Les 17 et 18 mars, dans la ville de Tuxla Gutierrez, au Chiapas (Mexique) s’est réunie la deuxième session de la Conférence binationale contre le « Mur de la Honte » que Trump a commencé à faire construire sur la frontière entre le Mexique et les Etats-Unis, et pour l’abrogation du traité de libre échange d’Amérique du Nord. La première session avait eu lieu en Californie (Etats-Unis) en décembre 2017.Venus de tout le Mexique, trois cent-soixante dix militants d’organisations syndicales, politiques, populaires et paysannes, se sont rassemblées en présence d’une délégation de militants ouvriers des Etats-Unis et d’Haïti. Nous avons demandé à Luis Carlos Haro, l’un des organisateurs mexicains, et Alan Benjamin, qui représentant de Conseil syndical de San Francisco (AFL-CIO, Etats-Unis) de nous livrer quelques éléments de compte-rendu de cette initiative, soutenue par le Comité ouvrier international.
Luis-Carlos Haro : Cette conférence a rassemblé un large spectre de militants du mouvement ouvrier venus de tout le Mexique. Sous la présidence de la secrétaire générale de l’Union des travailleurs du secteur public de l’État du Chiapas, dix-huit rapporteurs ont animé les débats, parmi lesquels le secrétaire général de la Section 7 du SNTE-CNTE (le syndicat démocratique des enseignants du Chiapas), un dirigeant du Syndicat mexicain des électriciens (SME) de la ville de Mexico ; un représentant de la Coordination démocratique en défense de la Pemex (Pétrole du Mexique) de Veracruz ; une camarade du comité de défense des travailleurs des maquiladoras, ces usines où règne la surexploitation, de l’Etat de Chihuahua ou encore les camarades de l’Association des ouvriers agricoles de la vallée de San Quintin (Basse Californie).
Ils ont rendu compte des combats des travailleurs et de la jeunesse dans lesquels ils sont engagés. Et bien entendu, y ont participé des militants ouvriers des Etats-Unis, et d’Haïti, le camarade Berthony Dupont, directeur de publication de l’hebdomadaire Haïti Liberté.
Il faut ajouter pour les lecteurs français que cette conférence a eu lieu à un moment symbolique : il y a exactement quatre-vingts ans, le 18 mars 1938, le président Lázaro Cárdenas, s’appuyant sur la mobilisation des travailleurs, procédait à la nationalisation du pétrole, expropriant les compagnies étrangères et constituant la société nationale Pemex. La défense de la Pemex comme entreprise nationalisée était au cœur de notre conférence, tout comme l’exigence de renationalisation du secteur énergétique et de tout ce qui a été privatisé. Les entreprises expropriées en 1938, Shell et Chevron, veulent prendre leur revanche aujourd’hui, mais elles n’ont pas encore gagné, car ce que le peuple mexicain a fait inscrire dans les articles 27 et 28 de la Constitution de 1917 : « nos richesses nous appartiennent, c’est notre souveraineté », reste ancré dans la conscience du peuple.
Alan Benjamin : Notre conférence, dont la première session a eu lieu aux Etats-Unis, en décembre, est entrée en plein dans les débats qui traversent le mouvement ouvrier. On parle dans les sommets de la « renégociation » du traité de libre commerce d’Amérique du nord, engagée par Trump. Mais le bilan de ce traité, depuis sa signature en 1994, montre sans appel qu’il n’a bénéficié ni aux travailleurs, ni aux paysans, tant au Mexique qu’aux Etats-Unis ou au Canada. Le traité a accru la dépendance vis-à-vis des entreprises multinationales et du gouvernement des Etats-Unis. Trump cherche à arracher des concessions encore plus drastiques aux gouvernements mexicain et canadien, au bénéfice des capitalistes des Etats-Unis.
Le combat pour l’indépendance du mouvement syndical, en particulier aux Etats-Unis, vis-à-vis de cette farce de la « renégociation » du traité est d’autant plus nécessaire que nous avons vu, ces derniers jours, le président de l’AFL-CIO se féliciter des mesures « protectionnistes » de Trump sur l’acier et l’aluminium. Hier il fallait soutenir les Démocrates avec l’argent des syndiqués pour faire barrage à Trump, aujourd’hui il faudrait soutenir Trump et ses mesures prétendument en faveur des ouvriers américains… où va-t-on ? Le mouvement syndical aux Etats-Unis, qui vient de remporter une victoire avec la grève des enseignants de Virginie occidentale doit revenir aux fondamentaux, c’est à la lutte de classe, à l’indépendance de classe.
Luis-Carlos Haro : Le gouvernement mexicain de Peña Nieto accepte le diktat de Trump. Ainsi, la Loi générale sur l’eau qu’il promeut vise à livrer cette ressource naturelle vitale aux entreprises privées venues des Etats-Unis, notamment parce qu’elles en ont besoin pour l’exploitation du gaz de schiste. Pour mettre en œuvre ces diktats meurtriers, le gouvernement mexicain s’est engagé dans une dérive totalitaire, notamment en faisant passer fin 2017 la Loi sur la sécurité intérieure qui criminalise l’action syndicale et la protestation sociale en général : cette loi permet de faire appel à l’armée pour mater une mobilisation populaire. Beaucoup de délégués ont témoigné des conditions dans lesquelles nous combattons.
Alan Benjamin : Côté américain, Trump a commencé la construction du « Mur de la honte ». Notre conférence a pris position pour l’unité des travailleurs et des organisations ouvrières, des deux côtés de la frontière, pour abattre ce Mur, contre les déportations massives de travailleurs immigrés aux Etats-Unis, qu’il s’agisse des travailleurs et jeunes originaires du Mexique et d’Amérique centrale, ou qu’il s’agisse des dizaines de milliers de Haïtiens qui bénéficiaient du statut temporaire dit TPS qui leur avait été accordé après le tremblement de terre. La Conférence s’est prononcée en solidarité avec le peuple haïtien, pour le départ immédiat des troupes d’occupation des Nations-Unies (la MINUJUSTH), en solidarité avec le peuple vénézuélien contre toute menace d’intervention de l’impérialisme américain. Cette conférence s’inscrit dans la continuité de la Conférence mondiale contre la guerre, l’exploitation et le travail précaire de Mumbai qui a fondé le Comité ouvrier international. D’ailleurs notre conférence binationale se tenait aussi un an jour pour jour après la condamnation à la prison à perpétuité des treize militants ouvriers indiens de Maruti Suzuki, et ce fut l’occasion de leur témoigner notre solidarité internationaliste, et d’exiger leur libération.
Source : Tribune des Travailleurs
Journal du Parti Ouvrier Indépendant Démocratique (POID) de France