Attys, Georges, Lafontant, les démissions qui font du bruit ! (1)

Première partie

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Le Commissaire du gouvernement (Procureur de la République) démissionné, Me Jacques Lafontant

Le mardi 21 juillet 2020, lorsque nous avons appris la démission du Commissaire du gouvernement (Procureur de la République), Me Jacques Lafontant, la première idée qui nous est venue à l’esprit est d’appeler un proche du chef de l’Etat, Jovenel Moïse, pour en savoir un peu plus. Mais, à notre grande surprise, à peine décroché, sans avoir le temps de faire nos salutations d’usage habituelles, notre interlocuteur nous lâche tout de go: «  Wi Jovenel gen yon pwoblèm ;  twòp mounn demisyone ; mwen konn se pou sa ou relem. » (Oui, Jovenel a un problème, il y a trop de personnes qui démissionnent ; je sais que c’est pour cela que tu m’appelles). Étonné, on est resté sans voix. C’était, en effet, le but de notre appel pour savoir comment le Palais juge ces démissions en cascade qui font couler beaucoup d’encre dans les rédactions, de salives et du bruit au sein de la République.

Car, ce mois de juillet 2020 est le mois de tous les records pour le Président de la République en matière de démission. En l’espace de vingt jours, pas moins de trois hauts dignitaires du régime Tèt kale (PHTK) ont plié bagages et se sont jetés à l’eau sans même avoir eu le temps de prendre un canot de sauvetage. Le temps presse, semble-t-il. Outre ces proches du pouvoir qui préfèrent abandonner le navire pendant qu’il est encore temps, d’autres soutiens de toujours au système Martelly/Moïse ont eux aussi jugé plus prudent de prendre leur distance avec le locataire du Palais national. Finalement, d’après notre contact auprès de l’homme du Trou-du Nord, celui-ci a effectivement un gros problème à régler : rétablir au plus vite la confiance auprès de ses troupes s’il veut tenir le cap comme il le souhaite jusqu’au 7 février 2022. Mais, le Président doit aller vite car les éléments s’annoncent furieux avec le processus électoral qui va démarrer dans les semaines à venir avec la démission dans son ensemble des neuf Membres du Conseil Electoral Provisoire (CEP) le vendredi 24 juillet 2020.

Pour autant, dans cette affaire de démission en série, les observateurs ont tout intérêt à être prudents dans leurs commentaires pour ne pas tomber dans les pièges des protagonistes. Si naturellement le départ de ces gens qui adulaient le Président Jovenel Moïse il y a quelques jours encore fait sensation et conforte la position de l’opposition politique à l’ancien dauphin  de l’ex-Président Michel Martelly, il faut garder la tête froide et surtout chercher à comprendre les raisons de ces départs qui, en vérité, peuvent  être  des fuites en avant  pour la plupart. Tout le monde a constaté que le musicien devenu sénateur de l’Artibonite grâce au soutien et l’appui du sénateur Youri Latortue et de Jovenel Moïse, Garcia Delva, a lui aussi prétendu se retirer du camp des alliés du chef de l’Etat. Le sénateur n’a pas vraiment donné de motifs satisfaisants qui le motivent non pas à passer dans l’opposition mais à prendre un peu de recul, sans doute le temps que le Président satisfait ses sollicitations.

Ce qu’il ne faut pas oublier en Haïti et surtout depuis l’avènement des régimes dits démocratiques dans ce pays, c’est que ce sont les parlementaires qui forment les gouvernements et nomment les principaux Directeurs généraux et autres hauts dignitaires dans les Administrations publiques et entités autonomes de l’Etat. Avant la proclamation de la caducité du Parlement par le Président Jovenel Moïse en janvier 2020, la quasi-totalité des Directeurs généraux étaient proposés par les sénateurs et les députés afin de pouvoir voter la Déclaration de politique générale des Premiers ministres dans les deux Chambres. De Jack Guy Lafontant à Jean Henry Céant, l’on était dans cette configuration politique où le chef de l’Etat, pour arriver à imposer un chef de gouvernement, avait accepté les caprices des élus du Bicentenaire (Parlement). Or, une fois nommés, les différents protégés des parlementaires ne faisaient qu’à leur tête et ne rendaient compte qu’à ceux qui les ont faits Princes ou Princesses dans leurs fiefs et le Président et les Premiers ministres ne faisaient qu’encaisser les coups sans pouvoir rien dire sous peine de brouille avec ces députés et sénateurs tout puissants.

La démission dans son ensemble des neuf Membres du Conseil Electoral Provisoire (CEP) le vendredi 24 juillet 2020.

Avec la prise en main du Parlement par le Pouvoir exécutif, Jovenel Moïse devient sans pitié que ce soit avec les protégés des anciens élus de l’opposition mais aussi avec ceux qui ont bénéficié des passe-droits de ses alliés et compagnie. Surtout avec ceux qui pensent faire de leurs fiefs ( Direction générale) des centres de financement de la campagne des élus qui les ont fait nommer Administrateur ou Directeur dans les organismes publics autonomes de l’Etat entre autres l’ONA, la CAS, BMPAD, les Douanes et les Ports provinciaux, etc. Avec la nouvelle donne devenue possible par la nomination des Premiers ministres directement par le Président de la République et le dysfonctionnement du Pouvoir législatif, Jovenel Moïse a repris la main en révoquant une bonne partie de ces Directeurs et Administrateurs tout en renforçant son emprise sur l’administration et les Directions générales en nommant ses proches ou les amis de ses amis. Grande période de frustration donc pour les alliés. C’est ainsi que dans le cas de l’ancien député de Marchand-Dessalines aujourd’hui sénateur de la République, Garcia dit Gracia Delva, il s’agit d’un problème d’intérêt personnel.

Puisque celui-ci a perdu son protégé Woodly Simon qui était à la tête de la CAS (Caisse d’Assistance Sociale), une pompe à fric dépendant du Ministère des Affaires Sociales mais ayant une gestion totalement autonome et où l’argent public dépensé reste à la discrétion de son Directeur général. Il a été remplacé par Frantz Iderice, un ami d’un proche du Palais et un ancien étudiant de l’INAGHEI (Institut National de Gestion et des Hautes Etudes Internationales). Woodly Simon quant à lui est un ancien cadre du Ministère de la Jeunesse et des Sports à l’époque nommé par Youri Latortue ; il est avant tout un ancien étudiant de la Faculté d’Ethnologie du temps du Groupe des 184 d’André Apaid Junior et un membre actif de ce qu’on a appelé les GNBis, ceux qui ont eu la peau du Président Jean-Bertrand Aristide en 2004. Cet ancien activiste natif de Marchand-Dessalines comme Garcia Delva est un proche du clan AAA (Artibonite An Aksyon) et particulièrement  Garcia Delva qui l’avait fait nommer dès 2017 à ce poste à l’avènement de Jovenel Moïse au Pouvoir. Bref, l’opposition ou les critiques du sénateur ne doivent point être considérées comme une prise de conscience citoyenne ou de la manière que le Président Jovenel Moïse dirige le pays.

« Je vous rappelle, Monsieur le Commissaire du gouvernement, que vous êtes un subalterne qui se doit d’exécuter tout ordre du ministère de la Justice et de la Sécurité publique dès lors qu’il n’est pas manifestement illégal »

Les déclarations du sénateur ne sont rien d’autres que des règlements de compte entre ami et allié pour une sombre histoire de poste quand il a déclaré sur radio Caraïbes FM que « Seul le Président sait où il veut aller avec le pays. Rien n’est bien géré dans le pays… ». En revanche, la démission du Commissaire du gouvernement, Me. Jacques Lafontant, est à une autre dimension même si, là encore, il faut être prudent dans la manière dont on analyse son départ du Parquet de Port-au-Prince. Dès la nomination de Me Jacques Lafontant, certains montaient au créneau pour dénoncer ce choix du Président Jovenel Moïse. Ce qu’on sait, c’est que personne ne va accepter dans ce contexte politique difficile pour le pouvoir un poste, surtout Commissaire du gouvernement, sans savoir à quoi se tenir. On n’accepte pas une fonction à une si haute responsabilité politique sous un régime si décrié si honni si l’on ne partage pas une certaine affinité politique, voire idéologique.

Si celui-ci avait accepté de prendre la succession de Me Lucmane Délile comme Commissaire du gouvernement, il connaissait déjà la politique pénale de ce régime. D’ailleurs, l’ex-Commissaire du gouvernement était dans les viseurs des organisations des droits humains tant il appliquait la politique du gouvernement avec zèle. Il n’avait donc aucune objection sur la politique qu’avait menée son prédécesseur à la tête du parquet de la capitale. Donc, sa démission n’a pas à être considérée comme une opposition à la politique pénale du pouvoir. Il suffit de lire sa lettre de démission pour comprendre qu’il s’agit juste d’une question d’orgueil dans une certaine mesure de caractère. Apparemment, les deux hommes ne pouvaient pas travailler ensemble comme le Premier ministre Jouthe Joseph l’aurait souhaité. Un extrait de la lettre de Me Jacques Lafontant à son ministre datant du mercredi 22 juillet 2020 en dit long sur les relations entre les hommes.

« À qui reproche-t-on la libération de plusieurs bandits impliqués dans des actes d’enlèvement, de viol et de vol de véhicules lorsqu’il était commissaire du gouvernement près le tribunal de première instance du Cap-Haïtien en 2006 ? Qui a été l’objet de reproches et épinglé successivement, suivant des rapports d’enquête, dans des actes de corruption et de libération irrégulière sous l’administration des ex-ministres Henry Marge Dorléans en 2005 et Paul Denis en 2009 ? Plus récemment, qui a été l’objet de révocation pour improductivité sous l’administration de l’ex-ministre Heidi Fortuné ? » se questionne l’ex-Commissaire du gouvernement. Jacques Lafontant a jeté l’éponge juste pour contester la façon et le ton employé par son chef hiérarchique, le ministre de la Justice et Garde des Sceaux, Rockefeller Vincent, pour le cadrer en quelque sorte sur son comportement vis-à-vis de l’ordre qu’il avait reçu du Ministère de la Justice et de la Sécurité Publique. Pour comprendre le sens de cette démission, il faudra lire les deux courriers : celui du ministre à l’attention du Commissaire du gouvernement et vice-versa. Rockefeller Vincent s’est adressé au chef du Parquet comme s’il s’agit d’un simple « subalterne » à qui il fait la leçon.

« Je vous rappelle, Monsieur le Commissaire du gouvernement, que vous êtes un subalterne qui se doit d’exécuter tout ordre du ministère de la Justice et de la Sécurité publique dès lors qu’il n’est pas manifestement illégal. J’attends à ce qu’à l’avenir vous vous éleviez à la haute dimension qui caractérise un Commissaire de gouvernement qui doit être un digne représentant de l’Exécutif dans le Judiciaire » écrit le ministre de la Justice à l’encontre du fonctionnaire dans sa missive datée du 20 juillet 2020. Certes, en tant que son chef hiérarchique, il est dans son droit de cadrer le Commissaire quand celui-ci sort du champ de compétence qui lui est attribué selon la loi. Ou peut-être blâmé s’il y a faute dans l’exercice de ses fonctions. Mais, il y a l’art et la manière de s’adresser à un haut fonctionnaire.

Dans cette affaire, si le ministre avait employé le ton qu’il fallait, tout le monde est persuadé qu’il n’aurait pas eu de démission de la part de Me Jacques Lafontant. La Chancellerie aurait utilisé un ton plus administratif et réglementaire pour corriger le comportement ou les failles du Commissaire du gouvernement dans les dossiers qui les opposent, cela n’irait pas jusqu’à la démission. C’est une question de personnalité sans doute, puisque d’autres auraient accepté d’avaler les couleuvres sans mot dire. En tout cas, c’est tout de même une démission de plus qui, en quelque sorte, ne fait pas pour apaiser les tensions dans le camp du pouvoir ni rassurer le Président Jovenel Moïse qui voit partir un à un tous ceux qu’il espère pouvoir l’aider à sortir du gouffre dans lequel il s’enfonce jour après jour.

(A suivre)

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