(4e partie)
Pendant que les deux branches du Pouvoir exécutif se disputent la gouvernance du pays, leur autorité de tutelle, les Etats-Unis d’Amérique, les rappellent à l’ordre le mercredi 16 octobre 2024 par l’entremise du Conseiller-adjoint chargé de la Sécurité nationale, Jon Finer en déclarant « Nous conseillons les autorités haïtiennes à placer l’intérêt du pays avant celui des partis et tenir leurs promesses de travailler pour tous les Haïtiens ». Une déclaration qui n’a fait ni chaud ni froid aux principaux intéressés. Pire, Garry Conille et Leslie Voltaire poursuivaient l’œuvre d’affaiblissement de leur propre autorité en continuant leur querelle par des courriers réciproques. Agacé, Washington a lancé une deuxième vague de messages encore plus précis aux deux dirigeants politiques. Cette fois, c’est Brian A. Nichols qui montait au créneau. Assistant-Secrétaire d’État américain pour les Affaires de l’hémisphère occidental, Brian A. Nichols est depuis des années en charge du dossier d’Haïti au Département d’État (Ministère des Affaires Étrangères).
Il est avec la CARICOM (Communauté des États caribéens), l’un des artisans de la création du Conseil Présidentiel de la Transition (CPT) sous l’autorité d’Antony Blinken, le chef du Département d’État. Dans un Twett datant du lundi 21 octobre 2024, Nichols revient à la charge et poste ceci à l’intention du CPT et de la Primature « Comme cela a été évoqué avec le CPT et le Premier ministre, l’heure est à l’unité nationale haïtienne dans la lutte internationale contre les gangs. Ce n’est pas le moment de se livrer à des querelles politiques. Nous soutenons fermement les efforts du Premier ministre Conille et de son cabinet pour faire avancer les priorités nationales établies par le CPT ». Peine perdue! En dépit de ces rappels à l’ordre, aucun des protagonistes ne veut entendre raison. Les contacts étaient pratiquement coupés. C’est de loin que le chef du gouvernement et le Président du Conseil Présidentiel se sont salués lors de l’installation, le mercredi 18 octobre 2024, d’un CEP (Conseil Electoral Provisoire) incomplet compte tenu des difficultés de deux secteurs – femme et vaudou – de se mettre d’accord sur le nom de leurs représentants au sein du CEP.
Mais, le CPT paraissait trouver le point faible du Premier ministre puisque celui-ci, en refusant de donner son accord pour un remaniement gouvernemental, se mettait logiquement en rébellion contre la présidence. Alors, Leslie Voltaire va appuyer là où il sait que ça fait mal. Il relançait l’idée de convoquer un Conseil des ministres pour le 23 octobre 2024 sachant pertinemment que Garry Conille allait forcément récuser cette convocation comme il l’avait fait auparavant. Comme c’était prévisible, en effet, la Primature n’a pas répondu positivement à l’invitation de la présidence. Pire, Garry Conille n’a pas répondu du tout, en tout cas, c’est ce que l’un des Conseillers-Président avait déclaré à la presse en soulignant que même la rencontre pour préparer, comme il est de coutume, la séance du Conseil des ministres n’a pas eu lieu puisque la Primature n’a point donné de réponse. Pour s’en défendre, les responsables du service du gouvernement ont laissé entendre qu’à aucun moment le Premier ministre n’a été notifié d’un Conseil des ministres pour le 23 octobre.
Dans le journal Le Nouvelliste, justement, le 23 octobre 2024, un ministre a souligné que « C’est le Secrétaire général du Conseil des ministres sous instruction du Conseil Présidentiel de Transition qui convoque le gouvernement en Conseil des ministres. Nous n’avons pas été convoqués ce mercredi 23 octobre. » Or, selon la présidence, il y a bien eu une convocation mais c’est volontairement que Garry Conille a préféré ignorer la démarche du Conseil Présidentiel de Transition. Pourtant, d’après un Conseiller-Président, il ne fait aucun doute, non seulement il y a lieu de procéder à un remaniement ministériel vu l’état de dégradation des relations entre les deux branches de l’Exécutif et l’état du pays compte tenu de la crise mais aussi à un changement de Premier ministre si c’est nécessaire.
« Dans l’état actuel du pays, il faut un remaniement au gouvernement, M. Conille est Premier ministre et ministre de l’Intérieur en même temps, la ministre de l’Économie et des Finances est aussi ministre de la Planification, le ministre de la Justice et de la Sécurité publique fait des sorties intempestives dans les médias, la ministre des Affaires étrangères fonctionne sans tenir compte du CPT alors que la diplomatie du pays est l’affaire du Conseil… On n’est au courant de rien de ce que fait madame Dupuy. Au CPT, nous sommes d’accord pour le renvoi du Premier ministre. Ça ne marche pas avec lui. Mais, le moment n’est pas opportun pour changer le chef du gouvernement. À défaut de ce changement, le remaniement ministériel n’est pas discutable. Les dernières visites du Premier ministre au Quartier général des Forces Armées d’Haïti et à l’Académie de police sont incompréhensibles. Il a demandé aux policiers s’ils sont avec lui… On ne sait pas ce qui lui est passé par la tête. Le CPT n’a pas encore eu une rencontre formelle avec Garry Conille sur le dossier de remaniement » avait indiqué la présidence. Retranchés à quelques mètres au haut Bourdon, Leslie Voltaire et Garry Conille se font la guerre à distance.
Les deux s’envoyaient la balle pendant que les gangs, profitant de la guéguerre entre les deux hommes, s’activent et marchent de conquêtes en conquêtes vers d’autres territoires abandonnés par la puissance publique. En pleine chamaillerie, le 23 octobre 2024, l’OEA (Organisation des États Américains), par le biais de son Secrétaire général, Luis Almagro, entrait en scène après avoir été chauffé à blanc par la ministre des Affaires Étrangères, Dominique Dupuy, comme on le sait, qui était devenue la bête noire du Conseil Présidentiel de Transition, notamment de Leslie Voltaire, le Président en exercice du CPT. En effet, suite à un appel téléphonique et une longue conversation avec cette dernière, Luis Almagro, sur son compte X, s’était nettement penché du côté du Premier ministre en rappelant au CPT son engagement à propos de l’Accord du 3 avril 2024. « Il est important de rappeler au Conseil Présidentiel de Transition son engagement en faveur de la transparence et du respect de l’Accord du 3 avril, ainsi que de la Constitution haïtienne.
L’OEA encourage les acteurs haïtiens à aller au-delà des intérêts particuliers au profit de l’intérêt supérieur du peuple haïtien ». Or, en invoquant ce fameux Accord, le patron de l’OEA sait clairement qu’il fait un travail de sape au profit du Premier ministre qui soutient que le CPT ne respecte pas ledit Accord en gardant dans son rang Smith Augustin, Louis Gérard Gilles et Emmanuel Vertilaire, les trois Conseillers-Président accusés de corruption dans le scandale de la BNC et que le juge d’instruction, Benjamin Felismé avait été désigné pour instruire le dossier. Deux jours après le Tweet du Secrétaire général de l’OEA, la tension semblait baissé d’un cran. Le vendredi 25 octobre 2024, on apprenait enfin que les deux protagonistes se sont rencontrés à la Villa d’Accueil et un semblant de trêve a été établi puisque, d’après l’un des neuf membres du CPT, ils ont pu parler du bien-fondé d’un remaniement ministériel sans toutefois confirmer que Garry Conille a accepté ce à quoi il était toujours opposé. « Nous avons exprimé au Premier ministre nos préoccupations sur la recrudescence de l’insécurité, les déplacés internes, le problème économique.
Le gouvernement est incapable d’apporter des réponses à ces situations. Nous lui avons dit que le CPT veut remplacer les ministres des Affaires étrangères, des Haïtiens vivant à l’étranger, Justice et Sécurité publique, Planification, Défense, Santé publique, Intérieur et des Collectivités territoriales » avançait le Conseiller-Président le 25 octobre aux médias après la rencontre ayant eu lieu entre le chef du gouvernement et les membres du CPT. Suite à cette réunion, certains observateurs avaient décidé de demeurer prudents dans leurs commentaires ce d’autant plus que les partisans du Premier ministre ne cessaient d’inonder les réseaux sociaux d’informations contradictoires, allant même jusqu’à avancer qu’il n’a jamais été question d’un remaniement en tout cas c’est hors de question pour Garry Conille de laisser tomber les ministères clés que le CPT voudrait récupérer.
Après les Etats-Unis le 16, l’OEA le 23, c’était le tour de la CARICOM de prendre le relais le mercredi 29 octobre 2024 par un communiqué sur le conflit entre les deux parties de l’Exécutif. Élément prépondérant dans la mise en place de cette structure collégiale et soutien sans ambiguïté du Premier ministre nommé par la Communauté internationale, la CARICOM ne pouvait ne pas dire son mot dans ce conflit même si elle devait le faire après Washington. Comme toujours, les dirigeants de la Communauté caribéenne n’ont pas été tendres avec les dirigeants politiques haïtiens, particulièrement avec les deux parties en conflit. Ils les appellent, comme les américains, à prioriser le pays et les Haïtiens au lieu de se chamailler pour le contrôle du pouvoir. Dans la note publiée sur le site de l’organisation régionale ce 29 octobre 2024, les dirigeants de la CARICOM expliquaient que « La Communauté des Caraïbes (CARICOM) se dit profondément préoccupée par ce conflit ouvert entre le Président du Conseil Présidentiel de Transition et le Premier ministre d’Haïti.
Pour la CARICOM, ce manque croissant de cohésion met en péril le processus de Transition basé sur l’esprit et les principes de compromis, de consensus et d’inclusivité énoncés dans l’Accord politique du 11 mars 2024 en Jamaïque et l’Accord politique du 3 avril 2024 élaboré par les parties prenantes haïtiennes. La CARICOM affirme que ce conflit entre Leslie Voltaire et Garry Conille est indécent et distrayant dans un contexte où l’insécurité et les crises humanitaires se détériorent gravement en Haïti. Ces différends entre les dirigeants de l’Exécutif sapent également la confiance entre les partenaires d’Haïti et la Communauté internationale au sens large, ce qui entrave la fourniture de l’aide essentielle dont Haïti a besoin pour faire face et surmonter la crise complexe dans laquelle elle se trouve actuellement. » Entretemps, une autre affaire allait encore troubler les relations entre les deux entités exécutives. Ce sont des journalistes étrangers cette fois qui apportent sur un plateau un nouveau dossier à Leslie Voltaire qui ne tardera pas à s’y engouffrer.
Le CPT a été informé, en effet, par des journalistes étrangers qu’un groupe de mercenaires étrangers serait à pied d’œuvre dans le pays à la demande du Premier ministre haïtien dans le cadre de la lutte que le gouvernement mène contre l’insécurité et les gangs. Or, il semblerait qu’aucun membre du CPT n’avait entendu parler de ces hommes travaillant exclusivement pour le compte de la Primature, sans que la présidence ne soit informée. Aussitôt la nouvelle parvenue aux Conseillers-Président, aussitôt l’ordre est donné de convoquer une fois de plus Carry Conille pour explication. C’est la Secrétaire générale de la présidence, madame Régine Haddad, qui s’en était chargée par un courrier en date du 29 octobre 2024 à l’intention de son homologue de la Primature, Me Camille Junior Edouard. « Pour donner suite à une instruction du Conseil Présidentiel de Transition (CPT), le Secrétariat général de la présidence vous prie de bien vouloir transmettre au Premier ministre, monsieur Garry Conille, une invitation à une séance de travail le mercredi 30 octobre 2024 à la Villa d’Accueil, à 2h00 p.m.
L’objet de cette rencontre urgente portera sur l’éventuelle présence d’une compagnie privée qui intervient dans les questions de sécurité publique. Le CPT apprécierait la communication de toutes les correspondances et protocole d’accord y afférents » écrivait madame Haddad. Surpris et embarrassé, sans doute en apprenant que la presse étrangère avait découvert le pot-aux-roses, si la Primature n’a pas fait une communication pour démentir l’information, le Premier ministre préféra faire profil bas en demandant de reporter la séance d’explication à la semaine d’après le temps qu’il bâtit sa défense devant le CPT qui, décidément, n’arrivait pas à contrôler son Premier ministre qui fait tout dans son dos. Le même jour, en effet, la Primature s’est fendue en quatre pour diligenter sa réponse à la présidence. Me Camille Junior Edouard a vite accusé réception du courrier de la présidence en écrivant « Le Secrétariat général de la Primature accuse réception de votre correspondance, datée du 29 octobre 2024, par laquelle vous lui transmettiez, sous instruction du Conseil Présidentiel de Transition, une invitation faite au Premier Ministre à une séance de travail sur l’éventuelle présence d’une compagnie privée qui intervient dans les questions de sécurité publique, ce mercredi 30 octobre 2024, à la Villa d’accueil, à 2h00 p.m. Ledit Secrétariat vous informe que le Premier Ministre se trouve dans l’obligation de demander le report de cette rencontre à la semaine prochaine, à un jour fixé à la convenance du Conseil Présidentiel de Transition. » A l’annonce que des mercenaires seraient dans la ville, la presse haïtienne afflue à la Villa d’Accueil pour de plus amples informations auprès du CPT. Surtout, les journalistes locaux cherchaient à savoir si, à titre individuel, les Conseillers étaient au courant qu’un groupe armé étranger opérait en Haïti contre les gangs ou pour protéger certains officiels du régime intérimaire. En guise de réponse, le CPT avait répondu « Nous n’avons jamais eu d’information officielle sur la présence d’un groupe de mercenaires dans le pays.
Nous n’avons jamais été informés sur ce dossier. De ce fait, nous ne savons pas s’il y a des mercenaires étrangers qui opèrent sur le territoire. Pour avoir des informations sur la présence ou non de mercenaires dans le pays, nous avons convoqué le mercredi 30 octobre le Premier ministre. S’il y a eu un contrat avec un groupe de mercenaires, il nous faut ce contrat pour savoir quel est leur objectif, combien ils sont, le coût du contrat… Le Premier ministre n’a pas répondu mercredi à la convocation du CPT. Il nous a demandé de programmer la convocation pour la semaine prochaine. Probablement, il a besoin de temps pour préparer ses dossiers. » Cette affaire de mercenaires est d’autant plus bizarre et curieuse que, quelques jours auparavant, le ministre de la justice, Me Carlos Hercule, avait annoncé dans la presse sans donner de détails que le gouvernement était au courant qu’il existe un plan pour assassiner plusieurs hauts dirigeants politiques.
A cette annonce, plus d’un s’interrogeait sur la nécessité et la pertinence d’une telle communication après que le pays ait connu un drame similaire avec l’assassinat d’un Président en exercice quatre ans plus tôt. Surtout, depuis quelque temps, Garry Conille répétait sans se préoccuper du reste qu’il y a certaines informations sensibles sur la sécurité qu’il n’entendait pas révéler aux Conseillers-Président. Une déclaration qui allait susciter encore plus de malentendu et d’animosité entre les deux parties sans parler des soupçons de coup de force à l’égard du CPT. (A suivre)
C.C