Par Serge Bouchereau
Déjà engagé dans une bataille au Canada pour la régularisation du statut des personnes concernées par la levée, le 1er décembre 2014, d’un moratoire qui a été reconduit en février et en octobre 2016 par le gouvernement libéral, voilà que le Comité d’Action des Personnes Sans Statut (CAPSS) est maintenant interpellé par l’arrivée de migrants qui traversent la frontière canado-américaine, créant ainsi une nouvelle situation qui confronte le comité et l’oblige à continuer la lutte; mais sur deux fronts distincts cette fois-ci, même s’il s’agit en fait de la même lutte.
De quelle nouvelle situation s’agit-il?
De l’arrivée massive de migrants haïtiens et d’autres venus des États-Unis en quête d’un refuge au Canada. Majoritaires jusqu’ici, les ressortissants haïtiens, demandeurs d’asile, affluant à la frontière canado-américaine, viennent surtout de la Floride. Plusieurs d’entre eux ont transité dans des pays tels que l’Équateur, le Brésil, le Chili, le Venezuela ou dans des pays des Antilles, avant de se rendre aux États-Unis pour enfin arriver à la frontière canadienne avec enfants et bagages.
Pourquoi les Haïtiens laissent les États-Unis pour venir au Canada?
Deux raisons peuvent expliquer l’exode des Haïtiens. La cadence de leur arrivée, la concentration en un seul lieu (Municipalité de Saint-Bernard-de-Lacolle) et le nombre croissant à cet endroit sont d’un autre ordre et ont peu d’importance devant ce drame humain, exception faite pour les journalistes qui font le choix d’éviter le cœur des problèmes cuisants pour mettre tout l’accent plutôt sur les à-côtés insignifiants d’un sujet brûlant. D’abord, la situation catastrophique de leur pays d’origine avec un État incapable de satisfaire aux besoins primaires les plus élémentaires de la population, les désastres naturels successifs, la pandémie du choléra introduite par les forces d’occupation militaire de l’ONU, la violence politique, l’insécurité créée par les kidnappings, le banditisme, l’impunité, les exactions des sbires du pouvoir néo-duvaliériste imposé à l’aide d’élections truquées et téléguidées de l’extérieur et enfin, l’appui des pays soi-disant «amis d’Haïti» qui font tout pour maintenir le statu quo. Bref, un État de non-droit règne sur Haïti, imposé par les Néo-duvaliéristes, récemment reconduits au pouvoir sous le label PHTK (Parti Haïtien Tèt Kale).
Rappelons pour compléter ce tableau, qu’une succession de gouvernements incapables, corrompus, imposés à la population haïtienne et soutenus par les pays tuteurs dont le tout dernier mis en place récemment a, à sa tête, un président inculpé de blanchiment d’argent, un Parlement rempli de coupe-gorges, de trafiquants de drogue et de hors-la loi qui n’ont rien trouvé d’utile à produire qu’un projet de remobilisation de l’Armée criminelle qu’a connue le pays, à la fin de l’occupation militaire américaine d’Haïti en 1934. Sa mission, selon les vœux de l’occupant qui l’avait créée, était de soutenir les dictatures successives ayant dirigé le pays et réprimer toute agitation ou révolte populaire. Ce projet déjà adopté par le Sénat nous dit très long sur la frayeur et la panique qui s’emparent de la population en général et des demandeurs d’asile dont plusieurs ont été victimes dans le passé, des agissements de l’Armée-macoute des Duvalier, des Henri Namphy, des Prosper Avril, des Ertha Trouillot et Hérard Abraham, des Raoul Cédras et de son acolyte Michel François pour ne citer que ceux-là. Par ailleurs, ce Parlement vient d’adopter une loi interdisant le mariage entre les personnes du même sexe. Ces dernières, ainsi que les complices d’un tel acte sont passibles d’emprisonnement. Un motif de plus pour ne pas vouloir retourner en Haïti si l’orientation sexuelle de certains migrants n’est pas conforme aux normes du pouvoir en place; d’autant plus que depuis un certain temps, l’homophobie bat son plein dans le pays au point où des homosexuels ont été lynchés par la population.
La logique du raisonnement des Émigrés
«Quand on est bien chez soi, on reste chez soi». «Quand on n’est pas bien chez soi, on part à l’étranger». «Quand on est pas bien à l’étranger, on rentre chez soi». «Quand cela va mal chez soi, et que l’on est à l’étranger, on ne retourne pas chez soi, on cherche un refuge en prenant des risques qui peuvent être mortels». C’est le cas de bon nombre d’Haïtiens, hélas! Bon nombre se font humiliés ou sont morts en poursuivant cette logique jusqu’au bout.
L’arrivée au pouvoir du gouvernement de Donald Trump, au début de cette année, a changé la donne et a compliqué la situation des sans statuts aux États-Unis en provoquant dans un premier temps la crainte chez ces gens qui avaient obtenu un moratoire appelé «Temporary Protected Status (TPS)» qui leur permettait de demeurer provisoirement sur le territoire américain et y travailler sans redouter d’être déportés. Les menaçant de supprimer le «TPS» à la date de son expiration le 22 janvier 2018, Donald Trump a créé une panique sans pareil parmi ces personnes dont l’objectif était de régulariser leur statut aux États-Unis même.
Conscients de l’arrogance et de la hargne qui habitent ce président xénophobe envers les immigrants et les sans statuts et, étant au courant de certaines déclarations favorables et positives faites par des autorités tant à Ottawa qu’à Montréal au sujet des portes qui sont grandes ouvertes au Canada et de Montréal déclaré ville sanctuaire, ces demandeurs et demanderesses d’asile se sont rués sur le Québec – leur dernier espoir – en souhaitant de tout leur cœur bénéficier de la solidarité de la communauté d’accueil et évidemment de celle de la communauté haïtienne plus particulièrement.
Cependant, au Canada, la réception faite à la frontière n’est pas à la hauteur des attentes, car les conditions d’hébergement dans lesquelles ces personnes sont reçues aux aires d’arrivée, laissent à désirer et offusquent plus d’un avec raison. En dépit de ce manquement grave de la part des autorités canadiennes, l’espoir germé avant de franchir la frontière continue de croître et de gonfler le cœur des réfugiés-es qui s’attendent à recevoir la compassion et la solidarité des Canadiens et des Québécois envers eux et également à bénéficier de l’ouverture du gouvernement fédéral.
Face à ces évènements, le Comité d’Action Des Personnes Sans Statut (CAPSS) a réagi immédiatement en modifiant d’abord le mandat qu’il s’était donné à sa création. La coordination a donc ajouté cette catégorie de migrants parmi ses priorités pour ses futures actions tout en maintenant son rôle en tant que groupe de soutien et de pression. À la frontière canadienne, le CAPSS a aussi dénoncé vivement dans les médias, pendant et après une visite conjointe d’une délégation du comité et de Solidarité sans frontières, un de nos partenaires, les conditions dans lesquelles sont accueillies ces réfugiés-es et a profité pour demander aux autorités concernées, d’adopter un programme spécial afin de permettre, sans trop de délai, la régularisation du statut de ces migrants.
Propositions pour un programme spécial
Après mûres réflexions, nous pensons que les autorités fédérales et provinciales du Québec devraient se concerter pour produire un cadre général leur permettant d’accueillir convenablement les réfugiés-es. L’obligation de respecter la convention de Genève signée par le Canada de la réception de ces réfugies-es qui méritent d’être accueillis dignement et traités avec courtoisie et humanité jusqu’à la fin du processus.
- L’accompagnement adéquat pour les aider à bien présenter leur demande, à se loger le plus rapidement afin que les familles ayant des enfants d’âge scolaire puissent commencer à fréquenter l’école le plus tôt possible;
- La facilitation du transfert dans une autre province des migrants qui en font la demande;
- La dispensation d’un cours de francisation pour tous ceux et celles qui ne parlent pas ou parlent à peu près pas le français et l’octroi rapide du Certificat de sélection du Québec (CSQ) à tous ceux et celles qui parlent le français ou qui acceptent de suivre assidument un cours de francisation;
- L’octroi d’une carte d’assurance-maladie temporaire;
- L’octroi d’un permis de travail temporaire sans délai;
- L’établissement de mesures d’assouplissement permettant aux demandeurs d’asile déboutés de présenter une demande pour motifs humanitaires dans les trois mois qui suivent;
- La réduction significative des montants exigés pour le traitement des dossiers et le renouvellement des permis de travail pour les demandeurs dont les motifs sont d’ordre humanitaire;
- Le financement adéquat d’au moins une quinzaine d’organismes communautaires afin d’aider ces réfugiés-es à s’orienter et à s’adapter à la société en privilégiant les secteurs suivants : Accompagnement psychosocial, Hébergement, Recherche de mobilier, Traduction-Interprétation, Éducation, Loisirs-Sports, Recherche d’emploi, etc.;
- La mise sur pied d’un guichet unique avec les ressources nécessaires afin d’informer et d’orienter les demandeurs d’asile vers les services offerts au sein de la société civile et au niveau de l’État.
Réactions de la société d’accueil
Jusqu’ici, nous avons constaté une assez grande solidarité de la part de la communauté haïtienne qui se dévoue corps et âme pour apporter une aide concrète dans plusieurs domaines. Nous avons également remarqué peu d’empathie de la part de la communauté d’accueil envers ces arrivants qui sont venus chercher refuge au Canada. L’élan de sympathie et de solidarité n’est pas au rendez-vous et certaines notes discordantes se font même entendre venant du secteur raciste et xénophobe qui, heureusement, est assez marginal au Québec et au Canada. Toutefois, ce mouvement, aussi marginal soit-il a une grande capacité d’influence sur la population avec l’aide de certains médias spécialisés dans le sensationnalisme. Encouragés par les évènements horribles qui se passent actuellement aux États-Unis et par certaines déclarations de politiciens de l’extrême droite tant aux États-Unis qu’au Canada, le mouvement anti-immigrant, anti-noir, anti-musulman, anti-juif a pris de l’ampleur en cette circonstance, surtout dans les médias sociaux. Les évènements survenus à Québec le 20 Août 2017 avec «La Meute» sont significatifs pour comprendre la tendance générale peu favorable des Québécois devant l’arrivée de ces demandeurs d’asile que des médias ont présenté comme des illégaux, des envahisseurs, des tricheurs, des BS professionnels etc.
La pente sera donc difficile à monter et seules l’unité et la mobilisation des membres de la communauté haïtienne ainsi que la solidarité de la société d’accueil pourront faire la différence. Il s’agit bien entendu de cette frange de la société d’accueil qui n’a point subi l’influence des suprémacistes blancs ou qui n’a pas été contaminée par les discours et la propagande des médias-poubelles. C’est seulement sur cette frange que les demandeurs d’asile peuvent espérer compter, non seulement à Montréal mais également dans les régions, car partout au Québec et au Canada, il y a des citoyennes et des citoyens épris de justice sociale, empathiques, accueillants, humains, solidaires et toujours prêts à tendre la main à l’autre dans sa détresse.
Pour finir, le Comité d’Action des Personnes Sans Statut (CAPSS) reste vigilant et demande au public en général de prêter main forte aux migrants d’Haïti et d’ailleurs, d’accorder son appui au Comité dans le combat qu’il va livrer pour que les gouvernements fédéral et provincial fassent leur devoir convenablement et tiennent compte non seulement de l’absence totale chez ces gens du désir de retourner chez eux, mais aussi du double avantage qu’aurait le Canada à accepter ces réfugié-es dont le nombre risque d’augmenter vertigineusement si le président Trump met à exécution sa menace de supprimer le statut temporaire qu’avait accordé le président Obama à près de soixante mille Haïtiens. Nous ne parlerons pas ici des huit cent mille Dreamers, ces jeunes mineurs sans parents qui ont bénéficié d’un décret d’Obama leur permettant de demeurer temporairement aux États-Unis qui arrive bientôt à échéance.
Rajeunir la population vieillissante au Canada et profiter de l’apport considérable de ces migrants pour rehausser démographiquement, économiquement et culturellement le pays en investissant dans un programme d’accueil, d’adaptation et d’intégration, basé sur un plan de développement stratégique, devrait être le leitmotiv du gouvernement fédéral. Au lieu d’investir dans l’achat d’engins de guerre, les autorités auraient plutôt intérêt à investir dans l’humain en ouvrant les portes du Canada aux centaines de milliers de migrants qui risquent de fouler le sol canadien si aux États-Unis, la vie devient intenable pour les millions de sans papiers et qu’un grand nombre d’entre eux font le choix de venir au Canada.
Le CAPSS compte sur vous tous pour que la situation de ces migrants soit régularisée dans un délai acceptable, non précipité afin de leur donner le temps nécessaire de bien se préparer à cette dure épreuve dans laquelle ils jouent leur avenir et celui de leurs proches. Souhaitons que bientôt le vocable de réfugié-e ou de demandeur d’asile ne leur soit plus attribué et collé à la peau, mais plutôt celui de citoyen ou citoyenne à part entière au Canada.
Serge Bouchereau
Porte-parole
Comité d’Action des Personnes Sans Statut
(CAPSS)
Montréal le 21 Août 2017