La délégation haïtienne auprès de l’OEA voudrait, d’entrée de jeu, exprimer ses plus vives préoccupations par rapport aux différentes formes de violations des règles les plus élémentaires qui régissent le fonctionnement de l’Organisation des Etats Américains.
Monsieur le Président, L’Organisation des Etats Américains dont Haïti est membre fondateur depuis sa création en 1948, reconnaît, avec l’entrée en vigueur de sa charte en 1951, quatre langues officielles de travail dont l’Anglais, l’Espagnol, le Portugais, et le Français, qui est également l’une des langues officielles de la République d’Haïti. Nous considérons que c’est un manque de respect vis-à-vis de la République d’Haïti, lorsque le Secrétaire général s’autorise de faire circuler un rapport qui concernerait une situation dans la région, sans se donner la peine de nous en faire avoir copie dans notre langue officielle qui est aussi, je le répète, l’une des quatre langues officielles de l’Organisation. Sur cette base, la République d’Haïti voudrait demander qu’il soit noté dans les procès-verbaux de ce Conseil Permanent, que nous considérons le dit rapport du Secrétaire général Luis Almagro concernant la situation au Venezuela comme une rumeur, car nous n’en avons pas pris connaissance selon les normes tracées par l’Organisation. Toutefois, cette rumeur nous préoccupe profondément et à plus d’un titre. Il est bruit que le Secrétaire général Luis Almagro recommande la suspension du Venezuela dans l’Organisation et exige des « élections générales sans délai et à tous les niveaux » dans ce pays.
Monsieur le Président, Face à de tels agissements du Secrétaire général, la situation est plus que grave pour notre Organisation. Avec de telles recommandations, le Secrétaire général n’a pas seulement outrepassé ses prérogatives, il a aussi voué un mépris inadmissible aux principes fondamentaux consacrés dans la Charte de l’Organisation. En effet, devons-nous rappeler que selon l’article premier de la Charte de l’OEA, « aucune disposition ne l’autorise à intervenir dans des questions relevant de la juridiction interne des Etats membres. » De même, selon l’article 2 et 3 de la charte, l’OEA se donne pour principes d’ « encourager et consolider la démocratie représentative dans le respect du principe de non-intervention ainsi que « le respect, de la souveraineté et de l’indépendance des Etats. »
Dans ces conditions, nous sommes absolument consternés devant le fait que le Secrétaire général de l’OEA puisse seulement songer à appeler à « la convocation d’élections générales sans délai et à tous les niveaux », dans un Etat membre de l’Organisation, ayant un président en fonction dont le mandat court jusqu’à 2019 !!!
Monsieur le Président, Le moment est grave. Il dépasse de loin la question du Venezuela. Les agissements du Secrétaire général fragilisent notre Organisation. Ses actes ne nous rassurent pas du tout pour ce qui concerne la paix et la stabilité dans la région. Si nous laissons le Secrétaire général, comme il le fait, s’immiscer sans réserve dans les affaires internes d’un pays et au détriment du principe du respect de la souveraineté des Etats, bientôt Haïti et d’autres pays de la région, seront eux aussi victimes de cette même dérive de l’Organisation.
Monsieur le Président, Mes chers collègues, Vous n’êtes pas sans savoir que mon pays, Haïti, est l’un des pays ayant connu une difficile transition vers la démocratie. L’expérience d’Haïti nous enseigne qu’il ne saurait y avoir ni promotion ni protection de la démocratie dans un pays à coups de sanctions. Nous devons donc tirer leçon de l’expérience haïtienne. Seul le dialogue, la recherche du compromis, la médiation non partisane et sans ingérence, peuvent protéger et promouvoir la démocratie dans la région. Nous profitons à cet effet de l’occasion pour remercier le Conseil Permanent de l’OEA, pour le rôle médiateur qu’il a joué sans ingérence et sans menaces de sanctions, dans les négociations haïtiano-haïtiennes qui ont abouti au dénouement heureux du processus électoral en Haïti. Force est alors de constater que les sanctions ne sont pas la solution. De ce fait, il est impératif de défendre l’OEA contre toute instrumentalisation qui peut en être faite au détriment des intérêts d’un Etat membre. Ainsi, notre appui au Venezuela relève-t-elle fondamentalement d’une question de principe. Si nous autorisons la menace de ce coup d’Etat maquillé contre le Gouvernement élu du Venezuela, nous ne pourrons pas empêcher qu’on en fasse de même, à l’avenir, contre d’autres pays des Amériques.
Dans cette perspective, ce qui se passe à l’OEA en cet instant même, augure des jours sombres pour l’Organisation hémisphérique et pour notre région. L’Organisation des Etats Américains n’a jamais été aussi divisée. La convocation d’une réunion du Conseil Permanent pour débattre de la situation d’un Etat-membre, sous la menace de suspension de cet Etat, et en cherchant à pousser vers des élections anticipées contre un Président élu, tout cela nous fait craindre la mise en œuvre d’un agenda qui ne correspond ni à l’esprit ni à la lettre de la Charte de notre Organisation. Face à cet agenda qui ne peut que fragiliser l’Organisation, la délégation haïtienne voudrait soutenir que la meilleure solution reste et demeure la voie du dialogue. Nous supportons le dialogue et la négociation entre les acteurs vénézuéliens eux-mêmes afin de trouver une issue à la situation politique dans leur pays. Nous soutenons également toutes les formes de médiation non partisane, qui respectent les principes de la souveraineté des Etats et qui croient que, comme nous l’a enseigné l’expérience haïtienne, la solution définitive ne peut venir que des acteurs eux-mêmes, dans le respect des principes constitutionnels qui régissent la vie politique interne du pays.
Je vous remercie!