Adieu 7 février 1986, bonjour corruption et impunité

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Martelly en campagne avec son poulain Jovenel l'inculpé, en 2016: Votez corruption! Votez impunité! Ba li bwa Jojo!

7 février 1986: quelle date! Quelle explosion de soulagement, de joie, de satisfaction, de plénitude! Quel accomplissement! La force de résistance, de combativité du peuple haïtien jointe au travail souterrain, incisif, risqué, d’un petit nombre de progressistes au pays et l’encouragement tenace, infatigable, engagé d’une diaspora déterminée avaient fini par forcer le soutireur washingtonien à lâcher son protégé qu’on a vu, le 7 février 1986, à la faveur de la nuit, fuir éperdu, livide, échevelé, désarçonné, apeuré, effarouché, affolé, atterré d’avoir été jeté comme un paquet de linges sales.

La jeunesse du pays, les victimes de la dictature presque trentenaire, les hommes et les femmes de courage, ceux de l’intérieur aussi bien que ceux de la diaspora, tous avaient plein espoir. À travers leurs lunettes d’optimisme, ils voyaient la fin d’un pouvoir despotique, dépravé, atrocement violent, sanguinaire, anachronique jusqu’à l’absurdité. Ils voyaient aussi l’aube d’une nouvelle forme d’existence politique où citoyens et citoyennes jouiraient pleinement des libertés publiques, du droit à la parole, à un toit, à se nourrir, aux soins de santé, à un travail bien payé; du droit à une vie décente, du droit à un avenir meilleur, bref, du droit à la vie.

William Regala et Henry Namphy, les deux humanoïdes du Conseil National de Gouvernement qui avaient pour mission de colmater toutes les brèches ouvertes par la victoire populaire conte l’autoritarisme, le despotisme, le cynisme, l’absolutisme duvaliéro-macoute.

Ils étaient certains, convaincus, assurés qu’ils allaient réapprendre à lire et à bien écrire les mots démocratie, justice, liberté, convivialité, citoyenneté, hospitalité, solidarité. Ils voyaient arriver à grands pas un nouvel environnement social et politique centré sur la jouissance des  libertés publiques, le respect de la personne humaine, de la dignité humaine, des normes en usage, du droit à rêver, à doter la nation d’une vision dynamique, à la mettre enfin sur les rails de la modernité et d’un développement adapté aux besoins d’Haïti, mis en branle et conduit par des Haïtiens, pour des Haïtiens.

Il y a de cela 32 ans déjà, nous caressions mille projets de société et de mieux vivre ensemble. Trente-deux ans depuis que le peuple haïtien avait rêvé de jours meilleurs. Il ne jurait que par le changement, par la quasi certitude que des dirigeants politiquement présentables, honnêtes, patriotes, soucieux de la res publica, allaient prendre la relève, que l’abomination d’une effroyable dictature était un cauchemar qui allait se dissiper au profit d’un régime démocratique, un gouvernement d’authentique union nationale des valeurs saines du pays, vers un nouveau départ, pour une Haïti nouvelle, régénérée. Hélas!

Oui, hélas! L’hydre de Washington, le monstre aux cent mille têtes de serpent veillait. La bête cracha un gros caillot militaro-civil igné, à vocation de répression. En son sein, deux humanoïdes chamarrés, guillettés, épaulettés, cordelettés, cordonnettés, décorés, médaillés, bottés, Henry Namphy et William Regala, avaient pour mission de colmater toutes les brèches ouvertes par la victoire populaire conte l’autoritarisme, le despotisme, le cynisme, l’absolutisme d’un pouvoir. Et ce fut, pour commencer, la disparition du jeune militant Charlot Jacquelin sans que les militaires eussent à rendre compte à quiconque de quoique ce soit, malgré une manifestation monstre pour réclamer le retour du jeune instituteur.

Et ce fut aussi la disparition aux alentours du Quartier Général de la police d’un jeune canado-haïtien venu participer à une deuxième manif pour réclamer que les militaires rendent Charlot à ses proches. Et pour bien montrer leur malignité, leur agressivité,  les hommes en jaune déclenchèrent une fusillade dirigée sur les locaux de Radio Soleil, à l’intérieur du Petit Séminaire Collège Saint Martial. C’était une sorte d’avertissement, un prélude  au massacre de la ruelle Vaillant. C’était aussi un signal en direction de Leslie Manigat: s’il acceptait de se faire élire par les militaires, de façon frauduleuse, ce serait à ses risques et périls. Casse-cou improvisé, notre professeur risqua, louvertura, ”perça” et périla.

Depuis, une indifférence des pouvoirs ainsi que les manœuvres de forces occultes, sans doute intéressées, semblent avoir joué dans les coulisses pour minimiser l’importance, le poids historique de ce puissant événement populaire que fut le 7 février, et même, éventuellement, évacuer sa signification historique dans le cadre des luttes du peuple haïtien pour reconquérir sa souveraineté perdue lors de la première occupation de 1915.

Martelly (an daki à Youri Latortue): «Vous pouvez dire que quelqu’un est un voleur si vous avez l’habitude de voler avec lui … »

À bien considérer, la mise en déroute de la satrapie francisco-duvaliéro-jeanclaudiste a été aussi  une victoire – fût-elle même temporaire – sur les pratiques ténébreuses du soutien intéressé et ininterrompu de Washington à la dictature trentenaire. Une victoire d’autant plus importante et significative que les forces en présence étaient très inégales: d’un côté le camp populaire manquant cruellement d’organisation et opérant les mains nues; et de l’autre, les forces répressives militaires et macoutes, entretenues et armées par l’impérialisme obsédé, obnubilé par le rayonnement de la révolution cubaine.

Il y avait pourtant matière à entretenir la mémoire collective autour d’un combat qui dans ses débuts avait engagé toutes les couches de la nation. Mais au fur et à mesure que la violence néo-duvaliériste forçait à l’exil professionnels, intellectuels, artisans dotés d’un métier, ouvriers, paysans, une partie des classes moyennes instruites et aisées, il revenait de plus en plus aux masses de porter seules le fardeau de la répression et de se frayer un chemin de lutte jusqu’au déchoucage de la tyrannie, même lorsque nombre de leurs membres, les boat people, fuyaient un pays de misère et un régime de violence.

La contestation et la lutte populaire allaient éventuellement prendre forme et corps au sein de l’Église catholique à travers les Ti Legliz, les communautés Ti Legliz comprenant ces hommes et femmes, militants dévoués, infatigables, je kale, qui s’opposaient au discours démobilisateur de leur hiérarchie, très proche du régime. Elles véhiculaient dans les communautés de base, les paroisses urbaines surtout, un discours de «libération» des masses, basé sur l’expression d’un droit et d’une justice démocratiques, droit s’inspirant des théories de la «théologie de la libération» en vogue en Amérique latine dans les années 1970.

On ne saurait minimiser voire passer sous silence l’apport moral, intellectuel, politique et matériel de la diaspora,  aux États-Unis, au Canada, en Europe, plus particulièrement en France, à la lutte que menaient les masses en Haïti. Nombre de publications, nombre d’émissions radiophoniques, nombre de marches et de manifestations politiques souvent par un froid rigoureux, venaient renforcer la lutte menée à l’intérieur du pays.

Le 7 février 1986 a été l’aboutissement de toute une dynamique qui a voulu résister à la vague de violence duvaliéro-macoute entretenue par une  cascade de violations des droits humains, les unes aussi arbitraires que les autres, les unes aussi cruelles que les autres: mauvais traitements, disparitions, exécutions extrajudiciaires, arrestations arbitraires, emprisonnements, tortures, assassinats politiques, terreur systématique. Jamais au cours de l’histoire du pays il n’y eut d’exode plus massif de la population, de saignéees migratoires aussi importantes.

La mémoire du 7 févriet 1986 devrait être présente, omniprésente, lancinante, permanente, dans la conscience de chaque haïtien car pote mak sonje. Il serait du devoir de chaque président, de chaque membre de gouvernement, de chaque législateur, de chaque pouvoir judiciaire, de chaque média, de chaque journaliste, de chaque étudiant, de chaque universitaire, de chaque homme d’Église, de chaque professionnel, de chaque intellectuel, de chaque militant, de promouvoir le souvenir de ce 7 février, victoire immarcescible du peuple haïtien, des forces vives de la nation sur la barbarie et l’oppression.

Nous ne saurions nous attendre à une commémoration de cette date par le Conseil National de Gouvernement de Namphy et Regala, puisque ce serait  revivre le processus libertaire et libérateur, douloureux pour eux, qui a conduit à la débandade du duo présidentiel prédateur, le nazillon Jean Claude et sa “nazillonne” Michèle Bennett dont le régime faisait les délices de ces deux militaires fainéants et félons.

Pourtant, il nous semble que les gouvernements civils de l’après-Duvalier ont montré peu d’intérêt sinon aucun à garder vivante et agissante la mémoire de cette date glorieuse que fut le 7 février 1986. Ni l’un ni l’autre des deux présidents-marasa, premiers bénéficiaires des retombées positives de cette date historique n’ont manifesté leur attachement à ce moment libérateur, de grande effervescence nationale. L’État en tant que tel a été totalement insensible à cette victoire populaire. Est-ce à cause d’une macoutisation de ses “entrailles”?

Avec l’arrivée au pouvoir du grotesque clown dépravé du nom de Martelly, c’est quasiment le mépris envers nos dates historiques, particulièrement celle du 17 octobre 1806. Jamais son gouvernement n’aurait eu la tentation de commémorer le 7 février 1986, puisque le mec était en première loge politique et musicale du macoutisme coup-d’étateur, du militaro-macoutisme assassin de milliers d’Haïtiens au lendemain du 30 septembre 1991. Privert lui avait d’autres chats à fouetter. Quant à l’actuel occupant du palais national, inculpé de son état, il ne fait que continuer les habitudes de corruption duvaliéristes dont son mentor et protecteur Sweet Micky a hérité et que ce dernier a augmentées, revues et corrigées.

De l’avis même du corrompu Martelly: «Pour ce qui se passe dans le dossier PetroCaribe, je suis sûr qu’il y a des gens qui ont volé, que ce soit au niveau de l’Etat ou au niveau du secteur privé ». Quelle assurance dans cette déclaration! Comment sait-il qu’il y a eu des voleurs, des profiteurs, des fricoteurs, des fraudeurs, des resquilleurs, des prévaricateurs, des siphonneurs? La réponse est tombée de ses lèvres-mêmes: « Vous pouvez dire que quelqu’un est un voleur si vous avez l’habitude de voler avec lui ou si vous le prenez en flagrant délit ». M. Martelly, voliez-vous aussi? Oui, saviez-vous voler avec la complicité de certains de vos ministres, les “irremplaçables” par exemple?

Jovenel l’inculpé est sur vos pas, pied pour pied, M. l’ex-président. Sous sa présidence, le seul mot, le seul commentaire qui vaille se rapporte à la corruption. Ses ministre n’ont aucune tenue ni retenue puisque l’un d’entre eux – on ne le nommera point – avait cru intelligent de surfacturer des kits scolaires. Il n’en a même pas eu honte, au point que son patron, inculpé lui même, a dû le foutre à la porte. Un journaliste avec des graines, un journaliste grainé, Fanel Delva, a bien qualifié Jovenel l’inculpé de “ chef même de la corruption, un champion de la corruption”. Aussi, ce 7 février 2018, il se serait bien gardé d’évoquer une date qui se rapporte à la déroute des criminels corrompus duvaliéristes.

Martelly et Jovenel représentent deux régimes structurellement et idéologiquement néo-duvaliéristes. Voilà pourquoi le premier a garanti, de fait, l’impunité au dictateur Jean-Claude Duvalier; mort de sa belle mort sans avoir été jugé pour crimes contre l’humanité. Jovenel l’inculpé, pour sa part, est en train de masquer son corps pour torpiller le rapport du sénat haïtien sur l’utilisation frauduleuse, pillarde, des milliards de PetroCaribe, pour  faciliter une sortie «honorable» aux corrompus de Martelly dont l’un est actuellement son conseiller.

Quelle tristesse! “À quoi bon ce passé de douleur et de gloire?” Adieu 7 février 1986! Bonjour corruption et impunité.

 

11 février 2018

 

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