Dans une correspondance en date du 3 avril 2019, le Conseil Electoral Provisoire (CEP) avait avancé quelques pistes afin de faciliter une plus grande participation des différends corps sociaux du pays dans le processus électoral que le Président de la République, Jovenel Moïse, comptait initier au cours de l’année 2020. Dans ce document, on peut y lire : « Monsieur le Président de la République, le Conseil Electoral Provisoire s’empresse de vous remercier de lui avoir offert, dans le cadre de la rencontre du 19 mars (2019) écoulé, l’opportunité d’échanger avec l’Exécutif sur l’évolution de la mise en œuvre des étapes préparatoires aux prochaines élections.
Le Conseil insiste sur la nécessité pour les pouvoirs concernés de mettre en place les conditions essentielles à l’avancement du processus électoral, notamment : La détermination définitive du cadre légal appelé à régir les élections; la mobilisation des moyens financiers, logistiques et sécuritaires nécessaires à la réalisation des opérations électorales; la transmission par l’ONI au CEP dans les délais opérationnels et légaux des données nécessaires à une mise à jour fiable du registre électoral national; l’aménagement d’un environnement politique propice à la tenue d’élections inclusives et compétitives qui favorisent la participation des Partis politiques, de la Société civile, des citoyens et citoyennes. » Nous sommes au début de l’année 2019. A ce moment, le Président du Conseil Electoral Provisoire, Léopold Berlanger, s’attendait certainement à ce que ce soit lui qui organiserait les prochaines élections. Mais, entre-temps, divers mouvements sociaux sont venus bouleverser la donne et le Président Jovenel Moïse a fini par s’encombrer de tous les pouvoirs quitte à ne plus savoir quoi en faire. De plus en plus sur la sellette avec une opposition vent debout durant toute l’année 2019 jusqu’à le mettre sur la défensive, Jovenel Moïse a fini par perdre tous les crédits auprès d’une large frange de la population.
Les organisations politiques de l’opposition, surprises par la démission collective du CEP, ont salué dans une note de presse « Le grand intérêt de la démission en bloc des huit membres restant du Conseil Electoral Provisoire après le départ de M. Simon St Hubert il y a deux semaines. » Cette décision inattendue vient ajouter un nouveau paramètre à l’équation déjà complexe de la politique récente de la République d’Haïti et contrarier le plan machiavélique du coup d’État par les urnes avec la carte « Dermalog » comme instrument opérationnel. Le Président Jovenel Moïse, dans sa volonté autocratique de confisquer tous les pouvoirs et de gérer le pays comme un legs patrimonial, un vaste champ de magouilles et de corruption, finit par conduire Haïti, aujourd’hui, au bord du gouffre, dans une zone de turbulence où les crises se succèdent en impactant négativement toutes les institutions de l’État, toutes les couches de la société, mettant ainsi en danger les secteurs clés de la vie nationale ».
Le Conseil insiste sur la nécessité pour les pouvoirs concernés de mettre en place les conditions essentielles à l’avancement du processus électoral
Les Partis et Mouvements politiques entre autres Fusion, OPL, VERITE, Secteur Démocratique et Populaire, VEYE YO, INIFÒS, ENA, Initiative Patriote Marien, AAA, INITE, Kowòt Patriotik et MOPOD étaient les premiers à féliciter les membres du CEP pour leur geste qu’ils estiment être un grand coup porté au chef de l’Etat dans son projet d’organiser des élections. C’est au moment où sa légitimité est plus que contestée par l’opposition que le locataire du Palais national voit la nécessité et l’urgence de relancer le processus des élections pour l’année prochaine alors que celles-ci auraient dû être organisées cette année. Or, la situation politique est plus que tendue dans la mesure où il n’arrive même pas à réunir d’une façon acceptable neuf nouveaux membres pour monter un nouveau Conseil Electoral Provisoire. Cela fait déjà un mois qu’il ne dispose plus de CEP. Malgré les demandes réitérées auprès des secteurs concernés pour proposer ou reconduire d’autres membres, le chef de l’Etat peine à convaincre les organisations socio-culturelles de la Société civile d’envoyer des représentants.
Même le Secteur des droits humains qui a perdu en cours de route son représentant au CEP refuse de désigner quelqu’un d’autre. Selon Raoul Vital, le Coordonnateur de la POHDH (Plateforme des Organisations Haïtiennes des Droits Humains), « Les conditions ne sont pas réunies pour l’organisation des élections dans le pays. Donc, pas question de désigner un autre membre au CEP en lieu et place de Jean Simon Saint-Hubert démissionnaire ». Si certaines organisations ont répondu au courrier du Directeur du cabinet du chef de l’Etat, Nahomme Dorvil, leur donnant 72 heures pour désigner leurs représentants à l’organisme électoral, la majorité garde un silence radio qui fait craindre le pire pour le Pouvoir Exécutif qui pourrait être dans l’obligation de former un CEP exclusivement avec les proches du régime. Une décision qui pourrait anéantir toute chance d’avoir de vrais candidats dans l’hypothèse où cette initiative assez risquée va jusqu’au bout. Pour le moment, seul le Secteur Vodou de la Confédération Nationale des Vodouisants Haïtiens (KNVA) que dirige la Mambo Euvonie Georges Auguste a désigné son représentant en la personne d’un ancien Commissaire du gouvernement des Gonaïves, Me Enock Géné Génélus.
D’ailleurs, avant que le nom de celui-ci n’arrive au Palais national, sa désignation posait déjà problème puisque ce monsieur a été radié du système judicaire haïtien par l’ancien Ministre de la Justice et de la Sécurité Publique, Pierre Richard Casimir, pour des raisons peu catholiques. Le Secteur Vodou se trouve dans ses petits souliers avec cette personnalité. Un sale coup pour le Président de la République qui tente de combler au plus vite le vide du CEP démissionnaire. Par ailleurs, un conglomérat de 80 Partis et formations politiques, d’organisations socioculturelles, de personnalités politiques dénoncent dans une pétition l’ardeur du Président Jovenel Moïse à organiser des élections et surtout sa prétention à former un nouveau Conseil Electoral depuis la démission de la totalité des neuf membres du CEP en place depuis 2016. « Tous les acteurs et secteurs vitaux de la société, ainsi que les signataires de cette note ont divorcé d’avec les pratiques antidémocratiques et la compromission qui caractérisent le pouvoir PHTK.
Les élections que ce régime veut organiser sont en fait une diversion dont l’objectif est de détourner l’attention de la population sur le mandat présidentiel qui prendra fin constitutionnellement le 7 février 2021. La tentative pour monter un autre CEP est un danger pour la démocratie et une honte pour le pays » écrivent-ils dans une note de presse afin de mettre en garde le chef de l’Etat dans ses démarches que les signataires estiment être une fuite en avant. Pour ces opposants au régime PHTK, il ne fait aucun doute que : « Ces pratiques vont provoquer un coup d’État électoral et une crise politique qui vont enfoncer davantage le pays dans la misère, l’insécurité, le black-out, le chômage, etc. Les organisations politiques, les personnalités et les organisations de la Société civile, signataires de cette note, demandent à tous les secteurs de se concerter et de se mobiliser pour contrecarrer tout coup d’État électoral et toute prolongation illégale de mandat » ont-ils avancé.
l’opposition croit que bientôt ce sera la fin du régime PHTK.
Pourtant, la présidence ne démord point ; elle veut coûte que coûte se lancer dans l’aventure électorale l’année prochaine. Lors de sa 5e prestation dans ce qu’il appelle « Dialogue communautaire » le dimanche 9 août 2020, le Président Jovenel Moïse ne s’est pas gêné pour annoncer à qui veut l’entendre et le croire qu’il y aurait bien des élections l’année prochaine et bien entendu de lancer la polémique. « Il y aura des élections dans le pays en 2021. Aujourd’hui, votre destin est entre vos mains. Vous allez choisir qui vous voulez comme dirigeants. Votre choix déterminera votre avenir. Le pouvoir est donné par le peuple et la seule façon de l’avoir c’est d’aller aux élections. Pa gen pas kout ankò, eleksyon pral vini, yon nèg se fè kanpay et que le meilleur gagne. « Fè kanpay ou, touse ponyèt ou pou w pran pouvwa a, men se pa yon kesyon ban m fè yon ti kout, peyi a pa yon bekàn, ou pa ka rete chak tan ou vle vin fè yon kou sou li… a-t-il déclaré.
Cette dernière déclaration vise peut-être ses anciens amis ou pourquoi pas son ex-mentor Michel Martelly qui, selon la rumeur, serait prêt à rempiler pour un second mandat présidentiel en 2022. Une rumeur, si elle devait être confirmée, serait susceptible de troubler le sommeil des leaders de l’opposition. En tout cas, comme un animal traqué mais qui ne veut pas se laisser abattre ni dévorer par des chiens dans une chasse à courre, Jovenel Moïse contre-attaque sur les persécutions politiques dont ses adversaires l’accusent : « Le dernier nom qu’on me donne c’est que je suis un apprenti dictateur. Il n’y a pas de problème. Mais quand la loi s’applique, elle n’a pas d’amis. Le peuple m’a donné le pouvoir pour défendre ses intérêts. Ti rès la se pou pèp la » balance-t-il à l’intention de ses opposants. Entêté, le Président Jovenel Moïse tient mordicus à son élection fin 2021 et surtout à son Référendum constitutionnel qui, somme toute, reste sa priorité.
Car, selon des sources proches de la présidence, il y aura coûte que coûte une nouvelle Constitution au départ du chef de l’Etat en 2022 même si les élections devaient être boycottées par l’opposition l’année prochaine. Comment compte-t-il s’y prendre ? Lui seul a la réponse. La chose qui est sûre, la fin de son mandat en 2021 ou 2022 sera aussi mouvementée que tous ses prédécesseurs. Entre le vrai et le faux, l’opposition quant à elle croit que bientôt ce sera la fin du régime PHTK. Certains annoncent même la reprise des hostilités pour les jours à venir afin de pousser Jovenel Moïse vers la sortie au plus vite. Tandis que le leader du Parti Pitit Dessalines, Jean-Charles Moïse, promet de grands soulèvements populaires pour le mois d’octobre prochain. Avec ses sympathisants, l’ancien sénateur du Nord nous a donné un aperçu le samedi 15 août 2020 dernier au Cap-Haïtien à l’occasion de la célébration du 350e anniversaire de la fondation de la Cité historique et du Roi bâtisseur, le monarque Henry Christophe.
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