Au Texas, la froideur du néolibéralisme tue !

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Des millions de foyers privés d’électricité et d’eau, des dizaines de morts, des gens qui ont tout perdu...

Des millions de foyers privés d’électricité et d’eau, des dizaines de morts, des gens qui ont tout perdu… Les Texans luttent depuis des jours contre le froid. Mais ce n’est pas celui-ci qui cause leurs malheurs.

« Les dirigeants du Texas disent aux habitants des zones résidentielles de “conserver l’énergie” et de “se préparer à ce que cela dure plusieurs jours” alors que la plupart d’entre nous (environ 4 millions au moment où j’écris ceci) n’ont plus de courant. (…) La température dans les maisons sont à peu près de 8 °C en moyenne, avec une bonne isolation, et continuent de chuter, ce qui expose toute personne à un risque d’hypothermie. La plupart des maisons ici ne sont pas bien isolées. Les gens meurent. Le gouverneur et l’entreprise qui gèrent l’électricité ont laissé tomber les gens du Texas. Nous savions que ça pouvait arriver depuis 2011. Démissionnez. » 

« Voici nos points de vue pendant que nous gelons, certains d’entre nous jusqu’à la mort : les horizons d’Austin, Houston et Dallas », a tweeté Lauren Strehl, une habitante de Dallas… 

Ce message partagé sur Twitter ce mercredi 16 février par Lauren Strehl, une habitante de Dallas, troisième plus grande ville du Texas, résume le cauchemar vécu par une bonne partie des Texans durant plusieurs jours.

 

La faute au froid ?

Dans un premier temps, les médias et les autorités ont mis le drame qui se jouait sur le compte de la météo. Pratique. Mais faux. Oui, le Texas a connu sa plus forte vague de froid depuis que les températures sont relevées (1909). Mais ce n’est pas la première fois que l’État connait des températures bien en dessous de zéro. En 2011, les autorités publiques et les propriétaires des sociétés privées qui produisent et distribuent l’électricité ont reçu un avertissement suite à une vague de froid qui avait menacé la production d’énergie. Sauf que rien n’a été fait. Et dans un État qui a fait de la dérégulation, de la décentralisation et du laisser faire des sociétés commerciales du secteur une marque de fabrique suite à des réformes de 2002, c’est criminel. Ce n’est pas le froid qui tue, mais les choix politiques et économiques des décideurs.

y a une panne, pas moyen d’avoir de l’aide des États voisins

Dans un marché dérégulé laissé entièrement aux mains d’entreprises dont le profit est le seul objectif, protéger ses infrastructures, comme de nombreuses voix l’ont demandé suite à la vague de froid de 2011, coûte de l’argent. Or, ces sociétés ne voient qu’à très court-terme, en produisant de manière anarchique, sans planification de la production. Tout est fait pour réduire les coûts.

Le Texas est aussi une anomalie aux États-Unis par sa volonté de ne dépendre que de son propre réseau, et pas d’un des deux grands réseaux du pays. Ce qui fait que quand il y a une panne, pas moyen d’avoir de l’aide des États voisins… Une coopération entre États – « pas assez de soleil au Texas ? Demandons à un État voisin où il y a du vent pour produire le courant de nous aider » – est impossible dans l’état actuel des choses (et dans la logique qui est derrière la marchandisation de l’énergie).

Le black out est dramatique quand on sait qu’une majorité de Texans se chauffe à l’électricité, et pas au gaz. Or, ces derniers jours, les températures ont chuté jusque -15 C°. Un bilan très provisoire parle de 58 victimes. La plupart des décès ont été causé par le froid, mais des gens sont morts d’intoxication au monoxyde de carbone en voulant chauffer leur salon avec… du charbon. Il est plus que probable que le bilan humain soit très lourd, mais il faudra attendre des semaines avant d’en avoir une idée précise.

La faute aux pauvres ?

Le black out mortel au Texas a montré de façon très claire la fracture entre les très riches et les travailleurs. Des quartiers entiers plongés dans la noir complet pendant que des quartiers riches, des centres d’affaires étaient illuminés comme d’habitude. Alors que les autorités demandaient aux habitants d’économiser l’électricité… Ce qui a légitimement provoqué la colère des travailleurs concernés. Car le black out n’a pas touché de la même façon les classes sociales : les plus pauvres n’ont pas accès à des générateurs de secours et leurs quartiers ont été laissés plus longtemps dans la pénombre… « Ce sont les communautés qui ont déjà été les plus touchées avec le Covid (…) Ce sont les ménages qui ont deux emplois au salaire minimum, les travailleurs essentiels qui ne sont pas payés s’ils ne vont pas travailler » expliquait au Times Robert Bullard, professeur à l’université Texas Southern. 

À droite, les réactions ont été pour le moins… déconcertantes. « Nagez ou coulez, c’est votre choix à vous. Ni la ville ni le pays ni aucun autre service ne vous doivent rien. J’en ai ras-le-bol que les gens attendent qu’on leur file des putains de coups de main. Seuls les forts survivront et les faibles périront » a ainsi réagit Tim Boyd, maire de Colorado City, ville du centre du Texas. (Depuis ce tweet, Tim Boyd n’est plus maire de Colorado City…) Le sénateur républicain texan Ted Cruz a fait fort, lui aussi. Il a carrément… fuit le Texas pour aller profiter du climat de la station balnéaire mexicaine de Cancun. Face à la pression populaire, l’ex-candidat à l’investiture présidentielle a dû revenir la queue entre les jambes…

Place à la solidarité

La situation de très nombreux Texans n’est pas résolue. Deux dangers majeurs les guettent. Un à court-terme : ils sont encore des millions à ne pas avoir accès à l’eau potable. Un autre à moyen-terme : les propriétaires des sociétés qui produisent et distribuent l’électricité vont sans doute répercuter cette crise sur la facture des travailleurs texans. C’est d’ailleurs déjà le cas. Comme le prix du courant varie en fonction du marché, un habitant a eu la mauvaise surprise de devoir payer… 16 752 $ (13 800 €), soit… 70 fois plus que d’habitude. En cause ? Il a utilisé plus de courant pour faire face à la tempête, comme de nombreux autres habitants de l’État.

Si la solution passera par une reprise en main du secteur énergétique par les pouvoirs publics, des initiatives urgentes de solidarité ont vu le jour. Alexandria Ocasio-Cortez (AOC) a ainsi très vite lancé une collecte de fonds. En quelques jours, les associations caritatives locales ont reçu 5 millions de dollars. « Quand une catastrophe frappe, ce n’est pas seulement un problème pour les Texans, c’est un problème pour notre pays tout entier », a déclaré la députée de gauche. « Et notre pays tout entier doit se rassembler et se rallier aux besoins des Texans de tout l’État. » Mais elle surtout pointé le besoin de réponses structurelles. « Nous devons nous assurer que nous prenons des décisions politiques à court et à long terme pour que ce désastre – un désastre évitable – ne se reproduise plus jamais. »

Un sondage réalisé en automne dernier montre que 65 % des électeurs texans veulent 100 % d’énergie propre d’ici 2035.

Une réponse structurelle pourrait passer par le Green New Deal porté par des militants et des élus de gauche, dont AOC. Ce plan prévoit un investissement massif dans la mobilité et les énergies renouvelables. 100  % de la production de courant serait issu des énergies renouvelables d’ici 2030, et un nouveau intelligent (« smart grid ») serait déployé dans tous les États-Unis. Ce plan s’accompagne de mesures permettant aux travailleurs aux revenus modestes et aux petits entreprises d’isoler leur maison et bâtiments. Ce Green New Deal pourrait créer 20 millions de jobs.

Utopique, dans un État comme dans le Texas, « attaché » aux centrales au gaz ? Pas vraiment. Un sondage réalisé en automne dernier montre que 65 % des électeurs texans veulent 100 % d’énergie propre d’ici 2035. Le même sondage montre que les travailleurs texans veulent la fin des avantages fiscaux donnés par le gouvernement à l’industrie de l’énergie fossile. Un Green New Deal rencontre l’opposition d’élus vendus aux entreprises de l’énergie fossile mais est voulu par une majorité de la population. Conclusion d’un journaliste américain : « Ne vous y trompez pas : un Green New Deal peut gagner, même au Texas. »

 

Solidaire 22 Février 2021

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