D’un processus électoral à l’autre, la saga continue !

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Rencontre du conseiller-président Smith Augustin avec l'ancien député de Pétion-Ville Jerry Tardieu et le professeur Louis Naud Pierre à la Villa d'accueil.

(10e partie)

Il est logique et compréhensible pour tout un chacun qu’il ne saurait avoir de nouvelles élections en Haïti dans le cadre de la nouvelle Transition post-Jovenel Moïse sans procéder à l’amendement de la Constitution de 1987 ou carrément promulguer une nouvelle Charte fondamentale comme le feu Président l’avait envisagé. D’ailleurs, certains laissent entendre que ce projet est l’une des clés de son assassinat en juillet 2021. En tout cas, l’Administration d’Ariel Henry qui marchait à reculons sur le processus électoral ne pouvait pas faire grand-chose sur ce projet après le renvoi du CEP de Jovenel et la mise à l’écart de sa Constitution quasi-finie. Les successeurs du Dr Henry, en lançant le processus électoral en 2024, ne pouvaient, eux non plus, laisser au placard le dossier de la réforme constitutionnelle que tous les acteurs semblent réclamer aujourd’hui bien qu’ils étaient tous fermement opposés à ce que ce soit Jovenel qui le réalise.

Alors, dans la foulée du projet relatif à la formation du Conseil Électoral Provisoire, les 9 membres du Conseil Présidentiel de Transition (CPT) ont rapidement initié la mise en place d’un dispositif lui aussi prévu par les signataires de l’Accord du 3 avril 2024. Il s’agissait d’un organe dénommé : Conférence Nationale. Ainsi, le mardi 25 juin 2024, le Conseil Présidentiel, représenté par l’un de ses membres, Smith Augustin, l’un des trois accusés dans le scandale de la corruption dite de la BNC, devait se réunir avec deux personnalités éminentes de l’ancien projet de réforme de la Constitution durant la présidence de Jovenel Moïse. Il s’agit de l’ex-député de Pétion-Ville, Jerry Tardieu, qui a présidé à la Chambre des députés la Commission législative sur les amendements constitutionnels et qui a présenté un Rapport détaillé de ses travaux bien avant l’assassinat du chef de l’Etat et le professeur Louis Naud Pierre, l’un des poids lourds de l’éphémère Comité Consultatif Indépendant (CCI) et Président dudit Comité qui devait faire des propositions pour une nouvelle Constitution. Un projet cher  au chef d’État assassiné.

Durant cette importante réunion, les deux équipes ont conclu sur l’urgence de relancer le dossier sur la réforme de la Constitution et avant tout, la mise en place de la fameuse Conférence Nationale. Selon Jerry Tardieu, Louis Naud Pierre et le Conseiller Smith Augustin, ces deux instances répondent aux attentes de la population haïtienne tout entière. Et ce 25 juin 2024, ils se sont accordés sur ces trois points jugés primordiaux. 1 – La consultation sur la mise en place d’un Comité de pilotage : ce Comité sera chargé de superviser l’ensemble du processus de réforme constitutionnelle, assurant une représentation équilibrée de toutes les parties prenantes. 2 – Les étapes devant mener à une nouvelle Constitution : les intervenants ont discuté des différentes phases nécessaires, allant de la consolidation des travaux déjà effectués à la consultation populaire après la rédaction finale d’une nouvelle constitution en passant par des ateliers de travail et des débats nationaux. 3 – La conférence nationale ayant pour objectif de rassembler les opinions et propositions des différents secteurs de la vie nationale sur un nouveau projet de société garantissant que la nouvelle Constitution reflète les aspirations globales du peuple haïtien.

Quelques jours plus tard, après consultations de plusieurs entités actives de la vie nationale, les autorités gouvernementales annoncent la création de l’organisme intitulé : la Conférence Nationale. Il prendra officiellement naissance par un arrêté publié le samedi 20 juillet 2024 dans un numéro spécial du journal officiel de la République Le Moniteur N° 36. Prenant le nom officiel de Comité de pilotage de la Conférence Nationale, il est composé de huit (8) membres. Il s’agit de Monsieur Enex Jean-Charles, Monsieur Joram Vixamar, Monsieur Amary Joseph Noël, Monsieur Pierre Antoine Louis, Madame Norah Jean François, Madame Widline Pierre, Monsieur Gédéon Charles, et Madame Christine Stephenson.

C’est Enex Jean-Charles, ancien Premier ministre sous la présidence provisoire de Jocelerme Privert, qui en est le Président. D’après l’énoncé de l’arrêté, cette « Conférence Nationale » est un dispositif participatif, exceptionnel, circonscrit dans le temps, visant à permettre à tous les acteurs de la société de contribuer activement à l’élaboration de résolutions adoptées et acceptées, selon l’article 1. L’Article 2 stipule que les résolutions serviront de propositions pour l’élaboration de textes normatifs et d’orientation portant sur trois grands chantiers : 1) La révision de la Constitution en vigueur. 2) L’élaboration d’un nouveau projet de société pour Haïti. 3) L’établissement de nouvelles relations entre l’État et la société, notamment la société civile et les partis politiques, de même que les principales réformes dans le système juridico-politique. Toujours selon l’arrêté, l’un des objectifs majeurs de cette Conférence Nationale est de créer une nouvelle Constitution (Article 3). La Conférence Nationale aura également à travailler sur un nouveau projet de Société haïtienne (article 4-5). Enfin, un Secrétariat Technique d’Organisation de la Conférence Nationale est créé ayant pour mission d’assurer le Secrétariat Exécutif du Comité de Pilotage (article 7 à 11).

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En effet, un mois plus tard, soit le vendredi 23 août 2024, ledit Comité de pilotage allait être installé par le Conseil Présidentiel qui a ratifié le choix de Me Enex Jean-Charles comme le Président de ce Comité. Le Président du CPT, Edgard Leblanc Fils, qui procédait à l’installation des huit membres du Comité de pilotage de la Conférence Nationale ce 23 août à la Villa d’Accueil, avait estimé que : « La tâche qui vous attend est à la fois laborieuse et noble. Je compte sur votre patriotisme pour lequel aucun sacrifice n’est trop grand, pour mener à bien les travaux de la Conférence nationale qui ouvrira la voie à un nouveau départ pour notre pays. Pour y arriver, nous avons besoin du concours de tous les Haïtiens, à quelque secteur qu’ils puissent appartenir. La Communauté internationale peut nous venir en aide mais les Haïtiens sont les seuls responsables de leur destin. »

Me Enex Jean-Charles, ex-Premier ministre, Président du Comité de pilotage de la Conférence nationale

Toujours très actif malgré les accusations portées contre lui dans l’affaire de 100.000.000 de gourdes de la Banque Nationale du Crédit, le Conseiller Smith Augustin, prenant part à cette installation en présence d’autres acteurs politiques et autorités de la Transition, notamment le ministre de la justice et de la Sécurité Publique, Me Carlos Hercule, a indiqué lui aussi que : « La Conférence Nationale a pour mission de guider et que ce Comité de pilotage représente un dispositif participatif exceptionnel où chaque acteur, chaque association, chaque organisation, chaque mouvement et chaque groupe d’intérêt sera habilité à débattre des problèmes fondamentaux du pays en vue d’une meilleure organisation de la société et d’un meilleur fonctionnement de l’État. » Enfin, l’ancien chef du gouvernement, Enex Jean-Charles, en prenant la charge du Comité de pilotage de la Conférence Nationale, devait confirmer que son : « Comité aura à travailler sur un nouveau projet de société, la révision de la Constitution du pays et des propositions de décrets devant permettre l’application de la Constitution. ».

Le 26 août 2024, le Premier ministre Garry Conille, à ce moment-là au fait de son pouvoir, accompagné de la ministre des Affaires étrangères et des Cultes, Mme Dominique Dupuy, rencontrait l’ambassadeur américain en Haïti, Dennis H. Hankins. Celui-ci était lui accompagné d’un certain Sidi Diawara, présenté par les autorités comme un Consultant pour la Fondation Internationale des Systèmes Électoraux (IFES) et expert en assistance électorale. La rencontre portait sur le processus électoral et les préparatifs sur les travaux de la Conférence Nationale, la réforme constitutionnelle et naturellement l’organisation des élections générales en Haïti au cours de l’année 2025. Après cette intense activité durant laquelle les acteurs avaient promis au pays d’aller vite en besogne en vue d’apaiser l’attente de la population, finalement, compte tenu de la réalité du milieu et du climat d’insécurité qui règne surtout dans la région métropolitaine de la capitale, en vérité, nous, observateurs politiques, avons assisté à une sorte de black-out sur les activités du Comité.

Pas un mot, ni une note à la presse. Certains disaient même qu’il y avait de la friture sur la ligne entre les concernés tant ils faisaient le mort. Il fallait attendre le mois de novembre 2024, plus exactement le mardi 12, pour que Me Enex Jean-Charles et son équipe du Comité de pilotage sortent du silence en dévoilant, à l’hôtel Karibe Convention Center à Pétion-Ville, les résultats des premiers travaux. D’emblée, le Président de la Conférence Nationale a évoqué les difficultés rencontrées, notamment des problèmes de moyens financiers qui ont largement retardé l’avancée des travaux du Comité de pilotage. En bon avocat et homme du verbe, Me Enex Jean-Charles a trouvé les bonnes formules pour rassurer l’assistance et apaiser les plus sceptiques plus de trois mois après le lancement dudit Comité. « Nous avons pris du temps pour arriver ici. C’est tard mais pas trop tard » disait-il en souriant. Premières annonces, selon l’ancien Premier ministre, durant ce long silence, son organisation a quand même travaillé, beaucoup travaillé. Et pour cause.

Le Comité de pilotage « A procédé à la formation de trois Groupes de travail distincts : un groupe de travail sur la Constitution ; un groupe de travail sur les réformes institutionnelles et légales et un groupe de travail sur le nouveau projet de société. » Ce jour-là, le groupe de travail sur la Constitution, le plus important, a été présenté à la presse et au grand public. Dans ce groupe, on compte pas moins de neuf (9) personnalités de haut rang et connues de la Cité. Il s’agit de : Me Eugène Pierre Louis, doyen de la Faculté de droit et des sciences économiques; professeur Jean-Robert Charles, Président de la CORPUHA; Me Patrick Pierre-Louis, bâtonnier de l’ordre des avocats de Port-au-Prince; Me Enex Jean-Charles, ex-Premier ministre, Président du Comité de pilotage de la Conférence nationale; Dr Louis Naud Pierre, ancien Secrétaire exécutif des Etats Généraux Sectoriels de la Nation (EGSN) ; Me Guerdy Lissade, avocat au barreau de Port-au-Prince ; Me Norah Amilcar Jean François, professeur de droit; Mme Kerlande Mibel, militante féministe.

Ils avaient un délai de trois mois pour rendre le résultat de leurs travaux. Si les deux autres groupes ne sont pas moindres, ils n’en sont pas moins traités en enfants illégitimes. Car, selon le Président de la Conférence Nationale : « Aujourd’hui, le travail de la Constitution a la priorité à cause de son échéance qui doit arriver avant ». On verra plus loin si le Comité de pilotage de la Conférence Nationale a tenu parole. En tout cas, à l’issue de la présentation de ce groupe assez compact, divers responsables du groupe ont pris la parole afin de tenter de convaincre l’opinion publique que la démarche de la Conférence Nationale repose sur des bases solides et que chacun des membres du Comité et des Groupes de travail a conscience de sa responsabilité devant la Nation et devant l’Histoire. Ainsi, le Président Enex Jean-Charles a rappelé que : « La Conférence Nationale se donne pour prérogatives d’élaborer un nouveau projet de société pour Haïti, de procéder à une réforme de la Constitution et de proposer le décret qui permettrait l’application immédiate de la Constitution et tracer de meilleures relations entre l’Etat et la société.

Ces attributions de la Conférence Nationale reposent sur l’Accord du 3 avril 2024 pour une Transition dans la paix et dans l’ordre et le décret du 17 juillet 2024 portant création et organisation de la Conférence Nationale. L’heure est au dialogue. Le dialogue est lancé sous toutes formes et dans tous les espaces. Nous savons que le dialogue est le plus gros moyen pour atténuer les violences sous toutes formes. Discutons-en sur nos désirs, sur nos accords et nos désaccords afin de reconstruire un pays à la hauteur du rêve de nos ancêtres. » Dans le même registre, Dr Louis Naud Pierre qui s’y connaît en Comité Consultatif et Conférence Nationale pour avoir été sous Jovenel Moïse maître d’œuvre de ces affaires, a été promu cette fois Secrétaire exécutif de la Conférence Nationale. Maitrisant parfaitement son sujet, Louis Naud a fait preuve d’honnêteté intellectuelle durant cette cérémonie en rappelant que cette idée de Conférence Nationale n’est pas nouvelle, car elle fut l’œuvre de la vie du Dr Turneb Delpé.

Il devait indiquer que les trois Groupes de travail allaient parcourir le pays, en tout cas, là où leurs membres peuvent s’aventurer sur le territoire et dans la diaspora, pour apporter la bonne nouvelle et inciter les citoyens à s’accaparer ces structures pour faire des propositions à insérer dans la nouvelle Constitution durant son écriture. « La Conférence se déroulera en Haïti et dans la diaspora à travers des émissions sur différentes plateformes de communication, des tables rondes, des assises, des forums et des ateliers. Ces activités seront menées par les trois groupes de travail créés par la Conférence Nationale. Les organisations de la Société civile sont invitées à organiser leurs activités de discussions et acheminer leurs résolutions aux groupes de travail de la Conférence Nationale. Le but de la Conférence Nationale, c’est de trouver les voies et moyens pour donner à cette société de nouvelles directions, pour arriver à une société inclusive et plus juste. » Pour cette grande première, le Comité avait fait le plein à l’hôtel Karibe ; outre Dr Louis Naud Pierre, bombardé Secrétaire exécutif, l’ex-député Jerry Tardieu, lui aussi qui s’y connaît en matière constitutionnelle, ayant été Président de la Commission spéciale pour l’amendement de la Constitution lors de la dernière législature, donc sous la présidence de Jovenel Moïse, l’actuel chef du Parti politique En Avant, se voit donc confier le titre de Coordonnateur du Groupe de travail sur la réforme constitutionnelle.  (A suivre)

 

C.C

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