Comment Patrice Lumumba a cherché à faire du Congo un refuge pour les anti-impérialistes

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Patrice Lumumba, le premier chef d’état du Congo, martyrisé le 17 janvier 1961

Le monde assiste à une résurgence des soulèvements anti-impérialistes. Le Sahel, le Sri Lanka et Haïti ne sont que trois des principaux exemples.

Si les anti-impérialistes d’Europe et d’Amérique du Nord ont un rôle important à jouer pour comprendre et soutenir les soulèvements dans les néocolonies, l’histoire a montré que c’est également dans leur intérêt. Si les révolutions dans ces néocolonies réussissent, elles peuvent devenir une base et un refuge pour les anti-impérialistes et les révolutionnaires, voire de simples dissidents, des métropoles.

En d’autres termes, la solidarité internationale est une voie à double sens.

Nous l’avons souvent vu dans le cas de Cuba. L’exemple le plus célèbre est celui d’Assata Shakur (Joanne Chesimard), une ancienne militante de l’Armée de libération noire (BLA) qui a été emprisonnée à perpétuité aux États-Unis mais qui s’est évadée de prison en 1979 et s’est enfuie à Cuba, où elle a obtenu l’asile politique en 1984. Un autre exemple bien connu est celui de l’ancien agent de la CIA Philip Agee, qui a été impitoyablement persécuté et vilipendé pour ses révélations et critiques sur l’agence de renseignement. Il a finalement été contraint de fuir à Cuba, où il est décédé en 2008.

L’économiste gréco-français Arghiri Emmanuel avait été conseiller de Patrice Lumumba. Il est arrivé au Congo dans les années 1950 et est devenu un fervent militant indépendantiste.

Mais un télégramme de Patrice Lumumba récemment découvert révèle qu’il voulait aussi faire du Congo un refuge pour les anti-impérialistes européens qui le soutenaient.                                                                                             

Une nouvelle recherche dans les archives de l’économiste gréco-français Arghiri Emmanuel, auteur d’un texte sur l’impérialisme et le commerce intitulé “Échange inégal”, a mis au jour un télégramme de Patrice Lumumba lui-même.

Le télégramme d’Emmanuel à Patrice Lumumba

Emmanuel, qui plus tard fut principalement connu pour ses écrits théoriques dénonçant l’exploitation des pays en développement par l’impérialisme à travers le commerce. Mais avant de terminer sa thèse à l’École pratique des hautes études de Paris, Emmanuel avait été conseiller de Patrice Lumumba, premier Premier ministre de la République démocratique indépendante du Congo.

Emmanuel est arrivé au Congo dans les années 1950, alors que le pays était encore sous domination belge, faisait partie d’une importante communauté d’expatriés grecs et se trouvait à Stanleyville, la base du pouvoir de Lumumba. Ici, Emmanuel a écrit des observations sur l’économie dépendante sous le colonialisme et a rejoint le parti de Lumumba, le Mouvement national Congolais.

Emmanuel devient un fervent militant indépendantiste. Dans un discours prononcé pour le MNC le 6 juillet, quelques jours seulement après la déclaration d’indépendance en 1960, Emmanuel a proclamé « je ne dormirai pas tranquille moi, tant que le colonialisme ne sera pas effacé non seulement de la terre, de toutes les terres mais encore de la pensée et de la mémoire des hommes… dans cette voie, vous pouvez compter sur nous ».

Mais Emmanuel a acquis une notoriété grâce à sa position pro-Lumumba et anticoloniale, et le 21 juillet, Emmanuel a envoyé un télégramme à Lumumba demandant de l’aide : « colonialistes belges nous ont kidnappés le seize juillet embarqués force avion militaire anglais emmenés Nairobi sous escorte soldats anglaise… voulons rentrer Congo que nous aimons ».

La réponse de Lumumba arriva bien plus tard, le 12 novembre 1960.

« Messieurs, Votre lettre recommandée datée du 21 juillet 1960 vient de me parvenir seulement aujourd’hui. Je ne comprends pas ce grand retard.- Je regrette vivement votre départ de Stanleyville, départ provoqué par les intrigues des colonialistes belges.- Je connais votre loyauté vis-à-vis de notre peuple et je déplore les mesures humiliantes dont vous avez été l’objet.- Je marque mon accord pour que vous retourniez à Stanleyville où vous n’aurez que des amis.-

Je ferai tout ce qui est à mon pouvoir pour que vous viviez au Congo dans de bonnes conditions– Au plaisir de vous revoir, je vous prie d’agréer, Messieurs, l’assurance de ma considération distinguée. »

Patrice Emery LUMUMBA,
Premier Ministre de la République du Congo.

Mais à cette époque, les intérêts impérialistes et coloniaux avaient déstabilisé le Congo et miné le pouvoir de Lumumba. Tragiquement, Lumumba fut exécuté le 17 janvier 1961, avant qu’Emmanuel ne puisse revenir.

Il y a beaucoup plus à dire sur cette histoire, car après la mort de Lumumba, Emmanuel a continué à soutenir les forces lumumbistes dirigées par Antoine Gizenga et Pierre Mulele, qui tentaient de se révolter contre le nouveau régime pro-impérialiste dirigé par Joseph Mobutu. Mais pour cette brève leçon, nous pouvons remarquer que la relation entre Emmanuel et Lumumba montre la solidarité venue de l’extérieur du Congo pour aider à la libération. Il s’agissait d’un échange : Emmanuel s’est battu pour le Congo et a ainsi reçu de véritables leçons qui guideront ses théories sur la disparition du capitalisme et de l’impérialisme plus tard dans sa vie. Et Lumumba, dont le télégramme de novembre révèle l’effondrement considérable de son contrôle fomenté par les forces colonialistes, raconte l’histoire d’un martyr de la libération de l’Afrique.

Il y a de nombreuses leçons à tirer en réfléchissant à cette histoire, mais nous concluons par une seule. Les documents de Lumumba, l’un des rares conservés (car l’ensemble de l’œuvre de Lumumba, ainsi que son corps physique, ont été détruits par les impérialistes), doivent être préservés et diffusés parmi les peuples africains afin que ses paroles puissent perdurer.

Que son télégramme ait été conservé par la famille d’un proche allié, qui s’est engagé envers le Congo et a connu en conséquence la répression, est une histoire de solidarité. Aujourd’hui, le Congo, comme Haïti, sert de phare de liberté et de résistance à l’impérialisme ; mais combien de flambeaux d’espoir sont étouffés et effacés de l’histoire, incapables de transmettre leurs leçons à la génération suivante ?

Nous espérons que les paroles de Lumumba pourront être lues telles qu’il les a exprimées et que son esprit perdurera, alors que les peuples du Congo et d’Haïti créeront un échange qui mènera à un front de libération unifié.

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