Accord de Montana, les signataires maintiennent la pression sur Ariel Henry

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Des signataires de l’Accord de Montana

La Transition post-Jovenel Moïse est devenue un film à épisodes, ce que les scénaristes appellent un feuilleton. Chaque semaine ramène un nouvel épisode légèrement modifié par rapport au précédent. Mais, dès qu’on voit les premières images, l’on est sûr qu’il s’agit de la même série ou du même feuilleton. Depuis le 7 juillet 2021, la population assiste à cette série dans laquelle on trouve, comme toujours, deux protagonistes : le Premier ministre a.i Ariel Henry et ses amis de l’Accord du 11 septembre dans le rôle des gentils et en face, pour donner la réplique, les signataires de l’Accord du 30 août dit de Montana dans le rôle de méchants. Dans ce scénario truffé d’intrigues où chacun cherche à marquer son territoire, si c’est Ariel Henry qui joue le premier rôle étant officiellement à la manette, il faut bien l’admettre, ce sont les signataires de Montana qui font le spectacle.

La plupart du temps, pour ne pas dire toujours, ce sont eux qui font la « Une » des médias. Et pour cause. Pratiquement toutes les initiatives viennent des signataires de ce dit Accord cherchant à tout moment à prendre l’avantage sur le locataire de la Primature. Il faut être de mauvaise foi pour ne pas reconnaître que, depuis plus de sept mois, Ariel Henry et ses amis de l’Accord de Musseau sont dans l’impasse. Ils tournent en rond. Alors qu’il n’existe aucun contre- pouvoir. A part quelques rares décisions relevant de la gestion de l’Etat, aucune vraie initiative n’a été prise par cette équipe. Faute de résultat ou de bilan, le Premier ministre a.i se contente, comme tout le monde, d’appeler au dialogue entre tous les acteurs. A part cela, comme un « Prince consort » sans pouvoir effectif, il fait des discours creux qui n’intéressent personne et qui n’ont aucun impact politique et social sur la population encore moins pour faciliter un dénouement à la crise. Certes, le Premier ministre sait que derrière lui, même s’il ne fait pas grand-chose, il y a le bouclier international que constitue le Core Group qui le protège contre les attaques de ses ennemis.

depuis plus de sept mois, Ariel Henry et ses amis de l’Accord de Musseau sont dans l’impasse.

De ce bouclier politico-diplomatique, comme c’était prévu, il a pu traverser sans encombre l’obstacle du 7 février présenté par certains comme une sorte de vallée de la mort politique. Cette Epée de Damoclès étant disparue, Ariel Henry continue son petit bonhomme de chemin à la tête du gouvernement comme il est dans la vraie vie: calme et serein, sans se soucier du grondement de la fureur de ses adversaires. Tout juste une petite adresse à la nation le 7 février 2022 pour dire « Depi ayisyen deside mete tèt yo ansanm se yon bon bagay. Se pou sa anpil fwa, m al rankontre  konpatriyòt Montana yo, e map kontinye lonje men ba yo.  Sa fè apèn twa jou mwen te chita pale ak konpatriyòt Louisiane yo. Men gen yon bagay ki dwe klè pou tout moun, pèsòn pa gen ni otorite, ni dwa pou reyini nan yon lotèl ou aletranje pou deside an ti komite ki moun pou prezidan osnon Premye minis ». En clair, pas grand-chose sinon une petite provocation pour repousser d’un revers de main l’offre politique que les autres Accords lui ont proposée. Or, c’est là que le bât blesse.

Pendant que le Premier ministre fait mine d’ignorer les avancées politiques des autres Accords, l’étau se resserre autour de lui et il risque de se retrouver dos au mur par l’activisme des signataires des Accords de Montana et du Protocole d’Entente Nationale (PEN). Car, ce qui est clair, c’est que le groupe de Montana, malgré qu’il soit pour le moment en dehors du pouvoir, marque à la culotte le Premier ministre qui, au fur et à mesure que les jours passent, n’aura plus rien d’autre à proposer que d’accepter les offres de ses adversaires. Certes, le groupe de Montana n’a pas choisi la facilité dans ses démarches. Le chemin emprunté par les signataires est tortueux et peu lisible pour le grand public. Néanmoins, petit à petit, et c’est le plus curieux dans cette stratégie, il reste plus ou moins sur le cap fixé. Et c’est cette constance qui doit faire réfléchir le Premier ministre et son équipe dans leur refus de jouer franc jeu avec le Club de Montana et ses alliés. Peut-être, la Primature ne communique pas assez sur les démarches et contacts que son titulaire a eus avec d’autres interlocuteurs dans ce jeu du chat et de la souris.

Peut-être, Ariel Henry cache son jeu et attend que les choses s’empirent pour sortir le véritable coup de dé qu’il pense avoir dans ses manches. Sinon, à force de faire le gros dos sans avoir l’assurance de pouvoir s’en sortir, il peut devenir, à un moment donné, le dindon de la farce, car la Communauté internationale, par principe, n’aime pas les perdants. Elle s’accroche tout autant que vous pouvez faire la démonstration que vous pouvez encore servir ses intérêts et avoir le rapport de force en sa faveur. Aujourd’hui, rien ne dit que le Premier ministre a tous les atouts entre ses mains pour garder le pouvoir. Et surtout, avoir le pouvoir n’est pas un gage d’invincibilité. Seul le rapport de force politique ou militaire compte. Or, on a constaté que c’est cette option qui est privilégiée par le groupe de Montana qui, patiemment, sans forcing mais sûrement, construit ce rapport de force politique avant d’attaquer frontalement la forteresse Ariel Henry.

Le chemin emprunté par le groupe de Montana est tortueux et peu lisible pour le grand public.

L’ouverture vers d’autres Accords, d’autres personnalités qui étaient plus ou moins à observer, le ralliement du parti politique GREH de l’ancien colonel Himmler Rébu, l’élection de leur Président (Fritz Alphonse Jean) et leur Premier ministre (Steven Benoit) en attendant que les autres entités en fassent autant sont des éléments constituant le début de cette force qui pourrait mettre à mal la stratégie défendue par les signataires de Musseau dont Ariel Henry est le garant. On aurait pu penser, en effet, que l’échec prévisible d’installer un Président le 7 février à la tête de la Transition allait les arrêter dans leur longue marche vers le pouvoir. Or, d’après ce que les responsables dudit Accord ont annoncé, ils s’accrochent plus que jamais à cette façon de faire qu’ils estiment être la meilleure dans cette conjoncture pour parvenir à un consensus politique capable de convaincre Washington de la nécessité de déraciner Ariel Henry à la Primature. Après l’élection de leurs deux représentants à la tête de la Transition, les signataires de Montana ont pris l’initiative d’écrire au Premier ministre Ariel Henry pour solliciter de lui une rencontre.

Si celle-ci a bien eu lieu le vendredi 11 février, elle s’est terminée en queue de poisson et aucune autre date de rencontre n’est prévue depuis l’embrouille du lundi 14 février 2022. Dans la foulée, Lesly Voltaire, l’un des membres du Comité de Suivi de l’Accord de Montana (CSA), a annoncé que le processus allait se poursuivre « La prochaine étape consiste à choisir les autres membres du Conseil présidentiel » avançait-il qui, au passage, avait précisé « Il y a PEN qui doit désigner son représentant. Le gouvernement d’Ariel Henry qui enverra son représentant. Entre PEN et nous, nous devons choisir les deux membres restants. Ils seront issus des secteurs, patronal, de l’université, de l’église catholique, etc. en fonction d’un ensemble de critères préétablis. Nous sommes en négociation avec ces secteurs », confirmait ce responsable de l’Accord du Montana. Par ailleurs, les acteurs du Protocole d’Entente Nationale (PEN) continuent de mettre la pression sur le Premier ministre a.i à travers le Président du dernier Tiers du Sénat, Joseph Lambert.

Profitant de sa déclaration, lui aussi, à l’attention du pays, à l’occasion du 7 février 2022 marquant la fin officielle du mandat du défunt Président Jovenel Moïse, ce responsable du PEN n’a pas non plus mâché ses mots à l’endroit de Ariel Henry. Le moins que l’on puisse dire, Joseph Lambert n’y est pas allé de mains mortes en déclarant « A la faveur des circonstances, de manière très peu orthodoxe, en marge de toute légalité, la réalité du pouvoir est saisie par le Premier ministre qui n’est pas parvenu à l’exercer. Voilà sept mois depuis que le Dr Ariel Henry, de son lieu, n’est pas en mesure de dire en quoi consiste son mandat alors que les conditions de vie de la population continuent de se dégrader. L’Etat qui n’a pas l’autorité est incapable d’agir sur l’insécurité et, par conséquent, inapte à préparer et organiser de bonnes élections » a lancé celui qui fait office de chef d’opposition légitime à l’occupant de la Primature sans oublier d’annoncer l’organisation par le Sénat « D’une grande réunion des différents pôles de la société tout en souhaitant vivement la participation du Premier ministre Henry qui y sera officiellement invité ».

Toujours dans le cadre des différentes initiatives lancées par le Club de Montana, c’est Fritz Alphonse Jean qui, en jouant son rôle de Président élu de la Transition au nom de l’Accord du 30 août, dans une allocution à la nation, avait appelé à un large consensus en vue de rétablir la sécurité qui permettrait l’organisation des élections. Une façon courtoise de dire que les scrutins promis par le Premier ministre et les signataires du 11 septembre ne sont pas possibles. Alors que Fritz Alphonse Jean et ses amis des autres Accords militent eux pour une Transition de deux ans avant l’organisation de la moindre élection. Enfin, outre ces déclarations venues de partout, même au sein des signataires de Musseau, certaines voix commencent à faire entendre une autre musique tout en exhortant la Primature à être plus souple dans ses approches à trouver une solution de sortie de crise dans cette Transition. C’est le cas de Mouvement Troisième Voie Ayiti (MTV Ayiti), le parti de Reginald Boulos qui, depuis l’assassinat du Président Jovenel Moïse et la signature de l’Accord du 11 septembre, avait disparu de la circulation.

Pour cette première sortie, l’organisation politique de l’homme d’affaires a fait sortir une note de presse le 6 février 2022 dans laquelle elle exprime ses préoccupations et demande au Premier ministre de se rapprocher de l’Accord de Montana. « En l’absence de structures institutionnelles, démocratiques et de contrôle, il est nécessaire de doter le pays d’une direction politique qui réponde à l’esprit de la Constitution. Ceci est une exigence du moment. MTV Ayiti exhorte le Premier Ministre Ariel Henry, détenteur de la puissance publique de l’État, à faire montre de patriotisme pour engager, sans préconditions, des discussions et négociations sérieuses avec, d’abord les signataires de l’accord du 11 septembre de qui il tire sa légitimité, et ensuite avec les autres groupes organisés dont celui de Montana. Tout consensus doit nécessairement inclure une feuille de route rigoureuse qui inclut le rétablissement rapide de la sécurité alors que les cas de kidnapping se font de plus en plus nombreux et que la population fait face à une vague de violence inacceptable en pleine détérioration du climat économique », peut-on lire. Cette note signée de quatre des dirigeants effectifs de MTV Ayiti, Dr Carl François, Emile Hérard Charles, Schultz Simpssie et Richard Sénécal est une première depuis que la Transition tente de trouver sa voie.

C’est une pression supplémentaire sur les épaules de Ariel Henry après que le SDP de Me André Michel, le support le plus important du Premier ministre et signataire de l’Accord de la Primature, a eu une rencontre avec Fritz Alphonse Jean après son élection en tant que Président de la Transition pour l’Accord de Montana. On n’oublie pas non plus » de mentionner le retrait du groupe GIDHA (Groupe Intégré pour le Développement d’Haïti) de l’Accord du 11 septembre qui exprime son désaccord avec le Premier ministre n’arrivant pas à faire face aux difficultés rencontrées dans la gestion de la Transition. Le Secrétaire général du GIDHA, Lesly Fils Aimé, justifie ainsi le départ de son organisation dudit Accord « Nous avons décidé de lâcher prise. Le Premier ministre nous a tous roulés dans la farine en nous invitant à signer un Accord bidon tandis qu’il savait pertinemment qu’il se voilait la face. Nous devons lui rappeler que le pays n’est pas un héritage qui lui a été transmis et qu’il n’a aucune légitimité à diriger comme il le fait en maitre et seigneur ». Bref, en dépit de la lenteur et du retard pris par l’Accord de Montana, ses initiateurs ne désespèrent pas de mettre Ariel Henry devant le fait accompli et le contraindre à choisir entre : démission ou soumission.

C.C

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