Des élections présidentielles : des candidats tous pourris?

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Jovenel Moise et sa femme Martine. Selon l’UCREF, les fonds sont transférés au profit de l’épouse du candidat

L’une des fonctions des élections présidentielles, dans une société si marquée par les pratiques de corruption et l’enrichissement illicite par la politique est d’engager des débats sur les qualités déterminantes des candidats. Les uns se montrent pugnaces, adorateurs des slogans creux, porteurs de rêves irréalistes, les autres dissimulent leurs pratiques prédatrices, font l’impasse sur la gestion de leurs activités privées, banalisent les fautes et les soupçons que l’opinion publique porte sur leur passé. Mais l’opinion publique, reine incontestable en période électorale, mérite d’être éclairée par la presse et les organisations de la société civile.

Le sens d’une campagne électorale est de d’identifier les candidats imposteurs, de déchirer le voile opaque derrière lequel les faux dévots se cachent, de soumettre aux électeurs les résultats des enquêtes conduites avec mesure, professionnalisme.

Ce qui fait du journaliste un aiguilleur, un curieux, un héros des temps modernes qui  accepte de dépasser l’esprit de chapelle, de connivence, de clanisme. Au temps de l’insoumission, il y a quelques années de cela, les journalistes, dépourvus de moyens, sous-payés, multipliaient des efforts surhumains pour indiquer dans la presse les candidats qui ne seraient pas qualifiés, soit pour leurs accointances avec le régime passé (précédent), pour leur dépendance, soit vis-à-vis des forces obscurantistes de l’argent, soit des ilots de puissance extérieurs placés en sous-marin dans des endroits stratégiques pour le contrôle du pouvoir. Et pour preuve : la campagne électorale de 1987 et celle de 1990, les plus marquantes depuis la chute de Jean-Claude Duvalier, étaient souvent accompagnées de publication d’informations contradictoires, de renseignements sur les trajectoires et les relations des candidats avec le duvaliérisme. Autre temps. Autres orientations de l’opinion publique.

Les fabricants de l’opinion publique disposent aujourd’hui des moyens performants modernes et atouts susceptibles  de rendre compte aux citoyens des qualités vertueuses ou malhonnêtes des candidats. Le premier atout ce sont les usages politiques des technologies de communication qui permettent à des fonctionnaires non encore corrompus de verser dans la presse les documents compromettants. Le deuxième atout, c’est l’existence sur le terrain des organisations de  transparence financière : l’Unité Centrale de Renseignements Financiers (l’UCREF),  l’Unité de Lutte contre la Corruption (l’ULCC) et enfin la transnationalisation des organisations de la société civile en Haïti en capacité d’exercer leur influence sur les pratiques de prédation et de corruption de la société haïtienne.

L’Unité de Lutte contre la Corruption (ULCC)
L’Unité de Lutte contre la Corruption (ULCC)

Pourtant ces atouts ne sont guère utilisés aujourd’hui ; alors que l’opinion publique demande des informations éclairées et fondamentales pour se faire une idée des qualités déterminantes du candidat le mieux placé. Il suffit de lire les différentes interventions des simples citoyens sur différentes plateformes électroniques pour se rendre compte de la méfiance des citoyens aux médias et des élites qui les dirigent, tel un déploiement d’énergie volcanique, « un accès de fureur », un accès de folie, constitué par cette classe de citoyens qui renvoie dos à dos les journalistes timorés, pris de peur , préférant abrutir la masse de poncifs et d’analyses faciles. L’internet émerge ainsi, depuis la dernière campagne électorale, comme le seul média de désacralisation du rôle traditionnel des journalistes, de banalisation de l’information peu soumise aux canons du traitement des informations. L’internet ne met pas fin au journalisme: il l’ennoblit parce que celui-ci obéit à des exigences et des normes plus rigoureuses.

L’UCREF, à la fin du mois d’Août dernier, a rendu publiques des informations mettant en doute les origines des fonds gérés par Jovenel Moïse, candidat à la présidence. Selon les renseignements de l’Unité Centrale de renseignements financiers «   en un seul jour, soit le 21 janvier 2013, une somme de 1 million 570 mille gourdes est déposée sur un compte commercial à la BPH ; du 16 janvier 2012 au 29 avril 2013, des dépôts journaliers effectués sur le compte conjoint à la BNC des époux Jovenel et Martine Moïse s’élèvent à 5 millions 552 mille 999 dollars américains et 50 centimes. »« En ce qui concerne les biens mobiliers de Jovenel Moïse, l’UCREF relate un document officiel de l’OAVCT en date du 7 mars 2013 établissant une liste de quarante-cinq (45) véhicules enregistrés à son nom, dont 31 neufs. »

 

La patrominialisation étayée par des dérives managériales

Que nous renseignent ces informations sur les pratiques de celui qui prétend incarner les qualités vertueuses d’un homme politique ? Attendant la confrontation des faits, nous observons une confusion entre le double patrimoine : une pratique politique en Haïti où les ressources de l’État sont appropriées et confondues de la part des hommes politiques. La patrominialisation, semble être étayée par des dérives managériales. Le patrimoine de l’entreprise privée est donc vampirisé par les besoins de la famille. La seconde information se rapporte au nombre important de véhicules inscrits au nom de l’entrepreneur-candidat. Ces deux informations ne sont pas suffisantes à forger une opinion établie quant au détournement de fonds. Elles méritent d’être étayées par des enquêtes supplémentaires, même si l’UCREF estime qu’elles ont eu des difficultés à obtenir des informations complémentaires de la part des institutions bancaires. Ce qui motiverait davantage une action du parquet qui devrait prendre ses responsabilités. Et c’est dans l’intérêt du candidat « soupçonné de blanchiment » également que cette enquête devrait être menée pour établir la vérité .Or, le parquet laisse apparaitre quelques hésitations liées aux problèmes.

La deuxième hypothèse est l’illustration de la notion de famille que fait apparaitre l’UCREF dans la publication de son enquête. Les fonds selon l’UCREF sont transférés au profit de l’épouse du candidat. C’est le prolongement des pratiques qui ont été observées sous le régime de Michel Martelly. Le droit a même été convoqué pour attester des liens entre l’enrichissement personnel et le pouvoir politique. On connait le sort du juge Jean Serge Joseph pour avoir souhaité éclairer les liens entre l’enrichissement personnel et la famille présidentielle. Ce terme “famille” revient dans l’enquête de l’UCREF et avertit l’électeur des potentialités de survivances de pratiques condamnables par la loi, construites par un entrepreneur qui serait  attaché à la construction d’un système. Que dire alors de ce même entrepreneur qui vante ses réussites économiques, alors que le rapport de l’Ucref montre qu’il s’agit d’un système basé sur les intérêts et la protection des parents au mépris des règles de transparence financière et des règles d’économie de marché.

Il ne suffit pas d’évacuer d’un revers de main la publication de l’UCREF pour administrer la preuve de son innocence. L’UCREF étant un organisme public, ne saurait être l’objet de manipulation politique. Ce serait grave pour un politique de soupçonner un organisme de transparence financière et de lutte contre la corruption d’être un objet aux mains du gouvernement. Le fait pour l’UCREF de rendre public son rapport en campagne électorale est sans doute une pure coïncidence. Y aurait-il usage politique de la publication de l’Ucref ? C’est l’explication la plus facile pour éviter la question de fonds.

La question de la corruption a été soigneusement évitée par certains candidats. La vertu n’est plus une qualité déterminante dans la dévolution et l’exercice du pouvoir en Haïti. Le fait d’évacuer ce thème les arrange parce qu’une enquête sérieuse, approfondie mettrait à mal leurs ambitions. Il suffit alors d’activer la machine à fantasmes. Mais le suffrage universel ne s’accompagne pas de l’effacement automatique du citoyen qui renonce à sa vigilance et à son incapacité de s’imposer dans l’arène politique. Il garde ses facultés de dénonciation, de contestation, même après les élections. On a vu le gouvernement précédent forcé de composer avec des franges de l’opposition, parce que la contestation était forte et puissante. L’élection d’un candidat à la présidence n’est pas un chèque en blanc signé : les citoyens gardent plus que jamais leur vigilance et l’envie d’allumer les braises, en vue de châtier les corrompus et les malfrats.

Jacques NESI

 

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