainsi que la flamme puisse éclairer à nouveau, et durablement.
Il faut faire jaillir l’étincelle pour que le feu crépite à nouveau et irradie la conscience collective
Oui, les mythes meurent, mais se réinventent toujours. Au vrai, quand ils sont estompés, ils ne disparaissent pas, ils deviennent des rêves enfouis dans les consciences endormies. Il faut faire jaillir l’étincelle pour que le feu crépite à nouveau et irradie la conscience collective qui doit permettre au rêve d’aller au bout de ses agitations. Il faut trouver le bon tempo pour que le chant étouffé s’égrène et que, même dans un murmure, il puisse porter au-delà des mots pour franchir les murs de l’exclusion et inviter au grand rassemblement autour du feu de la liberté à reconquérir. Mais pour cela il faut que l’écosystème résonne d’exemples qui permettront aux gens de se souvenir pour qu’ils réapprennent à se mobiliser pour la dignité, la fierté nationale et la solidarité. Si les consciences sont chauffées à blanc, une étincelle suffira pour que la mémoire collective se mette à vibrer, à s’enflammer pour guider le passage dans l’obscurité et réconcilier le collectif avec son humanité interdite.
Œuvre difficile, mais pas impossible. Œuvre turbulente, mais passionnante par ses finalités. Œuvre utopique pour un shithole, mais combien structurante pour la dignité humaine. Œuvre d’insoumission et d’intranquillité, mais combien transcendante par sa reliance. Œuvre d’exaltation dont les vibrations PoÉthiques doivent irradier la conscience collective. Manifestement, une telle œuvre ne peut se mettre en mouvement que par l’entêtement du peuple haïtien à refuser d’être cette insignifiance à laquelle des forces obscures et puissantes veulent le réduire et le confiner. Objectivement, une telle œuvre nécessite une avant-garde organisée, conscientisée, authentiquement engagée et résolue à se découvrir pour frayer la voie et guider le peuple vers son destin de dignité.
Une œuvre aussi authentiquement inspirante et humainement engageante ne saurait venir d’une génération spontanée pour des raisons évidentes de maturation et de transmission. Pas plus qu’elle ne peut être le fait d’une action politique dont les objectifs sont trop sectaires. Ce doit être une œuvre pédagogique à construire dans la durée. Ce doit être une œuvre portée comme un lent et douloureux, mais heureux apprentissage. Le changement véritable ne peut pas être “une chance à prendre”. Il ne peut pas être un slogan et encore moins une injonction. Historiquement, le changement profond reste et demeure une construction générationnelle inachevée et transmissible. Initiée par une génération, à un moment donné, elle est nourrie et amplifiée par les générations qui suivent. Elle est embellie pour s’adapter tour à tour aux exigences de chaque époque, sans renoncer aux valeurs fondamentales. Une telle œuvre de patience et d’intelligence nécessite une avant-garde organisée, conscientisée, authentiquement engagée et résolue à se découvrir pour frayer la voie et guider le peuple vers son destin de dignité.
Une telle construction ne peut se faire ni avec la malice, ni avec l’imposture, ni avec l’insignifiance, ni avec l’irresponsabilité des élites actuelles. C’est la démarche scientifique qui nous l’interdit : “Il est impossible de résoudre les problèmes avec les mêmes modes de pensée qui les ont engendrés”. Or, dans une grande proportion, les problèmes haïtiens sont les effets induits par une pensée indigente séculaire. Une pensée qui, à force d’errer dans un marronnage permanent, applique à une réalité complexe des solutions simplifiantes et abêtissantes où la peur, la fuite et la survie dominent. L’urgence du changement appelle donc à une rupture d’avec cette pensée simplifiante et grégaire.
Il faut donc terrasser l’insignifiance et l’imposture dans lesquelles se complaisent ceux et celles qui évoquent la précarité économique et sociale pour justifier leurs irresponsabilités. Il faut élever les consciences et non pas les rabaisser pour qu’elles s’adaptent à ce qui est facile, simple et indignement accessible. En ce sens, ce n’est pas la précarité économique qui est la plus grande défaillance pour Haïti. La vraie défaillance est la précarité humaine de ceux et celles qui, ayant le savoir et le pouvoir, ne savent pas mobiliser les technologies de l’intelligence pour opposer, aux contraintes de leur milieu, une résistance capable de faire émerger un écosystème intelligent. Ce n’est pas le fumier et la cendre qui y est déversée qui sont le plus grand problème d’Haïti, c’est la docilité et la tranquillité de ceux qui supportent cette charge infecte et qui apprennent à manger, à danser et à vivre avec……et parviennent même à oublier l’indigence de sa présence.
c’est dans les consciences de ses fils et de ses filles qu’Haïti doit d’abord construire le changement.
Quand ceux qui enseignent dans les universités sont les mêmes qui participent, par leur médiocrité active, leurs accointances mafieuses ou leur silence complice, aux mille indigences qui déshumanisent tout un écosystème, il est impossible d’espérer que les générations futures ne soient pas des candidats parfaits pour cet homo detritus en gestation. Mais, « comme rien ne se transmet de manière inchangée dans le temps », c’est dans les consciences de ses fils et de ses filles qu’Haïti doit d’abord construire le changement. Il faut nourrir l’engagement pour la dignité comme un impératif à transmettre, comme un marqueur de vie sans lequel aucune réussite n’a de valeur. C’est là une œuvre socialement innovante qui doit s’enraciner comme une praxis partagée pour modeler les interactions sociales et construire les fondements d’un nouveau mythe. Puisque “le changement est une porte qui s’ouvre de l’intérieur”, cette œuvre ne peut révéler sa splendeur au collectif que par un pacte éthique où l’on apprendrait à mettre l’engagement individuel au service de l’intelligence collective.
Puisse 2021 irradier sur Haïti et sur le monde entier la flamme d’une virulente intranquillité pour que surgissent des colères intelligentes capables d’enflammer les consciences pour terrasser l’enfumage de cet encanaillement débonnaire qui semble empêcher l’embrasement des imaginaires intelligents !
Notes
[1] http://www.ac-grenoble.fr/disciplines/lettres/podcast/sequences/Esclavage/Esclavage/Blog/Entrees/2007/12/8_Lettre_de_Victor_Hugo.Document_complementaire.html
[2] https://lenouvelliste.com/article/193890/lautel-de-la-patrie-ou-reposent-les-restes-de-dessalines-a-labandon
[3] http://elsie-news.over-blog.com/2020/11/et-la-verite-sort-peu-a-peu-des-celebrations-du-malin.par-erno-renoncourt.html
[4] https://theconversation.com/le-travail-pour-autrui-survivance-de-lesclavagisme-dans-nos-economies-150317