Au sein des oppositions au Président Jovenel Moïse, le débat a été âpre pour trouver l’oiseau rare qui devait devenir Président de la Transition et de la rupture. Selon nos informations, Me Joseph Mécène Jean-Louis ne faisait pas l’unanimité et loin de là. Beaucoup de leaders de l’opposition plurielle s’opposaient à ce choix. Par conséquent, rien n’avait été officiellement arrêté. D’autres ignoraient tout bonnement cette initiative. Finalement, c’est par les médias qu’ils ont eu connaissance de l’« élection » de Me Joseph Mécène Jean-Louis à la présidence de la Transition. Ainsi que la fameuse tentative de « coup d’Etat » du 7 février qui n’était pas prévu seulement contre Jovenel Moïse.
Une bonne partie de l’opposition plurielle a failli être victime collatérale de ce vrai/faux coup d’Etat. Puisque le choix de Me Yvickel Dabrésil n’était pas le choix de toutes les franges de l’opposition. C’est comme monsieur tout le monde que certains leaders de l’opposition ont appris, stupéfaits, que c’est Me Yvickel Dabrésil, discours en poche, qui était désigné par une minorité des oppositions pour s’adresser à la population avec le titre de Président provisoire de la République au mépris de la grande majorité de l’opposition plurielle. En somme, un « double coup d’Etat.» Cette affaire a embarrassé nombre de dirigeants de l’opposition, d’où d’ailleurs, leur silence qui ne veut pas dire qu’ils avaient cautionné le coup. Somme toute, Jovenel Moïse a, semble-t-il, rendu service sans le savoir à ce groupe qui s’était toujours opposé au choix de ce magistrat.
De toute façon, ce problème est définitivement résolu puisque, dans la foulée, les trois juges de la Cour de cassation pressentis pour que l’un d’entre eux succède à la présidence d’Haïti, ont été d’office mis à la retraite par un arrêté présidentiel publié le lundi 8 février 2021 dans le journal officiel Le Moniteur. Il s’agit des juges : Yvickel Dieujuste Dabrésil ; Wendell Coq Thelot et Joseph Mécène Jean-Louis. Selon l’arrêté, ils doivent faire valoir leur droit à la pension. Sauf que, selon la Constitution de 1987 dans son article 177, on lit ce qui suit : « Les juges de la Cour de cassation, ceux des Cours d’Appel et des Tribunaux de Première instance sont inamovibles. Ils ne peuvent être destitués que pour forfaiture légalement prononcée ou suspendus qu’à la suite d’une inculpation. Ils ne peuvent être l’objet d’affectation nouvelle, sans leur consentement, même en cas de promotion. Il ne peut être mis fin à leur service durant leur mandat qu’en cas d’incapacité physique ou mentale permanente dûment constatée. » Le débat reste ouvert sur le comportement de ces trois juges vis-à-vis de la législation en vigueur. Sans compter le côté éminemment politique de cette décision présidentielle et le contexte dans lequel elle a été prise.
quoi de plus normal qu’un Commandant de police se trouve en pleine nuit avec des individus dont le rêve est de renverser les autorités en place.
Il y a un autre personnage parmi les 23 personnes qui ont été appréhendées par les forces de l’ordre – libérées depuis – qui mérite qu’on jette un coup d’œil sur son cas. Il s’agit de madame Marie Louise Gauthier, Inspectrice générale de la police nationale haïtienne (PNH). Voilà encore et toujours un autre cas typique des Haïtiens sur leur compréhension vis-à-vis des choses publiques. Que n’a-t-on pas entendu dans certaine presse et de la bouche des leaders politiques de l’opposition du fait de voir ce haut cadre faisant partie de l’Etat-major de la police nationale menottes aux poignets assise parmi les autres présumés comploteurs accusés d’atteinte à la Sûreté intérieure de l’Etat ! Evidemment, la première question de bon sens qui vient à l’esprit de tout le monde est celle-ci: que faisait cette Inspectrice générale à 2 heures du matin, en uniforme, avec ce groupe de personnes, toutes opposées au Président de la République en fonction et dont le seul but était de le remplacer par un juge de la Cour de cassation ? Là encore, personne ne veut savoir. Cela ne les intéresse pas non plus. D’après ce que nous avons entendu, elle avait le droit d’être chez des amis. Ou encore, quoi de plus normal qu’un Commandant de police se trouve en pleine nuit avec des individus dont le rêve est de renverser les autorités en place. Quelle absurdité !
Le plus désolant de l’histoire, c’est que les gens qui font de tels commentaires savent pertinemment que ce qu’ils racontent est contraire à la vérité et à la déontologie. Dans une autre circonstance, ils auraient été les premiers à s’estomaquer contre le mélange des genres. Surtout que ce haut fonctionnaire de police en commandement se trouve en compagnie de sa sœur qui, elle-même, est un membre bien connu de l’opposition qui réclame le départ du Président en place. Pour ceux qui ne le savent pas, Marie Louise Gauthier est la sœur du Dr Marie Antoinette Gauthier, ancienne candidate à la présidence d’Haïti lors de l’élection présidentiel qui a conduit Jovenel Moïse au pouvoir. Les circonstances les plus accablantes pour cette Inspectrice de police, c’est que quelques jours auparavant, le Service d’intelligence du gouvernement avait enregistré une conversation téléphonique de ce Comandant de police qui se présentait comme l’une des têtes pensantes du coup qui était en préparation.
En effet, quelques jours avant le déballage en public de toute cette affaire, le chef de la sécurité du Président de la République, Dimitri Hérard, qui est aussi le Commandant de l’Unité de Sécurité Générale du Palais National (USGPN), bataillon responsable de la protection de la présidence haïtienne, avait eu une conversation ahurissante et surprenante avec cette Inspectrice générale de police. Cette conversation qui a tourné en boucle sur Internet, les médias locaux et les réseaux sociaux est assez saisissante et même révélatrice du cynisme et de l’infantilisme politique en Haïti. On ne sait pas si cette dame disait la vérité, mais cette conversation qui semble être bien un document authentique pourrait servir de preuve accablante pouvant mettre cette Inspectrice de la PNH dans une situation difficile et embarrassante ; et elle aurait bien du mal à prouver le contraire de ce qu’elle avançait sur son implication et son accointance avec les opposants au régime.
Sur ce plan, l’ancien colonel des Forces Armées d’Haïti (FAD’H), Himmler Rébu, expert ès Coup d’Etat, a raison quand il déclare : « Les personnes arrêtées mentiraient si elles affirmaient qu’elles ne s’attendaient pas à prendre le pouvoir. Elles sont entrées dans une souricière. Les concernés sont rentrés dans le jeu parce qu’ils croyaient que cela allait marcher. Ils croyaient que cela allait évincer le Président du pouvoir. Il y a eu une sorte de course pour le pouvoir. Dans les notes vocales circulant sur la Toile, on peut écouter les acteurs qui décident de quel groupe de personnes doit être présent ou non. » Sauf s’il s’agissait d’une infiltration par le service des renseignements. Si c’est le cas, l’équipe de l’ANI qui aurait monté ce scénario a commencé fort, voire très fort, c’est le moins que l’on puisse dire. Bien qu’en même temps, le colonel qui est aussi dirigeant du GREH (Grand Rassemblement pour l’Evolution d’Haïti) se contredit en avançant qu’il ne s’agit point d’un Coup d’Etat. « Il s’agit d’un film orchestré par quelqu’un de très brillant » dit-il. Tout en reconnaissant d’autre part que « Ces gens ont été manipulés » sans dire par qui.
De ce malencontreux épisode qu’on a qualifié de « vrai-faux coup d’Etat », il y a évidemment la participation des agents de la police affectés à la sécurité du Palais national qui pose un vrai problème de territorialité en matière de compétence sur le terrain. Selon les règlements de la PNH, les agents de l’USGPN sont uniquement chargés de la protection du chef de l’Etat, des anciens Présidents, leurs résidences et les lieux où ils se trouvent. Ils n’ont aucun droit pour intervenir dans les lieux publics où seuls les autres corps spécialisés de la PNH peuvent intervenir, même pas leur chef, en l’occurrence le tout puissant Dimitri Hérard. Aucun agent de l’USGPN ne devait être sur le terrain ou à la Résidence de Petit Bois, le théâtre de l’opération pour procéder à l’arrestation des présumés conjurés. Certes, n’en déplaise à certains, le Directeur Général de la police, Léon Charles, en tant que patron peut bien se trouver sur les lieux et même superviser n’importe quelle opération. Car, après tout, il est le premier concerné par la réussite ou l’échec de toutes interventions policières dans le pays comme ce qui s’est passé le 12 mars 2021 au Village de Dieu lors du massacre des cinq policiers dans ce bidonville par le gang dirigé par un certain « Izo 5 secondes ».
En tout cas, c’est bien triste de voir qu’en Haïti, après bien des années, on continue à répéter les mêmes erreurs et ce, pratiquement, dans tous les domaines. En revanche, il y a une énorme différence entre les Présidents Lavalas et PHTK dans la gestion du pouvoir par rapport aux conflits des années 2000. Entre 2001 et 2004, le régime Lavalas se contentait de subir et de prendre les coups sans réagir, encore moins sans utiliser les armes légales dont il disposait : la Constitution, les lois de la République, la majorité au Parlement, la police nationale, etc. pour se défendre contre l’opposition qui jurait de lui faire mordre la poussière. Le Président Aristide avait fini par perdre le pouvoir par immobilisme et attentisme. Tandis qu’aujourd’hui, le Président Jovenel Moïse, qu’on soit d’accord ou pas, qu’il ait raison ou non, se défend contre les assauts de ses adversaires. A chaque fois qu’il se sent menacé, il sort ses griffes. Il réagit en attaquant par voie légale, certes contestée par l’opposition, mais il ne se laisse pas marcher dessus, encore moins écraser sans rien faire ni sans rien dire. Une attitude qui, paradoxalement, neutralise, handicape voire paralyse toutes les actions des oppositions.
« Les hommes ne reçoivent point la vérité de leurs ennemis, et leurs amis ne la leur offrent guère ; c’est pour cela que je l’ai dite »
Ironie de l’histoire, en 2021, il n’y a jamais eu autant de persécutions politiques et de prisonniers politiques en Haïti que pendant la période 2001-2004. Le pouvoir arrête et libère ses opposants comme bon lui semble. Il détient la globalité du pouvoir dans le pays. Il crée de nouvelles institutions en l’absence du Parlement. Il met sous contrôle l’administration publique. Il attaque des institutions indépendantes. Il menace les grands secteurs dits des affaires. Il accuse et menace les « Oligarques corrompus ». Il lance des mandats d’arrêt à l’encontre de ses opposants. La police fouille la résidence des membres de l’opposition. Il révoque des hauts magistrats du Pouvoir judiciaire qui ne respectent pas leur statut et les remplace sans coup férir. Les gangs armés tuent, kidnappent et évoluent dans la région métropolitaine de Port-au-Prince à visage découvert, etcetera, etcetera. Sous la présidence d’Aristide, il n’y avait rien d’aussi grave, de provocateur ou de dictatorial.
Pourtant, l’opposition haïtienne ne trouve toujours pas la faille pour porter la Communauté internationale à venir chercher Jovenel Moïse pour le conduire vers un exil doré quelque part en Afrique ou en Amérique latine. Tout le monde le sait, c’est le rêve de tous les chefs de l’opposition : que l’International lâche le Président afin qu’ils installent un gouvernement de Transition sur quoi ils fondent tout leur espoir. Les observateurs politiques que nous sommes ont pour devoir de dire cette vérité. C’est le seul service qu’on peut rendre au pays, à la population. Alexis de Tocqueville, dans le tome II De La Démocratie en Amérique écrivait : « Les hommes ne reçoivent point la vérité de leurs ennemis, et leurs amis ne la leur offrent guère ; c’est pour cela que je l’ai dite ». Jean-Bertrand Aristide était un Président de la République qui comptait uniquement sur sa popularité et sa base politique. L’histoire a prouvé que ce n’est pas suffisant pour se maintenir au pouvoir en Haïti.
Le Président Jovenel Moïse dont on suppose qu’il n’a ni base politique ni popularité tient pourtant tête aux oppositions par le seul fait qu’il agit, prend des mesures, certes contestables pour certains, mais donnant l’impression qu’il tient le pays d’une main de fer et de fait, garde le contrôle des institutions, en tout cas de ce qui en reste. Le Core Group ou la Communauté internationale n’en demande pas plus. Leurs intérêts ne sont pas menacés. C’est à l’opposition de prouver qu’elle est capable de prendre le pouvoir avant les élections. Ce n’est pas au pouvoir de justifier sa faiblesse, son inefficacité et son incapacité. N’oublions pas qu’on est dans un Etat failli. Une République bananière. C’est le rapport de force qui compte pour la Communauté internationale, rien d’autre. Pour le moment, c’est Jovenel Moïse qui détient cette force puisque lui et lui seul peut agir et réagir à tout moment et suivant les circonstances. C’est là la réalité politique en Haïti en avril 2021. (Fin)
C.C.