Ma grand-mère paternelle, à l’occasion, faisait allusion à tel petit garçon pleurant pour 10 kòb akasan que sa mère lui a refusé parce qu’il s’est mis en colère sans raison, parce qu’il s’est révélé coupable d’un petit dezòd, parce qu’il a désobéi ou encore parce que, comme Fanfan, il n’a pas bien su sa leçon. C’est le même effet que m’a fait ce texte de l’ancien sénateur Bernard Sansaricq, instigateur de débarquement en Haïti dont curieusement, étrangement, il n’a jamais fait partie, voire qu’il aurait mis les pieds sur terre ferme comme un Jacques Stéphen Alexis. Le texte en question est intitulé: “Au-delà de la nomination d’une femme comme ambassadrice des États-Unis en Haïti par le président Donald Trump!”, en l’occurrence Michele Jean Sison. Texte en anglais que j’ai traduit de façon toute tulipante.
J’ai eu l’impression que Sansaricq, frustré, pleurait, pleurotait, pleurnichait, pleurnichotait, pleurnichaillait, couinait, chialait, larmoyait, yenyennait pour un poste d’ambassadeur des États-Unis en Haïti qui, comme une anguille, lui a filé non pas entre les mains, mais entre des rêves fous en plein jour. D’abord, pourquoi parler de “nomination d’une femme”? S’il s’agissait d’un homme, Sansaricq n’aurait pas dit “nomination d’un homme”. Est-ce que je me trompe? Ce serait bizarre et gauche comme formulation. Il aurait simplement parlé de nomination du “nouvel ambassadeur”.
Alors, je ne peux m’empêcher de soupçonner, de flairer, de déceler, de penser que dans le subconscient de l’ancien sénateur, devait gésir, se blottir, se clapir, se bouler, se nicher, se pelotonner l’idée farfelue, saugrenue, tordue, tortue, bossue, biscornue que ce poste d’ambassadeur en Haïti ne devait pas aller à une femme mais à un homme, yon gason, au sens créole le plus fort du terme, à un gason kanson, autrement dit à Bernard Sansaricq, n’est-ce pas?
D’autant que notre homme a remué ciel et terre, cendres et braise, tison et brandon pour promouvoir la candidature de Donald Trump et en faire le seul kòk chante dans Little Haïti, à Miami, le “héros” (sic) en puissance du peuple haïtien. Ala de zafè! En passant, rappelons que avant Donald Trump, il y avait eu deux femmes nommées ambassadrices des États-Unis en Haïti: Janet Anderson, “la respectueuse”, en 2006 et Pamela White, “la flirteuse”, en 2012.
D’entrée de jeu, pour minimiser – subconsciemment – Sison, Sansaricq avance: « L’ambassadrice Michele Sison aura une tâche extrêmement difficile (sic). Nous devons attendre! Je ne m’attends pas à beaucoup de Mme Michele Sison» (resic). Et pourtant, la Michele évolue dans la basse-cour diplomatique américaine depuis 1982, elle en connaît bien les gloussements, les caquètements, les piaillements: avant 2004, elle a fait partie des décideurs politiques de programmes complexes en Asie du Sud, au Moyen-Orient; en Afrique, elle en est devenue la directrice; elle a été ambassadrice aux Émirats arabes unis en 2004, au Liban en 2008, au Sri Lanka en 2012. Ce n’est pas une mince femme. C’est une “vye we” [1], une mètdam pour ne pas dire une maîtresse dame. Mais, Sansaricq pense, dans son subconscient, que Trump eût mieux fait de le choisir.
Trump appartient à un occident impérialiste, capitaliste qui, avant ou après 1804, n’a jamais donné dans le mysticisme. C’est la violence de classe qui a toujours prévalu à ses yeux.
Sansaricq a découvert l’Amérique – littéralement – en nous apprenant que: “il manque à la plupart des présidents des États-Unis et des «gourous» politiques aux États-Unis, leur absence d’ouverture au monde extérieur ”, en fait il devrait dire: à tous les présidents des États-Unis. C’est une lapalissade à la lumière de laquelle on a bien cerné Trump qui “ confond injustement Haïti avec tout le reste du monde noir”. Comment interpréter cette assertion frivole, vaine, inutile, futile, débile? Les Haïtiens seraient-ils “exceptionnels” par rapport aux Africains, comme les Américains prétendent être “exceptionnels” par rapport au reste du monde? Mon BIC m’en tombe.
Trump “ne comprend pas encore la partie mystique qui a joué un rôle aussi important dans l’histoire d’Haïti sur la scène mondiale de 1804 à la fin de la Seconde Guerre mondiale”, nous dit Sansaricq. Sans doute fait-il allusion à la cérémonie du Bois Caïman qui assurément a été un point de départ important de prise de conscience collective des esclaves. Mais ce rôle auquel Sansaricq fait allusion prend plutôt racine non pas dans un quelconque mysticisme mais dans une guerre révolutionnaire d’indépendance sans merci, tous azimuts par des esclaves et des affranchis convaincus de leur droit à la liberté et conduits jusqu’à la victoire finale par le génie militaire et l’extraordinaire bravoure et intrépidité de Jean-Jacques Dessalines. En passant, mon cher Sansaricq, Leclerc n’a pas été “vaincu par l’armée d’esclaves de Toussaint Louverture”, mais bien par des ‘va-nu-pieds’ conduits, galvanisés par notre glorieux Jean-Jacques Dessalines.
C’est tout à fait oiseux, farfelu, loufoque d’ergoter sur la non-compréhension par Trump d’un événement mystique, historique, politique, religieux et culturel propre à l’histoire d’Haïti. Trump appartient à un occident impérialiste, capitaliste qui, avant ou après 1804, n’a jamais donné dans le mysticisme. C’est la violence de classe qui a toujours prévalu à ses yeux. Violence qui a conduit à l’écrasement de la Commune de Paris, aux guerres colonialistes de rapine, aux deux guerres mondiales, à “l’Occupation” en 1915, aux guerres de Corée et du Vietnam, à l’éclatement de la Yougoslavie et plus près de nous à l’invasion du Koweit et de l’Irak, sans oublier la destruction de la Libye et le soutien avéré au terrorisme malgré une rhétorique contraire.
Non content de donner dans un mysticisme tout à fait étranger à une compréhension dialectique de notre guerre d’indépendance, Sansaricq verse aussi dans le biblisme: “L’indépendance d’Haïti gagnée en 1804 par des esclaves contre l’armée la plus puissante du monde (l’armée de Napoléon) est d’importance biblique”. Quelque deux siècles plus tard “l’élection du président Trump en novembre 2016 est également d’une importance biblique”. Complétons la pensée de Sansaricq: l’élection inattendue du “centriste” Emmanuel Macron suivie d’une confortable majorité parlementaire est aussi d’importance biblique. Bientôt, Jovenel Moïse le mal élu, l’inculpé, viendra réclamer sa part de biblicité. On ne sait jamais, le mal existe.
“Les Haïtiano-Américains ont joué un rôle clé dans cette élection”, avance “le trumpiste”. Pa ban m, ne me donne pas, Sansaricq. Je devais avoir fait un voyage sur la lune, comme mon parrain Morisseau-Leroy, lorsque les analyses et compte-rendus électoraux disséquaient, détaillaient, interprétaient, déchiffraient, exploraient, démêlaient, décodaient, décryptaient les données des urnes. De retour de mon voyage lunaire, rien de cette affirmation “clé” de Sansaricq ne m’est tombé dans l’oreille. Un “rôle clé” qui n’a existé que dans l’imaginaire de Sansaricq.
Trump “n’arrive pas encore à piger” ce “rôle clé” “…; il doit apporter des changements drastiques parmi certaines personnes qui l’entourent”. Peut-être qu’à la faveur de la valse de changements tètanba qui se font à la Maison Blanche, Trump pourrait faire preuve de génie d’une importance biblique en choisissant l’ami Sansaricq comme son conseiller “mystique”. Et tenez-vous bien: avec “le bon choix”, sous-entendu, de Sansaricq, Trump ferait “le meilleur président de ce pays”. Amen!
Les conseils andaki de Sansaricq à l’homo biblicus au pouvoir semblent avoir un fond de vérité. En effet, il dit que “Marigault Omarosa et le général John Kelly, qui sont ses principaux conseillers [de Trump] en ce qui a trait à Haïti, n’ont pas vraiment la capacité réelle de comprendre la culture haïtienne”; culture mystique, lyrique, hermétique, critique, symbolique, exotique, fanatique, frénétique, bois-caïmanique, même effraïque, accessible seulement à la sensibilité afro-haïtiano-biblique de Sansaricq. De là à s’attendre à ce que Trump ait pu faire appel à lui, il n’y avait qu’un pas. Il ne tenait qu’à Sansaricq de faire ce pas, mais Trump s’y est opposé. Le message a été clair: pwendfèpa.
En 1994, Sansaricq “en tant que président du Sénat [avait] vu venir la destruction inévitable de l’île” avec “Bill Clinton, l’un des pires pirates modernes à occuper la Maison Blanche”. L’ami Sansaricq avait “fait de [son] mieux pour essayer de l’arrêter”, kidonk Clinton, “nouveau shérif de la terre”. Et devinez: “Le seul allié au monde que nous avions à l’époque était… le président de la République dominicaine: Joaquin Balaguer (sic). Oui, Balaguer, l’haïtianophobe, l’auteur de La isla al revés. Le président Balaguer craignait qu’une occupation d’Haïti par les États-Unis ne soit pas la meilleure chose pour la République dominicaine (resic). Voyons, Sansaricq, arrêtez ces blablatudes. Vous dites aussi que vous auriez pu empêcher Clinton d’enfoncer ses crocs dans la chair du peuple haïtien. “Malheureusement, le manque de vision des «leaders de l’armée» d’Haïti” vous en ont prévenu. Non, arrêtez de telles gagatudes, vous êtes franchement gaga.
De façon curieuse, quoique croulant sous le poids de ses frustrations et lamentations, de sa désolation, de son affliction et de son déchirement, de ses tourments, gémissements et geignements, pas une seule fois Sansaricq ne mentionne le nom de Martelly, d’autant qu’il signale: “aujourd’hui en raison de tout ce pillage, Haïti est aujourd’hui l’une des nations les plus corrompues de la terre”. Or, lorsqu’on parle de pillage et de corruption, il faut bien penser à Sweet Micky et à sa bande de “bandits légaux”, à tous les membres de ses différents cabinets qui à un titre ou à un autre savent où sont passés les millions siphonés dans les fonds PetroCaribe. Et pas un seul corrompu n’a encore été traîné devant la justice.
La pauvre ambassadrice Michele Sison, prédit Sansaricq, va être aux prises avec mille et une difficultés: “un pays complètement détruit, qui était la colonie la plus riche de la France” (pourquoi ne pas redevenir une colonie?); des décherpilleurs d’aide étrangère “qui ont transformé le pays en refuge pour trafiquants de drogue (bonjour Guy Philippe!); “un pays où toute morale a disparu” (merci Sweet Micky, Clifford Brandt, Sonson La Familia et toute la famille des corrompus); “un pays vendant des passeports haïtiens à des inconnus et à des étrangers pour 50 000 dollars, créant ainsi un énorme risque de sécurité pour les États-Unis, puisque les terroristes du monde entier à la recherche d’une nouvelle identité peuvent facilement trouver ce qu’ils veulent en Haïti”. Président Jovenel, Sansaricq vous a mis la puce à l’oreille. Que votre “caravane” se prépare à débusquer les terroristes à venir.
Comme Sansaricq sait comment caresser Donald Trump dans le sens du poil! Ah le poil terroriste! Ce terrorisme qui fait hérisser les poils du dos de Donald. Ce terrorisme que Trump va mettre à poil pour lui sauter les couilles à coup de … missiles, de drones, et, s’il le faut, de… bombe atomique. Des terroristes en Haïti? Non, Michele Sison ne pourra gérer pareil danger. Pour affronter la bête terroriste, ça prend un homme, yon gason. Trump assurément aurait dû faire un meilleur choix. Le con, le débile, il n’a pas choisi Sansaricq, il a choisi une “femme”. Fichtre!
Paraît-il que “certains des éternels exploiteurs des masses, qui possèdent l’argent de la drogue par millions peuvent venir embaucher des avocats aux États-Unis pour poursuivre n’importe qui assez courageux pour les démasquer”. Ah non, Sansaricq, faites attention! Vous avez dit: exploiteurs des masses. Donald ne va pas aimer ça. Cette dangereuse terminologie bolchevique, marxiste, léniniste, socialiste, communiste, trotskyste, maoïste, ne va pas du tout plaire à Donald. Je vois maintenant pourquoi il ne vous a pas nommé au poste d’ambassadeur en Haïti. Vous êtes un communiste en pavillon masqué venu défendre les éternels exploiteurs des masses: les gros bourgeois, les grandons, les grandes dents qui écument les ministères et les avenues du parlement. Non, mon coco, ça ne passera pas. Donald n’en veut pas.
Même évincé par une “femme”, Sansaricq garde l’espoir que malgré tout Trump finira par lui jeter un os, quelque chose comme assistant adviser, conseiller en assistance d’un autre conseiller lui-même dépourvu de sensibilité haïtiano-biblique. Peu importe le titre ou la fonction, l’idée c’est d’être près du feu pour tirer ses marrons, l’idée c’est d’être aussi sur le dos du boeuf, pour ne pas permettre aux “éternels exploiteurs des masses” de tout goinfrer pour eux seuls.
Aussi, dans son texte, Sansaricq multiplie les appels du pied en direction de Trump: “Le président Trump a l’obligation morale d’agir. Les Haïtiens en Haïti n’ont absolument personne, aucun ‘gouvernement’ pour les défendre. Le président Trump fera-t-il pression pour […] geler les avoirs haïtiens mal acquis? Le président et son équipe du ministère de la Justice peuvent-ils inculper tous les trafiquants de drogue et les blanchisseurs d’argent? Mettront-ils un terme au pillage d’Haïti par les Clinton? Haïti a désespérément besoin du président Trump qui doit faire honneur à ses propos: «Je veux être votre héros».”
En passant, Sansaricq, nous n’avons guère besoin, “désespérément besoin” de Trump pour “héros”. Il n’est pas de ceux-là qui se soient jamais intéressés au sort des Haïtiens. C’est bien Fanon qui nous rappelait “qu’il n’y a pas de démiurge, qu’il n’y a pas d’homme illustre responsable de tout […] le démiurge c’est le peuple”. De Trump, les Haïtiens attendent qu’il soit juste, que son administration ne soutienne pas anbachal une administration haïtienne corrompue, que sa Michele Sison se limite strictement à ses tâches ambassadeuriales et se mêle seulement de ses oignons, de ses betteraves et de ses carottes, surtout que 60.000 Haïtiens inquiets de leur sort aux États-Unis à partir de janvier 2018 continuent de bénéficier des avantages que leur procure le TPS.
Finalement, Sansaricq, wake up and smell the coffee, réveillez-vous et arrêtez de rêver. Donald Trump a bien des chats à fouetter mais vous n’êtes assurément pas du nombre. Vous n’êtes pas un WASP natif-natal. Vous n’êtes pas une “guêpe” blanche, anglo-saxonne, protestante. Rien ne vous aura servi d’avoir été flairer les aisselles santidou du beau monde archi-réactionnaire du Tea Party. Vous êtes, volens nolens, un héritier de la geste de Vertières, une emmerde dans la mémoire collective de l’Occident. Trump n’en veut pas de vous, rejeton nègre de la geste de 1804, et votre teint clair ne l’impressionne guère.
Vous n’avez pas eu un parcours glorieux pareil à celui de vos cousins Adrien et Daniel Sansaricq. Eux, ils avaient de l’étoffe, de l’étoffe révolutionnaire. Jamais on n’a pu les soupçonner de quelque connivence que ce soit avec l’impérialisme. Bien au contraire. Mais avec vous, avec vos invasions “soigneusement orchestrées”, vos “débarquements” funny, drôles, vos interceptions suspectes en haute mer par les Garde-côtes états-uniens, nous sommes obligés de nous poser des questions. Vous voyez où je veux en venir.
Je vous laisserai “en venir” tout seul, pou kont ou. Arrêtez de rêver, de rêvasser, de divaguer, de fantasmer, de dérailler, d’élucubrer, de délirer, revenez sur terre. Désertez les rangs de ces enragés de la droite et de l’extrême-droite républicaines, Par l’écriture ou sur le terrain, à titre de militant je kale (et non pas tèt kale) rejoignez les masses dans leur lutte contre leurs “éternels exploiteurs”. Car seules leurs «mains magiciennes», comme disait Fanon, finiront par arrêter la vague d’oppression qui menace de les submerger depuis le parricide de 1806.
Non, Sansaricq, pran san w, prenez votre sang, vous ne serez jamais le choix d’un Donald Trump pour représenter son “USA first”, un Donald Trump dont nous n’avons nullement “désespérément besoin”. Les présidents américains, les “gourous” et les loups-garous autour d’eux nous regarderont toujours à travers leurs lunettes déformantes, minimisantes, condescendantes, insolentes, arrogantes, méprisantes, malveillantes made in USA. Arrêtez de pleurnicher pour 10 kòb akasan. Pour reprendre cette chanson de Guy Durosier: fè chemen w, m ap fè pa m, orevwa.
6 août 2017
[1] “vye we”: c’est une expression que ma Grand-mère paternelle et ma mère utilisaient à la maison, à l’occasion, avec sa nuance péjorative liée à l’adjectif “vye”. Elle désigne une personne rompue à telle ou telle autre pratique, quelqu’un qui s’y connaît bien, avec une coloration de mètdam. “We” vient du français “roué” qui signifie rusé, habile, en plus bien sûr de son sens mieux connu de “rossé”, “tabassé” (roué de coups). Le prototype du “vye we” serait ce fonctionnaire qui connaît bien les rouages secrets de la politique au point de rester en place sans jamais s’inquiéter durant différentes administrations, de Duvalier à Jovenel Moïse, par exemple.