De l’Accord de Musseau à l’Accord Karibe, Ariel Henry consolide son pouvoir (2)

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La constitutionnaliste Mirlande Hyppolite Manigat a été désignée par la classe politique moribonde au Haut Conseil de la Transition (HCT)

(2e partie)

Selon les termes de l’Accord signé à l’hôtel Karibe le 21 décembre 2022, les signataires se déclarent tous « Conscientes des faiblesses actuelles des forces de l’ordre haïtiennes, les parties signataires se déclarent favorables à l’assistance internationale immédiate en matière de sécurité sollicitée le 9 octobre 2022 par le gouvernement, en vue d’aider la Police nationale d’Haïti dans la planification d’interventions et la mise en œuvre d’opérations qui garantiront la liberté de mouvement de la population et la gestion de la crise humanitaire et de l’insécurité à laquelle fait face le pays .» Par conséquent, c’est sans ambiguïté que tous ceux ayant pris part ou contribué à la mise en place du Haut Conseil de la Transition (HCT) qui est un organe politique cautionnent, en connaissance de cause, une possible intervention étrangère en Haïti. Personne du groupe, par quelques exercices intellectuels qui soient, ne pourra se soustraire à cet engagement collectif.

La constitutionnaliste Mirlande Hyppolite Manigat, au soir de sa vie militante, politique et intellectuelle, a vendu son âme au diable juste pour avoir le titre de Présidente d’un organisme d’Etat mort-né, sans aucune utilité, sans légitimité, qui durera le temps que les « Blancs » débarquent pour rétablir l’ordre selon le jargon communément employé dans les instances des Nations-Unies. Car, en vérité, vu le tollé qu’a suscité ledit Accord de la part de la quasi-totalité des acteurs politiques et de la Société civile qui comptent vraiment sur l’échiquier et dans cette Transition, il y a fort à parier que ni le Haut Conseil de la Transition (HCT), ni l’Organe de Contrôle de l’Action Gouvernementale (OCAG) qui sont issus de l’Accord qui a été publié dans Le Moniteur, le journal officiel, du 3 janvier 2023, ne feront long feu.

Naturellement, après cette prise politique de choix, le Premier ministre de facto s’empresse de s’en féliciter et même de jouer à la provocation en déclarant « Arrêtons les marchandages égoïstes. Pensons pays. Quand il y a marchandage, il y a toujours un prix à payer et c’est le plus souvent au détriment du peuple et de l’intérêt collectif. Il nous faut maintenant apporter à la nation la preuve de notre bonne volonté en mettant rapidement sur pied nos institutions démocratiques, et rendre la direction des affaires du pays à des élus choisis en connaissance de cause par le peuple haïtien dans le cadre des élections libres, inclusives et transparentes. Si nous voulons prendre un nouveau départ et faire entrer notre pays dans la modernité politique et économique, il nous incombe de prendre les bonnes résolutions maintenant et de commencer à les mettre en pratique », a-t-il avancé tout en qualifiant l’Accord d’historique, puisque, selon lui, c’est le résultat de très longues concertations.

On peut comprendre la joie d’Ariel Henry qui voit dans cet Accord le prolongement de son mandat à la tête du pays même si, à aucun moment depuis son arrivée au pouvoir, il est noté quelque part que son mandat est limité dans le temps.

Ariel Henry et ses partisans ont fait d’une pierre deux coups, non seulement ils arrivent à actualiser l’Accord du 11 septembre 2021, mais pour le coup, ils pensent se maintenir à la tête de la Transition pendant encore longtemps, vu qu’il est stipulé dans le document que « Le gouvernement, ayant à sa tête le Premier ministre, exerce le Pouvoir exécutif. Le Premier ministre fait appliquer les décisions du gouvernement qu’il dirige. A la signature du présent consensus national, il évalue, en concertation avec le HCT, la composition des instances gouvernementales et procède aux changements nécessaires au niveau du gouvernement et des hautes directions de l’administration publique. Considérant les défis auxquels le pays est confronté en termes de sécurité publique, de conditions sociales et humanitaires, de réforme constitutionnelle, de renforcement de l’État de droit, de réforme économique et de création de conditions pour des élections libres et équitables, et surtout la nécessité de s’assurer que les réformes et les progrès se traduisent par un changement stable à long terme pour les citoyens haïtiens.

 Les signataires du présent Accord conviennent que la période de transition englobera les nouvelles élections générales qui se tiendront en 2023, l’entrée en fonction d’un gouvernement nouvellement élu le 7 février 2024 et la première année du mandat de ce premier gouvernement post-réforme.» En clair, Ariel Henry peut espérer demeurer à la Primature au moins jusqu’au 7 février 2025, non 7 février 2024 comme disent les commentateurs, une aubaine donc pour l’équipe au pouvoir. Comme garantie, et pour flatter l’égo des signataires, le texte prévoit que les membres du Haut Conseil de la Transition participeront à des décisions clés du gouvernement de Transition, entre autres, la désignation des membres du Conseil Electoral Provisoire (CEP), de ceux du Comité devant se charger de la révision de la Constitution, à la nomination des juges de la Cour de cassation, au changement dans la diplomatie, à la nomination des hauts fonctionnaires. Cerise sur le gâteau, Mirlande Manigat et ses deux assesseurs, Laurent Saint-Cyr et Calixte Fleuridor, si ce dernier est toujours en poste, pourront même participer à la formation du nouveau cabinet ministériel en donnant leur avis sur tel ou tel citoyen, voire proposer le nom des personnalités qu’ils estiment aptes à intégrer le nouveau gouvernement, c’est le graal en quelque sorte.

Le chef de l’Exécutif Ariel Henry, l’architecte du controversé document « Consensus national pour une transition inclusive et des élections transparentes »

Dans son allocution pour remercier les signataires, Ariel Henry s’est engagé à donner tous les moyens possibles aux deux entités nouvellement créées : HCT et OCAG afin de pouvoir mener à bien leurs tâches vis-à-vis de la nation. Au moment de la signature dudit Accord ce 21 décembre 2022, les anciens et nouveaux alliés du pouvoir étaient aux anges. Maître André Michel, le chef de file du parti Secteur Démocratique et Populaire (SDP) et principal soutien du pouvoir, évidemment, fait partie des principaux signataires du nouvel Accord. Il croit que ce document permettra de mettre fin à la crise et à la Transition. Le parti FUSION de Edmonde Supplice Beauzile de son côté n’est pas en reste. Représenté dans le gouvernement d’Ariel Henry par Rosemond Pradel, le ministère des TPTC (Travaux publics) reprend en cœur la même chanson que ses amis du SDP, Marjorie Michel et André Michel, ou de Ricardo Nordin du RDNP. Tous ne jurent que pour ce « Consensus national pour une Transition inclusive et des élections transparentes ».

Outre ces leaders politiques connus de la place, d’autres personnalités politiques comme Henry Robert Sterlin, Louis Gérard Gilles, Reynold Georges manifestaient leur joie parmi des militants, membres des Organisations Populaires (OP) présents à Karibe à la recherche sans doute de quelques subsides. Ces chefs politiques apportent tous leur soutien à l’Accord qui stipule que les signataires s’accordent et s’engagent à « Élaborer et publier une feuille de route conjointe d’engagements, d’étapes et de jalons vers des changements constitutionnels, des élections libres et équitables et un programme de transformation structurelle à long terme, coopéreront pour guider et soutenir le gouvernement intérimaire dans la mise en œuvre de cette feuille de route, et suivront et vérifieront sa mise en œuvre à travers les organes de Transition, et avec le soutien des amis internationaux impartiaux d’Haïti.»

 Il n’y a aucun doute, Ariel Henry semble remporter la seconde manche dans son bras de fer avec ceux qu’il qualifie d’« égoïstes » notamment, les signataires de l’Accord de Montana et alliés qui considèrent que cet Accord n’en est pas un mais quelque chose concocté pour le maintenir au pouvoir si la Communauté internationale donne son aval. Mais, la joie du  Premier ministre de facto peut être de courte durée. En effet, à l’exception du Parti FUSION d’Edmonde Supplice Beauzile qui est déjà membre du gouvernement, aucune autre grande formation politique n’a paraphé l’Accord du 21 décembre, par exemple : UNIR/INI AYITI, PHTK, Pitit Dessalines, Fanmi Lavalas, LAPEH, Renmen Ayiti, OPL, etc. Tous préfèrent garder pour le moment leur distance avec ces nouveaux organismes – HCT et OCAG – créés de toutes pièces pour servir les intérêts politiques du « Roi Henry » comme le surnomment certains de ses adversaires.

Le document « Consensus national pour une transition inclusive et des élections transparentes » comporte des éléments qui pourraient le mettre en porte-à-faux avec ses anciens et nouveaux alliés. En effet, tant que le processus électoral n’aura pas démarré, Ariel Henry n’a rien à craindre du côté de ses amis, et certainement pas de retournement de casaque non plus. Mais, là où cela risque de se gâter, c’est qu’il est prévu dans le texte final que même les ministres démissionnaires ne pourraient participer aux futures élections même s’ils devaient démissionner longtemps avant les scrutins. Pareil pour les membres de l’OCAG qui, eux, ont un délai de six mois pour quitter leur fonction. Un piège qui pourrait vite se refermer sur certains si, dans la précipitation et l’euphorie, ils se seraient laissés tenter par un poste dans le futur gouvernement et d’autres fonctions dans les organismes fraichement créés.

En tout cas, ils ne pourront pas dire qu’ils n’étaient point informés. Sur ce point, le texte est précis et clair, il indique que : « Le Gouvernement et le HCT élaborent la feuille de route de la Transition; dans un délai ne dépassant pas un mois après leur entrée en fonction, les membres du Gouvernement et tous Grands fonctionnaires et Grands commis feront leur déclaration de patrimoine par-devant les autorités compétentes; le Premier ministre et le HCT n’entretiennent pas de relations de subordination : l’un ne peut démettre l’autre de ses fonctions; le Premier ministre et l’OCAG n’entretiennent pas de relations de subordination : l’un ne peut démettre l’autre de ses fonctions; en cas de démission et d’indisponibilité d’un membre du HCT ou de l’OCAG, l’organe en question établit le contact avec le groupe constitutif concerné qui, à travers les signataires dudit groupe constitutif, proposera une nouvelle personnalité.

 Les membres du HCT, le Premier ministre et les Ministres ne peuvent pas participer aux prochaines élections, lors même qu’ils démissionnent avant la tenue des joutes électorales; les membres de l’OCAG ne peuvent pas participer aux prochaines élections, sauf s’ils démissionnent six (6) mois avant la tenue des élections; le mandat de l’OCAG expire dès qu’un gouvernement nouvellement élu entrera en fonction; le mandat du HCT se poursuit jusqu’à la fin de la première année du mandat du premier gouvernement haïtien post-réforme. Mais, suite aux élections prévues par le présent consensus, les termes de référence du HCT seront ajustés pour se concentrer sur la seule responsabilité de celui-ci dans le soutien du processus de dialogue politique ». Maintenant, il reste la mise en application de cet Accord qui, depuis qu’il a été rendu public et publié dans le Journal officiel ne cesse de faire couler beaucoup de salive dans l’ensemble de la classe politique et de la Société civile et du Secteur privé des affaires.

Certains, pas les plus radicaux, n’ont de sérieux doute sur la réussite de l’Accord du 21 décembre estimant que les signataires n’ont pas vraiment cherché à faire un vrai consensus parmi les acteurs politiques et ceux de la Société civile. D’autres demeurent très pessimistes sur l’organisation des élections au cours de cette année tant le climat sécuritaire n’est point favorable et que les conditions pour résoudre la crise demeurent faibles. Selon eux, même avec une éventuelle intervention militaire étrangère, la condition optimum pour réaliser des scrutins crédibles ne sera pas au rendez-vous. Mais, ça n’est pas vraiment le problème. C’est l’hostilité d’une très grande majorité des acteurs politiques et d’autres entités de la société civile à la présence d’Ariel Henry à la Primature qui est le nœud de cette problématique. Henry, selon certains, n’inspire guère confiance tant qu’il est à la tête du Pouvoir exécutif, même Washington aura du mal à convaincre les autres acteurs de prendre part au processus électoral. Le Premier ministre de facto demeure donc un « irritant » dans la résolution de cette crise post-Jovenel Moïse.

(A suivre)

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