Conseil Présidentiel de Transition, histoire d’une création (4)

(4e partie)

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Les 9 Conseillers du Conseil Présidentiel de transition

Depuis le début du scandale de la corruption révélé par le courrier du Président du Conseil d’Administration de la BNC (Banque Nationale de Crédit), Pascal Raoul Pierre-Louis, révoqué depuis par le Premier ministre Garry Conille, accusant trois membres du CPT : Louis Gérald Gilles, Emmanuel Vertilaire et Smith Augustin de tentative de corruption pour avoir « exigé un paiement de 100 millions de gourdes chacun » s’il souhaitait rester à la tête de ladite banque, on est envahi par des emails et autres messages Whatsapp de lecteurs réclamant la poursuite de cette chronique consacrée, justement, à la création du Conseil Présidentiel de Transition.

L’impossibilité pour les 9 membres du CPT de prendre une Résolution en vue de mettre à l’écart et de sanctionner ces trois présumés corrompus démontre, en effet, l’utilité de cette chronique décortiquant la manière dont cet organe du pouvoir Exécutif provisoire a vu le jour et que, jusqu’au moment où nous écrivons ces lignes, rares sont ceux en Haïti et dans la diaspora ayant un avis favorable à cette présidence collégiale tant elle n’apporte rien à la population sinon qu’à s’occuper des intérêts de ses membres.

La visite à Port-au-Prince la semaine dernière (5 septembre) du Secrétaire d’État américain, Antony Blinken, pour tirer les oreilles des acteurs politiques de la Transition, notamment l’équipe du CPT, nous donne l’occasion de reprendre la publication, jusqu’à son terme, de l’histoire de la création de ce « Machin », comme l’aurait dit le général de Gaulle.

Dès l’annonce par la CARICOM que tous les secteurs sollicités pour présenter un membre dans le groupe devant former le Conseil Présidentiel de Transition (CPT) eurent acheminé leur représentant, le pays a été submergé par un grand concert de félicitations venues du monde entier, notamment, des Etats-Unis qui saluaient « La création d’un Conseil Présidentiel de Transition (TPC) en Haïti. Fruit de plusieurs mois de discussions entre diverses parties prenantes haïtiennes, ce Conseil contribue à ouvrir la voie à des élections libres et équitables et au déploiement accéléré d’une Mission Multinationale de Soutien à la Sécurité. Nous félicitons les Haïtiens pour leur engagement à avancer dans un esprit de réconciliation et de dialogue national. Nous restons déterminés à travailler avec la CARICOM et les partenaires internationaux pour soutenir la mission du TPC consistant à œuvrer pour et à améliorer la vie de tous les haïtiens. »

Après cette vague de salutations et d’encouragements en provenance surtout de l’extérieur, car la plupart des acteurs locaux demeuraient plus sceptiques quand ils n’étaient pas carrément opposés à ce mode de gouvernance, – favorisant l’option d’un juge de la Cour de cassation -, le CPT était rentré dans un silence qui laissait le champ libre à toute sorte d’interprétations. En réalité, les membres du CPT essayaient de trouver les moyens d’articuler le pouvoir entre les 9 Conseillers, car il n’est jamais facile de distribuer un pouvoir collégial quand chacun se voit Président ou Coordonnateur. Finalement, plus de quinze jours après leur désignation et après des jours de discussions, de débats et de compromis, le mercredi 27 mars 2024, les membres du CPT étaient enfin sortis de leur retraite.

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Ils avaient publié leur premier communiqué à l’intention de la population et de l’opinion publique en général pour faire le point et annoncer que leur silence n’était pas synonyme de capitulation, au contraire, ils planchaient sur le sort du pays et de la population. « En ce moment de crise grave pour notre Nation, les représentant.e.s des principaux Secteurs politiques, Société civile, religieux et économique d’Haïti annoncent leur décision collective de conduire, par la formation d’un Conseil Présidentiel, la transition vers le rétablissement de l’ordre constitutionnel. Le Conseil est déterminé à soulager la souffrance du peuple haïtien, pris au piège depuis trop longtemps entre la mauvaise gouvernance, la violence multiforme et le mépris de ses perspectives et de ses besoins. Le Conseil Présidentiel informe la population, la diaspora haïtienne et la Communauté internationale de la préparation de sa prise de fonction officielle. Nous avons élaboré les critères et les mécanismes pour le choix du Président ou de la Présidente du Conseil Présidentiel, la nomination d’un nouveau Premier ministre ou d’une nouvelle Première ministre et du cabinet ministériel. Ensemble, nous exécuterons un plan d’action clair visant la restauration de l’ordre public et démocratique à travers le rétablissement de la sécurité des vies et des biens de la population, le soulagement de la misère et la réalisation des élections libres ainsi que des réformes nécessaires pour le progrès de la nation », annonçait le Conseil Présidentiel de Transition qui était, en fait, toujours en gestation puisque rien n’était encore officiel dans la mesure où il n’était pas encore officiellement reconnu par le pays ni installé dans l’un des Palais de la République.

A droite : Le président de la Guyane, qui est l’actuel président de la CARICOM, le Dr Irfaan Ali (à droite), s’entretient avec le Premier ministre haïtien, Ariel Henry

Après ce premier contact avec la Nation, les membres du CPT s’étaient mis au travail pour de bon en compagnie de juristes en vue de préparer, d’abord, un accord politique définissant point par point les priorités dont le Conseil aura à s’occuper durant son mandat qu’ils ont eux-mêmes fixé à deux ans. Ensuite, un projet de décret portant sur l’organisation et le fonctionnement dudit Conseil qui devrait être envoyé au Conseil des ministres via la CARICOM afin d’officialiser l’existence de cette instance remplissant le rôle du pouvoir Exécutif provisoire. Le consensus ayant été trouvé, les deux documents ont été signés par l’ensemble des Conseillers, c’est-à-dire, les 9 récipiendaires. Une fois l’accord et le projet de décret transmis officiellement au Conseil des ministres démissionnaires, le CPT décida d’informer la population de l’avancement du processus.

Dans un long Communiqué daté du vendredi 5 avril 2024, le public apprenait que « Ledit accord, auquel a été harmonisé le document de décret portant organisation et fonctionnement du Conseil présidentiel, sera incessamment signé par les parties prenantes puis les deux documents seront transmis officiellement au gouvernement, via la CARICOM, l’instance de facilitation du processus de dialogue. Cet accord présente également le mode de gouvernance politique de la transition ainsi que sa mission, sa vision et les principales responsabilités de ses structures institutionnelles. Selon le cadrage des interventions prévues, les actions prioritaires seront : le rétablissement de la sécurité publique ; l’organisation de la Conférence Nationale et de la Réforme constitutionnelle ; la réalisation des élections générales démocratiques, crédibles et participatives ; la restauration de la justice et de l’État de droit ; le redressement institutionnel et économique. 

L’accord politique exprime une vision commune de la transition construite par les secteurs et représente un engagement responsable envers le peuple haïtien. Il indique les grandes lignes de la feuille de route de la période de transition que le Conseil Présidentiel aura la charge d’exécuter, conjointement avec le prochain gouvernement de consensus, dans le but de remettre le pays sur le chemin de la stabilité, de la paix, de l’union et du progrès. La transition se fonde sur des valeurs et des principes tels que l’inclusion, la participation citoyenne, l’intégrité, la paix, le respect et la protection de la souveraineté nationale », indiquaient les 9 Conseillers, soit la totalité des membres : Lesly Voltaire, Edgard Leblanc Fils, Laurent Saint-Cyr, Régime Abraham, Fritz Alphonse Jean, Smith Augustin, Emmanuel Vertilaire, Louis Gérald Gilles et Frinel Joseph.

En ce qui concerne le projet de décret, les membres du CPT avaient donné un aperçu de la manière dont ils conçoivent le Pouvoir exécutif. Ils voulaient assurer et assumer pleinement le rôle du Pouvoir exécutif tel qu’il est prévu par la Constitution. Dans le projet de décret, ils avaient confié presque la totalité de pouvoir régalien à celui qui deviendrait Président du Conseil Présidentiel de Transition. S’il n’est pas le chef suprême, c’est tout comme. Dans ce document de six pages, les Conseillers avaient donné aussi les modalités et les conditions à remplir pour devenir Premier ministre, chargé de mener la politique de la transition.

Afin de ne laisser personne sur le carreau, c’est-à-dire aucun de ceux qui avaient postulé mais qui avaient été recalés après l’élection ou la désignation du Premier ministre, il était prévu qu’ils deviennent automatiquement un ministre clé du gouvernement de transition. D’où la contestation et l’accusation de viol de l’article 6 de l’accord politique du 3 avril 2024 sur le choix du Premier ministre qu’avaient fait les autres Conseillers du groupe dit majoritaire et du Collectif 30 janvier qui ont fait élire Edgard Leblanc Fils Président du Conseil et désigné aussitôt un Premier ministre en la personne de Fritz Bélizaire au mépris et en violation caractérisée dudit accord, du consensus et du compromis existant entre tous les secteurs qui ont formé le CPT. Un extrait de ce décret a bien expliqué le mécanisme par lequel on devait passer pour choisir le Premier ministre.

« Le/la Premier(ère) ministre est nommé(e) par le Conseil Présidentiel de Transition en consultation avec les signataires du présent Accord et d’autres structures politiques et de la Société civile intéressées à adhérer audit Accord sur la base d’une liste d’un (1) nom soumis par chacun des secteurs, ne dépassant pas un total de 15 candidatures, conformément aux mécanismes et critères établis dans le document portant « Organisation et Fonctionnement » du Conseil Présidentiel de la Transition » faisant partie intégrante de l’Accord. (Article 6) stipule le décret. Voilà pour les faits. La première étape du processus de désignation des 9 membres du Conseil Présidentiel de Transition (CPT) étant terminée, il restait à officialiser, dans le cadre des institutions haïtiennes, cette structure politique exécutive.

Et c’est là que le Conseil des ministres, présidé par Michel Patrick Boisvert qui assurait l’intérim en liaison avec Ariel Henry, Premier ministre démissionnaire mais exilé involontairement à Los Angeles, allait entrer en scène. Pour certains, cette étape aurait dû être une simple formalité puisque, selon toute logique, le gouvernement démissionnaire n’était là que pour exécuter les affaires courantes sous les ordres de la CARICOM et de Washington. Mais, comme on l’a toujours dit, en Haïti s’agissant des affaires politiques, les choses ne sont jamais faciles. Si depuis les bords du Pacific donc à l’autre bout du continent américain, Ariel Henry était inoffensif et approuvait tout ce que lui demandaient les autorités américaines via la CARICOM, à Port-au-Prince, le Conseil des ministres, sous l’autorité de Michel Patrick Boisvert, semblait vouloir faire de la résistance. Après avoir reçu les deux documents – accord politique et projet de décret – de la part du Conseil Présidentiel de Transition, le gouvernement intérimaire s’était lancé dans une opération de décorticage complet du projet- décret préparé par le CPT.

Certes, Boisvert et ses ministres avaient pris soin de ne pas toucher à l’accord politique, mais en ce qui a trait au décret, ils l’avaient totalement vidé de sa substance. A commencer par l’envoi de la liste des 9 noms des personnalités formant le Conseil Présidentiel de Transition au Premier ministre démissionnaire Ariel Henry, le vendredi 29 mars 2024 par l’intermédiaire du Président en exercice de la Communauté des Etats de la Caraïbe, Mohamed Irfaan Ali, selon ce qui avait été défini lors de sa démission à la tête du gouvernement et de la transition. Le jour même, celui-ci avait transmis, officiellement, les noms au Conseil des ministres en Haïti d’après un communiqué émanant du gouvernement de Port-au-Prince.

« Le chef du gouvernement, le Docteur Ariel Henry, a reçu le vendredi 29 mars écoulé, du Président de la Guyana et Président en exercice de la CARICOM, M. Mohamed Irfaan Ali, les noms des 9 personnalités devant composer le Conseil Présidentiel Intérimaire. Le même jour, un Conseil des ministres a été convoqué pour voir quelle était la façon la plus rapide de procéder à leur nomination. Le Premier ministre Ariel Henry a reçu, toujours du Président de la CARICOM, un draft de décret portant création, organisation et fonctionnement du Conseil Présidentiel qui a immédiatement été transmis au Conseil des ministres afin que chacun produise ses remarques lors d’un Conseil des ministres agencé pour le lundi 1er avril.  

Le Conseil des ministres s’est à nouveau penché en début d’après-midi, ce 1er avril, sur le meilleur moyen de créer le Conseil Présidentiel Intérimaire et d’effectuer la nomination de ses membres. Le draft de décret a été transmis sur demande du Conseil des ministres à des juristes afin que ces derniers le finalisent et le rendent conforme aux lois de la République » avait indiqué ce communiqué. En effet, c’est là où le bât blesse. Le projet de décret que les membres du CPT avaient envoyé à la CARICOM est tout sauf une simple demande d’installation et d’agencement d’un pouvoir provisoire. En lisant le document, Ariel Henry et ses ministres étaient tombés des nues. Ils ont compris qu’ils n’avaient pas affaire à de simples plaisantins cherchant à se faire une place au soleil de la République. Pour bien comprendre les modifications qu’ils allaient apporter dans le document original et la colère des Conseillers après que le Conseil des ministres ait procédé à la correction politique et institutionnelle du texte, nous vous proposons de lire les principaux articles.

Voici un extrait du projet de décret que le Conseil Présidentiel de Transition avait soumis à la CARICOM avant une profonde modification du texte par le Conseil des ministres qui l’avait soumis à son tour à un groupe de juristes et constitutionnalistes haïtiens pour être conforme à l’esprit de la Constitution, selon eux, mais surtout aux vœux de la Communauté internationale qui avait préalablement exigé l’adhésion au déploiement de la Mission Multinationale d’Appui à la Sécurité en Haïti (MMAS) de toute personnalité souhaitant devenir membre du CPT. D’autre part, il faut reconnaître aussi que les membres du Conseil Présidentiel de Transition n’allaient pas de mains mortes et ne se gênaient point pour s’octroyer le maximum de pouvoir, sinon s’emparer de l’essentiel des prérogatives du Président de la République, selon la Constitution de 1987. Pour faire diversion, ils avaient tout de même fait quelques ménages dans la Constitution, histoire de ne pas être accusés de prédateurs de la Charte fondamentale. Pour donner un semblant de base constitutionnelle à l’accord politique du 3 avril signé entre les parties prenantes dont eux, les membres du Conseil Présidentiel abrogeaient la version créole de la Constitution qui n’avait jamais été amendée.

« Considérant que la Constitution de 1987 amendée par la loi constitutionnelle du 9 mai 2011 interdit tout recours à la Cour de cassation pour combler les cas de vacance présidentielle dûment constatée ; Considérant que la loi constitutionnelle du 9 mai 2011 qui a déjà produit des effets juridiques sur l’ensemble de la vie nationale a abrogé la version créole de la Constitution de 1987 » faisaient-ils remarquer. Ensuite, les Conseillers présidentiels avaient supprimé provisoirement le point 6 de l’article 135 de la Constitution qui se lit comme suit « pour être Président de la République, il faut avoir reçu décharge de sa gestion si on a été comptable des deniers publics. » Avant l’abrogation du gouvernement, il fallait le lire ainsi : Le postulant s’engage à ne pas être candidat aux prochaines élections. »

Selon l’article 10 du projet de décret, « Le Conseil Présidentiel est le chef nominal des Forces Armées. Cependant, le Président du Conseil remplit une fonction de représentation auprès desdites forces. Il ne les commande jamais en personne. Les décisions relatives aux Forces Armées seront prises de manière collégiale comme indiqué à l’article 5 du présent décret. » Vu qu’ils ne savaient devant quelle instance ils allaient prêter serment, compte tenu que les Chambres de l’Assemblée Nationale sont dysfonctionnelles depuis trois ans, le CPT avait indiqué, selon l’article 12 du décret, qu’« Avant d’entrer en fonction, chacun des membres du Conseil Présidentiel prête le serment suivant « Je jure devant la Nation, d’observer fidèlement la Constitution et les lois de la République, de respecter et de faire respecter les droits du peuple haïtien, de travailler à la grandeur de la Patrie, de maintenir l’indépendance nationale et l’intégrité du territoire. » Concernant l’article 13 du décret, ils écrivaient que le « Conseil Présidentiel est organisé de la manière suivante : la présidence du Conseil Présidentiel ayant une fonction de représentation et de coordination du Conseil ; Le cabinet du Conseil Présidentiel qui assiste les membres du Conseil dans la coordination, l’orientation et la supervision des grands chantiers de la transition que sont :

a) la Sécurité publique et nationale ; b) le redressement économique, la réhabilitation des infrastructures, la sécurité alimentaire et sanitaire ; c) la Conférence nationale et la question constitutionnelle ; d) l’État de droit, la justice et les droits humains ; e) les élections pour le renouvellement du personnel politique. » Tandis que l’article 16 indiquait que « Le Conseil Présidentiel choisit le chef de gouvernement et ensemble ils constituent le cabinet ministériel ». Selon l’article 17 du décret « Le Conseil Présidentiel s’assure que le Premier ministre et les ministres répondent aux critères d’éligibilité définis par la Constitution. Toutefois, compte tenu de la situation exceptionnelle de la Transition, et dans l’esprit de l’Accord politique trouvé entre les parties prenantes, des considérations spéciales sont faites quant aux alinéas 1 ; 4 et 6 de l’article 157 de la Constitution. »

En clair, selon le CPT, pour être nommé Premier ministre, plus besoin d’être haïtien d’origine et n’avoir pas renoncé à sa nationalité ; ni être propriétaire en Haïti ; ni avoir reçu décharge de sa gestion si on a été comptable des deniers publics. Signalons tout de même que ce changement court jusqu’à la fin de la transition. Quant à l’article 18, on peut lire « En cas de présomptions graves, de corruption dûment constatée ou de déficit de gouvernance documenté et présenté par l’Organe de Contrôle des Actions Gouvernementales (OCAG), le Conseil Présidentiel met fin aux fonctions du Premier ministre par la présentation par celui-ci de la démission de son gouvernement ».

(A suivre)

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