Par Vicky Peláez
Le monde, absorbé par les menaces de Trump, les ouragans dévastateurs et le tremblement de terre au Mexique ne s’est pas rendu compte du changement qui se produit en Equateur sous la présidence de Lenín Moreno qui s’éloigne chaque jour un peu plus de la Révolution Citoyenne qui l’a amené au pouvoir en tant que successeur de Rafael Correa et se rapproche dangereusement de l’opposition.
Incroyablement, le deuxième jour où il a été au pouvoir, il a oublié les éloges qu’il a faits pendant la campagne de Rafael Correa parce qu’il a affronté la misère et l’égoïsme, qu’il a su appliquer les politiques du « réalisme magique » dans le pays avec de nouvelles écoles, de nouveaux hôpitaux et de nouvelles centrales hydroélectriques. Maintenant, il dit que les 10 années de corréisme ont amené la polarisation, la corruption et un modèle économique « erroné. » Ce qu’il ne dit pas, c’est qu’il a fait partie de cette révolution et qu’il a été vice-président de l’Equateur avec Correa.
Pour corriger les « défauts » économiques et les politiques de la Révolution Citoyenne (RC), le nouveau président a rencontré 250 représentants de différents secteurs sociaux du pays, dans leur majorité d’opposition et ennemis de ce processus, oubliant que quelques jours avant cette réunion, les invités avaient insulté le même Lenín Moreno parce qu’ils le considéraient comme un véritable partisan de Rafael Correa. Tous, du parti au Gouvernement Alianza País (AP) jusqu’à l’opposition de droite récalcitrante se sont trompés. Lenín Moreno a pris la position d’un « Gorbatchov » équatorien en appelant au dialogue « pour résoudre les problèmes, se mettre d’accord et vivre en paix. »
Le plus important, ce qui intéresse le plus le président est de « dépolitiser » et « réconcilier » le pays et de « rendre au peuple le pouvoir » qui, soi-disant, a été usurpé par le corréisme. A la demande de Guillermo Lasso et de son Mouvement CREO, de l’extrême-droite bancaire, le président a organisé une consultation populaire pour déterminer le changement de cap aussi bien économique que politique que devrait faire l’Equateur pour sortir de la « crise économique », en finir avec le caudillisme et la corruption qui « ont caractérisé les 10 années du Gouvernement de Correa » et reconstruire une authentique démocratie dans le pays.
Cette consultation est considérée par la droite comme une démonstration de l’échec du corréisme qui a gouverné, selon l’opposition, d’une main de fer et a imposé un régime révolutionnaire que le pays doit démanteler avec l’aide de Lenín Moreno. Le président n’a pas déçu l’opposition pour le moment et celle-ci a commencé son emprise en ordonnant de transformer les médias publics en médias « incluants », ce qui signifie, selon le nouveau gérant de Médias Publics, Andrés Michelena, « transformer les médias publics en médias auto-suffisants pour qu’ils ne soient pas une charge pour l’Etat, » c’est à dire détruire le secteur public de la communication en le lançant d’un coup sur le marché dominé par le secteur privé.
Ecuador TV, Radio Pública, Agencia Andes, les hebdomadaires El Tiempo et El Telégrafo ont été déclarés « libres » du soutien et de la tutelle du Gouvernement pour qu’ils « puissent respirer la liberté avec le pays, » selon le conseiller inconditionnel du président, Andrés Michelena et « pour que les médias publics puissent se permettre d’accorder la parole à toutes les voix, aussi bien critiques que positives. » Pour renforcer ce retournement, l’ex-directeur général de l’un des journaux les plus anti-corréistes, El Comercio, Hernán Ramos, qui a toujours qualifié les médias publics du Gouvernement de « moutons » et de « tracts du Gouvernement » a été chargé de diriger la ligne éditoriale des médias publics de l’Etat. Selon la Secrétaire Exécutive d’Alianza País, Gabriela Rivadeneira, “ce schéma brutalement anti-démocratique provient de l’échafaudage des médias hégémoniques que nous avons combattus pendant 10 ans. » Les changements éditoriaux et de contenu des articles ne se sont pas faits attendre dans le doyen de la presse nationale El Telégrafo qui ressemble de plus en plus à un journal de tendance « moreniste » sans se mêler encore de prendre une ligne ouverte anti-corrésite.
Guillermo Lasso, cependant, avec d’autres opposants comme Jaime Nebot et Abdalá ‘Dalo’ Bucaram, fait pression par l’intermédiaire de la majorité des médias à sa disposition, sur Lenín Moreno pour qu’il prenne plus de distance entre lui et la Révolution Citoyenne et qu’il reconnaisse qu’il n’y a pas eu de « décennie gagnante. » Personnel temporaire de l’Opus Dei et patron de l’une des plus grandes banques d’Equateur, la Banque de Guayaquil, il possède en plus 10 compagnies à Panamá. Guillermo Lasso, dont le but est de mettre fin à Alianza País et à la Révolution Citoyenne, a réussi à orienter le discours du Président vers la critique, la suspicion et la défiance envers ses camarades d’AP.
Dans ses dernières déclarations, Lenín Moreno prend de plus en plus la position du journal El Comercio dont les éditorialistes comme Fabián Pérez de Castro dénoncent le fait que « la décennie de Rafael Correa a été la décennie de l’ignominie, de l’anéantissement des institutions et de l’Etat de droit, de la violation permanente des droits de l’homme et même de la Constitution, de la démagogie, du caudillisme et de la corruption insultante » (23-09-17). Lenín Moreno, en utilisant de fausses données, a déjà accusé Rafael Correa de l’avoir trompé en disant que la dette extérieure était de 28 500 millions de dollars ; alors qu’en réalité, elle tournait autour de 60 000 millions. Il en ressort que Moreno est mal informé et que la dette est bien de 28 500 millions de dollars (28 % du PIB).
Moreno a aussi menti sur le « déplorable état des comptes » que lui a laissé Correa et sur la sévère crise économique que traverse le pays. Il ressort de la comparaison avec la dette extérieure qu’ont laissée d’autres présidents : Osvaldo Hurtado (1981-1984), 66 % du PIB ; León Febres Cordero (1984-1988), 117 % du PIB ; Rodrigo Borja (1988-1992), 110%, Sixto Durán-Ballén (1992-1996), 85% ; Jamil Mahuad (1998-2000), 97%, que Rafael Correa a été un président plus efficace que ses derniers prédécesseurs. La dernière décennie a été gagnante pour Alianza País parce que 2 millions d’Equatoriens sont sortis de la pauvreté et que l’économie a été doublée. La classe moyenne est passée de 19 % de la population en 2007 à 43 % en 2017. En plus, l’Equateur est devenu le pays qui a le plus investi dans l’éducation supérieure dans la région (600 millions de dollars).
Selon la sociologue Sofía Argüello, « il y a plus de gens qui voyagent et achètent des biens, la qualité de la vie s’est améliorée et de nouvelles pratiques de consommation ont vu le jour. Il n’existe déjà plus de différence aussi importante entre les classes. » Les travailleurs ont doublé leurs salaires, les patrons ont triplé leurs bénéfices et les champs et les villes se sont sensiblement améliorés.
Evidemment, il y a eu des problèmes quand, en 2015, s’est achevé le cycle d’augmentation des prix du pétrole et que le dollar est beaucoup monté, ce qui a provoqué la réduction de l’entrée de devises grâce aux exportations. Il y eut aussi le tremblement de terre de 7,8 degrés en avril 2016 et ses 304 répliques qui ont détruit plus de 3 points du PIB. L’un des points les plus importants que critique Lenín Moreno dans la gestion de Rafael Correa est la corruption, une idée aussi diffusée par l’opposition qui suit les diktats de Washington qui utilise cette tactique comme une façon moderne de faire tomber les Gouvernements qui se rebellent contre les Etats-Unis et défendent leur souveraineté. Dans cette perspective, en utilisant l’affaire Odebrecht, il apparaît que la Révolution citoyenne a reçu plus de pots-de-vin qu’aucun Gouvernement antérieur de l’Equateur.
Actuellement, les Etats-Unis ont déjà envoyé des informations sur la corruption d’Odebrecht en Equateur incriminant le Gouvernement de Correa. Ce que veut Washington, qui en réalité n’a rien à voir avec l’enquête sur Odebrecht à Quito, c’est discréditer le corréisme, en finir avec lui, mettre en prison l’actuel vice-président Jorge Glas et faire un procès à Rafael Correa en répétant la même injustice qu’ils essaient d’appliquer à Luiz Inácio Lula de Silva au Brésil. Tout cela pour ne pas permettre qu’ils soient réélus, aussi bien Lula que Correa. Ce qui est curieux, c’est que les Etats-Unis ne divulguent pas beaucoup d’informations sur les pots-de-vin d’Odebrecht en Amérique du Nord où l’entreprise a réalisé plus de 18 macro-projets et se prépare à en réaliser d’autres. Un journaliste de la BBC qui a interviewé Lenín Moreno pendant sa visite aux Nations Unies, lui a demandé « s’il y avait autant de corruption sous le Gouvernement antérieur » et le président a déclaré que « malheureusement, on a détecté énormément d’affaires de corruption. » Quand le journaliste lui a demandé comment il pouvait ne rien savoir de la corruption en étant membre d’Alianza País pendant 10 ans et vice-président pendant 6 ans (2007-2013), le Président a répondu : « Je n’ai jamais participé aux affaires économiques » et qu’il « se consacrait aux affaires sociales. »
Il faut le voir pour le croire ou, comme dit l’actuel vice-président Jorge Glas à propos de Lenín Moreno, « on vous montre de plus en plus du doigt. » Après 70 jours de présidence de Moreno, Glas a pris ses distances envers sa politique en lui écrivant une lettre qui dit : « Aujourd’hui s’assoient les bases d’un Etat de corruption en faisant un pacte avec des individus nuisibles de l’histoire du pays comme les Bucaram. » Résultat, le vice-président a été suspendu de ses fonctions à la grande joie de la droite qui a aussi « aidé » Moreno à promouvoir une soi-disant affaire « d’espionnage » grâce à la découverte par les collaborateurs du locataire du Palais de Carondelet d’une chambre secrète de surveillance dans son bureau désactivée en 2010 et recouverte d’un papier adhésif gris. Immédiatement, Rafael Correa a été dénoncé par Moreno pour « l’avoir surveillé depuis son téléphone portable. » La droite a profité de cette accusation ridicule pour intensifier sa campagne contre Correa.
La consultation populaire est également destinée à démanteler la Révolution Citoyenne. Le 26 septembre dernier, la réception des propositions a été close avec 450 propositions qui seront remises au Conseil National Electoral pour évaluation. Mais on sait déjà qu’on veut en finir avec le Conseil de Participation citoyenne et de Contrôle Social (CPCCS) responsable de la désignation du Défenseur du Peuple, le procureur, l’inspecteur, le surintendant, le Conseil National Electoral, le Tribunal de Contentieux Electoral, le Conseil de la Justice et les remplacer, selon les journalistes Juan J. Paz et Miño C., par de vieux intrigants du parti. Enfin, Rafael Correa a déclaré : « Je me sens totalement trahi… Maintenant, c’est pire que si l’opposition avait gagné. » Cependant, il manque aussi la réaction du peuple aux tentatives de la droite et de ses collabos de gauche pour démanteler la Révolution Citoyenne.
Note 1 : La consultation populaire prévoit aussi de supprimer la réélection indéfinie, manière d’empêcher Rafael Correa de se représenter à la présidence. Elle prévoit aussi d’établir l’inéligibilité à vie pour les personnes condamnées pour corruption (un procès truqué et finit Correa, comme pour Lula).
Note 2 : Le vice président Glas a été emprisonné.
Source en espagnol : Resumen latinoamericano 2 de octubre de 2017
Bolivar infos 4 Octobre 2017