En marge des résultats d’autopsie de René Préval

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Tissu pulmonaire alvéolaire normal: les cavités alvéolaires dont les minces parois assurent les échanges gazeux forment un réseau régulier. Elles sont de dimension à peu près égale.

Le vendredi 3 mars passé, l’ancien président René Préval décédait chez lui, dans sa grande villa nommée Shangri La, sur la route menant à Kenscoff, dans les hauteurs de Pétion-Ville. Il était âgé de 74 ans. Il venait tout juste, quelques minutes auparavant, de raccompagner à sa voiture le député de Pétion-Ville, Jerry Tardieu, avec qui il avait déjeuné. C’est, semble-t-il, un membre du personnel de la maison qui aurait prévenu l’épouse du président en voyage que son mari avait apparemment présenté un malaise. Le président Préval fut conduit, inanimé, dans un centre hospitalier, le DASH Ste-Claire de Laboule, où le personnel médical sur place ne fit que constater son décès.

Il venait tout juste, quelques minutes auparavant, de raccompagner à sa voiture le député de Pétion-Ville, Jerry Tardieu,

« Je venais de le laisser en excellente santé, j’étais en route pour rentrer à l’hôtel Oasis quand on m’a annoncé sa mort; je ne pouvais y croire, avant de me rendre à l’évidence », a eu à déclarer le député Tardieu sitôt informé du décès de Préval. Dans un texte paru dans la presse, le député de Pétion-Ville écrivait: «Pendant deux heures, autour des expressos que nous servait à répétition la sympathique Rose, nous allons échanger dans la bonne humeur et la plus parfaite convivialité. Serein, calme, détendu, l’ex-président Préval pétait la grande forme. Fidèle à son côté blagueur, de temps à autre, il refilait des calembours trempés d’humour dont lui seul a le secret».

Jouissant d’une bonne santé, ne souffrant pas de tension artérielle ni de diabète, ni d’autres maladies chroniques, remis depuis des années d’un cancer de la prostate soigné à Cuba, Préval, 74 ans, surveillait sa forme et avait passé ces derniers mois une batterie de tests médicaux qui avaient tous conclu sur sa bonne santé, selon sa famille. Fin février, une semaine avant son décès soudain, souffrant de migraine, l’ancien président avait passé un scanner qui n’avait rien révélé” (Le Nouvelliste, 7 mars 2017).

Et sa femme confiait: « Je lui ai parlé ce vendredi matin. Il était en pleine forme et de bonne humeur». Donc, s’il faut prendre en considération les propos du député Tardieu, ceux de Mme Préval et ceux de la famille, il n’y avait absolument rien pour indiquer l’exacerbation ou une manifestation aiguë, soudaine d’une quelconque pathologie cardiaque ou pulmonaire, antérieure, chronique, qui eût pu expliquer la mort soudaine de René Préval.

Tissu alvéolaire de bronchopathie chronique obstructive. Les cavités alvéolaires sont très irrégulières avec des zones d’épaississement de leurs parois.

C’est le directeur de l’Institut médico-légal, le Dr Jean Armel Demorcy, qui a procédé à la dissection et à l’inspection des différentes parties du cadavre pour déterminer la cause de la mort, selon   Le Nouvelliste s’alimentant à des sources proches de la famille du défunt et qui a appris que: « Tout s’est passé dans les règles de l’art et toutes les précautions ont été prises pour éviter les photos volées ». Selon les premières indications non officielles, Préval n’aurait pas succombé à un accident vasculaire cérébral (AVC). Rien n’a été dit du cœur et des poumons, sauf que d’autres investigations y compris des examens toxicologiques dans un laboratoire aux États-Unis étaient en cours avant que l’autopsie, pratiquée le mardi 7 mars, ne permette d’arriver à des conclusions, selon des sources médicales. (Le Nouvelliste, 7 mars 2017).

Il a fallu attendre deux mois et deux semaines pour avoir le résultat final de l’autopsie. Le mercredi 24 mai écoulé, en conférence de presse, le Dr Jean Armel Demorcy, Directeur de l’institut médico-légal, a indiqué que le rapport d’autopsie reçu des États-Unis, précise qu’aucune trace de substance toxique n’avait été détectée dans les analyses, mais que les poumons de l’ancien Chef d’Etat, gros fumeur, étaient en très mauvais état et que son décès était dû à une broncho-pneumopathie chronique obstructive (BPCO). (Haïti Libre, 25 mai 2017). Il faut sans doute remercier le laboratoire états-unien d’avoir éliminé une cause toxique au décès de Préval.

Le Dr Jean Armel Demorcy, qui a procédé à la dissection et à l’inspection des différentes parties du cadavre de René Préval pour déterminer la cause de sa mort

Il nous chiffonne toutefois de savoir que notre Institut médico-légal n’ait pas fait ce diagnostic de BPCO, à Port-au-Prince, une semaine (au maximum), après l’autopsie, pour le déclarer cause du décès, ne serait-ce que sur une base préliminaire. Médecin et pathologiste d’une trentaine d’années d’expérience, nous savons qu’à l’examen histopathologique, au microscope, il eût été facile d’envisager un tel diagnostic. Les deux photos accompagnant ce texte montrent en effet la différence entre du tissu pulmonaire normal et du tissu de broncho-pneumopathie chronique obstructive (BPCO). Mais là n’est pas vraiment  la question.

En effet, s’il est vrai que le tabagisme – paraît-il que Préval fumait beaucoup – est une cause majeure de BPCO, il n’en reste pas moins vrai que tous les fumeurs ne développent pas forcément cette broncho-pneumopathie, terme qui recouvre une gamme de changements pathologiques pulmonaires chevauchant la bronchite chronique et l’emphysème. Un individu doit être sacrément atteint de BPCO pour en mourir aussi soudainement. Or Préval se portait bien et n’avait aucun symptôme reporté par ses proches qui se rapportent à la BPCO: essoufflement (une impression d’avoir besoin d’air), toux chronique et des expectorations (avec du mucus). Même des activités ordinaires, comme la marche, le fait de monter un petit escalier, peuvent devenir très difficiles à mesure que la maladie s’aggrave progressivement.

Si les poumons de Préval étaient “en très mauvais état”, en si mauvais état, assurément les échanges gazeux au niveau des alvéoles pulmonaires devaient être également mauvais et auraient dû se manifester cliniquement par au moins un des signes/symptômes plus haut mentionnés. Or, il n’en était rien. Bien au contraire, Préval «pétait la grande forme» pour reprendre les termes du député de Pétion-Ville. Le laboratoire états-unien qui, en passant, ne devait assurer que les examens toxicologiques, ne saurait, à notre avis, lier le  décès de Préval à une broncho-pneumopathie chronique obstructive, en l’absence d’un tableau clinique correspondant avéré.

Les trouvailles histopathologiques de BOPCO peuvent avoir été seulement concomittantes. Comme l’un de mes patrons, à Montréal, avait l’habitude de dire: «Un syphilitique peut avoir un cor aux pieds».  La vraie cause de mort peut avoir échappé à l’Institut Médico-Légal (IML). En effet, je doute, compte tenu des conditions précaires de fonctionnement de l’IML, que l’on ait procédé à des prélèvements en bloc  de l’oreillette droite, du nœud sino-auriculaire de Keith et Flack, du nœud septal ou auriculo-ventriculaire, du faisceau de His situé à la base et à la partie moyenne du septum interventriculaire  pour détection possible de lésion du système de conduction cardiaque (SCC), responsable de mort soudaine dans un faible pourcentage des cas.

L’expérience, à l’Institut de Pathologie des Forces Armées (AFIP en anglais) du Pakistan, à Rawalpindi, illustre le propos. Sur un total de 656 autopsies de 1992 à 1994, il y a eu 66 cas remplissant les critères de mort cardiaque soudaine. La grande majorité présentaient des lésions athéromateuses coronariennes et ou myocardiques. 6% montraient des changements du système de conduction sous forme de nécrose (mort tissulaire), fibrose (sclérose/cicatrice tissulaire) ou infiltration graisseuse. Dans une étude parue dans Am J Forensic Med Pathol 2002; 23:83-9, de telles lésions étaient présentes dans 3% des 381 autopsies réalisées pour mort cardiaque soudaine.

L’ex-Président René Garcia Préval

C’est dire que si des prélèvements systématiques des parties du cœur  renfermant le SCC n’avaient pas été faits pour des coupes tissulaires en série (serial sections), il est possible  que la vraie cause de mort de Préval ait été loupée. À la vérité, au lieu d’un diagnostic boîteux, douteux de BOPCO, j’eusse même préféré savoir que l’autopsie n’avait pas été en mesure de révéler la cause de décès, ce qui peut arriver même dans les meilleurs contextes de pratiques d’autopsie, en milieu hospitalier ou dans des IML. Ainsi, dans l’étude des 66 autopsies aux AFIP pakistanaises plus haut mentionnée, la cause de mort n’avait pu être déterminée dans 4% des cas. Sur 61 autopsies pratiquées à la section d’histopathologie de l’Institut de Toxicologie de Madrid  pour mort soudaine au cours d’activités sportives, le taux était de 16.3 % (Suarez-Mier MF, Aguilera B. Causes of sudden death during sports activities in Spain. Rev Esp Cardiol 2002; 55:347-58).

Pour conclure, la cause du décès de René Préval suggérée ou plutôt offerte par un laboratoire étatsunien et entériné par l’Institut médico-légal haïtien ne nous satisfait pas. Sans une histoire clinique appropriée et avérée, le diagnostic nécropsique de bronchopneumopathie obstructive ne nous paraît pas correct. Du fait qu’il ait pris tant de temps (deux mois et demi) pour formuler un tel diagnostic, alors que cela eût été possible dans les jours qui suivirent l’autopsie en Haïti, nous soupçonnons que l’IML nous a sorti un truc tout cuit pour faire taire les rumeurs d’empoisonnement, calmer les esprits et donner l’impression (fausse) aux profanes (qui n’y verront goutte) que « Tout s’est passé dans les règles de l’art». Amen. Se sèlman madanm ak fanmi Préval ki pèdi.

 

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