Lanmò manman bourik ranje koze manman chen grangou
Les premiers rayons du soleil tropical scintillent déjà à l’horizon d’un bleu immaculé. Plus de deux heures se sont égrenées du chapelet de Chronos depuis que ce terrible mercredi 25 août est arrivé à pas feutrés sur la scène spatiale. Nous avons déjà traversé Martissant. Par chance, les armes de fort calibre ont mis une pause à leurs crépitements assourdissants.
Au Plateau de Fonds des Nègres, c’est déjà l’indice de cette désolation déchirante. Les images du séisme du 14 août nous rappellent les horreurs indescriptibles de l’apocalypse du 12 janvier 2010. L’on pourrait imaginer revivre Iwochima et Nagazaki. Des deux côtés de la route de vastes cours surgissent des constructions légères.
Faites de bois dur ou 2×4 pour les plus aisés, elles doivent protéger leurs progénitures de ces cordes de pluie sauvages qui allaient s’abattre sur notre tiers d’île. Car deux jours seulement après le séisme devait s’amener le cyclone Grace qui est arrivé an bourik, déversant sa rage diluvienne sur ces petites structures légères recouvertes de tôles ondulées recyclées et entourées de bâches abimés aux couleurs multiples.
A voir la désolation partout présente, de violentes houles de tristesse insoutenable déferlent rageusement dans nos entrailles profondément affectées. Ce spectacle déchirant révolte non seulement par l’ampleur du drame mais par le cynisme inénarrable des élites infectées par le virus incurable de l’inconscience.
Dans trois départements, les victimes sont visiblement abandonnées à leur triste sort. Mais, ironie des choses, des millions de gourdes sont offertes par la justice à quiconque dénoncerait la cachette de trois fugitifs supposés. Au Carrefour des quatre chemins s’affaire un petit commerce. Pour les riverains sinistrés, chaque nouveau visage fait naître l’espoir d’une aide potentielle.
Nous avons bien tenté de sillonner chaque coin et recoin de la ville des Cayes. Nous voulions constater par nous-même l’ampleur de ce drame indescriptible. Une maison à trois étages qui nous hébergeait il y a de cela 15 ans montre la partie avant à genoux. Le reste peut s’effondrer à la moindre réplique qui arrive n’importe quand. Mais, les premières gouttes de pluie nous en ont dissuadé. Mais nous y sommes revenus le lendemain pour vivre en direct le calvaire des sinistrés de Croix des Martyrs et d’autres endroits.
Destination Camp-Perrin
Qui ne se souvient de cette opportunité inespérée offerte par le cyclone Mathieu en octobre 2016. Certains en ont profité pour se moquer de la souffrance atroce de ce fragment de la population en proie à une misère infrahumaine programmée à dessein.
Une distribution d’aide se faisait dans une grande cour attenante au Carrefour Laprise. Sinistrés ou pas, venant de la 2ème et de la 3ème section, ils y affluent par centaine. Là, une dame au pied droit emplâtré attire notre attention. Clotide nous raconte en partie ses calvaires : “Je viens du Pic Macaya. Il m’a fallu parcourir plusieurs kilomètres à pied avant d’atteindre Duchiti. Arrivée enfin ici, je n’ai encore rien reçu. Pourtant, les autorités savent pertinemment que nous avons eu des pertes en vies humaines et que nos maisons ont été détruites”.
A mesure que passe le temps, cette foule déjà innombrable continue de grossir. Face à ce vacarme causé par les victimes, les donneurs d’aide sont repartis avec leurs aides. Simple question de plan savamment concocté par les bons et honnêtes bandits à costume ou en soutane.
Ne soyez nullement étonnés de voir les pauvres victimes coincées entre les serres impitoyables des besoins pressants et de la vie chère acheter à prix fort ces mêmes aides. Dans la matinée du samedi 28, Gabriel Fortuné fut inhumé à Torbeck. Dans l’après-midi furent célébrées dans les pleurs et la douleur au Haut du Camp les funérailles de Magalie Constant et de son mari Wousvelt Edma.
Ils ont été fauchés ensemble par les griffes destructrices du séisme. Très tôt le dimanche 29 août, en route vers Saut Mathurine. Ce qui s’est passé dans le bourg de Camp-Perrin n’est rien par rapport au drame vécu par les riverains de la 2ème section. De Perigny à Duvezin, nous continuons à pied pour avoir suffisamment le temps pour tout observer. Pas de vocables pour bien décrire ce spectacle terrifiant. Une adolescente nous raconte avoir été extirpée par un heureux miracle des décombres de la maison paternelle. Les témoignages poignants de la petite Déna sont venus s’ajouter à celui de cette dame qui déplore n’avoir jamais revu son mari.
L’église Sainte Agnès est devenue un amas de sable fin mélangé à des blocs craquelés. Tout le long de la route menant au Saut, des gens au visage teinté de désolation scrutent les regards de chaque passant. Le site du Saut ainsi que la chute ont subi des dommages irréparables. Rebroussant chemin, nous voici à Picot. Deux loaders sont stationnés sur les ruines du peristil de la Mambo Yolande. Elle aussi figure parmi les illustres absentes. Mais aux opportunistes professionnels profitent les catastrophes. Ce fut pareil le 12 janvier 2010 et après le passage du cyclone Mathieu le 4 octobre 2016.