Haïti: 2021, une année à haut risque politique !

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Le Nicaraguayen César Acuna

En Haïti, l’année 2021 marque le point culminant des offensives politiques pour les deux parties en présence. D’un côté, l’opposition qui entend faire de cette nouvelle année, l’An I du pouvoir de transition qu’elle a tant espéré. De l’autre, le Président Jovenel Moïse qui tient à faire de cette année l’apogée de ses réformes institutionnelles à commencer par le referendum constitutionnel qu’il prévoit pour le mois d’avril 2021. Pour les opposants au pouvoir, tout devrait commencer au plus tard le 7 février prochain, c’est-à-dire, dans quelques jours. Au cours de ce mois de janvier 2021, l’opposition veut mettre les bouchées doubles en voulant mobiliser toutes ses forces pour forcer la marche de l’histoire et contraindre le Président Jovenel Moïse à quitter le pouvoir le 7 février 2021 vu qu’elle n’a pu obtenir son départ avant cette date fatidique. 

Dès le 2 janvier 2021, l’opposition plurielle a entamé sa « longue marche » révolutionnaire en s’adressant aux responsables des deux organisations mondiale et régionale les plus fidèles au régime en place en Haïti à travers deux courriers distincts. Les leaders de l’opposition haïtiens ont mis en cause et critiquent la nomination par le Secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres et celui de l’OEA, Luis Almagro, de deux consultants et experts juridiques auprès du gouvernement haïtien pour le conseiller dans les travaux entrepris par le CEP et le CCI en vue de l’organisation d’un referendum populaire sur la nouvelle Constitution en préparation et les élections générales devant renouveler le personnel politique du pays en 2022. Ces deux Conseillers internationaux : le Nicaraguayen César Acuna et le Tunisien Amor Boubaki sont placés respectivement auprès de l’organisme électoral provisoire haïtien et de la Commission Consultative Indépendante. Dans sa correspondance, l’opposition reproche aux dirigeants de l’OEA et de l’ONU d’apporter leurs soutiens au chef d’Etat Haïtien dans son entreprise de pouvoir dictatorial. 

« le gouvernement mettra à la disposition du CEP tous les moyens pour organiser les élections en toute transparence et indépendance »

 Les chefs de l’opposition ont aussi fait un récapitulatif de l’année écoulée, histoire de démontrer aux dirigeants internationaux, combien le Président Jovenel Moïse a failli à sa mission de conduire le pays vers la démocratie et la stabilité politique et sociale durant son mandat. « Depuis le deuxième lundi du mois de janvier, Haïti est sorti de la charte démocratique des États américains. Le Président de la République, en ayant sciemment refusé d’organiser les élections comme l’exige la Constitution de 1987 amendée, se donne la latitude de gérer à coups de décrets. La démocratie est donc mise en veilleuse. Cette réalité, pour le moins inquiétante, bouleverse les démocrates – tant ici qu’ailleurs – qui constatent le retour à la dictature dans sa forme la plus abjecte » notent-ils dans leur courrier adressé à Antonio Guterres et Luis Almagro. Plus loin, les leaders de l’opposition croient rappeler aux deux responsables des organisations internationales que : « La Constitution haïtienne en son article 284-3 stipule ce qui suit : Toute consultation populaire tendant à modifier la Constitution par voie de référendum est formellement interdite ». 

 En se croyant investi de la puissance publique, Jovenel Moïse veut anéantir la Constitution de 1987 pour la remplacer par une nouvelle taillée sur mesure. À ce compte, il a nommé par décret une Commission chargée d’en proposer une nouvelle. Les partis et regroupements politiques sont en train de préparer l’après-Jovenel Moïse : la marche inévitable vers la transition. Ils dénoncent de toutes leurs forces le mépris envers le peuple haïtien. Le 7 février 2021 sonnera le glas de ce régime tyrannique, sanguinaire. À partir de cette date, débutera en Haïti une ère nouvelle. Au nom des principes démocratiques, l’OEA et le BINUH se doivent d’apporter leur contribution sans faille » a ajouté la Direction Politique de l’Opposition Démocratique (DIRPOD). Un courrier auquel le Secrétaire général de l’OEA, Luis Almagro, n’a pas tardé pas à répondre le 6 janvier 2021 par un tweet ne laissant place à aucune ambiguïté. 

« Nous renouvelons notre soutien à l’importance d’un processus électoral intégral en 2021 qui se conclura par un transfert démocratique et pacifique du pouvoir au cours de l’année à venir » donc en 2022, écrit le patron de l’Organisation des Etats Américains. Mais, l’opposition ne s’avoue point vaincue par ce message qui ne l’encourage point à préparer l’arrivée d’un pouvoir de Transition. C’est tout un programme de mobilisation et d’actions qu’elle est en train de préparer en vue du départ du locataire du Palais national. Selon certains responsables de l’opposition radicale, le Secteur Démocratique et Populaire (SDP), plusieurs dizaines d’observateurs étrangers sont d’ores et déjà invités en Haïti dans le cadre de la mobilisation non stop qui sera lancée à la mi-janvier 2021. 

 Cette dernière séquence baptisée « Mobilisation citoyenne pour le respect de la Constitution » sera l’ultime phase de combat devant obliger le Président Jovenel Moïse à abandonner le pouvoir de gré ou de force le 7 février 2021. « Ce n’est pas l’opposition et la Société civile qui évoquent la fin du mandat du Président en 2021, mais la Constitution » avance Me André Michel à Télé 20 le mardi 5 janvier 2021. D’après ce leader de l’opposition radicale et porte-parole du Secteur Démocratique et Populaire (SDP), « Nous sommes tenus de nous battre avec la plus grande énergie pour faire respecter la Constitution. Cette bataille n’est pas celle de l’opposition, encore moins partisane. C’est une bataille patriotique qui est celle des citoyens. La population va se battre contre le Président Jovenel Moïse pour qu’il respecte la Constitution ». 

 Pour autant, il y a tout de même un risque pour l’opposition. Car, si d’ici le 8 février 2021 Jovenel Moïse occupe encore le pouvoir au Palais national en tant que Président de la République, l’opposition plurielle aura perdu non seulement la guerre qu’elle a menée durant quatre longues années contre le pouvoir, mais elle perdrait pratiquement toute chance de le renverser avant le 7 février 2022. C’est une évidence. Puisque cette année 2021 est aussi déclarée par le Président Jovenel Moïse : l’année de la Constitution, des élections et de l’énergie. En effet, en évitant d’aller semer de l’huile sur le feu aux Gonaïves, le berceau de l’indépendance haïtienne le 1er janvier 1804, le chef de l’Etat a dû se contenter, une fois encore, de célébrer le 217e anniversaire de l’indépendance nationale dans la capitale où il y a plus de marge de manœuvre pour que les forces de l’ordre garantissent sa sécurité. Privé de la Place d’armes des Gonaïves par l’opposition qui lui interdisait d’y mettre les pieds, le Président de la République s’est contenté du cadre du Palais national et des environs du Champs de mars au MUPANAH (Musée du Panthéon National Haïtien) pour rendre hommage aux Pères Fondateurs de la Patrie. 

 

Le Tunisien Amor Boubaki

C’est au siège de la présidence qu’il s’est adressé au pays devant les dignitaires du régime et de l’Etat, les hauts fonctionnaires et les corps diplomatiques pour présenter son allocution de circonstance le jour du nouvel An et des Aïeux. Dans son long et fastidieux discours de plus d’une heure, Jovenel Moïse, sans citer de noms, s’en est pris une nouvelle fois à ce qu’il appelle « l’oligarchie corrompue » qui empêche le pays de se développer et de se moderniser. Mais, le chef de l’Etat a surtout mis l’accent sur trois éléments clés de son quinquennat et sur quoi il espère laisser son empreinte. « J’appelle l’année 2021 l’année de la Constitution, des élections et de l’énergie électrique » dit-il. Selon lui, cette année 2021 est le moment de vérité. L’année de tous les défis : referendum populaire sur la nouvelle Constitution, scrutins législatifs et locales et élection présidentielle, sans oublier l’électricité 24/24 dans tous les coins et recoins d’Haïti. C’est plus qu’un rêve ; un vœu pieux ! Comme l’opposition, Jovenel Moïse a un agenda aussi ambitieux qu’un programme de candidat à la présidence de la République. Sauf que, constitutionnellement, le temps lui est compté et la fin de son mandat, selon l’opposition, prendra effet dans moins d’un mois. Mais le dauphin de Michel Martelly en a cure des menaces de l’opposition. 

D’ailleurs, le chef de l’Etat a profité de son allocution de nouvel An pour revenir en détails sur la portée de la nouvelle Charte constitutionnelle qui est en cours d’élaboration et qui devrait être soumise en avril prochain au vote de la population par voie référendaire. « Le changement de la Constitution n’est pas mon projet. Mais c’est le projet de toute la société. Cela concerne la gouvernance du pays, le bien-être de la population, l’inclusion de la diaspora dans les affaires politiques du pays. Cette nouvelle constitution doit créer plus d’harmonie entre les trois pouvoirs de l’État. Elle doit être simple, claire et facilement applicable ; elle doit être moderne et doit correspondre à la culture du peuple haïtien ; elle doit répondre aux aspirations de la majorité de la population et la diaspora aussi », annonce le Président de la République qui, à aucun moment, n’a l’air inquiet pour son projet de reforme constitutionnelle. 

 Il a confirmé le Conseil Electoral Provisoire (CEP) très décrié par l’opposition et une partie de la Société civile dans son dispositif et sa stratégie de réforme institutionnelle et politique afin de mettre en place la machine électorale. « Nous prenons l’engagement solennel devant le monde pour dire que le gouvernement mettra à la disposition du CEP tous les moyens pour organiser les élections en toute transparence et indépendance » a dit le Président avant de rajouter : « Je serais un président irresponsable si je quittais le pouvoir sans prendre des mesures pour organiser les élections pour renouveler le personnel politique dans le pays ». Ainsi, sans plus tarder, trois jours après ce fameux discours, le pouvoir a donné un cadre légal à l’organisme électoral en publiant un décret présidentiel en date du 5 janvier 2021 dans la perspective du référendum sur la nouvelle Constitution. Ce décret relatif au référendum avait été pris, selon le Président lui-même, dès le 31 décembre 2020, c’est-à-dire la veille de son intervention et vient renforcer l’autorité du CEP tout en lui donnant la ligne à suivre dans le cadre des préparatifs des scrutins à venir. 

 Les 5 premiers articles donnent à eux seuls le ton et le signal du départ du processus référendaire avant même que le texte soit remis officiellement au chef de l’Etat.
C’est dans un numéro spécial du journal officiel Le Moniteur N°1 du 5 janvier 2021 qu’a été publié le décret donnant au Conseil Électoral Provisoire (CEP) le cadre légal pour « l’organisation, le contrôle du référendum constitutionnel ainsi que la publication de ses résultats sur toute l’étendue du territoire national. Le suffrage est universel direct, secret et libre » peut-on lire. Ce même décret accorde un nouveau délai de deux (2) mois à la Commission  Consultative Indépendante (CCI) pour finaliser les travaux du projet de la nouvelle Constitution. Tout est prévu dans ce décret dans lequel on peut lire : « Le CEP transmet sans délai les résultats du référendum constitutionnel au Président de la République pour publication au journal officiel le Moniteur » (Art. 104). « Les résultats du référendum constitutionnel, proclamés par le CEP et transmis pour publication, ne peuvent être l’objet d’aucune contestation ou objection. Leur publication, par le Président de la République, est automatique et immédiate » (Art. 105). La diligence à laquelle ce décret a été publié démontre une fois encore la détermination de l’équipe au pouvoir d’aller vite, très vite dans ce processus. 

 Dans la mesure où ce décret précède la remise publique du document à l’exécutif et sans que personne, autres que l’entourage du Président, n’ait eu connaissance du texte en cours de rédaction. En fait, la présidence de la République disait attendre que le CEP lui transmette un calendrier comprenant les dates et les modalités du referendum et les autres scrutins. C’est chose faite depuis le début du mois de janvier 2021. Le referendum est fixé au 25 avril 2021 selon le calendrier du Conseil Electoral Provisoire publié le jeudi 7 janvier 2021. Car pour le chef de l’Etat, il est temps d’en finir avec la Constitution de 1987 amendée qui ne favorise ni la stabilité politique ni la stabilité institutionnelle dans le pays. Jovenel Moïse a pris comme exemple qu’entre 1987 et 2021, soit 34 ans après, le pays a connu pas moins de dix-neuf Présidents de la République. 

« Il n’y a pas une zone du pays qui ne sera pas électrifiée » assure Jovenel Moïse

 Alors que s’il n’y avait pas un nombre considérable de soubresauts politiques, il n’aurait été que le 7e chef d’Etat depuis la promulgation de la Constitution post-Duvalier, avant d’expliquer qu’« Il n’y a pas d’équilibre entre les trois pouvoirs de l’Etat et que les pouvoirs rentrent en permanence en collision.» Enfin, donnant l’impression qu’il contrôle tout de bout en bout, le Président reprend sa rhétorique sur l’électrification du pays avant la fin de son mandat. Pour lui, il ne fait pas de doute, il est proche du but. D’après lui, le projet avance, certes, avec des difficultés, mais les choses avancent. Tout le pays, selon lui, est en chantier. « Il n’y a pas une zone du pays qui ne sera pas électrifiée » assure Jovenel Moïse dans une ultime promesse à la population. Bien entendu s’il arrive à tenir le cap après le 7 février 2021. En tout état de cause, c’est une période pleine d’incertitudes qui s’annonce donc pour les protagonistes. Tandis que,  l’année 2021 paraît comme une année à haut risque politique pour le pays, voire de tous les dangers pour les Haïtiens en particulier.

C.C

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