CARICOM-HAÏTI, le pèlerinage continue

(Première partie)

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Le sommet en Jamaïque entre le gouvernement et l'opposition haïtiens.

Après les échecs successifs des pourparlers dans la crise haïtienne qu’avait entrepris le Groupe d’Eminentes Personnalités (GEP) de la CARICOM – composé des anciens Premiers ministre Dr Kenny D. Anthony (Sainte Lucie), Perry Christie (Bahamas) et Bruce Golding (Jamaïque) – au début et au milieu de l’année 2023, l’organisme régional s’était préparé à reprendre son pèlerinage à Port-au-Prince dans l’espoir de convaincre les protagonistes de la Transition à trouver un compromis. Les dates avaient été annoncées pour ce voyage en Haïti.

Les Éminentes Personnalités s’étaient convenues de revenir du 29 octobre au 6 novembre 2023. Par courrier, elles avaient pris soin d’informer tous les principaux acteurs, notamment les signataires de la Déclaration conjointe de Kingston et ceux de l’Accord du 21 décembre pour leur faire part de leur intention de reprendre les discussions où elles s’étaient arrêtées. Profitant de la note envoyée aux différentes entités de la crise, les Émissaires de la CARICOM ont annoncé qu’ils avaient en leur possession un Protocole d’Accord qui pourrait être considéré comme des propositions pour une sortie de crise.

Toujours d’après le courrier, ce Protocole d’Accord est en fait la fusion de différentes propositions soumises par les signataires de l’Accord du 21 décembre, celles du groupe de la Déclaration conjointe de Kingston, celles du GEP et d’autres acteurs que toutes les entités avaient reçues lors de la dernière réunion en date du 6 octobre 2023. En recevant cette note du GEP, certains protagonistes n’en revenaient pas et se demandaient de quelles propositions il s’agit. Et pour cause. Les propositions en question qui seraient fusionnées pour en faire une avec celles du GEP, à leur connaissance, n’ont jamais été ni débattues encore moins acceptées par aucune des parties en présence, voire pour se transformer en un Accord unique sous le parrainage du GEP.

Ceux qui n’étaient pas au courant qu’il s’agirait, en réalité, d’une manœuvre politique visant à les piéger, sont tout de suite montés au créneau et ont répondu aux Éminentes Personnalités tout en dénonçant une manipulation de la part du pouvoir et de ses supporters. Ils exigeaient des explications au Groupe d’Éminentes Personnalités avant leur arrivée à Port-au-Prince.

Du coup, le temps que la CARICOM démêle le vrai du faux, le séjour prévu entre le 29 octobre et le 6 novembre 2023 dans la capitale haïtienne a été tout simplement reporté à une date ultérieure le temps que tous les acteurs, locaux et internationaux, accordent leur violon sur les discussions. Entretemps, à Port-au-Prince, tout le monde chercherait à savoir d’où venait la confusion ou la manipulation politique. C’est alors que le groupe de la Déclaration conjointe de Kingston, ceux de l’Accord de Montana et le nouveau Front Uni pour une Sortie de crise et efficace, apprennent qui est à la manœuvre et qui se cache derrière cet Accord dont ils ignoraient tout.

Un homme, Jonathan Powell, cet émissaire de l’ombre à Port-au-Prince, dont on a déjà évoqué le rôle discret, voire secret dans la recherche de compromis entre les différents acteurs, est à l’origine de ce coup ressemblant étrangement à un coup de Jarnac. Il est Anglais, ancien conseiller du Premier ministre Britannique Tony Blair, diplomate et envoyé Spécial officieux du gouvernement américain en Haïti. Depuis quelque temps, il tentait d’imposer au forceps un Accord aux protagonistes de la Transition. C’est lui qui avait conseillé au Groupe d’Éminentes Personnalités de fusionner toutes les propositions recueillies de part et d’autre depuis le début des pourparlers afin de convaincre les récalcitrants d’accepter ce compromis. Une fois le pot-au-rose découvert, il fallait se rendre à l’évidence qu’il faut mettre ce mystérieux négociateur sous les projecteurs.

Surtout, les dirigeants de Montana, de Front Uni et de la Déclaration conjointe de Kingston ne cessent de claironner dans les médias et sur les radios du pays qu’ils n’étaient pas au courant de cet Accord et que c’est Jonathan Powell qui serait derrière tout cela avec un document qu’il a concocté avec les amis du Premier ministre et l’Accord du 21 décembre. Pour justifier le report du voyage, la CARICOM avançait donc, selon les sources du quotidien Le Nouvelliste, que les Éminentes Personnalités préfèrent attendre que les choses se clarifient « Ils attendent des signes positifs avant de revenir. Entre-temps, Jonathan Powell essaie de débroussailler le terrain. Il essaie d’obtenir des concessions de chaque partie avant une discussion beaucoup plus formelle. Les échanges se font par visioconférence. Ils ont dit qu’il s’agira de leur dernière tentative de faciliter un accord avec les protagonistes. Les États-Unis leur ont suggéré d’attendre que les choses bougent sur le terrain avant de tenter quelque chose »  avait révélé le journal dans son édition du 30 octobre 2023.

Jonathan Powell ancien conseiller du Premier ministre Britannique Tony Blair, diplomate et envoyé Spécial officieux du gouvernement américain en Haïti.

La nouvelle courait partout à Port-au-Prince, plusieurs entités politiques ont participé à des pourparlers avec le chef de la Transition en prélude au retour de la CARICOM sur les conseils de Jonathan Powell. C’est le cas de la Déclaration conjointe de Kingston qui semblait résolu à accepter que Ariel Henry demeure à la Primature tout en réclamant un Pouvoir exécutif à deux têtes. En même temps, le Premier ministre, de son côté, a accepté ou a été contraint d’ouvrir son Haut Conseil de la Transition. Il veut le passer de 3 à 5 membres tout en insistant que le trio composé de Mirlande H. Manigat, Laurent Saint-Cyr et Calixte Fleurinor reste en place et si possible que Mme Manigat conserve sa fonction de Présidente du HCT, surtout qu’après discussion avec l’homme de l’ombre de la Maison Blanche Jonathan Powell, elle ne s’oppose plus à l’élargissement du HCT. Bref, le mystérieux émissaire anglais travaillant pour le compte des Etats-Unis est à fond dans ses œuvres et tente coûte que coûte de trouver une solution.

Entretemps, de nouvelles dates sont annoncées par les émissaires de la CARICOM. Leur séjour dans la capitale haïtienne devait durer une semaine, allant du 8 au 14 novembre 2023. Mais, sitôt la nouvelle rendue publique, certains acteurs de la Société civile, comme le Directeur exécutif du RNDDH, Pierre Esperance, clament leurs réserves sur une éventuelle réussite de la CARICOM. Interrogé par la presse sur le retour du Groupe d’Éminentes Personnalités, Pierre Espérance a répondu « Selon moi, le terrain n’a pas été déblayé assez par Jonathan Powell avant l’arrivée des émissaires. Je ne pense pas que ce voyage va déboucher sur un accord politique. Je pense que c’est un peu précipité, parce que Powell n’a même pas encore obtenu des acteurs un agenda de discussion ». Finalement, les émissaires de la CARICOM étaient arrivés, comme annoncé, le 8 novembre. Mais, ils ne devaient commencer à rencontrer les premiers concernés qu’à partir du 10 novembre, le temps de faire le point avec le Core Group, le chef de la Transition et la Société civile.

Alors que la Délégation était déjà sur place, la confusion régnait au sein des différentes chapelles politiques. Tandis que la structure politique dénommée Déclaration conjointe de Kingston ne voit aucun inconvénient pour cohabiter avec Ariel Henry à la Primature, des partis politiques issus de cette union restent arc-boutés sur leur position qui consiste à obtenir la démission du locataire de la Villa d’Accueil. C’est le cas de EDE, le parti de l’ancien Chancelier et ex-Premier ministre de Jovenel Moïse, Dr Claude Joseph, le porte drapeau de cette thématique. Font aussi partie de ce club du refus Uni-Haïti de l’ex-journaliste Clarens Renois, les signataires de l’Accord de Montana et bien sûr le Front Uni pour une Sortie de crise efficace. Une posture qui complique les approches du troublant et curieux Envoyé spécial officieux Jonathan Powell dans cette crise et bien entendu celles des émissaires de la Communauté Caribéenne qui, depuis deux ans, forcent la main aux protagonistes de la Transition à signer un Accord pour le partage du pouvoir.

Comme convenu, très tôt le vendredi 10 novembre 2023, les Éminentes Personnalités avaient entamé leur marathon par une série de discussions avec les structures politiques les plus en vue, entre autres, le Collectif 30 janvier, la Déclaration conjointe de Kingston, l’Accord de Montana, etc. Mais, dès l’ouverture des rencontres, les rues de Port-au-Prince sont envahies par la nouvelle faisant état qu’un accord est en passe d’être signé avec les partis politiques d’opposition, les signataires de l’Accord du 21 décembre et le Premier ministre Ariel Henry. Mieux, selon les rumeurs, ce sont les mêmes propositions dont aucun leader d’opposition n’aurait pris connaissance qui étaient sur la table. Force Louverturienne, un des partis signataires de la Déclaration conjointe de Kingston, s’empressait pour démentir qu’il n’y a rien de ce genre et que tout est rumeur et manipulation.

Son Président, Emmanuel Ménard, jamais avare devant les micros, a voulu rétablir la vérité sur ce que rapportent certains médias du pays « En réalité, les négociations politiques formelles n’ont jamais débuté avec le pouvoir en place. Des facilitateurs discutent de gré à gré avec plusieurs acteurs. Les documents en circulation ne sont que des propositions concoctées par divers secteurs. Comme signataire de la Déclaration conjointe de Kingston, la Force Louverturienne Réformiste prône une solution négociée pour le rétablissement du Pouvoir exécutif afin de résoudre le problème sécuritaire de façon prioritaire et de créer, entre autres, les conditions pour la tenue des élections générales » a souligné Emmanuel Ménard. Pourtant, il n’est pas contre une cohabitation avec le chef de la Transition, puisque le vendredi 10 novembre 2023 sur radio Vision 2000, il a déclaré que la démission de Ariel Henry n’est pas la priorité. En revanche d’autres fronts politiques de l’opposition plus radicaux, insistent pour que le Pouvoir exécutif change de main.

(A suivre)

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