Haïti est plus que jamais livrée à elle-même. La Transition post-Jovenel Moïse est incontestablement dans l’impasse. En tout cas, elle patine. Trois mois après l’assassinat du chef de l’Etat dans sa chambre à coucher, personne n’arrive à comprendre ce qui se passe dans le pays. Les leaders politiques de l’ancienne opposition, la Société civile organisée se divisent autant du vivant du Président de la République qu’après sa mort. Des propositions pour une sortie de crise, il y en a à en revendre. Elles viennent de partout et il y en a pour tous les goûts. De la plus farfelue aux plus sérieuses, de la plus incongrue aux plus réalistes, elles sont nombreuses. Sauf que, les solutions proposées peinent à convaincre la population tant les acteurs se perdent en conjoncture.
Les hôtels de la capitale haïtienne et de Pétion-Ville se remplissent du matin au soir avec divers Secteurs et entités politiques cherchant désespérément à imposer leurs « Accords ». Alors que la population attend toujours celui qui sera adopté pour qu’enfin elle sorte de l’incertitude. Peine perdue ! La dégénérescence du pays se confirme de jour en jour. Les gangs et les bandes armées ne se cachent plus. Ils opèrent maintenant de jour en tout lieu et à viscère ouvert. Il n’y a plus de « zone de non-droit » à Port-au-Prince. Depuis que la Transition post-Jovenel devient une sorte de « roulette russe », c’est toute la capitale haïtienne et de la région métropolitaine qui passent sous la coupe des bandits. Quant à la Communauté internationale, elle est totalement larguée et se contente de soutenir à bout de bras, faute d’autre alternative, un Pouvoir exécutif qui n’existe quasiment pas.
La démission, deux mois après sa nomination, de l’Envoyé spécial américain pour Haïti, le diplomate Daniel Lewis Foote en désaccord avec la politique de Washington en Haïti, surtout très opposé au soutien des diplomates du Core Groupe à Ariel Henry contre l’Accord de la Société civile en dit long sur la tribulation de ce pays. Il paraît que l’Envoyé spécial Foote avait préconisé une intervention militaire directe en Haïti afin d’éradiquer les gangs et l’insécurité dans l’aire métropolitaine et d’instaurer un « Gouvernorat » dans le pays. Il n’a pas été écouté. Il a jeté son tablier. Dans sa lettre de démission au Secrétaire d’Etat Anthony Blinken, Daniel Foote écrit « Notre approche politique envers Haïti reste profondément imparfaite, et mes recommandations ont été ignorées et rejetées, lorsqu’elles n’ont pas été éditées pour projeter un récit différent du mien (…) L’orgueil qui nous fait croire que nous devrions choisir le gagnant, encore une fois est impressionnant .
Ce cycle d’interventions politiques internationales en Haïti a constamment produit des résultats catastrophiques. Des impacts plus négatifs sur Haïti auront des conséquences désastreuses non seulement en Haïti, mais aux États-Unis et chez nos voisins de l’hémisphère ». Suite à cette démission tant surprise que spectaculaire de ce fin connaisseur de la politique haïtienne, une nouvelle Mission américaine de haut rang ayant à sa tête deux émissaires : Le Secrétaire adjoint aux affaires des Amériques Brian Nicholls et Juan Gonzalez, Assistant spécial du Président Joe Biden et Directeur principal du Conseil de Sécurité Nationale, a été envoyée Port-au-Prince au cours de la dernière semaine du mois de septembre 2021.
Sa mission, selon l’ambassade américaine en Haïti et une porte-parole du Département d’Etat : Déterminer la meilleure voie à suivre ici pour nous assurer de parler à la Société civile afin que nous entendions le peuple haïtien lui-même pour essayer de comprendre ce qu’il convient de faire ». Après avoir rencontré la quasi-totalité des acteurs et protagonistes le jeudi 30 septembre et vendredi 1e octobre 2021, il n’a eu aucune avancée susceptible de rendre plus lisible la situation. Chaque Secteur campe sur sa position. Les deux émissaires sont rentrés à Washington bredouilles. L’International, particulièrement Washington, en est à rechercher toujours et encore comment aider ce pays après quarante ans de crises sociopolitiques. Quelle tristesse !
Il faut dire qu’Haïti échappe à toute considération. Le reste du monde aussi est fatigué du comportement de nos gouvernants. Prenons le cas du Président Luis Abinader de la République Dominicaine, il ne cesse de lancer alertes sur alertes auprès de la Communauté internationale à propos de la crise politique endémique et l’insécurité récurrente qui dévastent Haïti qui sont susceptibles de toucher son territoire. A l’assemblée générale de l’ONU, lors de sa 76e session annuelle au mois de septembre dernier, Abinader se faisait l’Apôtre qui vint parler au nom d’Haïti et du peuple haïtien tant les autorités haïtiennes ne sont pas crédibles, pas respectées et illégitimes par conséquent demeurent inaudibles dans les grands Forums internationaux type l’ONU (Organisation des Nations Unies) ou l’OEA (Organisation des Etats Américains) où se débattent les dossiers des peuples en détresse et les Etats en faillite. Jamais Haïti n’a été si près d’une dislocation. Pourtant, la guéguerre pour le partage du pouvoir entre les frères ennemis continue comme si tout s’arrêtait à une question de partage du gâteau ou celui qui aura la plus grosse part.
Depuis l’assassinat du Président de la République, Jovenel Moïse, le pays vit au rythme des « accords » et « désaccords » politiques sans que personne, aucun secteur, aucune entité n’arrive à se démarquer ou à prendre le dessus. Malgré un supposé « Accord » signé par le Premier ministre a.i Ariel Henry le 11 septembre 2021 avec un nombre appréciable de formations politiques et de personnalités connues de la Cité, la perspective de sortir de la crise paraît encore loin, très loin pour les haïtiens. Plusieurs raisons peuvent expliquer cette situation insoluble. La présence dans le groupe des signataires de l’Accord dit de la Primature de certains leaders politiques radicaux, peu crédibles aux yeux non seulement de la population mais surtout pour d’autres personnalités et organisations politiques qui, pour rien au monde, n’associeraient leurs noms à ces gens totalement discréditées, en est la raison principale. On continue à patauger dans le brouillard de la Transition avec un trop plein d’acteurs et de Secteurs qui ne sont d’accord sur rien.
Sans parler d’une Communauté internationale par l’entremise de ce groupe de diplomates étrangers qu’on appelle à Port-au-Prince « Core Group » qui décide quel leader politique est acceptable ou pas pour les Haïtiens et de fait peut succéder provisoirement au Président assassiné. Cela aussi est un véritable dilemme pour la Transition en Haïti et un réel handicap pour la classe politique et la Société civile cherchant éperdument à sortir de ce casse-tête. Du vivant du chef de l’Etat, il existait déjà un nombre impressionnant d’accords de sortie de crise qu’on a déjà passés en revue. Dans la lutte effrénée pour le pouvoir, on pouvait comprendre la démarche des acteurs qui se voyaient tous à la place du Calife. Mais, après le 7 juillet 2021, date à laquelle Jovenel Moïse est tombé sous les balles assassines des mercenaires colombiens et haïtiens à la solde des politiciens et des oligarques locaux, personne n’aurait imaginé que la guerre pour la succession allait durer aussi longtemps. La perspective qu’un petit groupe, par son dynamisme ou par fourberie, puisse accaparer à lui seul le pouvoir rend l’affaire encore plus compliquée qu’elle ne l’était.
Et la probabilité que ce soit les extrémistes de l’opposition qui s’installent à la tête du Pouvoir exécutif par l’entremise d’un Premier ministre, somme toute, affaibli par les suspicions de complicité dans l’assassinat du chef de l’Etat ne fait que motiver davantage les autres Secteurs à maintenir la pression sur le locataire de la Villa d’Accueil et du coup le rendre totalement inefficace dans la gestion des affaires du pays. De ce fait, le Premier ministre Ariel Henry se contente de mener la guerre qu’avec les anciens collaborateurs du feu Président de la République qui, eux aussi, ne cessent de le marquer à la culotte en s’opposant à sa manière de gérer l’après Jovenel Moïse. Ainsi, l’accord du 11 septembre 2021 apparaît, en vérité, comme un simple exercice de consolidation d’un pouvoir qu’il ne maitrise pas encore ou pas vraiment. Dans la mesure où il est confronté quotidiennement à deux forces totalement opposées.
(1) Les anciens collaborateurs de Jovenel Moïse qui voient en lui un traître, un infiltré à la solde de l’ex-opposition. Quelqu’un qu’on a placé à la Primature afin de faire obstacle à toute avancée dans l’enquête sur l’assassinat du chef de l’Etat. (2) Ariel Henry bute aussi sur l’intransigeance des extrémistes avec qui il s’est lié au nom de la réal-politique, en cherchant à se renforcer contre le camp de l’ancien Président de la République et d’autres secteurs qui ne veulent pas de lui à la tête du Pouvoir exécutif. Tous les jours, ses nouveaux amis lui demandent encore plus de preuves dans le processus de captation du pouvoir et de l’appropriation de la Transition qui est, au final, leur seule préoccupation avec, dans le viseur, les élections générales à venir.
Pris entre le Marteau et l’Enclume, le Neurologue Ariel Henry doit finalement donner plus de gage de garantie à ceux avec qui il pense consolider sa place à la tête du pays comme chef unique du Pouvoir exécutif comme l’a stipulé l’Accord du 11 septembre 2021. « Dans l’attente du rétablissement de la Présidence de la République, le Conseil des Ministres, dirigé par le Premier ministre, exerce pleinement et effectivement le Pouvoir Exécutif, tel que défini par la Constitution » section I, art. 2 de l’Accord qui a été publié dans un numéro spécial de Le Moniteur du 17 septembre 2021. (A suivre)
C.C