Garry Conille, les raisons de son limogeage !

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Le « Forum citoyen », du Premier ministre Garry Conille

(5e partie)

Deux jours avant la rencontre au sommet sur la question des mercenaires qui auraient été en Haïti à l’initiative de Garry Conille, lors d’un week-end politique le 2 novembre 2024 à Kenscoff, celui-ci avait une attitude qui laissait présager qu’il n’était pas prêt de baisser pavillon devant Leslie Voltaire dans le dossier du remaniement ministériel. Comme du temps de la présidence de Michel Martelly et du gouvernement de Laurent Salvador Lamothe qui avaient initié une série de déplacements en province dénommée « Gouvèneman an Lakay ou », Garry Conille avait convoqué son gouvernement et ses partisans à Kenscoff pour une démonstration de force. Lors de cette retraite intitulée : « Forum citoyen », c’est à un véritable chef de guerre ou politique qu’on avait affaire. Le Premier ministre haranguait ses soutiens en leur demandant de se mettre disponibles pour la lutte. Durant ce week-end du « Forum citoyen » qui avait attiré beaucoup de ses amis, le chef du gouvernement portait un discours qui ne laissait aucun doute sur ses ambitions politiques ou qu’il avait un projet et cherchait à l’articuler face au CPT. Le samedi 2 novembre 2024, c’était son grand jour. C’est la date qu’il avait choisie pour parler en chef et tenter de prendre la population à témoin en livrant un discours qui a sans doute précipité sa chute.

Alors même qu’il affirme qu’il n’y avait pas de mercenaires dans le pays, il n’hésitait pas à confirmer qu’il fait de la rétention d’informations compte tenu des oreilles indiscrètes et des Conseillers-Président trop bavards ou ayant des relations avec des gangs. En outre, il exigeait de la présidence la publication dans le journal officiel Le Moniteur de tout ce qui n’a pas été fait sous la présidence de Edgard Leblanc Fils, sinon il ne cèdera pas, en clair il n’y aura jamais de remaniement ministériel. Il réclamait la publication de l’Accord du 3 avril 2024, le départ des trois Conseillers-Président inculpés dans l’affaire de corruption de la BNC, la formation de l’OCAG (Organe de Contrôle des Actions Gouvernementales), etc. sinon, il serait difficile, selon lui, d’accepter le renvoi du cabinet ministériel. Des exigences somme toute légitimes mais que Leslie Voltaire et ses camarades du CPT refusaient de faire sous la contrainte ni le diktat d’un Premier ministre qui se la jouait de plus en plus en solo et qui démontrait des velléités d’émancipation vis-à-vis du Pouvoir exécutif. En lisant un large extrait de son intervention dit de la « Déclaration de Kenscoff » du samedi 2 novembre 2024, les lecteurs feront eux-mêmes leur propre opinion sur l’intention réelle de Garry Conille.

Comme nous le disions plus haut, ce discours était peut-être le discours de trop. En tout cas, celui qui a finalement convaincu Leslie Voltaire et ses collègues de prendre le devant en limogeant au plus vite ou avant qu’il ne soit trop tard ce Premier ministre qui prenait le large sous leurs yeux. Extrait « La garantie que je peux vous donner, sans détour, est qu’il n’y a pas de mercenaires sur le sol d’Haïti. Je veux aussi que vous sachiez que la personne en face de vous prendra toutes les dispositions, fera tout ce que la loi et la Constitution lui autorisent pour garder Solino, Arcahaie, Pont Sondé, pour revenir à Carrefour. J’utiliserai tous les moyens légaux à ma disposition. Je regarde la PNH. C’est elle qui me guide. C’est elle qui me dit ce dont elle a besoin, ce dont elle n’a pas besoin.

C’est elle qui me dit où elle est bloquée et où elle ne l’est pas. Ma responsabilité est de désembourber la PNH lorsqu’elle me dit qu’elle l’est. La question est liée au CPT. Il y a une expression qui dit qu’il y a beaucoup d’oreilles dans les bois (raje gen anpil zòrèy). Dans le milieu dans lequel nous avançons, il y a beaucoup d’oreilles. Qu’est-ce que j’ai vu depuis 4 mois ? Les policiers planifient des opérations, prennent toutes les dispositions pour mener de belles opérations, les bandits sont au courant avant même le début des opérations. Nous vivons dans une situation « kote marengwen ap vole ou pa konn sak mal sak femèl ». Ce que je dis, répond à deux soucis. Est-ce que le dire met ma police à risque ?

Est-ce que le dire met à risque ses opérations ? Voilà ce qui me guide dans ce que je partage, dans ce que je ne partage pas. Nous sommes dans une situation où en tant que chef du CSPN, en tant que responsable des décisions qui concernent la sécurité, nous sommes obligés d’être très, très prudent dans notre façon de partager des informations parce que nous avons vu en quatre mois que cela met nos opérations à risque. Le moment est excessivement fragile, il demande des hommes d’État, des hommes responsables, des hommes qui se rendent responsables quand les choses fonctionnent et quand elles ne fonctionnent pas.

Il demande de comprendre que quand vous discutez dans un Conseil restreint, que tout ce qui est discuté se retrouve dans les rues. Dormez en paix ! Pendant que je suis là, il n’y aura pas de mercenaires sur le territoire haïtien. Soyez convaincus que l’on fera tout et cherchera les ressources où elles se trouvent. Nous ne pouvons plus perdre de territoires et les gens attendent afin de retourner chez eux. Oui, il y a des choses que l’on dit et d’autres que l’on ne dira pas. Cette situation est trop sérieuse pour que l’on donne des informations préjudiciables aux policiers qui versent leur sang pour nous. Nous vivons un drôle de moment au cours duquel des gens qui devraient appuyer la Transition, c’est eux qui essaient de provoquer l’échec de la Transition. Subitement depuis trois semaines, je ne sais pas ce qui se passe, mais il y a une attaque coordonnée dans trois, quatre, cinq sites différents.

Subitement, je ne sais pas ce qui se passe depuis trois semaines, je me rends compte qu’il y a une mobilisation d’argent qui se fait pour mobiliser des bases. Subitement, depuis trois semaines, il y a un engouement pour mettre l’accent sur ce que le gouvernement fait ou ne fait pas » Garry Conille le 2 novembre 2024. A la suite de ce discours d’une tonalité inouïe, le Conseil Présidentiel de Transition s’est réuni en urgence et a conclu qu’il faut passer à une nouvelle étape sans pour autant brusquer les choses, en tout cas ce qu’il croyait. Finalement, le lundi 4 novembre 2024, Garry Conille a répondu pour la forme à l’invitation du CPT concernant l’affaire des mercenaires. Le Premier ministre s’en est expliqué avec trois Conseillers-Présidentiel : Leslie Voltaire, Laurent Saint-Cyr et Frinel Joseph.

D’après lui, il y a juste un problème de communication entre les membres du Conseil Présidentiel puisque le dossier était déjà connu de la présidence. Un Conseiller interrogé par la presse disait, en effet, que « Le Premier ministre nous a expliqué qu’il ne s’agissait pas de mercenaires. Il nous a expliqué sa démarche. Le dossier avait déjà été discuté sous la présidence d’Edgard Leblanc Fils et il y a eu des rétentions d’informations du côté de l’ancien Président du CPT. Lors de la rencontre avec Garry Conille, celui-ci nous a communiqué des documents sur Studebaker Group présenté comme un groupe de mercenaires dans le pays. Au niveau du CPT, on a décidé que c’était Leslie Voltaire, Laurent St-Cyr qui s’occupent du chantier de sécurité dans la Transition qui allaient conduire cette rencontre. Frinel Joseph comme membre observateur du Conseil a pris part aussi à la rencontre.

Maintenant, on se concentre sur autre chose, l’affaire est close». Il faut sous-entendre le limogeage du Premier ministre Garry Conille. Volontairement, après la rencontre, la présidence laissait courir la rumeur de la révocation de quelques ministres notamment Carlos Hercule, Dominique Dupuy dont le comportement ne plaisait pas aux autorités dominicaines qui ne supportent pas leurs critiques concernant les déportations des haïtiens faites dans des conditions intolérables et sans aucune humanité alors que les Conseillers-Président gardent le profil bas sinon avalent leur langue. En réalité, cette rumeur concerne aussi Garry Conille qui ne fait pas foi à la somme de messages publiée sur les réseaux sociaux. Pourtant, la révocation du Premier ministre était bien dans le tuyau. Certaines ambassades, notamment celles des Etats-Unis, de la France et du Canada, sont informées de l’intention du CPT de limoger Conille s’il persistait à refuser le remaniement du gouvernement. Or, ces Chancelleries ne croyaient pas un instant à ce scénario catastrophe qui serait pour elles un acte d’insubordination du CPT à l’égard de leurs pays.

Garry Conille non plus n’y croyait pas. Il parlait de chantage et de manipulation que Leslie Voltaire et ses pairs tentent de propager dans l’opinion publique. Dans le milieu politique, la rumeur se transforme en nouvelle. Certains responsables politiques commencent à sortir du bois pour dire qu’il ne sera pas possible pour le CPT de limoger le Premier ministre dans la mesure où il n’a pas de provisions légales pour un acte politique aussi retentissant. Curieusement, même Garry Conille, ne fait pas grand cas de la nouvelle d’une « Résolution » signée par 5 Conseillers sur 9 qui commence à circuler. Comme d’habitude, Pierre Esperance du RNDDH, généralement très bien informé, est au courant de la fameuse « Résolution » que 5 des Conseillers Présidentiels ayant droit de vote auraient signée, mais il n’y croyait pas non plus estimant que « Cette résolution existe. Je ne sais pas si elle est signée. Mais les trois Conseillers inculpés dans le scandale de la BNC ne peuvent pas prendre de décision pour engager le pays ». N’empêche, la nouvelle de la « Résolution » enflait même si personne ne voulait y croire. Trop risqué pour leurs auteurs qui marchent, selon certains, sur des œufs compte tenu l’emprise de Washington sur la politique haïtienne.

Claude Joseph, chef du parti politique EDE

Le chef du parti politique EDE, Claude Joseph, pourtant en conflit ouvert avec son représentant au CPT, Smith Augustin qui ne veut pas partir du pouvoir, ne croyait pas que le CPT pouvait virer le Premier ministre. Interrogé par Le Nouvelliste le 7 novembre 2024, Claude Joseph avait beaucoup épilogué sur cette « Résolution » dont tout le monde commence à parler sans y croire vraiment. L’ancien ministre des Affaires Etrangères de Jovenel Moïse expliquait longuement au journal « J’ai ouï dire qu’il existe une « Résolution » signée par au moins cinq Conseillers du Conseil Présidentiel de Transition pour renvoyer le Premier ministre Gary Conille s’il n’accepte pas de remanier le gouvernement. A mon humble avis, le CPT doit aujourd’hui s’occuper de la situation des 3 Conseillers inculpés pour leur implication dans le scandale de corruption de la BNC, ce qui constitue un véritable handicap à la réussite de la Transition. En outre, le droit de cette Transition limite les prérogatives du CPT concernant le renvoi d’un Premier ministre.

L’article 37 du décret du 29 mai portant organisation et fonctionnement du CPT est très clair : « En cas de présomptions graves, de corruption dûment constatée ou de déficit de gouvernance documenté et présenté par l’Organe de Contrôle de l’Action Gouvernementale (OCAG), le Conseil Présidentiel de Transition (CPT) met fin aux fonctions du Premier ministre par la présentation par celui-ci de la démission de son gouvernement. Or, il arrive que l’OCAG n’existe pas aujourd’hui à cause de la volonté des membres du CPT de s’éloigner de plus en plus des secteurs qu’ils sont censés représenter. Le coup d’État sur l’Accord du 3 avril qui est la loi des parties, orchestré par les autorités de cette transition, est aujourd’hui consommé. Ce qui fait que les secteurs ne peuvent pas assumer un rôle de médiation et de facilitateur. Si le CPT n’avait pas orchestré ce coup d’État contre l’Accord du 3 avril, l’Assemblée des secteurs aurait déjà constitué de concert avec le Conseil Présidentiel, comme le veut l’article 47.1 dudit Accord, une Commission de Conciliation de neuf (9) membres, chargée de faciliter l’harmonisation entre les membres du CP et entre le CP et les autres organes de la Transition en cas de différends. »

Bizarrement, le chef de EDE n’était pas le seul leader politique à ne pas croire que le CPT oserait renverser le gouvernement en décidant de mettre brutalement fin au mandat du Premier ministre qui pensait qu’il était indéboulonnable vu ses relations avec la Communauté internationale qui était censée être son seul donneur d’ordre. D’autres responsables politiques avaient été sollicités afin de donner leur avis sur un éventuel renvoi de Carry Conille. C’est le cas du leader du SDP, Me André Michel, signataire de l’Accord du 21 décembre, l’entité qui a proposé Louis Gérard Gilles au CPT. Lui aussi ne voulait pas admettre que le CPT oserait porter le dernier coup à Conille prétextant que l’organe qui pouvait le faire, entre autres, l’OCAG, n’a jamais été institué par le CPT. Donc, il n’y a aucune provision à ce que le Premier ministre soit tombé.

Me André Michel soulignait pour Le Nouvelliste le jeudi 7 novembre 2024 que « l’Accord du 21 décembre n’est pas au courant de l’existence d’une Résolution du CPT renvoyant le Premier ministre. De plus, les textes fondateurs de la Transition (le Consensus de la Jamaïque du 11 mars 2024, l’Accord du 3 avril 2024, le décret du 12 avril 2024, le décret du 23 mai 2024) ne donnent pas au CPT le pouvoir de renvoyer le Premier ministre. Bien entendu exceptionnellement, l’article 37 du décret du 23 mai 2024 stipule qu’en cas de présomptions graves de corruptions et de déficit de gouvernance dûment constatées par l’Organe de Contrôle de l’Action Gouvernementale (OCAG), le CPT met fin à la mission du Premier ministre par la présentation par celui-ci de la démission du gouvernement. Cette disposition existe aussi dans l’accord du 3 avril 2024. Aujourd’hui, l’Organe de Contrôle de l’Action Gouvernementale (OCAG) n’est même pas encore créé.

Il n’y a aucune possibilité pour le CPT de renvoyer le Premier ministre. Le CPT ne peut pas prendre cette disposition. Je conseille plutôt aux autres membres du CPT d’agir pour la mise à l’écart des 3 Conseillers Présidentiels inculpés dans le dossier de la BNC, conformément à l’article 2 du Décret du 12 Avril 2024, ce, pour permettre au Conseil Présidentiel de reprendre sa crédibilité et son autorité morale. Nous avons déjà rencontré le Premier ministre Gary Conille. Nous sommes plus que jamais disposés à rencontrer l’architecte Leslie Voltaire, Président du CPT, pour lever, comme vous le dites, l’hypothèque qu’il y a sur la réussite de la Transition. L’Accord du 21 décembre appelle les différentes parties prenantes à assumer leurs responsabilités, dans le dialogue et la concertation, pour sauver le processus transitionnel en cours. » Même son de cloche chez les dirigeants de la plateforme du Collectif 30 janvier. Pour les chefs de cette mouvance politique, certes, ils avaient entendu parler de cette « Résolution » depuis quelques jours, mais ils ne pouvaient imaginer un tel scénario qui sera mal accepté dans l’opinion publique et sur le plan international.

Ils expliquaient qu’ils voulaient rencontrer les deux protagonistes mais compte tenu du bras de fer dans lequel ils s’étaient engagés, cela devenait difficile « Cela fait une bonne dizaine de jours que l’on parle de cette « Résolution » du CPT pour renvoyer le PM Conille. Mais il y a un problème. Une résolution pour renvoyer le Premier ministre avec la participation des trois Conseillers inculpés ne sera pas bien reçue tant au niveau national qu’international. C’est pour cela qu’il y a des Conseillers censés qui pensent que ce n’est pas la meilleure attitude à avoir avec ces trois inculpés. Ce n’est pas la bonne route à emprunter. Une escalade de ce genre. Le CPT peut être la victime s’il emprunte cette voie, au fond, les quatre Conseillers votants savent qu’ils ne peuvent aller loin avec les trois inculpés ».

Comme tout le monde donc, les responsables politiques refusaient de voir que la fin de Garry Conille à la tête du gouvernement était proche. L’intéressé lui-même continuait d’agiter le chiffon rouge au nez du Président Leslie Voltaire tant il était dans le déni. Repoussant d’un revers de main l’hypothèse qu’une « Résolution » était en préparation pour l’éjecter du fauteuil de la Primature. Il était encouragé dans cette démarche quand il remarquait que même les leaders politiques d’opposition ne donnaient crédit à cette rumeur, certes, devenue information. Surtout, il continuait d’avoir le soutien de la quasi-totalité des parties prenantes qui ont désigné les membres du CPT même si tout juste après leur nomination, les concernés ont rompu le pont avec elles. (A suivre)

 

 

C.C

 

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