Front politique des oppositions ou nouveau Tonneau des Danaïdes ?

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Le « Front Uni pour une Sortie de crise efficace et durable ».

Comme au bon vieux temps, certains partis politiques en Haïti reprennent la vieille tradition qui consiste à monter des Coalitions politiques contre les régimes en place. Cela devient même une habitude pour la plupart : s’associer pour durer pendant un temps face à leur incapacité à défaire les gouvernements qu’ils combattent.

Depuis les années 90, en effet, ce concept ne cesse de faire école dans le paysage politique haïtien. Pas un pouvoir en place n’a eu son lot de Coalition ou de Front politique contre lui. Qu’il soit un gouvernement légitime ou de facto, qu’il s’agisse de pouvoir élu démocratiquement ou intérimaire, aucun n’a échappé à ce mode d’opposition de la part de ses adversaires politiques. Après deux années de lutte sans succès pour renverser le Premier ministre de la Transition, Ariel Henry, comme cela a été le cas sous la présidence de Jovenel Moïse avant son assassinat, l’opposition plurielle s’est rappelée de la bonne vieille formule du front commun en vue de tenter d’obtenir le départ du chef de la Primature.

Pourtant, les opposants au régime de Transition ont déjà quasiment tout essayé en multipliant les Accords politiques, mêmes les plus insolites. Dès les premiers mois de l’arrivée de l’équipe de la Transition dirigée par Dr Ariel Henry, diverses initiatives politiques ont été prises par les oppositions afin de contraindre le locataire de la Villa d’Accueil soit à démissionner soit à partager le pouvoir, ce qu’il refuse évidemment de faire. En réponse, d’ailleurs, les partisans de celui-ci ont initié de leur côté un mouvement en constituant leur propre Accord politique, histoire de faire le contrepoids face à leurs adversaires. L’affrontement a été terrible sur le plan politique entre les deux parties. Malgré l’intervention de la Communauté internationale dans le dossier, rien n’a bougé, la crise politique et la lutte pour le pouvoir demeurent intactes.

Le Premier ministre Ariel Henry s’accroche au pouvoir et surtout s’appuie sur le soutien d’une large partie de la Communauté internationale, notamment de Washington qui ne croit pas aux solutions proposées, ou du moins sur l’absence de vraies propositions de ses opposants. Se contentant de réclamer un Pouvoir exécutif bicéphale quand d’autres ne voient pas d’inconvénient pour cohabiter avec la Primature, les oppositions peinent à convaincre et apparaissent peu crédibles aux yeux de la Communauté internationale voire de l’opinion nationale.

ils finissent par se mettre d’accord pour la création d’un « Front » de partis partageant tous le même objectif : celui d’obtenir le départ ou la démission du Premier ministre Ariel Henry avant ou au plus tard le 7 février 2024.

Les voix discordantes au sein des oppositions font l’affaire du pouvoir et de ses alliés, puisque, à chaque fois que cette opposition tente de sortir du bois, ils trouvent toujours la parade pour contrecarrer son assaut. Résultat, le pouvoir de Transition s’enracine et les démarches de l’opposition stagnent. Mêmes les initiatives entreprises par des organisations  régionales comme l’OEA ou la CARICOM se soldent toutes par des échecs par le fait que le gouvernement de Transition et ses alliés arrivent à déjouer toutes les avancées en se présentant de manière plus cohérente par rapport à leurs adversaires qui ont des positions parfois très divergentes sur la résolution de la crise.

La rencontre de la Jamaïque organisée par la CARICOM et celles de Port-au-Prince avec le Groupe des Eminentes Personnalités (GEP) désignées par la CARICOM pour conduire les pourparlers entre les protagonistes haïtiens ont été les preuves que les oppositions ne parlent pas d’une seule voix avec leurs interlocuteurs alors que le gouvernement et ses alliés font cause commune pour défendre leurs arguments devant les Commissaires et autres Envoyés spéciaux de la Communauté internationale. Alors, devant cette absence de cohésion entre les membres des différents Accords : Montana, Collectif 30 janvier, Déclaration conjointe de la Jamaïque, entre autres, devant la Communauté internationale, certains dirigeants de l’opposition estiment qu’il était temps de parler d’une seule voix et de faire bloc face au chef de la Transition et ceux qui coordonnent pour lui la riposte.

Ainsi, ils proposent donc de mettre en place un organisme commun qu’ils estiment être plus approprié dans la circonstance pour mener les discussions avec l’International. Après maintes recherches et des discussions entre eux, ils finissent par se mettre d’accord pour la création d’un « Front » de partis partageant tous le même objectif : celui d’obtenir le départ ou la démission du Premier ministre Ariel Henry avant ou au plus tard le 7 février 2024. Cela nous ramène aux débats sur la fin du mandat de Jovenel Moïse en 2021 et 2022. Pour revenir à cette nouvelle structure politique, certains auraient préféré un nouvel Accord politique afin de laisser plus de liberté aux partis membres pour continuer de jouer le trouble-fête comme c’est le cas du parti Fanmi Lavalas de Maryse Narcisse, on le sait, plus réservé sur le départ d’Ariel Henry qu’une organisation comme EDE (les Engagés pour le Développement) du Dr Claude Joseph. Finalement, c’est la formule de « Front » qui a été adopté. Ce nouvel organisme s’intitule « Front Uni pour une Sortie de crise efficace et durable ».

Il est composé d’un ensemble de formations politiques. Toutes souscrivent résolument dans le départ du Premier ministre Ariel Henry qui, selon elles, reste un obstacle à toute solution pour une sortie de crise. Si l’on trouve parmi ces organisations des partis historiquement hostiles à Ariel Henry comme le MOPOD, OPL, MRN, UNIR-Haïti, GREH, PLH, EDE, PNDPH, il est intéressant de noter aussi la présence des partis qui ont lâché au cours de route le chef de la Transition, notamment, PHTK de Liné Balthazar, LAPEH de l’ancien sénateur Anacacis Jean Hector, Konsyans Patriyotik et d’autres anciens signataires des Accords du 11 septembre ou de Musseau et du 21 décembre estimant que le Premier ministre n’a pas respecté ses engagements. Dans le texte portant sur les fronts baptismaux cette nouvelle structure politique, le mercredi 25 octobre 2023 à l’hôtel Montana contre le gouvernement de Transition, on peut lire « Le Front se donne pour mission d’« initier immédiatement des discussions avec les forces politiques, économiques et sociales représentatives pour la mise en place d’un Exécutif de transition conforme à l’esprit de la Constitution en vigueur ; de fournir aux partenaires internationaux les garanties suffisantes sur les mécanismes idoines et consensuels propres à combler la vacance à la tête du Pouvoir exécutif, à la démission du Premier ministre Ariel Henry. 

C’est un outil qui s’adapte à la nouvelle dynamique de la conjoncture politique. On s’est rendu compte de la limitation des différents groupes qui existent déjà. On met en place une structure plus inclusive avec plus de forces politiques. Dans les négociations avec le pouvoir et la Communauté internationale, cette coalition nous permettra d’être plus cohérents ». En effet, c’est le but recherché par les signataires de la Charte de ce nouveau front uni contre le pouvoir en place. Selon Liné Balthazar, le Président du PHTK, parti signataire de l’Accord du 11 septembre, ancien soutien d’Ariel Henry et ancien parti de l’ex-Président Michel Martelly, l’absence de cohérence lors des négociations avec les Missions de la CARICOM dans la capitale haïtienne a terriblement fait défaut à l’opposition plurielle tout en affirmant que ce front n’est nullement une démarche électoraliste. « Ce n’est pas une coalition électorale » dit-il. Selon d’autres responsables politiques et membres du «  Front Uni pour une Sortie de crise efficace et durable », cette structure va leur permettre d’être plus crédibles pour poursuivre le processus de négociations politiques avec les Emissaires de la CARICOM.

Il faut se rappeler que, durant les négociations avec la Mission de la CARICOM en Haïti au début du mois de septembre 2023, il y a eu une vraie divergence et de la cacophonie parmi les membres des oppositions entre ceux qui voulaient à tout prix insérer la démission du Premier ministre dans l’ordre du jour et ceux qui s’y étaient opposés. Une position qui n’avait pas arrangé les choses pour les Emissaires de la CARICOM. C’est en tirant les leçons de cette mésentente au moment où une Mission caribéenne était sur place à Port-au-Prince que certains, entre autres, l’ancien Premier ministre de Jovenel Moïse, Claude Joseph, depuis chef du Parti EDE (les Engagés pour le Développement), ont pris la décision de mettre en place ce front.

D’après l’ex-Chancelier qui milite activement avec son parti pour la démission d’Ariel Henry, « Ce Front permettra de mieux appréhender le départ organisé d’Ariel Henry ». Justement, dans la perspective de la mise en place du « Front Uni pour une Sortie de crise efficace et durable », les discussions entre les protagonistes haïtiens sous les auspices du Groupe des Eminentes Personnalités (GEP) de la CARICOM devaient reprendre par visio-conférence le vendredi 6 octobre 2023. Deux jours avant, Dr Claude Joseph, au nom de son parti, tenait à écrire à cette instance pour dire dans quel cadre son organisation entendait reprendre les pourparlers avec eux et avec le gouvernement intérimaire. Dans un long courrier envoyé au GEP, l’ancien Premier ministre qui cherche à prendre la tête des oppositions face au pouvoir voulait souligner que, selon l’Accord du 21 décembre signé par Ariel Henry et même publié dans Le Moniteur, le Journal officiel de la République, après son adoption au Conseil des ministres, fixant l’échéance du 7 février 2024 comme étant la date limite pour la transmission du pouvoir à un Exécutif élu, au-delà de cette date, le chef de la Transition n’aura aucune autorité, ni légitimité pour rester à la tête du pays.

Confiant que ce front uni le soutiendra dans ses démarches, le chef des « Engagés pour le Développement » n’a pas été de main morte dans sa missive à l’attention des Emissaires de la CARICOM : « Le Groupe des Éminentes Personnalités de la CARICOM voudra bien noter que Ariel Henry est animé d’une seule et unique ambition: celle de rester le plus longtemps possible au pouvoir. C’est la raison pour laquelle le Premier ministre de facto n’a jamais créé les conditions politiques et de sécurité nécessaires à l’organisation des élections ni en 2022 ni en 2023. En outre, et conformément à cette stratégie machiavélique, les engagements qui sont adoptés dans les différents accords ne sont pas respectés : pas de concertation nationale; pas de feuille de route de la Transition; pas d’organe de contrôle de l’action gouvernementale; pas de plan global de sécurité; pas de Conseil Électoral Provisoire; et pas de Comité d’experts sur la révision constitutionnelle.

À cet égard et en prélude à l’échéance du 7 février 2024 de la fin de la Transition dirigée par Ariel Henry, EDE souligne à l’attention du Groupe des Éminentes Personnalités de la CARICOM que Ariel Henry n’a pas de crédibilité ni d’autorité pour négocier un nouvel Accord avec ses amis et alliés politiques afin de masquer l’échec indiscutable de sa gouvernance intérimaire et de se perpétuer au pouvoir. Le Premier ministre de facto ne peut plus continuer à bénéficier de ses dilatoires et le peuple haïtien ne peut plus subir les conséquences désastreuses de son cynisme sans précédent et son incompétence caractérisée. De ce qui précède, EDE invite le Groupe des Éminentes Personnalités de la CARICOM à prendre acte de la fin obligatoire en date du 7 février 2024 de la Transition conduite par Ariel Henry », écrivait Dr Claude Joseph. Tandis que, toujours dans la perspective d’une reprise des discussions, d’autres organisations de l’opposition plurielle vont dans le même sens. Leurs dirigeants estiment que le Premier ministre est de mauvaise foi et par conséquent, il bloque les discussions.

« Le Groupe des Éminentes Personnalités de la CARICOM voudra bien noter que Ariel Henry est animé d’une seule et unique ambition: celle de rester le plus longtemps possible au pouvoir ».

De fait, à l’instar du parti EDE, le Collectif 30 janvier, une coalition regroupant plusieurs organisations politiques, a aussi pris la plume pour faire connaître sa position au Groupe des Eminentes Personnalités (GEP) de la CARICOM. Deux signataires de cette structure d’opposition, Liné Balthazar du PHTK et Edgard Leblanc Fils de l’OPL, tous deux membres du « Front Uni pour une Sortie de crise efficace et durable », croient savoir que « Plusieurs raisons expliquent cette situation de blocage. La principale est la mauvaise foi manifeste des tenants du pouvoir. Cela se traduit par le refus du Premier ministre Ariel Henry et ses alliés de négocier avec les forces politiques et sociales représentatives, les termes et les conditions d’une restauration durable et irréversible dans notre pays, de l’État de droit et des institutions républicaines alors que les conditions de vie de la population se dégradent et atteignent le seuil de catastrophe humanitaire et sécuritaire. 

Pour garantir le succès du processus initié le 1er juin 2023 sous les auspices de la CARICOM, le Collectif croit qu’il est important d’analyser à la date du 30 septembre son évolution, le chemin parcouru et d’établir pour tout un chacun le bilan de cette étape. Le Collectif pense qu’un rapport d’étape permettra aux acteurs de décider de l’avenir du processus de facilitation et d’envisager sereinement les perspectives d’une solution durable à la crise actuelle » disent-ils dans le courrier adressé au Coordonnateur du Groupe d’Eminentes Personnalités de la CARICOM, l’ancien Premier ministre de Sainte-Lucie, Kenny Anthony. Ainsi, les oppositions, à travers plusieurs structures séparées mais concordantes, décident de mettre la pression sur les Emissaires de la CARICOM afin de pousser le Premier ministre de la Transition à la démission. Ce qui n’est pas gagné.

Certes, les dirigeants de l’opposition se sentent un peu renforcés par la création de ce nouveau « Front Uni pour une Sortie de crise efficace et durable » qu’ils entendent utiliser comme l’organe devant servir d’interlocuteur unique des oppositions face aux autres médiateurs internationaux de la crise haïtienne. Surtout, d’après l’un des membres du Comité exécutif du nouveau Front uni, Me Casanova Jean-Baptiste du parti PNDPH, cette structure politique commune a été créée afin de faire face à la « Volonté manifeste du Dr Ariel Henry de continuer à cumuler sans contrôle les fonctions de chef d’Etat, de Président de la République, de Premier ministre,  après plus de deux années d’exercice d’un pouvoir d’exception illégitime, incompétent et impopulaire, de son refus de négocier de bonne foi une sortie de crise consensuelle».

Avant, ce dirigeant du parti PNDPH, laissait entendre, lors de la présentation officielle du « Front Uni pour une Sortie de crise efficace et durable » que ce regroupement des partis va « Recommander des mesures propres à apaiser les souffrances de la population, à aider les victimes des crimes perpétrés par les gangs armés et à relancer l’économie nationale; mener des négociations avec l’ONU sur les modalités de mise en œuvre de la Résolution 2699 pour garantir, sur tout le territoire, des conditions de sécurité propices à la reprise des activités socio-économiques et à l’organisation d’élections inclusives et crédibles. »

Mais, les dirigeants de ce « Front uni » pourront-ils vraiment convaincre dans ce contexte où il n’y a plus, en Haïti, de vrais leaders politiques capables d’imposer une figure, un discours, une parole devant une Communauté internationale plus soucieuse de réussir sa Mission Multinationale d’Appui à la Sécurité en Haïti (MMAS) qui se déploiera bientôt?

Le moins que l’on puisse dire, elle ne s’intéresse pas vraiment aux manœuvres politiciennes qui pourraient même contrarier la mise en œuvre de cette expédition militaire qu’elle se donne déjà tant mal à mettre au point. Surtout ce n’est pas la première ni la dernière fois qu’elle voit éclore dans le paysage politique haïtien des « Fronts politiques » qui, en réalité, ne sont que des « Tonneaux des Danaïdes », expression provenant de la mythologie grecque dont la définition est : condamner quelqu’un à remplir d’eau un tonneau sans fond. Bref, une tâche sans fin et sans espoir !

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