Sans base factuelle argumentée, sans perspective réaliste intégrant la médecine traditionnelle comme piste stratégique de thérapie préventive, les recommandations du comité scientifique haïtien chargé de la riposte stratégique face au COVID19 ressemblent davantage aux échos d’une catastrophe virale espérée. Voici l’acte 1 d’une tribune pour relever les défaillances de cette communication.
Prédictions inquiétantes et recommandations insignifiantes
Les prédictions et recommandations du comité scientifique haïtien, en charge de la stratégie nationale de riposte face au Covid19, ont été si maladroitement et si grotesquement présentées qu’elles ont suscité dans l’opinion publique nationale une vague de méfiance prompte à décrédibiliser tout discours rationnel sur le coronavirus en Haïti. Cette communication a été si foireuse que les prédictions épidémiologiques et les recommandations stratégiques proposées pour Haïti, par ce comité scientifique, s’apparentent davantage aux prémices euphoriques d’une campagne de mobilisation de fonds par simulation de catastrophe sanitaire espérée, sinon planifiée.
Fort heureusement, la défiance collective, particulièrement à l’affut, en cette période de confinement, a permis à l’opinion publique haïtienne de repérer les nombreuses failles qui autorisent à questionner la méthodologie de travail de ce dit comité scientifique. Pour notre part, nous avons relevé, dans cette communication, trois groupes d’impairs qui ne sont nullement hasardeux. Ils portent l’empreinte d’un modèle reproductible sur lequel il est bon de s’attarder, tant il nous semble évident que c’est ce modèle qui s’applique partout en Haïti et notamment aux niveaux stratégiques les plus élevés.
En effet, pour tout observateur averti, la communication officielle autour du COVID19 en Haïti relève d’une indéniable défaillance. Elle porte la marque :
- D’une criante insuffisance analytique et d’une déficience factuelle qui jettent de profonds doutes méthodologiques sur les prévisions annoncées ;
- De grotesques confusions qui soulèvent de grandes et vives inquiétudes sociales, tant elles font état de flagrantes incohérences entre le discours alarmiste des autorités sanitaires et l’action politique paradoxale et insignifiante du gouvernement ;
- D’une stratégie sanitaire bancale qui fait germer un certain effroi quant à l’évidence d’une collusion entre des intérêts particuliers et des intérêts supranationaux au détriment des intérêts de la population haïtienne.
Ces grossièretés ont si bien entamé la crédibilité des universitaires du comité haïtien sur le COVID19 que les mauvaises langues leur ont dressé une posture plus « chiantifique » que scientifique. De toute évidence, de telles insignifiances ne peuvent que ruiner ce qu’il restait de l’image de l’universitaire haïtien dans une potentielle posture d’engagement et d’un ultime recours de la raison pour s’attaquer aux défaillances nationales. C’est donc toute une perspective de mission d’aiguillage et de réorientation de la stratégie nationale de gouvernance vers une stabilité et une rigueur qui semble exploser viralement. Car, il va sans dire qu’en détournant la mission d’un comité scientifique pour l’amener à tenter de réhabiliter un pouvoir politique totalement décrié, on a ouvert la voie à une démarche imprudente, et pour tout dire, malsaine, qu’on devait s’interdire. Ce saut impudique du savoir académique, dans les basses eaux de la médiocrité, pour réanimer un projet politique en putréfaction confirme le vrai rôle que les stratèges internationaux et les architectes de l’indigence réservent aux détenteurs du savoir dans un shithole : briller d’insignifiance en arrière-plan par ses distinctions académiques durant toute son existence, attendre opportunément l’heure indigente pour entrer dans la lumière et servir de caution technico-scientifique et/ou de passerelle politique à la médiocrité politique. C’est par cette rencontre improbable au sommet de la hiérarchie sociale, entre la savante embellie (université et culture) par allégeance et la crapule médiocre (politique et criminalité) investie pour son indigence, que se structurent les défaillances qui nourrissent les paradoxes faisant la légende des shitholes.
Ce serait de l’infantilisme de croire qu’il s’agit là de coïncidences hasardeuses. Car, à n’en pas douter, c’est une heureuse opportunité qui s’offre ainsi à l’assistance internationale. Par effet pervers de la mondialisation qui assujettit le Sud, elle dispose, de fait, de ces territoires, déchus de toute dignité et de toute humanité, comme champ d’essai pour des expériences géopolitiques et/ou cliniques inavouées et inavouables. Cette stratégie, pensée de manière manichéenne, sert de modèle économique pour l’assistance internationale que les pays du Nord programment et conçoivent pour les pays du Sud : promouvoir la médiocrité politique à leur sommet, détourner et pervertir leur leadership académique, déstabiliser leurs écosystèmes, précariser leur contexte social, rendre disponible sur place, pour intervention, remédiation et recyclage, une expertise (de rabais et/ou d’escroquerie) dévouée et acquise à la cause des intérêts étrangers, de manière à laisser invariantes les causes racines des défaillances.
Ainsi, comme nous le disions, derrière l’apparent insignifiant du couple politique-académique, il y a toujours un latent signifiant qu’il est utile de bien discerner pour comprendre la stratégie de construction et de fonctionnement des shitholes. C’est cette stratégie qu’il faut rendre intelligible et vulgariser pour permettre sa déconstruction et empêcher son renouvellement. Objectivement, dans la lutte contre l’indigence multivoque et ses défaillances, nous croyons résolument que la victoire à brandir, pour le peuple des shitholes, ce n’est pas tant de triompher de ses ennemis que l’entêtement à refuser d’être ce qu’on a choisi de faire de lui. Et pour cela, il faut de l’intelligence, de la dignité, du courage et de l’intégrité.
C’est pour faire aboutir ce projet de déconstruction que nous multiplions les témoignages à charge contre l’indigence. Dans cette tribune, nous proposons un argumentaire pour invalider les prédictions et les recommandations du comité scientifique haïtien en charge de la stratégie haïtienne de riposte sanitaire face au COVID19.
Scénarios scientifiques simulés ou catastrophe théorique espérée ?
Il n’aura échappé à personne que c’est par la voix du plus célèbre et du plus influent de ses membres que la commission scientifique haïtienne a présenté ses prédictions et formulé ses recommandations pour lutter contre le coronavirus en Haïti. Selon les prédictions de l’Oracle de Geskyo, présentées dans le quotidien Le Nouvelliste et relayées nationalement et internationalement, le scénario le moins pessimiste pour Haïti prévoit environ la contamination par le Covid-19 de 35% de la population haïtienne, entre fin avril et août 2020 ; un scénario qui donnera lieu à environ 313 000 hospitalisations et une estimation de 5 700 décès. Un autre scénario pessimiste prévoit la contamination de 86% de la population haïtienne avec 426 000 hospitalisés et quelque 20 000 décès.
Rappelons que, selon Le Nouvelliste, ces prévisions ont été établies à partir de simulations faites par des experts des Universités d’Oxford et de Cornell. Avec ces brillantes références universitaires évoquées comme seule base objectivante d’une prédiction qui se veut scientifique, le comité haïtien se contente de lister, comme stratégie pour lutter contre la catastrophe annoncée, un ensemble de besoins tournant autour d’achats d’équipements sanitaires, notamment des lits et des respirateurs. On notera au passage que le comité s’est contenté de se plaindre du manque de fonds et des insuffisances des installations sanitaires qui compliquent et rendent improbable toute réponse opportune face aux scenarios envisagés. Faut-il rappeler que la plupart de ces gens sont des autorités sanitaires consacrées ou d’influents gestionnaires qui dirigent, depuis des années, des projets qui reçoivent, de l’assistance internationale, des millions de dollars par an pour le renforcement du système sanitaire haïtien ?
On notera que ces prévisions ont été faites le 24 avril 2020 et qu’en date du 27 avril 2020, les statistiques officielles sur le COVID19 ne font état que de 76 cas confirmés et de 6 décès. Empressons-nous de dire que les 76 cas confirmés ne sont que des cas déclarés et reconnus officiellement, puisqu’il n’y a pas de dépistage pratiqué dans le pays ; alors que selon l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), le dépistage reste la seule façon d’identifier rigoureusement le nombre de cas atteints par le COVID19. De même qu’il faut préciser que les 6 décès recensés ne sont que des décès probables ; puisqu’à défaut d’autopsie, on ne peut pas établir avec certitude leur cause. Et ce d’autant plus que les statistiques sont incapables de dire si les personnes décédées ne souffraient pas d’autres pathologies, le Coronavirus ne serait alors qu’un facteur aggravant des décès et non leur cause principale. Quoi qu’il en soit, avec 76 cas et 6 décès, on est loin du bilan estimé de 5 700 à 20 000 morts. Sauf, s’il y a un plan, en arrière-plan, pour accélérer la distribution de la contagion et faciliter l’atteinte des prévisions en nombre de décès ; prévisions qui ne seraient alors que des objectifs de performance. Et c’est bien ce qui préoccupe l’opinion publique haïtienne avertie. Car, elle se rappelle qu’au début du mois d’avril, sans disposer de modèle mathématique, sans aucune simulation, sans données probantes, le Ministre des Travaux Publics du gouvernement haïtien n’avait pas attendu le comité scientifique pour faire ses propres prédictions de 1 500 morts par jour à partir du 15 mai 2020. Prédictions d’autant plus inquiétantes qu’elles viennent d’une personnalité qui, selon Le Nouvelliste, s’était diligemment « illustré dans les réponses [ramassage de cadavres] du ministère des Travaux publics après le séisme du 12 janvier 2010 ».
Comme on l‘aura donc remarqué, de manière concrète, les prédictions du comité scientifique haïtien pour la riposte face au covid19 sont à peine moins alarmistes que celles faites, un mois avant, par le Ministre des Travaux publics haïtien et ne sont pas plus documentées analytiquement et fondées factuellement. En outre, les recommandations proposées, en guise de stratégie de riposte pour faire face à la contagion, sont aussi insignifiantes que la communication mise au point : hypothèses invérifiables, prévisions assorties de vœux pieux et agrémentées de jérémiades et de plaintes sur l’insuffisance de moyens, tactique alarmiste de sensibilisation pour taper, comme d’habitude, dans la pitié de l’assistance internationale afin de faire délier les bourses des donateurs pour le bonheur des agences internationales et des heureux fortunés d’Haïti qui vivent en étroites accointances.
Empressons-nous de dire combien il est regrettable que le comité scientifique haïtien n’ait pas choisi un cadre plus formel et plus adapté à son statut « scientifique » pour publier, avec transparence et rigueur, ses prédictions et ses recommandations. Au-delà d’une entrevue accordée à quelques journalistes, au-delà de quelques bribes d’information publiés, et relayés çà et là, dans quelques médias, on s’attendait à ce que la démarche mise en œuvre, pour faire les prédictions et déduire les recommandations, soit méthodologiquement explicitée. D’abord, un comité scientifique se devait de disposer d’un outil de communication et de publication de ses rapports à la hauteur du statut revendiqué. Autrement dit, tout en ayant une communication expéditive pour quelques journalistes et le grand public, ce comité devait se doter d’un espace de réflexion scientifique. C’est là que devait être publié les travaux qui acteront de l’effort et du sérieux fournis. On devait notamment pouvoir trouver dans cet espace le modèle de distribution épidémiologique utilisé, les paramètres pris en compte, les données de contexte exploitées et une note explicative sur les limites du domaine de validation de la simulation effectuée. Présenter une stratégie en se contentant de dire qu’elle a été élaborée à partir de simulations faites par des chercheurs des Universités Oxford et Cornell est un argument d’autorité qui est scientifiquement irrecevable et indigne de gens, dont la plupart, enseignent au niveau universitaire.
Si la référence d’autorité suffit pour certains journalistes et éditorialistes haïtiens qui se contentent de relayer les dépêches des autorités haïtiennes et de leurs tuteurs étrangers, tel n’est pas le cas pour un grand nombre d’Haïtiens. Il y a encore dans le shithole haïtien, et heureusement, des gens courageux qui, sans avoir les passe-droits donnant voix au chapitre dans les médias, n’ont pas pour autant renoncé à leur bon sens et à leur liberté de parole. En dépit des risques, ils sont prêts à user de leur esprit critique pour faire valoir les vertus de la raison sur l’indigence. C’est au nom de ces gens qui croient encore dans les vertus citoyennes, dans la force de l’exemplarité et le courage de l’engagement de la raison, comme ultime flambeau vivifiant pour éclairer l’avenir du shithole, que cette tribune s’insurge contre les échos stratégiquement vides des prédictions et des recommandations du comité haïtien en charge de la riposte du COVID19, mais qui ne sont pas moins porteurs de doutes, d’inquiétudes et d’effroi.
Car, c’est pour le moins incongru que les « recommandations stratégiques » du comité penchent vers les solutions les plus financièrement couteuses et les plus techniquement improbables à mettre en œuvre, non seulement en raison d’insuffisance financière, mais surtout en raison de la corruption systémique qui est le modèle de choix des autorités actuelles.
En partant de ce ces deux observations, il nous semble légitime d’admettre que ces prédictions annoncées puissent être autant d’arguments statistiquement fabriqués et médiatiquement exploités pour amplifier une catastrophe qu’on semble plus espérer que redouter. Cette hérésie étant prononcée, empressons-nous de faire la démonstration que les prédictions du comité scientifique haïtien sont bien méthodologiquement douteuses, socialement inquiétantes et politiquement imprudentes
Erno RENONCOURT
Le Grand soir, 4 mai 2020