Haïti, chronique d’une crise électorale (139) Coup d’œil sur le Centre de Tabulation des Votes (CTV) !

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Le Centre de Tabulation des Votes (CTV)

Avec les élections locales du 29 janvier prochain pour élire les Casec, Asec et Délégués de ville, scrutin à un tour, les autorités électorales s’acheminent donc vers la fin du processus. Il reste maintenant l’intérêt que porteraient les acteurs et la population pour ces scrutins. En tout cas, on a remarqué même si tous les observateurs estiment que le taux de participation pour les élections du 20 novembre 2016 était faible, les candidats, eux ne font aucun cas de ce point très important dans un processus électoral. Ils préfèrent tous avoir les yeux rivés sur le centre névralgique du Conseil Electoral Provisoire (CEP) qu’est  le Centre de Tabulation des Votes (CTV) l’objet de toutes les convoitises, curiosités et de regards post-scrutin. C’est dans cette sous-entité du CEP, en effet, qu’ont été acheminés tous les procès-verbaux venus de tous les Bureaux de vote de l’ensemble du pays. Dès la fermeture des premiers Bureaux de vote, ce lieu qui traine derrière lui une triste réputation depuis l’élection présidentielle de 2006 était placé sous haute surveillance de tous les candidats et les observateurs électoraux.

Tôt le lundi 21 novembre au matin, les espaces de la grande halle du CTV logé au Parc industriel de SONAPI près de l’aéroport Toussaint Louverture de Port-au-Prince étaient pris d’assaut par une meute de personnalités de toute sorte. Des représentants de candidats, des journalistes, des partis politiques, des responsables du CEP, des organisations d’Observations Electorales, des Consultants du PNUD, etc. Tous se donnaient rendez dans ce lieu devenu quasi mythique dans l’organisation des élections en Haïti. Certaines salles sont occupées par une batterie d’ordinateurs de très haute capacité avec des codes d’accès ultra confidentiels et quasiment inviolables dont seuls quelques rares initiés détiennent les secrets bien gardés. Dans un premier temps, on disait que seuls deux ou trois étrangers du PNUD pouvaient accéder aux ordinateurs où sont verrouillés dans des serveurs ultra-puissants les résultats des élections. Même le maitre de la maison, Robinson Chérilus, Directeur général du CTV, semble-t-il, n’avait pas le code d’accès à ce coffre-fort.

C’est après bien de démentis de la part du Président du CEP, Léopold Berlanger et de l’intéressé lui-même qu’un brin de confiance a fini par s’établir et là encore le doute demeure. Car, certains acteurs et non des moindres restent sceptiques. C’est dire combien le Centre de Tabulation des Votes est un endroit très convoité et surveillé par une puissance de magnitude 10 sur l’échelle du secret qui en compte 10. Devenu le lieu symbolisant le refuge pour tous les perdants et mauvais perdants depuis 2006, le CTV garde sa réputation de l’endroit qui rend fou à lier. Le CTV rend les chefs de partis politiques haïtiens paranoïaques. Certains candidats, quant à eux, tombent pratiquement en syncope dès qu’on évoque le nom de ce lieu où planent mystères, légendes et contes maléfiques. C’est de là que partent toutes les contestations justifiées ou injustifiées, fondées ou infondées après chaque scrutin. Mais c’est là où arrivent aussi tous les chiffres et les procès-verbaux du pays entier.

Robinson Chérilus, Directeur général du CTV
Robinson Chérilus, Directeur général du CTV

Les pourcentages et toutes les rumeurs. Pour les élections présidentielles, législatives et municipales de novembre 2015, le CTV devait recevoir un volume de 28,938 procès-verbaux sous de plis cachetés en plastic. Une fois arrivés, ces procès-verbaux devaient être numérisés. Cette masse de papiers se répartit comme suite : 11,993 procès-verbaux pour la présidentielle ; 11,993 pour le 1/3 du Sénat ; 2,521 pour les sénatoriales partielles ; 2,376 pour la députation et enfin 55 procès-verbaux pour les maires. Le Conseil Electoral avait équipé le CTV de 2.850 Smartphones afin de recevoir n’importe où sur le territoire haïtien des images ou les photos des procès-verbaux déjà comptabilisés dans les Bureaux de vote. Mais la clef du système comprend pas moins de 200 ordinateurs de grande capacité tous ayant une connexion à Internet haut débit reliés à 4 Serveurs superpuissants initialisés de manière à ce qu’il n’y ait aucune intrusion possible par des pirates (hackers) malintentionnés. Bref, le Centre de Tabulation des Votes, c’est Fort-Knox en miniature.

On comprend pourquoi ce bunker suscite autant de curiosités de la part de la population haïtienne, des observateurs électoraux nationaux et internationaux et naturellement des acteurs politiques haïtiens en particulier. Mais en dépit de tout cela, il y a tout de même une grande faille dans le dispositif du CTV, et non des moindres. Le CEP interdit à quiconque de donner le moindre résultat sur les scrutins tant que tout ne soit fin prêt au CTV relativement aux procès-verbaux déjà disponibles. Sauf que ces mêmes procès-verbaux sont aussi disponibles même avant d’ailleurs sur le site Internet du CEP. Or, ce sont les mêmes documents qui arrivent au compte goute au CTV. Du coup, il suffit que quelqu’un se rende sur le site de l’organisme électoral pour que la terre entière non seulement voit la tendance de vote des électeurs, mais la publie via l’ensemble des Réseaux sociaux. Cette interdiction devient en fait une violation des droits d’informer. Puisque la tendance de vote qu’avaient donnée les médias haïtiens comme étrangers d’ailleurs à l’instar de CNN, RFI ou France 24 qui, le soir même, avaient donné le nom du candidat arrivant en tête de la présidentielle suivant la tendance de vote des électeurs, a été trouvée sur le site du CEP.

Les médias n’avaient pas inventé les nouvelles ou les chiffres qu’ils donnaient. Tous provenaient d’un outil officiel du CEP. Alors, comment condamner quelqu’un qui n’a fait que relayer une information qu’il a eue auprès du fournisseur officiel, en l’occurrence le Conseil Electoral Provisoire. Certes, le CTV devait encore vérifier si les procès-verbaux sont authentiques ou pas ou s’ils portaient tous la signature des trois membres du Bureau de vote (MBV). Dans ce cas, le CEP ne devrait pas afficher ces documents sur son site tant qu’il n’aurait pas obtenu le feu vert du CTV. Nous sommes au vingt et unième siècle au cas où le Président du CEP, Léopold Berlanger et ses collègues Conseillers ne l’avaient pas remarqué. Cette histoire d’attendre huit jours, voire deux mois pour donner les résultats d’une élection, c’est fini. A moins que tout se passe de manière anonyme et dans l’espace et encore il y a les satellites. Certainement pas sur la planète terre où aujourd’hui les informations, les nouvelles voyagent à la vitesse de la lumière d’un bout à l’autre de la terre.

Même avec beaucoup de retenue et même s’il devrait avoir quelques légères corrections,

Maarteen Boute, PDG de Digicel
Maarteen Boute, PDG de Digicel

aujourd’hui tout le monde connaît le nom d’un gagnant d’une élection présidentielle dès l’instant où on a commencé le dépouillement des urnes dès qu’on dépasse un certain pourcentage. Nul n’est besoin d’être un expert en statistique pour comprendre que tel candidat a obtenu plus de voix qu’un autre même si tous doivent revendiquer la victoire dès la clôture des urnes. Le bras de fer que le CEP et le Commissaire du gouvernement Me Danton Léger avaient engagé avec la Compagnie de téléphonie Digicel et certaines stations de radio de la capitale pour divulgation des résultats non officiels n’avait aucun sens. La convocation de Maarteen Boute, PDG de Digicel Haïti à se présenter le lundi 28 novembre 2016 au Parquet de Port-au-Prince « au motif que (sa) votre compagnie aurait publié certains résultats des élections organisées dans le pays le 20 novembre dernier, en violation flagrante du Décret électoral régissant les élections » relevait d’une pure démagogie.

Dans ce cas, il fallait convoquer tous les propriétaires de téléphones portables et de Tablettes qui recevaient et envoyaient des centaines de messages relatifs au taux de participation et à la tendance de vote des électeurs pour ces élections par le seul fait qu’ils ont tous un abonnement auprès d’une compagnie de communication donnant l’accès à Internet. Même après la convocation de Maarten Boute, les internautes n’avaient pas cessé de relayer les informations relatives aux résultats de ce scrutin avec le nom du vainqueur de la présidentielle de 2016 sans être inquiétés. Tout simplement, il est impossible aujourd’hui à un gouvernement, un organisme électoral et même aux fournisseurs d’Internet soit d’identifier les coupables soit de couper brusquement leur communication. C’est plus facile à dire qu’à faire. En Haïti, c’est au Conseil Electoral – Provisoire ou Permanent – de s’adapter à l’exigence du vingt-et-unième siècle.

 

 

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