Conseil Présidentiel de Transition, histoire d’une création (7)

(7e partie)

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Très courte cérémonie de prestation de serment des 9 membres du Conseil présidentiel au Palais national le jeudi 25 avril 2024

Deux jours après la publication du décret nommant les 9 Conseillers Présidentiels de Transition, une rencontre a eu lieu entre ces derniers et le Premier ministre intérimaire, Michel Patrick Boisvert, ainsi que le Directeur général de la police nationale, Frantz Elbé. Cette rencontre du 18 avril 2024 avait pour objectif principal la sécurité de chacun des membres du Conseil et aussi la mise en place du processus d’installation au Palais national du CPT.

C’était aussi la première rencontre des Conseillers-Présidents avec celui faisant office de chef de gouvernement en l’absence d’Ariel Henry que les autorités américaines ont gardé aux Etats-Unis (Los Angeles) en attendant que le pays retrouve un peu de sérénité et de nouvelles autorités. Ce jour-là, c’est-à-dire ce 18 avril, les deux parties ont créé chacune de leur côté une Commission de passation de pouvoir divisée en quatre sous-Commissions.

Elles étaient réparties de la manière suivante : Sécurité, « chargée de travailler avec le CSPN, le chef de la PNH et l’État-major des FADH pour la planification de la sécurité du périmètre du Palais et des circuits principaux d’arrivée des invités, ainsi qu’à la sécurisation de l’espace et de son environnement. » Logistique, « chargée de l’aménagement et l’assainissement de l’espace. Plus spécifiquement, elle consolide les budgets, fait l’inventaire des véhicules et chauffeurs disponibles, établit les systèmes de communications entre les acteurs organisant l’événement et s’assure de l’existence d’un système de traduction. » Protocole, selon le document défini par les intéressés, cette Sous-commission est « chargée de coopérer avec les Comités de protocole du Palais national, de la Primature, du ministère des Affaires Étrangères et le Coordonnateur de la sécurité du Palais national.

Elle s’occupera de la planification de l’événement qui comprend l’assainissement des alentours et des lieux de la cérémonie, la logistique des invitations, l’accueil, le filtrage, le placement des invités et des officiels ainsi que leurs voitures. Elle prend en charge l’organisation de la cérémonie, incluant les aides de camp, la décoration intérieure, la scénographie et la séquence des interventions. Elle supervise la logistique de la cérémonie. » Passation de dossiers, « s’occupera des dossiers des institutions de l’État : Organigramme général, budgets et Lois organiques des ministères, agences et directions autonomes, Forces de sécurité et Collectivités territoriales. » L’ensemble devait travailler ensemble afin de préparer la passation de pouvoir en bonne et due forme. A l’issue de cette rencontre au sommet, un membre du Conseil devait déclarer à la presse « Nous avons discuté du rétablissement de la sécurité en général dans le pays, la sécurité des membres du Conseil Présidentiel et la sécurité le jour de notre installation au Palais national.

Les membres de la Commission de passation des pouvoirs du gouvernement et ceux du Conseil Présidentiel doivent se rencontrer pour préparer la passation. Ils vont évaluer la situation avant de fixer une date pour notre installation au Palais national. Le Directeur général de la PNH nous a donné la garantie que toutes les dispositions sécuritaires seront prises pour permettre le bon déroulement de notre installation au Palais national », des propos rapportés par le journal Le Nouvelliste dans son édition du 18 avril 2024.

La Villa d’accueil est utilisée comme bureau des conseillers présidentiels

Le lundi 22 avril, un membre du Conseil Présidentiel, Leslie Voltaire, le représentant du parti Fanmi Lavalas, qui était très actif dans ce dossier de l’installation, avait effectué une visite de reconnaissance au Palais national, en compagnie d’une petite délégation composée de l’ancien colonel Himmler Rébu, chargé comme il se doit de la Sous-commission de Sécurité pour l’installation du CPT ; de Raymond Jeanty, ancien Administrateur du Palais national durant la présidence de René Préval et de l’ancien Directeur de l’ISPAN, Henry Robert Jolibois. Voltaire voulait s’enquérir de l’état de l’endroit et du niveau de sécurité de l’environnement pour savoir si l’installation pouvait réellement se faire au Palais national se trouvant au Champ de Mars.

Or, ce périmètre est situé en plein cœur du Centre-ville où les groupes armés se sont eux installés en toute quiétude et en toute impunité depuis au moins trois ans. « Ce mardi, le Conseil va prendre une décision sur la date et le lieu de notre installation. Mais, au moment où je vous parle, on maintient ce mercredi et le Palais national pour notre installation. Le Conseil a considérablement réduit le nombre d’invités à la cérémonie. Initialement, il devait y avoir 400 invités à la cérémonie d’installation. Maintenant on le réduit à entre 80 et 100 invités. On aura une cérémonie solennelle mais sobre » avait avancé Leslie Voltaire aux journalistes après sa brève visite au Palais national dans le cadre des préparatifs pour l’installation du CPT. Le mercredi 24 avril 2024, dans la capitale haïtienne, l’on sentait que les choses avançaient. Dans un communiqué du gouvernement, on apprenait que le refugié de Los Angeles, Ariel Henry, avait officialisé sa démission du 11 mars 2024.

Par deux courriers distincts, l’ex-chef du gouvernement dans le premier, s’adressa brièvement et simplement au Conseil des ministres et déclara « Mesdames, Messieurs les membres du Conseil des ministres. Comme me l’autorise l’article 165 de la Constitution de 1987, suite à la démission de mon gouvernement, je vous confirme que pour des raisons personnelles, j’ai choisi de me retirer immédiatement du poste de Premier ministre et de toutes responsabilités ministérielles. » Dans le second, Ariel Henry, remerciait son ancienne équipe et, tout en prenant acte des évènements qui sont en train de se passer en Haïti, écrivait :  « Mesdames, Messieurs les membres du Conseil des ministres, par la présente, prenant acte de l’état de fait, je présente la démission de mon gouvernement. Je félicite tous les membres du gouvernement, les collaborateurs, l’administration publique, les forces de sécurité, toutes celles et tous ceux qui m’ont accompagné durant cette démarche patriotique. 

Nous avons servi la nation en des temps difficiles. Je remercie toutes celles et tous ceux qui ont eu le courage d’affronter avec moi de tels défis. Je compatis aux pertes et aux souffrances endurées par nos compatriotes durant cette période. Au nom du gouvernement, je remercie le peuple haïtien pour l’opportunité de servir notre pays avec intégrité, sagesse et honneur » avait indiqué celui qui a passé trois ans à la tête du pays et de la Transition sans jamais démontrer sa volonté à organiser la moindre élection durant le mandat que le Core Group lui  avait confié quelques jours après l’assassinat du Président Jovenel Moïse le 7 juillet 2021. Rappelons que, dès le décret nommant les 9 membres du CPT, Michel Patrick Boisvert avait présenté la démission du Conseil des ministres dont il assurait l’intérim à titre de chef de gouvernement de Transition en lieu et place de Ariel Henry.

Ce communiqué avait alerté et attiré l’attention de certains observateurs de la vie politique haïtienne sur l’évolution du processus de l’installation. Ils surveillaient l’annonce du CPT et du Gouvernement sur le lieu et la date. Mais, pour des raisons de sécurité, il n’y a eu aucune annonce pour le Jour-J au Palais national. Seule la cérémonie à la Primature, à Musseau, a été annoncée, d’ailleurs très tardivement. En effet, finalement, ce ne sera pas mercredi comme l’avait annoncé Leslie Voltaire, de préférence c’est le jeudi 25 avril 2024 qu’ont eu lieu, en fait, deux cérémonies d’installation des 9 Conseillers du CPT.

Tout d’abord, très tôt le matin, une toute petite cérémonie a été organisée à la présidence de la République au Champ de Mars. Pour ainsi dire, c’est quasiment en secret qu’ont été investi officiellement dans leur fonction de Président provisoire de la République : Louis Gérald Gilles ; Fritz Alphonse Jean ; Edgard Leblanc Fils ; Laurent Saint-Cyr ; Emmanuel Vertilaire, Leslie Voltaire, Régine Abraham et Frinel Joseph. Personne ou presque n’était informée du déroulement de cette investiture réalisée dans des conditions à la limite de la clandestinité. Juste quelques personnes étaient présentes pour assister à ce qui paraissait pour les récipiendaires comme symbolique : installer le CPT au Palais national. Juste un geste pour l’histoire, rien de plus. D’ailleurs, au moment même de la petite cérémonie, encadrée par un nombre incalculable de forces de sécurité – la Police et l’armée d’Haïti – dans l’environnement du Palais national, les gangs prenaient un malin plaisir à faire chanter leurs armes.

Des tirs nourris venus de partout embrasaient l’aire du Champ de Mars semant la peur et un sauve-qui-peut empêchant tout attroupement devant les ruines du beau Palais de style néoclassique d’un blanc immaculé de l’architecte haïtien Georges Baussan, effondré comme un château de cartes le jour du séisme du 12 janvier 2010. Repliées depuis dans des préfabriqués dans la cour extérieure du Palais, les autorités ne voient pas l’urgence ni même la nécessité de reconstruire ce symbole du Pouvoir exécutif. En tout cas, c’est là que ce 25 avril 2024 les 9 Conseillers s’étaient agglutinés pendant quelques minutes avec la peur au ventre pour recevoir l’onction du pouvoir présidentiel. La main sur le cœur et devant la Constitution, les 9 Conseillers avaient prêté le serment constitutionnel « Je jure devant Dieu et devant la nation d’observer et de faire observer fidèlement la Constitution et les Lois de la République, de respecter et de faire respecter les droits du peuple haïtien, de travailler à la grandeur de la Patrie, de maintenir l’indépendance nationale et l’intégrité du territoire ». Immédiatement après, l’un après l’autre, les nouveaux membres du Pouvoir exécutif se sont retirés pour se rendre à la Villa d’Accueil, au haut de Bourdon, à Musseau, là où la situation sécuritaire est plus supportable.

C’est dans ce cadre huppé et select qu’une deuxième cérémonie a été organisée un peu plus tard avec plus de 300 invités dont des membres du Corps diplomatique, notamment, les représentants des États-Unis, de la France, du Canada, du Brésil, du Royaume-Uni, la Représentante spéciale du Secrétaire général de l’ONU, etc, des membres d’organisations et d’organismes des parties prenantes de l’Accord du 3 avril, des membres du gouvernement intérimaire, des cadres de la Fonction publique et des grands commis de l’État sans oublier les quelques invités personnelles des Conseillers. C’est dans les locaux servant en ce moment de Primature depuis que le Premier ministre Ariel Henry avait abandonné le Bicentenaire aux gangs armés, où siège officiellement le gouvernement, que l’unique femme du Conseil Présidentiel de Transition (CPT), Mme Régine Abraham, désignée pour parler au nom de tous ses collègues, a prononcé le discours de circonstance.

Lors de l’allocution de Mme la conseillère présidentielle Régine Abraham à la Villa d’accueil

Dans sa brève allocution devant le parterre d’officiels et d’invités, entre autres, des organisations internationales, des membres du Secteur des affaires et du monde économique, naturellement de la Société civile et de beaucoup de leaders politiques, acteurs de la nouvelle Transition, Mme Régime Abraham a déclaré « Aujourd’hui est donc un jour important dans la vie de notre chère République. Ce jour, en effet, ouvre la perspective d’une solution dont l’objectif fondamental, faut-il le rappeler, est d’adresser la crise multidimensionnelle que connaît le pays en vue d’arriver à un dénouement définitif. C’est dans ce contexte de crise sans précédent que des partis politiques, des organisations de la Société civile, du Secteur privé des affaires et de la diaspora haïtienne se sont entendus le 3 avril sur un accord politique historique pour conduire le pays sur la voie de la sécurité, de la stabilité et du redressement économique.

Le Conseil Présidentiel s’attellera au lancement de cinq grands chantiers : le rétablissement de la sécurité publique, l’organisation de la Conférence nationale et de la réforme constitutionnelle, l’organisation des élections générales démocratiques, crédibles et participatives, la restauration de la justice, de l’État de droit et des droits fondamentaux des citoyens et citoyennes, le redressement institutionnel et économique », avait-elle souligné. Le gouvernement sortant a par ailleurs répondu par l’intermédiaire du ministre de l’Économie et des Finances, Michel Patrick Boisvert, assumant le rôle de Premier ministre par intérim, que « La cérémonie de ce matin vous confère officiellement les rênes du destin de la nation et de son peuple. La besogne à abattre est de taille, tant les défis sont nombreux et immenses. Comme tout pays en développement, nos ressources demeurent limitées. C’est pourquoi je me permets d’attirer votre attention sur le fait que la population attend beaucoup de vous, dans un contexte où tout devient prioritaire à côté de la sécurité.

C’est un soulagement pour le pays qui pourra ainsi continuer d’espérer et de croire aux changements possibles auxquels toutes les couches de la population appellent de leur vœu » devait souligner Michel Patrick Boisvert. Avec l’installation des membres du Conseil Présidentiel, l’on passe à une nouvelle phase dans la Transition. La Communauté internationale, comme à son habitude, s’était précipitée pour saluer et féliciter les acteurs politiques haïtiens dans leur avancée avec la transition et l’acheminement vers un retour à la normalisation du jeu politique en Haïti. Ce même jeudi 25 avril, Washington n’avait pas attendu longtemps pour saluer le gouvernement d’avoir procédé à l’installation du nouvel Exécutif haïtien et pour qui, l’arrivée de ce CPT est une étape cruciale pour l’organisation d’élections dans le pays. Selon les autorités américaines, cela ne peut être autrement. L’un des porte-paroles de la Maison Blanche, John Kirby, a avancé que « Nous nous joignons à la Communauté internationale pour féliciter tous les participants haïtiens dans leur processus de mise en place d’un Conseil Présidentiel de Transition.

Aujourd’hui marque une étape cruciale vers des élections libres et équitables ». Pressés justement d’avoir un Premier ministre devant conduire le processus électoral en Haïti, les Etats-Unis se désolent que le processus de normalisation soit aussi lent pour arriver à cette étape « cruciale ». Pour sa part, l’ambassadeur américain en Haïti, Dennis Bruce Hankins, présent naturellement à la Villa d’Accueil pour l’installation, a été littéralement criblé de questions par les journalistes. Pour le diplomate, il n’y a aucun doute que l’installation va permettre l’organisation des élections « Les membres du Conseil ont montré qu’ils peuvent travailler ensemble, au nom du peuple haïtien, en reléguant au second plan, leur appartenance politique. Nous sommes prêts à travailler avec eux et avec le nouveau gouvernement. Les tâches sont immenses. La première étape était de créer un Conseil. Ensuite, il faudra nommer un Premier ministre, créer un gouvernement et un Conseil Électoral. Il faudra aussi aider les Haïtiens à sortir de cette crise. Nous sommes là pour aider à favoriser une meilleure Haïti, en paix et en sécurité » proposait l’ambassadeur américain à Port-au-Prince.

La Grande-Bretagne, à travers sa mission diplomatique a par ailleurs dit soutenir la démarche conduite par la CARICOM qui a permis cette avancée. Sur son compte X, anciennement tweeter, l’ambassade britannique à Port-au-Prince avait publié un communiqué disant « Le Royaume-Uni a soutenu le dialogue inter-haïtien avec la médiation de la CARICOM. Le Royaume-Uni salue l’installation du CPT et soutient les parties prenantes haïtiennes dans leur mise en œuvre de l’Accord, tout en espérant des jours meilleurs à venir ». Bien évidemment, le Bureau Intégré des Nations-Unies en Haïti, (BINUH) ne pouvait rester indifférent à cette avancée significative qu’est l’installation du CPT dans ses Bureaux. Mme Maria Isabel Salvador s’était fendue d’un communiqué pour saluer comme il se doit ce geste patriotique à Port-au-Prince ce jeudi 25 avril même dans des conditions sécuritaires chaotiques. Pour la Représentante spéciale en Haïti du Secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres « C’est une nouvelle opportunité d’avancer vers le rétablissement des institutions démocratiques. 

Cela va permettre de faciliter le processus politique et d’avancer sur les énormes tâches qu’il reste à faire et qui doivent être faites. Il va falloir rétablir la sécurité. Tant qu’il n’y aura pas de sécurité, il sera difficile pour n’importe quel gouvernement d’avancer. Au niveau des Nations-Unies, on continue de demander aux autres États membres de contribuer à la Mission d’appui à la sécurité. Ce qui manque sur le terrain c’est un appui à la police avec du personnel. Et pour le moment, c’est le MMAS qui pourra fournir du personnel sur le terrain. C’est pour cela qu’il faut insister et continuer à forcer pour le financement de cette force. Il y a des pays qui ont promis une aide financière, mais jusqu’à maintenant ce financement tarde à se concrétiser. On espère que dorénavant, ça va arriver » indiquait Maria Isabel Salvador. Or, cette histoire de CPT n’avait pas encore dit son dernier mot avec le psychodrame de la nomination, justement, du successeur d’Ariel Henry.

En effet, malgré toutes ces congratulations en faveur des acteurs de la nouvelle transition, il va falloir attendre longtemps pour qu’on puisse voir le bout du tunnel. Et pour cause. Il y a eu un premier manquement dans l’Accord du 3 avril 2024 dans la mesure où il n’y a pas eu d’élection ni de désignation d’un Président ou Coordinateur du CPT le jour de l’installation dudit Conseil. Or, selon l’article 7 de l’Accord que toutes les parties prenantes avaient signé et donnant lieu au CPT, le jour même de l’installation du CPT celui-ci devrait élire son Coordonnateur. « Les membres du Conseil Présidentiel procèdent, après leur installation, au choix du Président dudit Conseil par consensus. A défaut de consensus, il est élu à la majorité du corps (4/7), dans ce cas l’élection est validée pour le candidat arrivé en tête. Dans l’impossibilité, un second tour est organisé entre les deux premiers candidats. Le candidat ayant obtenu le plus grand nombre de voix est élu. Au second tour les votes doivent être exprimés pour l’un ou l’autre candidat. » Art. 7 de l’Accord du 3 avril 2024.

(A suivre)

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