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Après une impasse de trois mois, la semaine dernière, la principale coalition d’opposition d’Haïti a commencé à s’asseoir avec le Premier ministre par intérim de facto, Ariel Henry, pour mener des pourparlers sur la “transition” vers la démocratie, c’est-à-dire le retour à un gouvernement élu.
Cependant, la reprise des négociations suscite les tollés de nombreux groupes de la coalition d’opposition.
Magali Comeau Denis, le chef putatif de la coalition composée de groupes qui ont signé un accord politique le 30 août 2021 à l’hôtel Montana de Pétionville, fait l’objet de critiques sévères pour avoir unilatéralement discuté les 11 et 15 mai avec Henry. Comeau Denis a été ministre de la Culture sous le régime de coup d’État de facto du premier ministre Gérard Latortue de 2004 à 2006.
L’ambassade des États-Unis a fait pression pour des négociations entre la coalition de groupes d’Ariel Henry formée le 11 septembre, également connue sous le nom d’Accord de Musseau, et la coalition de l’Accord du Montana, qui est déjà de mèche avec la plus petite coalition PEN. Une délégation de l’Accord du Montana a rompu les négociations avec Henry en février dernier lorsqu’elle s’est apparemment sentie méprisée par l’arrivée tardive du Premier ministre. Des réunions à l’ambassade des États-Unis avec des délégations de Washington ont fait de la réconciliation entre les coalitions une priorité.
Mais plusieurs signataires de l’Accord du Montana ont donné leur opinion sur les négociations en cours, par exemple l’Organisation du peuple en lutte (OPL) n’est pas opposée aux discussions engagées entre le Bureau de Suivi de l’Accord de Montana et l’actuel Premier ministre. Dario Cyriac serait très satisfait si une entente était trouvée. Cependant il exprime des réserves sur le format des rencontres : « Montana se veut une démarche inclusive. Le bureau de suivi de l’accord comprend 21 membres. Pourquoi seule Magali Comeau-Denis participe-t-elle aux rencontres. A l’OPL nous jugeons ce fait inquiétant. Cela affaiblit l’accord. »
Même son de cloche de la part de Josué Merilien, leader du syndicat des enseignants et du groupe de gauche Konbit, signataire également de l’accord du Montana.
Mais l’un des critiques les plus conséquents des négociations qui ont maintenant repris sous la pression de l’ambassade des États-Unis vient du Mouvement pour la liberté, l’égalité et la fraternité (MOLEGHAF), basé au sommet de la colline de Fort national à Port-au-Prince. Haïti Liberté a pris un moment pour avoir le point de vue d’Oxygène David, secrétaire général du MOLEGHAF.
Haïti Liberté : Quelle est votre lecture du moment politique, en particulier de la reprise des négociations entre l’Accord du 11 septembre du Premier Ministre Ariel Henry et l’Accord du Montana, dont le MOLEGHAF est signataire ?
Oxygène David : Le MOLEGHAF en tant qu’organisation progressiste et révolutionnaire, a signé l’Accord du Montana pour deux raisons.
Premièrement, la direction de l’Accord du Montana a déclaré qu’elle recherchait une « solution haïtienne ». Une « solution haïtienne » signifie que nous – les acteurs, les organisations et les partis politiques haïtiens véritablement combatifs – viendraient avec la solution libre de l’emprise des grandes puissances impérialistes. Le MOLEGHAF a accepté de signer et d’adhérer à l’Accord du Montana [le 30 août 2021 à l’hôtel Montana], car nous étions censés trouver cette “solution haïtienne”, sans nous plier aux diktats de [alors chargé d’affaires américain] Kenneth Merten, [officier de longue date du Département d’État américain et actuellement chef du Bureau des Nations Unies en Haïti (BINUH)], Helen La Lime, ou les ambassades de France, du Canada et des États-Unis.
La deuxième raison pour laquelle le MOLEGHAF a signé l’Accord du Montana était conforme au principe léniniste de « marcher séparément, mais frapper ensemble ». A ce carrefour politique, le MOLEGHAF a jugé préférable de « frapper ensemble » avec d’autres groupes pour trouver une « solution haïtienne » même si le MOLEGHAF « marchait séparément » par rapport à son idéologie et sa position sur la lutte des classes.
Actuellement, quelle est la position du MOLEGHAF ? Je peux dire, en tant que secrétaire général du MOLEGHAF, que même si nous n’étions pas encore sortis de l’accord du Montana, nous étions très critiques envers les protagonistes. Nous sommes critiques parce que nous avons vu que Kenneth Merten est venu rencontrer les dirigeants de l’Accord du Montana, comme Magali Comeau Denis, et après cette rencontre, nous nous sommes vus entrer dans un carrefour dangereux où les masses haïtiennes seraient entraînées dans une situation difficile.
Après cette rencontre entre Magali Comeau Denis et Merten, on a vu l’Accord du Montana s’éloigner de son orientation initiale de trouver une « solution haïtienne ». Au lieu de cela, nous l’avons vu avoir des réunions avec Kenneth Merten et l’ambassade des États-Unis tout le temps, des réunions au cours desquelles Merten a donné l’ordre au Montana de s’asseoir avec l’accord PEN, puis avec l’accord du 11 septembre et l’accord du 11 septembre s’est assis avec le SDP [Secteur démocratique et populaire d’André Michel], le SDP s’est assis avec le Montana, puis le Montana s’est assis avec Ariel Henry.
Donc, en tant qu’organisation progressiste et révolutionnaire, nous voyons qu’il y a un complot international. Une guerre a été lancée contre les masses populaires et les victimes de notre société pour que le projet des masses populaires ne puisse pas avancer. C’est un projet de liberté et de bien-être, qui était le projet du père fondateur de la Nation haïtienne : Jean-Jacques Dessalines, qui a été assassiné deux ans après l’une des plus grandes révolutions de l’histoire, que fut la révolution haïtienne de 1804.
Voilà donc la position du MOLEGHAF. Nous n’allons pas faciliter le travail des impérialistes, ni l’Accord PEN, ni Ariel Henry, ni le travail de Magali Comeau Denis, bien que nous sachions qu’historiquement, elle a été contre les masses.
Nous, au MOLEGHAF, sommes catégoriquement opposés aux demandes, aux actions et à la route que le Montana a prises. Nous au MOLEGHAF disons que le Montana a perdu son chemin, sa mission originelle de chercher une solution haïtienne. Maintenant, il n’y a pas de solution haïtienne. L’Accord du Montana a capitulé avec sa dirigeante, Magali Comeau Denis, pour embrasser la solution concoctée par le laboratoire impérialiste, et livrée devant nous, un soi-disant consensus, pour s’asseoir avec Ariel Henry qui est l’ennemi des masses populaires, et qui a participé à l’assassinat du président inculpé Jovenel Moïse. Ariel Henry est responsable d’un certain nombre de massacres dans le pays, il a comploté contre le peuple, pour maintenir le peuple dans la faim, la misère et la pauvreté. Alors on dénonce énergiquement les leaders de l’Accord du Montana comme Magali Comeau Denis qui a choisi de s’asseoir avec Ariel Henry.
Aujourd’hui, nous sommes à un carrefour historique. L’Accord du Montana ne nous donnera pas la solution à nos problèmes, car il est construit sur des mensonges. Il a dit que les Haïtiens apporteraient leur propre solution, mais il est allé chercher la solution de Kenneth Merten qui représente les impérialistes américains. La solution ne viendra pas de l’Accord PEN, qui rassemble un groupe de politiciens traditionnels traîtres [comme l’ancien sénateur Youri Latortue et le sénateur Joseph Lambert], qui sont liés aux impérialistes américains ; ils sont des satellites des impérialistes américains qui font les travaux de la CIA. PEN ne peut pas apporter de solution.
Le SDP ne peut pas non plus fournir de solution. C’est juste un chien mendiant des os à la table du pouvoir d’Ariel Henry. La solution ne viendra pas du Palais National ou de la Primature avec Ariel Henry qui n’est que la troisième mouture du PHTK [Parti Haïtien aux Têtes Chauves]. La première version était le président Michel Martelly, la deuxième version était le président inculpé Jovenel Moïse, et la troisième version est Ariel. Que ce soit la première, la deuxième ou la troisième version, le PHTK est un parti anti-peuple, criminel, meurtrier.
La solution aujourd’hui doit venir des masses populaires, qui doivent se réveiller et se lever, pour porter leurs revendications politiques populaires, progressistes, pour mener une lutte véritablement autonome pour sortir le pays du trou où il se trouve.
Nous, au MOLEGHAF, dénonçons les négociations de Magali Comeau Denis avec Ariel Henry comme une fausse solution, c’est-à-dire une solution qui consiste simplement à partager le gâteau du pouvoir. Ils pourraient donner quelques miettes aux quartiers populaires, où vivent les masses ouvrières exploitées, opprimées et dominées. Mais la classe ouvrière n’obtiendra aucune solution.
Les masses populaires doivent se lever avec une avant-garde éclairée pour construire une alternative, avec des camarades politiquement et idéologiquement clairs, enracinés dans les masses, pour continuer une lutte anti-occupation, anti-impérialiste et anticapitaliste.
Haïti Liberté : Le MOLEGHAF va-t-il tenter de corriger le cours de l’Accord du Montana et arracher le contrôle de sa direction à Magali Comeau Denis et ses complices ou comptez-vous quitter la coalition ?
Oxygène David : Ce n’est pas la peine de se battre pour tenter de prendre le leadership de l’Accord du Montana. L’Accord du Montana est complètement pourri après ses tractations avec les impérialistes américains, et sous la direction de Magali Comeau Denis, qui tourne et traite avec les impérialistes américains et Ariel Henry pour trouver une soi-disant solution. Aujourd’hui, nous sommes dans la phase de départ. En tant qu’organisation révolutionnaire progressiste, nous irons partout : aller parler aux masses, aller discuter avec les opprimés, les abandonnés et les exclus, aller parler à la classe moyenne, aller discuter avec les progressistes, avec l’élite intellectuelle qui est proches des masses, pour établir un nouveau camp de combat, une nouvelle lutte autonome.
Le MOLEGHAF veut jouer le rôle d’une avant-garde complètement ancrée dans les masses populaires. Le MOLEGHAF doit utiliser toutes ses voies et tous ses moyens, tout ce qui est imaginable et possible, pour voir s’il peut influencer la scène politique pour servir de porte-parole pour mener la lutte des masses jusqu’à sa conclusion, jusqu’à ce qu’elle ait un résultat.
Nous n’avons qu’à laisser l’Accord du Montana s’effondrer, tomber en chute libre, afin que les masses puissent établir leur propre organisation, qui soit souveraine, et ne reçoive pas d’ordres des capitalistes, des impérialistes et des ambassades.