Conseil Présidentiel, de la création au scandale de corruption (2)

2ème partie

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Les trois conseillers présidentiels impliqués dans le dossier de la BNC Louis Gerald Gilles, Emmanuel Vertilaire et Smith Augustin

Concernant les soutiens apportés au Dr Louis Gérald Gilles dans cette affaire, dès le début, c’était plus timoré et nuancé de la part de son secteur. Parmi toutes les voix qui se sont exprimées à l’éclatement du scandale, l’on retient celle de Me André Michel qu’on croyait avoir disparu depuis la chute brutale de son chef, Ariel Henry.

Sur son compte X, l’ancien avocat du peuple qui se fait très, très discret depuis le changement de la donne politique à Port-au-Prince, disait attendre une clarification dans le plus bref délai. « Au-delà des petits calculs personnels et partisans, il y allait de la crédibilité de ce processus de Transition dont le succès est indispensable pour la stabilité et le développement du pays. J’ai pris cette position personnelle de principe en attendant que les faits et les circonstances de l’affaire permettent au pays de franchir cette impasse » écrivait André Michel, le patron du parti Secteur Démocratique et Populaire (SDP), celui qui a soutenu jusqu’au bout Ariel Henry dans sa chute et ce, malgré l’inaction et l’incapacité avérée du Premier ministre à sortir le pays de l’impasse sociopolitique durant ses trois longues années de règne.

Mais, il n’y a pas que ces parties prenantes qui ont réagi vu la gravité du scandale et les personnalités accusées de corruption. Le groupe de Montana qui n’a toujours pas digéré la manière dont il a été quasiment exclu d’une sécession qu’il a âprement préparée, bien qu’il avait fini par placer son « Président » Fritz Alphonse Jean parmi les 9 Conseillers formant l’Exécutif et comme on l’a vu qui s’était désisté face à l’appétit de Smith Augustin pour le poste de Coordonnateur du CPT, va trouver dans cette affaire de corruption une opportunité inespérée pour rebondir et revenir dans les débats, tout au moins au devant de la scène politique.

C’est le BSA (Bureau de Suivi de l’Accord) associé avec d’autres membres des Parties prenantes, notamment le Collectif du 30 janvier avec qui les signataires de l’Accord du 31 août 2021 avaient nommé Fritz Alphonse Jean, qui s’était chargé de demander la mise à pied des trois accusés. Mais, bien avant déjà, c’est-à-dire dès le début de l’accusation contre Emmanuel Vertilaire, Smith Augustin et Louis Gérald Gilles, les dirigeants de l’Accord du 31 août 2021 s’étaient distingués du CPT par un premier courrier en date du 26 juillet 2024. S’ils ne réclamaient pas encore le limogeage de ces présumés innocents, ils n’y allaient pas avec le dos de la cuillère et tiraient franchement à boulet rouge sur ces brebis galeuses qui tendent à ternir l’image de l’Exécutif fraichement créé et installé.

Dans cette première lettre, les dirigeants du Groupe Montana exhortaient les autres membres du CPT à se démarquer de leurs collègues car, selon Montana, leur silence sera synonyme de complicité. «  (…) Détournements des fonds de l’intelligence, marchandages du poste de Premier ministre, demande de pots de vin au Président du Conseil d’administration de la BNC, etc.  Pas un jour ne passe sans un scandale au sein du Conseil Présidentiel ou dans sa relation avec le chef du gouvernement. Alors qu’en revanche, la population n’a pas reçu de signal clair du gouvernement dans sa lutte contre l’insécurité, l’impunité et la misère. Le BSA exhorte les secteurs organisés de la société afin qu’ils s’unissent et s’opposent aux dérives du CPT et du gouvernement. Le BSA demande aux secteurs organisés d’exiger la publication, l’application et le respect de l’Accord du 3 avril qui fixe les consignes pour le respect de l’État de droit; le retrait des autorités indexées afin de faciliter le travail de la justice; la conduite d’enquête administrative urgente afin d’identifier, juger et sanctionner les corrompus dans le CPT, dans le gouvernement et dans l’administration publique en général; la mise en place de tous les organes de la transition. Les membres qui ne sont pas impliqués dans les scandales (cités plus haut) doivent se positionner contre ces allégations. Ils doivent expliquer à la population ce qu’ils entendent faire pour faciliter le travail des enquêteurs et de la justice. Au lieu d’absoudre quiconque, le silence sera perçu comme une complicité (…) »

L’ex-Président du Conseil d’administration de la BNC, Raoul Pierre-Louis

Mais, l’affaire ne devait pas s’arrêter là. Devant les tergiversations et l’immobilisme de la présidence du CPT, le Groupe Montana revient à la charge quelques jours plus tard et cette fois en se faisant même menaçant. Afin de donner plus de poids à leurs prises de positions, les signataires de l’Accord du 31 août 2021 ont fait appel à l’ensemble de leurs alliés à l’extérieur du Groupe, comme nous le disons plus haut à tous ceux avec qui ils sont associés dans la structure qu’on appelle : Parties prenantes. Dans une lettre en date du 9 août 2024, dont nous publions un large extrait, les signataires du Groupe de Montana et les autres s’étaient, en effet, adressés directement à Edgard Leblanc Fils en ces termes :

« Le Bureau de Suivi de l’Accord de Montana et le Collectif des Partis Politiques du 30 Janvier, Parties Prenantes du processus politique du 1er mars 2024 ayant conduit à l’Accord du 3 avril 2024, soucieux de l’honneur de notre pays, résolument attachés aux principes d’éthique et de moralité publique, sommes profondément préoccupés par les dénonciations de corruption qui impliquent des membres du Conseil Présidentiel de Transition (CPT) depuis sa prise de fonction le 25 avril 2024. Les récents développements liés à la tentative de corruption de « Conseillers-Présidents » documentés par une lettre du Président du Conseil d’Administration de la Banque Nationale de Crédit (BNC) et une plainte déposée à l’ULCC, jettent l’opprobre sur les Hauts Dignitaires de l’Etat, décrédibilisent le Pouvoir Exécutif et mettent en péril le processus de transition tel qu’il est décrit dans l’Accord du 3 avril 2024 mis à l’écart, à dessein, par les « Conseillers-Présidents. »

Il est inconcevable que l’Exécutif bicéphale, structuré autour du Conseil Présidentiel de Transition (CPT) que vous avez le privilège de présider, demeure silencieux face aux graves soupçons de corruption qui pèsent sur certains de ses membres et entachent dans l’opinion publique l’honorabilité de l’Exécutif de Transition. Malgré les dénonciations publiques, les plaintes formelles, et les attentes de la population, il est inacceptable que ni les autres membres du CPT, ni le Chef du Gouvernement ne prennent les mesures que le droit, la morale et le contexte politique imposent en de pareilles circonstances.

A l’instar d’autres Parties Prenantes et d’autres organisations de la Société civile, nous croyons fermement que la transparence, l’intégrité, la moralité, la reddition de compte, sont des valeurs fondatrices préconisées par l’Accord du 3 avril qui doivent guider le comportement de tout serviteur public. Face à ces scandales à répétition, pour retrouver la confiance de la population, nous vous exhortons, Monsieur le Président, de concert avec le CPT et le Gouvernement, à prendre des mesures conservatoires contre les trois « Conseillers-Présidents » indexés dans le scandale de corruption de la BNC. Cette mesure permettra à la justice de suivre sereinement son cours, de rétablir la confiance du peuple haïtien dans la Présidence symbolisée aujourd’hui par le Conseil Présidentiel de Transition et de garantir le succès de la Transition »

Outre les cris d’alarme des organisations politiques, parties prenantes de la création du CPT, plusieurs secteurs de la Société civile ont, eux aussi, réagi et exprimé leurs vives préoccupations et leurs inquiétudes en demandant au Conseil de clarifier rapidement la situation vis-à-vis de l’opinion publique. Parmi ces organisations, citons entre autres, l’OIDG (Observatoire International pour la Démocratie et la Gouvernance.  Son Président, Amboise Guillaume, dans une note datant du 10 août 2024, dit exprimer ses plus vives inquiétudes par rapport aux allégations de corruption impliquant des membres du Conseil Présidentiel de Transition. « (…) Les membres du Conseil Présidentiel de Transition se doivent d’être au-dessus de tout soupçon. OIDG appelle les instances concernées à diligenter une enquête rigoureuse et transparente  et de prendre les mesures qui s’imposeront si ces informations se confirment. » Il faut dire qu’entretemps, l’affaire a pris une ampleur qui dépasse le cadre de la politique dans la mesure où même si la justice n’était pas encore saisie, en revanche, l’organisme anti-corruption l’ULCC (Unité de Lutte Contre la Corruption), un organisme autonome de l’État, lui, s’était déjà mis en branle.

Le 30 juillet 2024, comme nous l’avons écrit au début, l’ex-Président du Conseil d’administration de la BNC, Raoul Pierre-Louis, était convoqué par cette instance n’ayant, certes, pas de pouvoir de poursuite, de venir donner plus d’explications et surtout de dire dans quelles circonstances il était entré en relation avec les trois Conseillers-Président. Mais, ne répondant pas positivement à sa demande en plus d’être « viré » de la BNC par Garry Conille, Pierre-Louis avait réalisé qu’il était pris dans un engrenage et s’était mis à couvert. Le même jour, l’ULCC lui envoyait une nouvelle convocation pour le 5 août 2024. Il ne sera, d’ailleurs, pas le seul à être convoqué afin de s’expliquer et surtout pour authentifier la fameuse correspondance du 24 juillet 2024 destinée au chef du Gouvernement. Après avoir fait faux bon une première fois aux enquêteurs de l’organisme anti-corruption, certains ne s’attendaient pas à ce que Raoul Pierre-Louis puisse répondre à cette deuxième convocation.

Visite du conseiller présidentiel Fritz Alphonse Jean au Directeur Général de l’Unité de Lutte Contre la Corruption (ULCC), Hans Joseph

Erreur! Sur les conseils de son avocat, Me Sonet Saint-Louis, cette fois, l’ex-Président du BNC a débarqué comme prévu au bureau de l’ULCC le 5 août 2024 pour y être auditionné sur la véracité et le fond de sa lettre à Garry Conille dans laquelle il a accusé les trois Conseillers-Président de vouloir lui soutirer cent millions de gourdes pour être reconduit à la présidence de la BNC. Lors de cette audition, Louis Raoul Pierre-Louis a non seulement reconnu être l’auteur du courrier accusateur tout en édifiant les enquêteurs sur cette demande de 100 millions de gourdes, mais il a aussi fait la genèse de cette affaire.

Puisque, d’après lui, l’affaire avait commencé, en vérité, depuis le samedi 25 mai 2024 à la chambre N° 408 de l’hôtel Royal Oasis à Pétion-ville où les trois Conseillers-Président : Smith Joseph, Emmanuel Vertilaire et Louis Gérald Gilles et un Conseiller de ce dernier, Lonick Léandre, un ancien consul à Santiago de los Caballeros en République dominicaine, l’ont proposé ce marché de corruption. A en croire le Rapport de l’ULCC, c’est ce Conseiller qui avait planifié cette rencontre secrète entre les intéressés. Outre Raoul Pierre Louis, dans ce dossier d’autres personnalités avaient été invitées par l’ULCC pour y être auditionnées les jours suivants. C’est ainsi que près d’une dizaine de personnes, entre autres, Marie Myrtho Midy, Me Maurice Alexandre, Lonick Léandre, Onald Fontaine, Fritz William Michel, Eric Smarcki Charles et Marie Michelle Louis se sont défilées à Delmas 75 au siège de l’ULCC. Par ailleurs, d’autres acteurs se sont prononcés sur la question.

C’est le cas de Me Camille Leblanc, ancien ministre de la Justice qui était invité sur Magik9 le vendredi 2 août 2024. Pour cet avocat, c’est la perspective électorale qui suscite cet engouement pour la corruption de la plupart des acteurs politiques entre autres les Conseillers-Présidentiel afin de financer leurs partis politiques ou les plateformes qui les ont désignés au CPT. Selon l’ancien Garde des Sceaux haïtien, « Si les Conseillers ne prennent pas la décision qui s’impose, le CPT sera en péril. Quelle que soit l’action qu’il entreprendra, elle sera entourée de suspicion de corruption. Les Conseillers choisissent l’impunité parce qu’on est dans une formalité impossible. Ils savent que le Parlement n’existe pas et que la Haute Cour de Justice n’existe que par le biais du Parlement.

Une structure de transition dirigée par des partis politiques qui iront aux élections présente des risques énormes. Ils auront besoin de fonds et de dividendes pour les préparer. Cette quête de financement pour les campagnes électorales pourrait détourner des ressources cruciales, nécessaires pour assurer une transition paisible et structurée ». Car, entre-temps, ce scandale a malheureusement dépassé les frontières haïtiennes et les instances extérieures à l’origine de la création du Conseil Président de Transition (CPT), particulièrement les Etats-Unis d’Amérique via la CARICOM, se sont saisies du dossier. Invité à la 47e réunion ordinaire des chefs et de Gouvernement de la Communauté des Caraïbes (CARICOM) qui s’est tenue du 27 au 31 juillet 2024 à Saint-Georges, la capitale de la Grenade, une petite île des Caraïbes, le Président du CPT, Edgard Leblanc Fils, était de retour à Port-au-Prince le mercredi 31 juillet.

Lors de sa conférence de presse au salon diplomatique de l’aéroport Toussaint Louverture, Leblanc Fils n’a pas fait allusion au scandale de la corruption et n’a pas donné les vraies raisons pour lesquelles les autorités de la CARICOM avaient décidé d’envoyer en Haïti le Groupe des Éminentes Personnalités (GEP). Certes, ces personnalités devaient revenir dans le cadre des difficultés que confrontent le CPT pour faire avancer les dossiers clés de la Transition mais également et surtout pour se pencher sur le cas des Conseillers : Smith Augustin, Louis Gérald Gilles et Emmanuel Vertilaire qui, avec cette grave accusation qu’ils trainent sur leur dos, empêchent le bon fonctionnement de l’Exécutif.

Edgard Leblanc Fils s’était contenté de dire « (…) Nous avons participé durant plus de trois jours, du 27 au 31 juillet, aux réunions plénières et aux caucus entre les chefs de gouvernement et les chefs d’État. Nous avons profité de notre participation pour raffermir la relation entre Haïti et la CARICOM. Nous travaillons à ce que le pays ait une meilleure intégration dans la Communauté caribéenne. La réunion a été l’occasion pour Haïti de renforcer ses liens diplomatiques et de s’engager davantage dans les initiatives régionales. Lors de cette réunion, Haïti a adhéré à la Commission des Réparations de la CARICOM, une démarche qui alimente le travail important du Forum permanent des personnes d’ascendance africaine à l’ONU. Les Éminentes personnalités seront là du 10 au 16 août prochain pour superviser l’état d’avancement dans la mise en place des organes de la transition. Certains des organismes sont déjà mis en branle avec le décret sur le Comité de pilotage de la Conférence nationale et les efforts pour mettre en place le Conseil Électoral Provisoire (CEP) (…) »

Après l’annonce de la venue à Port-au-Prince des Éminentes Personnalités de la CARICOM, par Edgard Leblanc Fils, pour le 10 août 2024, un vent de panique avait soufflé sur le Conseil en général. Se sentant eux aussi menacés par la fronde qui risque d’emporter tout les membres du CPT, les deux membres observateurs du CPT, Régine Abraham et Frinel Joseph, dont on entend peu parler, s’étaient réveillés pour faire justement entendre leur voix dans une lettre adressée au Coordinateur du CPT, Edgard Leblanc Fils en date du 12 août dans laquelle ils expriment leur préoccupation tout en faisant des propositions pouvant permettre au Conseil de retrouver sa sérénité et aux autres membres leur dignité et crédibilité devant l’opinion publique.

(A suivre)

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