Conseil Présidentiel de Transition, histoire d’une création (5)

 (5e partie)

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Les membres du Conseil Présidentiel de Transition (CPT)

Il fallait s’y attendre, la reprise de la publication de cette chronique sur la création du Conseil Présidentiel de Transition (CPT), comme il a été réclamé par les lecteurs, a relancé les débats sur l’utilité de cet organe exécutif provisoire qui, en définitive, s’apparente à un Exécutif honorifique. Depuis la nomination du Premier ministre Garry Conille, c’est lui qui détient, en vérité, les vrais pouvoirs de décision. Un seul exemple pour s’en convaincre : la révocation, sans hésiter ni atermoiement, du Président du Conseil d’administration de la BNC, Raoul Pierre-Louis, alors qu’il aurait pu attendre le résultat de l’enquête. En revanche, jusqu’à ce jour, le CPT est dans l’incapacité de former le Conseil Electorale Provisoire (CEP), faute d’autorité et de pouvoir. Alors, poursuivons la lecture de ce fameux projet de décret soumis à la Communauté caribéenne (CARICOM) par les membres du CPT avant son amendement par le Conseil des ministres.

Selon son article 20, le « Conseil Présidentiel négocie tous traités, conventions et accords internationaux que signe le Président dudit Conseil. Alors que les articles 21, 22, 23 et 24 du décret se lit ainsi « Le Conseil Présidentiel accrédite les ambassadeurs et les envoyés extraordinaires auprès des puissances étrangères, reçoit les lettres de créance des ambassadeurs des puissances étrangères et accorde l’exequatur aux Consuls. Il négocie et signe les traités de paix avec la validation du Conseil des ministres. Il nomme, par arrêté pris en Conseil des ministres, le Commandant en chef des Forces Armées, le Commandant en chef de la Police, les ambassadeurs et les consuls généraux. Le Conseil Présidentiel nomme, par arrêté pris en Conseil des ministres, les Directeurs généraux de l’administration publique, les Délégués et vice-Délégués des départements et des arrondissements, les Conseils des agents intérimaires des communes et des sections communales. Il nomme également les Conseils d’administration des organismes autonomes.

Il procède aussi aux nominations du Conseil Electoral Provisoire de neuf membres, selon les critères prévus dans la Constitution de 1987 en son article 289 ; le Comité de pilotage de la Conférence nationale sur proposition du chef du gouvernement ; la Commission pour la réforme constitutionnelle et la Commission vérité et justice sur proposition du Premier ministre et en consultation avec les organisations de droits humains nationales et internationales.  Le Conseil Présidentiel fait sceller les décrets du Sceau de la République et les promulgue dans les délais prescrits par la Constitution. Il veille à l’exécution des décisions judiciaires, conformément à la loi. Enfin, toutes les attributions présidentielles non spécifiées dans le présent décret s’exercent à la majorité simple par les membres du Conseil Présidentiel. » Selon l’accord politique signé entre les parties prenantes, « le mandat du Conseil Présidentiel prend fin le 7 février 2026. Il ne peut bénéficier de la prolongation de son mandat qui démarre à la date de sa prestation de serment. »

Mais, après toutes ces belles littératures et ces échanges entre les membres du CPT impatients de prendre leur fonction et le Conseil des ministres qui joue la prolongation, le pays avait appris que Michel Patrick Boisvert et ses amis posaient la question de constitutionnalité de certains points et passages du projet de décret estimant que ses membres ont pris trop de liberté avec les énoncées de la Constitution. Le Conseil des ministres annonça donc qu’il fait face à des « questions constitutionnelles et légales avérées ». Pour avoir le cœur net, selon la lecture qu’ils ont faite du texte, ils étaient obligés de consulter des juristes et constitutionnalistes pour les éclairer. « Le Conseil des ministres a buté sur des questions constitutionnelles et légales avérées. La Constitution et les lois haïtiennes ne prévoient nulle part cette institution dont la création doit forcément procéder à la nomination des membres devant la composer. Le Conseil des ministres va demander incessamment à la CARICOM de lui transmettre l’accord politique signé entre les différents secteurs qui constituent le Conseil présidentiel intérimaire. 

À défaut de pouvoir se référer à la Constitution et aux lois de la République, ledit accord servira de référence pour la rédaction du décret », avait annoncé le Conseil des ministres. Le dimanche 31 mars 2024 dans un communiqué qui avait mis en rage les membres du CPT pour qui ce communiqué sonnait comme une provocation. Un comble, en effet, pour un pouvoir qui évolue depuis près de trois ans totalement en dehors d’une Constitution quasiment en veilleuse depuis l’assassinat du Président Jovenel Moïse et l’installation, par un Tweet, du Dr Ariel Henry au sommet de l’État. Or, dans le document ou projet de décret qui a été envoyé à la CARICOM qui l’a ensuite transmis à Ariel Henry et celui-ci au Conseil des ministres, certains ne trouvent rien d’extraordinaire encore moins d’anticonstitutionnel compte tenu du contexte. Les membres du CPT, en dépit de considérer leur Président comme le chef du Pouvoir exécutif avec toutes les attributions constitutionnelles, n’étaient pas sortis du cadre constitutionnel disaient d’autres.

Ronald Saint-Jean, directeur des Presses Nationales

En effet, ils ont accepté que le statut de « première Dame ou de premier Homme » n’était pas reconnu par la République au cours du mandat de la transition. Bien d’autres considérations et privilèges ont été supprimés ou fixés afin de prévenir tout manquement ou débordement. Certes, il faudra surveiller et installer davantage de garde-fous pour empêcher les impondérables de passer à travers les mailles du filet pour profiter des privilèges du pouvoir. Cela devrait être le rôle de ceux qui feront partie des différents organismes qui seront mis en place pour contrôler le gouvernement, les Conseillers-Présidents, durant cette transition deuxième partie. En attendant, lisez cet extrait de quelques articles pris au hasard après modification dudit décret nommant la partie où le Conseil des ministres définit l’organisation et le fonctionnement du CPT, après avoir été profondément amendé par le gouvernement intérimaire avant sa publication au journal officiel de la République Le Moniteur.

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Selon l’article 5 du décret, « Le Conseil Présidentiel est organisé autour de la Présidence du Conseil et de six cabinets sectoriels dirigés par des Conseillers. Chaque cabinet est chargé d’un domaine spécifique, notamment la sécurité, les élections, la réforme constitutionnelle, la Conférence nationale souveraine, le redressement économique et le relèvement social et humanitaire. Les missions et le mode de fonctionnement de ces cabinets seront précisés ultérieurement par arrêté du Conseil Présidentiel. Par ailleurs, l’article 6 confère au Conseil Présidentiel la responsabilité de veiller au respect de la Constitution et des lois pendant la période de transition, ainsi que d’assurer la stabilité des institutions et leur bon fonctionnement. Le Conseil Présidentiel a son siège au Palais National, il fonctionnera selon des règles strictes définies par l’article 18 de la Transition.

Les pouvoirs du Conseil Présidentiel sont limités par ceux attribués par la Constitution haïtienne et le décret actuel. Par ailleurs, en l’absence de Parlement, le Pouvoir exécutif est soumis au contrôle de l’Organe de Contrôle de l’Action Gouvernementale, dont la composition et les fonctions seront définies par le Conseil Présidentiel dans un arrêté. Tous les six mois, le Conseil Présidentiel fait un exposé général de la situation devant la Nation et l’Organe de Contrôle de l’Action Gouvernementale. (…) Suivant l’article 20 du décret, les membres du Conseil Présidentiel percevront une indemnité mensuelle dès leur prise de fonction. L’Exécutif de la Transition s’engage à éliminer les privilèges injustifiés et à rationaliser l’utilisation des véhicules de service. Pendant la période de Transition, ni le conjoint ni aucun membre de la famille d’un membre du Conseil ne bénéficiera d’un statut particulier, ne gérera de projet public ou n’aura accès à des fonds publics. De plus, le statut de « première Dame » ou de « premier Homme » n’est pas reconnu par la transition (…) » avait rajouté le Conseil des ministres. Or, le gouvernement, sans prendre le soin de porter à la connaissance du CPT les articles qui ont été modifiés, voire supprimés du document, a pris la décision de publier le texte vu que tout le monde réclamait la publication de ce décret qui devait formaliser la création du CPT et donc faciliter son installation.

Mais voilà, un énorme cafouillage s’est produit en l’espace de vingt-quatre heures entre le gouvernement démissionnaire et les Presses Nationales, éditeur officiel de l’Etat. Dans la précipitation et sous l’effet de la pression pesant sur le Conseil des ministres, ou peut-être un coup de Trafalgar au sien même du gouvernement au moment où chacun cherche à sauver son « plat de lentilles » dans ce sauve-qui-peut, quelqu’un a envoyé le texte non fini aux Presses Nationales pour être imprimé au journal officiel Le Moniteur sans l’aval du Conseil des ministres. Le directeur des Presses Nationales, Ronald Saint-Jean, lui en tant que fonctionnaire dévoué, sans faire attention, avait expédié immédiatement le document à la rotative pour être imprimé. Ce qui a été fait sur le champ.

Pour comble de malheur, quelqu’un, un fidèle lecteur de Le Moniteur, s’était précipité au siège du journal à Pétion-Ville le jour même pour se procurer le fameux numéro spécial 14 tout en prenant la précaution utile d’en acheter plusieurs numéros et le soin de se procurer quelques anciens numéros. Une action laissant supposer que cette personne, très motivée et intéressée, était en mission commandée pour le compte de quelqu’un au sein du CPT puisqu’il a découvert avant tout le monde la supercherie, c’est-à-dire le « massacre » qu’a subi le texte original de la part du gouvernement. Ainsi, quelques minutes auront suffi pour que la nouvelle fasse le tour de Port-au-Prince et même du pays par le biais de photos envoyées à tous les concernés et publiées sur les réseaux sociaux. Dans l’immédiat, la presse s’est emparée du dossier en même temps que les membres du CPT qui découvrent, avec effroi, les mises à jour effectuées dans leur texte passant de 45 articles à seulement 13.

Un coup de poignard. Fous de rage, ils contemplent l’étendu des dégâts dont nous publions dans cette chronique l’intégralité des 13 articles qui ont été publiés dans le Journal officiel Le Moniteur numéro spécial 14, le vendredi 12 avril 2024.

Article 1er. – Il est créé un Conseil Présidentiel de Transition composé de sept (7) membres avec droit de vote et deux (2) observateurs sans droit de vote. Les sept (7) membres avec droit de vote comprennent un représentant de chacun des groupes suivants : 1) Accord du 30 août 2021 dit de Montana ; 2) Accord du 21 décembre 2022 ; 3) Collectif des Partis politiques du 30 janvier 2023 ; 4) EDE/RED/Compromis Historique ; 5) Parti Fanmi Lavalas ; 6) Parti Pitit Desalin ; 7) Secteur Privé. Les deux (2) observateurs sans droit de vote sont : 1) un représentant de la Société civile ; et 2) un représentant de la Communauté Inter Foi.

Article 2.- Outre les conditions prescrites par l’article 135 de la Constitution, nul ne peut faire partie du Conseil Présidentiel de Transition : 1) s’il fait actuellement l’objet d’une accusation ou d’une poursuite pénale, ou s’il a été condamné dans une juridiction quelconque ; 2) s’il fait l’objet d’une sanction de l’Organisation des Nations-Unies ; 3) s’il est candidat aux prochaines élections en Haïti ; 4) s’il s’oppose à la Résolution 2699/2023 du Conseil de Sécurité des Nations-Unies autorisant le déploiement de la Mission Multinationale d’Appui à la Sécurité.

Article 3.- Le Conseil Présidentiel de Transition est présidé par un de ses membres choisi par consensus ou à la majorité de ces derniers. Un acte règlementaire pris en Conseil des Ministres détermine l’organisation et le mode de fonctionnement du Conseil Présidentiel de Transition.

Article 4.-Le Conseil Présidentiel de Transition exerce des pouvoirs présidentiels spécifiques de la présidence pendant la période de transition jusqu’à l’investiture du Président élu qui doit intervenir, au plus tard, le 7 février 2026. Article 5.- Le Conseil Présidentiel de Transition : 1) participe, en accord avec le Premier Ministre, à la formation d’un Cabinet Ministériel inclusif ; 2) approuve l’ordre du jour du Conseil des Ministres, en accord avec le Premier Ministre, et cosigne les Arrêtés et les Décrets ; 3) fixe les critères de sélection des membres d’un Conseil Électoral Provisoire (CEP) impartial et les nomme ; 4) prend toutes dispositions favorisant une transition pacifique ; 5) assure la continuité de la gouvernance et établit un Conseil de Sécurité Nationale ;

6) poursuit la collaboration avec tous les membres de la Communauté internationale pour le déploiement accéléré de la Mission Multinationale de Soutien à la Sécurité autorisée par la Résolution 2699/2023 du Conseil de Sécurité des Nations-Unies. Article 6.- Le Conseil Présidentiel de Transition choisit et nomme rapidement un Premier Ministre. Article 7.- Le Premier Ministre, en accord avec le Conseil Présidentiel de Transition, choisit les membres de son Cabinet Ministériel de manière inclusive. Article 8.- Les membres du Conseil Présidentiel de Transition sont assujettis aux formalités de déclaration de patrimoine prévues par la Constitution et la Loi en la matière. Article 9.- Le Conseil Présidentiel de Transition a son siège au Palais National.

Article 10.- Le mandat du Conseil Présidentiel de Transition prend fin, au plus tard, le 7 février 2026. Le Conseil Présidentiel de Transition ne peut bénéficier de prolongation de mandat. Article 11.- Les membres du Conseil Présidentiel de Transition ainsi que ceux du gouvernement ne pourront pas se présenter aux prochaines élections. Article 12.- Le Premier Ministre prend les dispositions nécessaires en vue de l’installation du Conseil Présidentiel de Transition. Article 13.- Le présent Décret abroge toutes Lois ou dispositions de Lois, tous Décrets-Lois ou dispositions de Décrets-Lois, tous Décrets ou dispositions de Décrets, qui lui sont contraires, et sera publié et exécuté, à la diligence du Premier ministre.

Pourtant, en dépit de la publication de ce décret par les Presses Nationales, l’affaire n’est toujours pas claire. En pour cause. Une nouvelle polémique s’en suivait sur le décret. Polémique provoquée, bizarrement, par le gouvernement démissionnaire lui-même, puisqu’il a déclaré que le texte publié n’était pas le bon et que le Conseil des ministres ne l’avait pas encore validé. Dans une note publiée par le ministère de la Culture et de la Communication le lundi 15 avril 2024, il est noté que « Le ministère de la Culture et de la Communication informe la presse en particulier, le grand public en général, que le journal officiel Le Moniteur n’a publié aucun Arrêté nommant les membres du Conseil présidentiel de transition (CPT). Le gouvernement travaille à effectuer ces nominations dans les meilleurs délais et dans les meilleures conditions possibles ».

Entre-temps, le quotidien Le Nouvelliste daté du 15 avril 2024, a rapporté les déclarations d’un membre du gouvernement démissionnaire confirmant que le document avait bel et bien été expédié aux Presses Nationales sauf que, d’après lui, il n’y avait pas d’autorisation pour la publication. « La nouvelle nous a surpris au gouvernement. Je sais que le document est aux Presses Nationales, mais sa publication n’a pas été autorisée par le gouvernement » avançait la source du journal. Une déclaration confirmée, en effet, sur radio Magik9 le mercredi 17 avril 2024 par le directeur des Presses Nationales, Ronald Saint Jean, à la fois directeur de la Publication. « Le Secrétaire a acheminé les deux textes concernant le Conseil Présidentiel de Transition : le décret portant sa création et simultanément l’arrêté nommant les neuf membres du Conseil. J’ai mis sous presse les deux textes. Le premier texte, le décret portant création du Conseil de transition, devrait être publié. En tant qu’imprimeur, je n’avais pas reçu le feu vert du gouvernement de publier l’autre texte, l’arrêté.

J’en assume pleinement la responsabilité. La page de couverture de l’arrêté a été publiée alors que le gouvernement voulait le publier après avoir authentifié les noms des personnes qui doivent faire partie du Conseil Présidentiel. Je suis au courant que le numéro a été publié dans l’après-midi parce que c’est moi qui, en tant que directeur de publication, devrais donner l’autorisation après avoir reçu l’instruction de qui de droit. Il y a eu une fuite et j’assume la responsabilité », avait déclaré Ronald Saint-Jean, assumant pleinement sa faute en tant que professionnel tout en dédouanant les employés qui ont commis cette erreur. Mais, le directeur des Imprimeries Nationales, en faisant cette déclaration, donnait aussi la possibilité au gouvernement démissionnaire de revenir sur le texte de la discorde et de porter les corrections qu’il voulait. Sauf que, le faux-vrai décret avait tout un week-end pour faire le tour du pays, voire du monde, depuis sa publication le vendredi 12 avril.

(A suivre)

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