En marge d’un 20 janvier de passation de pouvoir

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La Garde nationale, les agents du FBI, les policiers, tous redoutent autant les sautes d’humeur que les sautes de langage et d’action de ce président capable de violente irruption dans un magasin de porcelaine.

 Ce 18 janvier 2021, à Washington DC, il fait un froid humide, incisif à vous vriller la peau et les os. Tout est au repos dans la capitale des États-Unis comme au temps de Booz, « dans Ur et dans Jérimadeth ». Pourtant, pas de « croissant fin et clair » dans un ciel en attente de l’aurore « nuptiale, auguste et solennelle » qui se fait timide à montrer ses teintes ensafranées. De rares oiseaux prennent leur envol pour faire bel accueil au jour qui commence à se lever sur une ville, hier le centre politique du pays, de sa démocratie, aujourd’hui une forteresse prête à contenir, le 20 janvier, les assauts potentiels d’une populace terroriste, chauffée à blanc, persuadée qu’on lui a volé ‘‘ses’’ élections.

Le soleil, timidement, finit par se montrer, laissant glisser ses tièdes rayons sur une ville dont les habitants ne savent pas de quoi demain sera fait. Il est enfin midi, « roi des étés » mais aussi prince de toutes les saisons. De façon inattendue, les grandes chaînes de télévision interrompent leurs programmes en cours pour une annonce spéciale, au fait j’allais dire espesyal : le président (fantasque) des États-Unis, en chute libre, en zing de contrariété puisque ne pouvant plus tweeter ses propos abracadabrants, stupéfiants, ubuesques, rocambolesques et mensongesques, compte s’adresser à la nation. Ah ! L’annonce précise la date et l’heure : le 19 janvier, en face de la Maison Blanche, à 14 heures pile.

Et du côté des Républicains et du côté des Démocrates, chacun retient son souffle, chacun (re)tient son cœur sur sa bisquette étant donné l’inattenduité de l’annonce, et surtout parce que tout le monde sait de quelles abracadabrances, délirances, époustouflances, défoulances et ahurissances est capable l’animal à trompe. Les chuichuitances vont bon train. Le cerveau des officiels préposés à la sécurité des lieux ‘bout’ comme du mabi. Les militaires de la Garde nationale, les agents du FBI, les policiers, tous sont sur les dents. Ils redoutent autant les sautes d’humeur que les sautes de langage et d’action de cet éléphant capable de violentes irruptions dans un magasin de porcelaine. Enfin arrive le 19 janvier. Jour arc-en-ciélé, étoilé, ensoleillé pour le président. Debout sur une estrade bariolée de ‘‘Make America great again’’, le proboscidien à trop longue trompe prend son temps pour se livrer à ses barissements :

Les militaires de la Garde nationale, les agents du FBI, les policiers, tous sont sur les dents. Ils redoutent autant les sautes d’humeur que les sautes de langage et d’action de cet éléphant

‘‘My fellow Americans, partisans trumpiens et partisanes trumpiennes qui m’écoutez, je vous salue au nom de tous les pères de notre patrie déchiquettée par de faux patriotes qui ne croient plus au respect des normes de civilité entre citoyens et citoyennes d’une même nation unie autour d’une même démocratie, un même drapeau, un même America que nous voulons great et plus great again.’’

Weeeeeeeee ! Wiiiiiiiiii ! Wooooooooo ! Four more years ! Quatre années de plus ! scande la foule.  Après une pause, l’animal reprend ses barrissements: 

‘‘ La nouvelle année doit être ou ne pas être. Elle doit paraître ou ne pas paraître, apparaître ou ne pas apparaître, se faire connaître ou ne pas faire se connaître. Elle sera ou ne sera pas. Elle se fera ou ne se fera pas. Elle progressera ou ne progressera pas. Elle dira la vérité ou ne la dira pas. Elle renoncera aux pratiques trichantes des urnes ou ne le fera pas. Elle renoncera à cette malsaine pratique de trouver des voix de personnes décédées pour gonfler les résultats électoraux dezòt ou elle n’y renoncera pas. En vérité je vous le dis, le ciel et la terre passeront, mais mes paroles ne passeront point. Le Capitole appartient au peuple et ne peut appartenir à personne d’autre. La voix du peuple est celle de Dieu. C’est aussi ma voix. Vox populi, vox Trumpi. Qu’ils ne se trompent pas ! La voix une et indivisible qui a toujours montré la voie. Suivez-la, suivez-moi. Je suis le chemin et la vie.’’ 

Weeeeeeeee ! Wiiiiiiiiii ! Woooooooo ! Trump, la voie, Trump la vie ! Pourtant, les oreilles attentives des analystes et commentateurs de CNN, MSNBC, ABC, NBC perçoivent des dissonances, des disaccordances, des discordances, des trémulances, des déséquilibrances et même des menaçances. Sur les réseaux sociaux jaillissent : bruissements de commentaires, foisonnements de critiques, éclosions de réflexions, planifications pour le grand rassemblement unitaire, retour sur une tentative avortée d’occuper le Capitole, interrogations sur la crypticité, l’herméticité, la duvaliéricité des propos du président. Que faire ? Que dire ou ne pas dire ? Les présentateurs à la télé s’émeuvent, frissonnent, tressaillent, frémissent, tressaillissent même, retiennent leur souffle tandis que le président, imperturbable, continue :

‘‘Je suis la résurrection des trépassés du 6 décembre, je suis leur résurrection et leur vie. Jamais n’avons-nous vu un avenir aussi unitaire, aussi radieux poindre à l’horizon. Chacun en ce bas-monde a droit à la vie et trop souvent à la mort. Personne ne peut se mettre en travers du destin manifeste de ce pays pétri de démocratie, de freedom et de justice. Dans l’unité, l’invincibilité, l’indivisibilité, l’irréductibilité du devoir, l’inflexibilité de ma pensée, la visibilité des enjeux et même l’invisibilité de nos destins de patriotes, nous avons le devoir impérieux et impérial de faire du 20 janvier, demain, un feu d’artifice d’unité et de joie sous la coupole même du Capitole.’’

  Personne ne saurait en vérité empêcher le président de jouir de ses droits constitutionnels de rassemblement, particulièrement dans l’aire du Capitole.  De quel droit ? D’autant que c’est lui le premier citoyen de la nation. On a toujours dit que ‘nul n’est au-dessus de la loi’, mais dans ce contexte présidentiel précis, on pourrait aussi bien dire : ‘nul n’est au-dessous de la loi’, le président aussi a droit à être au niveau de la loi. Passons. L’animal n’a pas encore fini de barrir : 

‘‘ La vie est un combat dont la palme n’est plus aux Cieux mais aux mains jalouses de citoyens et citoyennes orphelins de votes qui leur ont été volés. Vous avez combattu pour moi, avec une ardeur féroce, toute capitolienne. En effet, vous pénétrâtes dans ce lieu sacré de la patrie avec détermination, ordre et méthode, tout en respectant les prescrits souverains de la Constitution et de l’Histoire. ‘I love you’.

Weeeeeeeee ! Wiiiiiiiiii ! Wooooooooo ! Four more years ! Quatre années de plus ! 

My fellow Americans, j’en arrive maintenant à un point critique de mon intervention. On dit que l’âge amène la raison. Il ne s’agit pas forcément de raison liée au nombre d’années vécues. Parfois, il peut s’agir de quelques jours. Depuis l’événement du 6 janvier, une voix de raison m’a parlé, une lumière a resplendi, me forçant à un profond examen de conscience. Je suis comme sur un chemin de Damas… Une lumière étrange me baigne. Il me semble n’être plus dans mon bain. Mon Dieu, quelle Damasserie !

Dans la foule, tout près de l’estrade où barrit l’animal, quelques voix, timidement, lancent : qu’est-ce qu’il raconte là ? Ça a tout l’air qu’il déconne, qu’il radote. Mais la foule, the mob ne réagit pas. L’animal, imperturbable, poursuit :

‘‘Au soir de ma tumultueuse présidence, je dois vous avouer que j’ai fait des erreurs, de lourdes erreurs, de multiples erreurs, de malencontreuses erreurs, de tragiques erreurs, d’apocalyptiques erreurs qui ont conduit à la mort de gens qui écoutaient la voix de leur conscience et remplissaient le devoir que réclamait leur fonction. Je ne sais quel démon ou quelle démonne m’a poussé à de telles turpitudes, perfidies, infamies et ignominies. Est-ce mon fils Don Junior ? Tu quoque ? Est-ce le ‘satanus’ ex-machina, le raspoutinard Giuliani ? Est-ce ma fille chérie Yvanka tellement avide de pouvoir? Les trois semblent m’avoir poussé à faire de mauvais choix, à prêcher un évangile scélérat, un évangile de Judas, de la trahison, du mensonge le plus grossier érigé en principe de campagne électorale et de mode de gouvernement. Je suis devenu la personnification du mensonge, de la méchanceté et de la plus extrême désinvolture. Je ressemble à un monstre, une sorte de Minotaure dévoreur de tout ce qui ressemble à la vérité’’.

Au fil du discours, a commencé à flotter dans l’air un mouvement d’indignation, de colère, de déception, de nécessité de justice bridsoukou, de justice vilbrun-guillaumante. Le sentiment d’avoir été dupé, roulé, mystifié par Trump pousse à la révolte. Un feu de vengeance pour avoir été si vilement trahi couve anba anba. On sent ramper l’idée de corde au cou, d’échafaud, de bûcher, de pete fyèl li. Un des partisans de l’animal à trompe l’interpelle et prend le risque de l’accuser tout en s’adressant à la foule : ‘‘son naturel mensonger, orgueilleux et infatué de lui-même, son absence totale d’empathie, l’absence de respect pour autrui, son égocentrisme déséquilibré, son incapacité à prendre ses responsabilités présidentielles l’ont aveuglé ; arrachons-lui les yeux qui ne lui servent plus à rien ! Le malveyan !’’

‘‘ Non, miséricorde pour moi ! Je n’ai toujours eu d’yeux que pour vous. Ne m’arrachez pas les deux yeux, laissez-m’en au moins un, sinon comment pourrais-je encore regarder Fox News’’, la seule chaîne qui dit la vérité. C’est ma femme Melania qui le dit. Or, si Melania le dit, c’est vrai’’.

rasez-lui le crâne ; rache ti bout dwèt yo ; cassez-lui les dents et faites-en un édenté ; qu’on lui peigne une croix gammée sur le front ; coupez-lui la langue, il ne parlera plus.

Non, ou manti kou chen, you lie like a dog, vous êtes le roi des chiens menteurs. Exaspérés par son inhumanité, de plus en plus de ‘fanatiques’ du menteur soumettent leur verdict : rasez-lui le crâne ; rache ti bout dwèt yo ; cassez-lui les dents et faites-en un édenté ; qu’on lui peigne une croix gammée sur le front ; coupez-lui la langue, il ne parlera plus. On s’attendait au pire, disons, à une soudaine, expéditive vilbrun-guillaumance, quand un homme tout antchoutchou, brandissant un couteau de cuisine, a suggéré, en ce n’est rien : coupons-lui le zizi au ras du pubis ! À ces mots, l’animal dressé sur sa queue barrit, rugit, mugit, vrombit :

‘‘Oh my God! Attenter à mon royal zizi ? Ma seule source de décision, le lieu par excellence d’où jaillissent mes pensées les plus profondes ? Non, ce serait un crime contre mon humanité. L’Éternel vous jugera. Zizicide point ne sera, de fait ni de consentement’’

Un mec dans la foule plus agressif que les autres crie : coupons-lui la tête. Il jouait au roi Louis XVI, alors décapitons-le. À ces mots échafaudants, le réflexe de survie du menteur en chef le porte à implorer son accusateur :

‘‘Non, pitié pour moi ! Vierge du Carmel, je crois en toi, conseille cette foule hostile. Ce serait en fait inutile et gratuit, d’autant que je n’ai pas de tête, je n’ai que mon zizi pour penser. Je suis une tête vide. N’en veuillez pas à ma tête de cochon’’. 

Alors, le service de sécurité préposé à la pacification des lieux, conscient du meurtre décapitant qui semble se préparer, au grand jour, intervient massivement, lance du gaz lacrymogène payapaka et se met à tirer en l’air, dans toutes les directions, sans désemparer. Déflagrations, détonations, kout fizi, éclatements de grenades lacrymogènes, rèl anmwe, hurlements de douleur causent un infernal et esconbritudinal tintamarre qui finit par… me réveiller en sursaut de mon cauchemar…

Se bon pour moi. Quand le soir, rarement, il m’arrive de manger du homard, m toujou fè kochma… À nous revoir au prochain cauchemar.

17 janvier 2021

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