J‘ai l’impression de ne pas m’être assez clairement exprimé, dans mes derniers articles, sur la question de la terre, et en particulier sur la position de Dessalines à cet égard.
Voici donc exactement ce que je pense: Dessalines est connu pour s’être écrié, à propos des vols de terre dans le Sud: Et les pauvres nègres dont les pères sont en Afrique, ils n’auront donc rien?
D’autre part, il a entrepris de réprimer les voleurs de terre, toujours dans le Sud, en vérifiant leurs titres, et en se débarrassant de ceux qu’il trouvait faux. Il a donc, et c’est le plus important, agi contre la couche dominante des Anciens Libres du Sud, qui entendait s’accaparer des terres des anciens colons. Il s’est attaqué au point sensible de toute classe dominante en formation: son portefeuille. Ses intérêts matériels. Sa base économique.
Dessalines mettait donc en danger l’existence même de sa propre classe.
Il mettait ainsi en danger, non seulement la couche dirigeante des Anciens Libres, mais aussi celle des Nouveaux Libres, tout aussi intéressée à monopoliser les terres vacantes à son profit exclusif.
Et, évidemment, aux dépens du peuple. Des pauvres nègres dont les pères étaient en Afrique.
Dessalines agissait donc, c’est klè kou dlo kokoye, pour son peuple, notre peuple.
Mais aussi contre sa propre classe, celle qu’il représentait au pouvoir, la classe en pleine formation des propriétaires fonciers alliés à la proto-bourgeoisie compradore.
Il mettait donc en danger l’existence même de cette classe, sa propre classe.
C’est pour cela qu’elle l’assassina, “dans un guet-apens des deux couleurs” (Etienne Charlier, Aperçu…).
Une classe dominante en formation — ou au pouvoir, d’ailleurs — ne pardonne jamais une attaque contre son assise économique, pour la raison nécessaire et suffisante (comme disent les mathématiciens) que c’est la condition première de son existence. Autrement dit: si vous voulez faire une réforme agraire, débrouillez-vous d’abord pour avoir votre propre armée, qui correspondra (au sens Kreyol) avec l’ennemi. Autrement, wap mache ak kadav ou anba bra w.
Maintenant, une dernière question: Dessalines a-t-il fait une Réforme Agraire? Non. Ses ennemis ne lui en ont pas laissé le temps: ils l’ont assassiné avant.
S’il s’était fait escorter de sa 4e demi-brigade, troupe qui l’adorait et, je l’ai déjà dit, l’aurait suivi en Enfer sizoka, elle aurait mis à la raison celles de Gérin, et il aurait survécu. Mais beaucoup d’hommes braves font l’erreur de croire que rien ne peut leur arriver. Toussaint Louverture alla presque sans escorte au guet-apens de Brunet, et Capois s’aventura presque seul dans les fossés de Limonade.
Tonton Nord (Nord Alexis) dirait, avec son bon sens de vétéran de nos guerres civiles: Mon konpè, bèf pa janm mache san kòn li…
Avis aux amateurs.