Conseil Electoral Provisoire, Jovenel Moïse tente le coup !

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Jovenel Moïse forme un organisme électoral Phtkiste conflictuel, le moins que l’on puisse dire c’est que le Président de la République joue là à la provocation, sinon au pyromane.

Lorsque la rumeur courait tout Port-au-Prince que le Conseil Electoral Provisoire (CEP) promu par le Président Jovenel Moïse serait sur le point d’être publié alors même que les Secteurs habituellement chargés de nommer des membres à cette institution donnaient une fin de non recevoir au courrier de la présidence haïtienne leur donnant 72 heures pour faire parvenir les noms de leurs représentants, on sentait que la situation allait dégénérer entre l’opposition et le chef de l’Etat qui voulait passer en force. Mais, cette rumeur aurait pu être un coup de bluff comme le pensait naïvement l’ancien Président du Sénat, Edgard Leblanc Fils, qui ne croyait pas du tout à un tel scénario catastrophe.

Le Coordonnateur général du Parti OPL (Organisation du Peuple en Lutte) l’avait dit lors d’une Conférence-débat organisée par le Mouvement « Parlement Populaire Haïtien » le mercredi 16 septembre 2020 dans les Jardins Kiskeya sous le thème « Le rôle des parlementaires dans le Parlement et les attributions d’un parlementaire ». « Il y a un bluff qui se fait pour montrer que l’on avance vers les élections, tantôt c’est élection, tantôt c’est la Constitution » répétait le leader politique ce jour-là. On pensait même que c’est parce que le chef de l’OPL venait de lire notre Tribune publiée dans l’hebdomadaire Haïti Liberté le matin même sur ce sujet intitulée : Réforme constitutionnelle ou élections générales, le flou persiste ! Mais, quand on observe la politique d’un pays, même ayant une parfaite connaissance du terrain, de l’histoire et de la société, vaut mieux avoir, en tout cas, il est fortement conseillé, de bons contacts dans tous les milieux politiques.

« Les gens de l’opposition ne savent pas qui est Jovenel. C’est un grand joueur de poker »

Vu la persistance de la rumeur sur la publication imminente de la liste des membres du CEP qui vient de se consolider suite aux déclarations du Premier ministre Jouthe Joseph avançant que l’installation du Conseil Electoral Provisoire était pour bientôt, on s’est dit que là cela devient sérieux et il vaut mieux contacter l’une de nos sources au Palais national sur cette affaire du CEP. Car l’on ne pouvait imaginer que le Président de la République, dans ce contexte de manifestations quasi quotidiennes de l’opposition, des policiers du Fantom 509, des étudiants, l’enquête et l’arrestation de quelques suspects dans le meurtre de Me Monferrier Dorval etc. prendrait le risque de publier les noms des 9 personnalités qui n’auraient pas la bénédiction des Secteurs ayant autorité et notoriété au sein de la population pour former son Conseil Electoral Provisoire. Jeudi 17 septembre 2020 aux environs de 14 heures, nous contactons notre source pour lui demander où en est le Président avec son projet de CEP ? Sa réponse, bien que faite avec prudence pour ne pas donner trop de précisions, a été claire.

« Nèg opozisyon yo pa konn Jovenel, se yon gran jwè pokè. Se yon gro blofè. Li pa konnen ki kat nèg yo gen nan men yo. Men li konnen l pa gen anyen nan men pal. Mwen baw garanti Jovenel ap tante kou a pou l ka pouse mesye opozisyon yo devwale kat pa yo». (Les gens de l’opposition ne savent pas qui est Jovenel. C’est un grand joueur de poker. C’est un gros bluffeur. Il ne sait pas quelle carte ils détiennent. Mais  lui, il sait qu’il n’a rien entre les mains. Je vous donne la garantie que Jovenel va tenter le coup afin de pousser ceux de l’opposition à dévoiler leurs cartes). Précautionneux et prudent, notre contact n’a pas voulu prendre lui non plus trop de risque pour confirmer la date de la publication de la fameuse liste des citoyens qui ont été retenus par le Président Jovenel Moïse et approuvés en Conseil des ministres pour constituer le nouveau Conseil Electoral Provisoire. Après notre appel, on était persuadé que le chef du gouvernement, Jouthe Joseph, ne bluffait point. Il était en mission de déminage. Jouthe préparait le terrain et l’opinion publique à accueillir et, si possible, à accepter le coup de bluff audacieux qu’allait tenter Jovenel Moïse avec neuf personnalités sorties de nulle part pour lancer le processus électoral et avant tout répondre aux demandes de la Communauté internationale.

Dès la parution dans le journal officiel Le Moniteur, le vendredi 18 septembre 2020, de la liste des 9 membres du nouveau CEP, les responsables de l’opposition plurielle, s’ils n’ont pas été pris de cours, la consternation les a empêchés de parler. En revanche, deux mots reviennent à la bouche des chefs de file et leaders d’opinion dans le pays et dans la diaspora ; puisque pour la première fois dans l’histoire du CEP, les Communautés haïtiennes d’outre-mer vont être représentées dans cette instance qui devrait en théorie organiser les joutes électorales et surtout, selon le décret présidentiel, un référendum pour une nouvelle Constitution. Ces mots sont : quelle audace !  Il a vraiment osé ! Que le Président Jovenel Moïse ait osé le coup en cette période de confusion et d’incertitude soit ! Mais c’est l’audace de l’occupant du Palais national qui surprend plus d’un et particulièrement l’opposition politique en prenant cette décision dont la conséquence pour le pays risque de le conduire dans une guerre de tranchée qui pourrait être fatale à l’avenir.

L’installation du nouveau CEP par Jovenel Moise lui-même

Pourtant, ce paysan du Trou-du-Nord, en termes d’audace, il n’est pas à son coup d’essai. Sa présence même au Palais national en tant que chef de l’Etat est déjà plus que de l’audace dans la mesure où sans ce « background » jamais il n’aurait accédé à la première magistrature suprême au nez et à la barbe des ténors politiques de l’époque. Jovenel Moïse est un audacieux politique né. Pour parvenir à ses fins et surtout satisfaire ses ambitions politiques, il a fait preuve qu’il ne recule devant rien. Comme dit notre contact du Palais, Jovenel Moïse est un joueur de poker, par conséquent il bluffe, il ruse et surtout son audace le pousse à oser des coups inattendus que peu d’hommes politiques haïtiens osent tenter. S’il est arrivé au pouvoir en 2017 avec l’audace qu’on lui connaît, oser tenter ce coup de poker aujourd’hui en instituant un CEP que personne ne veut en ce moment est une pure folie ; ce d’autant plus qu’il a donné pour mission à cet organisme déjà contesté dans sa forme l’une des plus grandes décisions qu’un chef d’Etat puisse prendre depuis la Proclamation de la Constitution de 1987 : celle de concevoir une Assemblée constituante en vue de proposer une nouvelle Charte fondamentale devant réguler la vie sociale, politique, économique, institutionnelle de toute la nation. C’est quasiment mission impossible.

Pourtant, l’enfant du Grand Nord l’a osé sans tenir compte des conséquences pour la suite de son quinquennat. Pourra-t-il, là encore, gagner son pari face à ses adversaires? C’est là toute la question. Certes, en politique, il faut une certaine audace non seulement pour s’engager mais aussi pour entreprendre certaines reformes d’envergure nationale. Mais, cela suppose aussi une certaine légitimité et nécessite des compromis avec tous les secteurs vitaux du pays et en particulier avec ses adversaires politiques. Dans le cas du Président Jovenel Moïse, certains n’hésitent pas à mettre en doute d’une part sa légitimité au pouvoir et d’autre part il est en conflit permanent avec son opposition sur l’ensemble des dossiers dont les faisabilités requièrent la participation de tous les secteurs tout au moins l’acceptation ou leur aval. Dans ce nouveau front que vient d’ouvrir Jovenel Moïse en formant l’organisme électoral qui doit être tout sauf conflictuel, le moins que l’on puisse dire c’est que le Président de la République joue là à la provocation, sinon au pyromane.

Certes, il assure ses arrières avec le soutien de Washington qui le presse à monter un Conseil Electoral afin de lancer le processus électoral, mais rien ne garantit la viabilité et la réussite du projet même avec les pressions des autorités américaines sur les chefs de l’opposition et de la Société civile quand un officiel américain déclare « Franchement, je dois dire que je suis un tout petit peu fatigué de chaque groupe, de chaque parti de l’opposition en Haïti qui dit : Je ne désignerai pas de représentant ou nous n’aurons pas d’élections ou nous n’irons pas aux élections tant que nos demandes ne seront pas satisfaites. Ce n’est pas de la démocratie. Nous le disons avec insistance, cela va commencer à avoir des conséquences pour ceux qui font obstacle » cité par le journal Miami Herald. Déjà, par la manière de procéder, le  Président Jovenel Moïse est totalement à l’opposé de ce qu’attendent ses amis américains qui croient que seules les élections générales en vue de combler le vide du Parlement sont susceptibles de ramener la stabilité et un consensus politique dans le pays. Or, si l’on lit avec intelligence l’arrêté nommant les 9 membres du CEP, on constatera que le premier mandat de ce CEP dans l’ordre de priorité des réalisations est, d’abord selon l’article 2 de l’arrêté : (1) D’organiser le Référendum constitutionnel afin de doter le pays d’une nouvelle Constitution ; (2) D’organiser l’élection locale, municipale, législative et présidentielle ; (3) D’organiser les élections pour tous autres postes vacants ou qui pourraient le devenir en attendant l’établissement du Conseil Electoral Permanent. Il ne fait donc aucun doute, comme on l’avait écrit dans l’une de nos Tribunes, que même si le Président donne l’impression qu’il s’intéresse aux élections, au premier chef c’est la réforme constitutionnelle qui demeure sa priorité et non l’inverse. Les autorités américaines peuvent bien l’encourager  à mettre en avant le CEP mais, pour lui, comme le disait le feu Me Monferrier Dorval, il faudra d’abord une nouvelle Constitution avant les élections et sans le Parlement qui serait l’obstacle à cette initiative.

Subtilement, sans contredire publiquement ses tuteurs de la Maison Blanche et du Département d’Etat, Jovenel Moïse, là encore, a tenté le coup de passer en douce sur ces derniers en mettant comme premier chantier pour les membres de son CEP, l’organisation d’un Référendum. Et, selon toute vraisemblance, si le coup de ce CEP mort-né passe, les scrutins généraux devraient avoir lieu après le Référendum, donc sous l’empire de la nouvelle Constitution comme l’a toujours souhaité le Président de la République. Est-ce à dire qu’il y aura un bras de fer en perspective entre Port-au-Prince et Washington sur ces dossiers des élections/Référendum ? Pas sûr. Dans la mesure où que ce soit l’OEA ou l’ONU, que ce soit les américains, sur le plan bilatéral, ils n’ont aucune objection pour un changement de Constitution. L’essentiel est que le CEP est constitué et que ses membres ont pour mission l’organisation de nouvelles élections générales avant 2022. Point barre.

D’ailleurs, c’est incontestable pour l’instant, c’est Jovenel Moïse qui tient la première manche dans le pays puisque c’est son projet constitutionnel qui sert de premier de cordée, qui continue à tracer la route. On a constaté aussi que la présidence a pris ses précautions en plaçant les membres de ce CEP dans une optique faisant croire qu’ils seront les derniers de cette longue série de provisoire. Puisque, selon le point 3 mentionné plus haut, ils sont censés être en place jusqu’à l’établissement du Conseil Electoral Permanent. Avant de voir d’où viennent ces célèbres inconnus de la Cité, retardons un peu cette nouvelle piste invoquée dans le décret présidentiel du 18 septembre 2020 paru dans Le Moniteur N° 151. Le peu qu’il y a à souligner dans ce coup de Trafalgar que Jovenel Moïse vient d’asséner à l’opposition haïtienne est qu’il ne va pas de main morte. Son coup est tout sauf innocent politiquement. Il sait qu’il joue gros et la mission qu’il a accordée à son CEP va soulever et soulève les passions politiques, va enflammer et enflamme déjà l’opinion publique et enfin va susciter et suscite déjà des débats sans fin dans le microcosme politique. Quant aux forums sociaux sur la toile, cela devient la folie. Car, dans cette affaire-là, Jovenel Moïse joue le tout pour le tout. Et pour cause.

c’est Jovenel Moïse qui tient la première manche dans le pays puisque c’est son projet constitutionnel qui sert de premier de cordée…

Le Président s’attaque directement et frontalement à l’actuelle Loi mère : la Constitution de 1987 amendée en 2011. De manière volontariste, Jovenel Moïse parle de « Référendum » qui doit être organisé afin de doter le pays d’une nouvelle Constitution. Or, il sait qu’en touchant sciemment à ce « sacro saint », point sensible de la Constitution, il commet là aux yeux des puristes non seulement un « Pêché mortel » mais un acte de « Sacrilège ». En effet, selon l’article 284.3 de la Constitution, il est formellement interdit à quiconque d’organiser un Référendum populaire sur la Constitution pour une raison ou une autre. « Toute Consultation Populaire tendant à modifier la Constitution par voie de Référendum est formellement interdite » dixit les Constituants de 1986. Pourtant, le Président de la République ose passer outre ce point fondamental de la Loi mère qui va occasionner moult débats dans le pays sur cet acte que certains ne vont pas se gêner de qualifier «d’acte anti constitutionnel » ou « de violation de la Constitution ».

Les débats sont ouverts depuis le vendredi 18 septembre 2020 sur cette décision hautement politique et même très risquée pour le chef de l’Etat. Mais, par cette décision présidentielle, Jovenel Moïse, celui qui veut rentrer dans l’histoire d’une façon ou d’une autre, tente de passer avec fracas. Il sait qu’il ne trouvera jamais de consensus sur ce point avant de se lancer dans la reforme constitutionnelle. Même avec un Parlement légalement constitué, il est fort difficile de trouver une entente entre les partis politiques et que sur ce sujet de référendum il n’est pas certain non plus de trouver un accord encore moins de faire l’unanimité entre acteurs et secteurs influents. Car, un référendum organisé par un Président de la République en exercice ou un régime en place en Haïti est toujours susceptible de manipulation politique et de coups de Jarnac politique. D’où la prudence de tous les partis et organisations politiques de cautionner un quelconque référendum malgré la quasi-impossibilité de trouver un consensus sur le comment modifier ou amender la Constitution ou carrément de proposer une nouvelle. On le sait, plusieurs tentatives ont été faites dans le temps, toutes se sont soldées par de cuisants échecs ou semi échecs.

Alors que tout le monde s’accorde à reconnaître qu’il faut bien un jour sortir du piège de cette Constitution devenue l’une des sources de l’instabilité politique et institutionnelle du pays. Alors, Jovenel Moïse, dans son coup de poker, tente le tout pour le tout. Que cela passe ou que cela casse, il faut aller de l’avant, dit l’occupant du Palais national persuadé que l’histoire ou les générations futures lui donneront raison sur le coup. En prenant le contre-pied de l’article 284.3 de l’actuelle Constitution, Jovenel Moïse fait là le sacrifice de son pouvoir afin d’aller jusqu’au bout de sa logique et de sa compréhension du pouvoir politique en Haïti. Gouverner c’est prévoir, dit-on, mais c’est aussi prendre des risques pour soi-même en pensant au bien-être de la collectivité tout en essayant au mieux de respecter les lois et les normes établies. C’est ce choix que semble faire le Président Jovenel Moïse en s’attaquant directement et sans filet à la Constitution avec cette mission à haut risque qu’il confie à ce Conseil Electoral Provisoire qui, malheureusement, se fait dans la plus grande confusion et qui est déjà honni par les autres acteurs sociopolitiques qui devraient être en principe les premiers interlocuteurs du Pouvoir Exécutif dans ce dossier.

Sans même parler des élections dans cette conjoncture où tout paraît impossible et irréalisable, mettre en tête d’affiche l’organisation d’un « Référendum populaire » pour changer de République c’est se jeter dans l’inconnu avec l’espoir qu’un miracle se produirait  et que le peuple s’emparerait de cette initiative dont le résultat demeure incertain. Car, l’un des premiers obstacles auxquels vont s’affronter la présidence de la République et le gouvernement c’est de pouvoir justifier le choix des femmes et des hommes qui ont été désignés pour concevoir les deux machines – organisation des élections et organisation d’un référendum constitutionnel- devant produire des résultats pour sortir Haïti de ces décennies d’instabilité politique et institutionnelle. En tout cas, il n’y a pas longtemps, on avait invoqué l’attente et la curiosité des observateurs politiques et de la population qui s’impatientaient de connaître les noms des membres du nouveau CEP.

Le moins que l’on puisse dire c’est qu’ils ont été stupéfaits de découvrir ces « Ovnis » de la République, ces personnalités qui sont quasiment le fruit de l’imagination du Président Jovenel Moïse et son équipe tant ces gens sont inconnus du pays, de la population, du monde politique et même des organisations populaires. Mais, c’est ce qui fait le charme du jeu de poker, c’est l’inconnu. Même sans rien à la main, on peut gagner la mise sur l’adversaire qui ne saura jamais avec quelle carte tu l’as bluffé. Enfin, pour la vérité et pour l’histoire, voici les noms de ceux qui constituent les têtes de pont de l’organisme électoral nommé par le Président Jovenel Moïse le 18 septembre 2020 chargé de mettre en place le processus électoral et le référendum constitutionnel : Monsieur Louis Arlext Noël, Représentant du secteur des Handicapés ;  Madame Nadia Jules Amédée, Représentante des secteurs Paysan / Coopérative ; Madame Guylande Mésadieu, Représentante du Secteur Droits Humains ; Monsieur Antonio Détil, Représentant du secteur de la Jeunesse ; Monsieur Patrick Numa, Représentant du secteur Syndicat ;  Madame Espérancia César, Représentante de la Diaspora ; Madame Josette Massillon, Représentante des Organisations de Femmes ; Révérend Guy Romélus, Représentant des Cultes réformés ; Madame Marie Rosemène Joseph Pierre, Représentante du culte Vaudou. Comme dirait l’autre : pendant ce temps, en Haïti, la crise continue !

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