Ukraine: grenier et laboratoire politique du monde

La réalité à l’envers. Les Etats-Unis sont le véritable agresseur

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Andriy Biletsky, le parlementaire et ancien commandant du bataillon néo-nazi Azov, attire par un discours jeune et populiste les électeurs fatigués de la corruption des oligarches qui dirigent le pays depuis des décennies.

(8ème partie)

Toute médaille a son revers. Les position-clé accordées aux oligarches les ont rendus encore plus intouchables, et permis d’agir avec impunité et corruption “à tous les niveaux de la société”, ce qui fait d’eux “la véritable menace pour la démocratie”.

“Un procès équitable et un juge exempt de l’influence corruptrice des milliardaires sont ce que souhaitent de nombreux Ukrainiens et ce dont le pays a désespérément besoin. Et bien que les changements judiciaires nécessaires aient plus de chances de passer par Bruxelles que Moscou, c’est restreindre la toute-puissance apparente des oligarques du pays plutôt que signer un accord qui assurera véritablement l’avenir économique de l’Ukraine”, peut-on lire dans The Hill, le quotidien du Congrès étatsunien.

Mais quand une May anglaise ou un Albert monégasque ou un Biden étatsunien entrent en partenariat avec ces mafieux, et quand la présidence est elle-même détenue par un oligarche, baron du chocolat – sa confiserie Roshen est la 24ème au monde, 12ème en 2012 avant que la Russie n’arrête ses importations – qui refuse de réduire son empire commercial et de faire preuve de transparence, il n’y a aucun espoir. Selon un sondage publié en juin 2017 par l’Institut républicain international basé à Washington – que l’on ne saurait accuser de biais contre le gouvernement ukrainien puisque le sénateur républicain John McCain était son président et est toujours dans son conseil d’administration – 76% des Ukrainiens désapprouvaient la performance de Poroshenko; seulement 1% l’approuvait complètement et seulement 16% l’approuvaient en grande partie.

Cette carte des élections présidentielles historiques de 2004 où Yanukovych (finalement élu en 2010) a perdu de justesse contre Yuchenko (tout deux s’appellent Viktor), montre très clairement la polarité de l’Ukraine, plus on va à l’ouest (orange) plus c’est pro-occidental où ils ont voté pour Yuchenko, et plus on va à l’est (bleu) plus c’est pro-russe où ils ont voté pour Yanukovych, le président renversé.

En fait, les protestataires de l’EuroMaidan avaient déjà les mêmes aspirations. Examinons la situation. Le dilemme du président renversé Yanukovych était très simple: la Russie offrait tant, l’Europe beaucoup moins. Yanukovych a choisi le plus offrant. Même tactique que Poroshenko.

L’accord d’association, qui devait être signé entre l’Ukraine et l’Union européenne lors d’un sommet à Vilnius, en Lituanie, en novembre 2013, “a été largement perçu comme une tentative d’étendre l’influence de l’UE dans la cour de Putin. En réponse, la Russie, qui représente un quart des exportations ukrainiennes, a utilisé des sanctions économiques pour envoyer un message aux élites politiques de Kiev: signez l’accord d’association et nous veillerons à ce que votre économie s’effondre. Avec peu d’aide financière promise par l’UE (il y a une crise après tout), Yanukovych s’est retiré”.

Cela a déclenché les vagues de protestations de l’EuroMaidan, mais “il est rapidement apparu que la plupart ne déclaraient pas leur attachement à l’UE en tant que telle, mais plutôt leur attachement à l’idée de l’Europe. En Ukraine, l’Europe est considérée comme le contraire de tout ce qui est russe. Là où la Russie est synonyme de corruption d’élite, de démocratie dysfonctionnelle et de manque général de transparence, l’Europe est considérée comme un modèle pour les valeurs démocratiques libérales et la prospérité économique”. Une belle illusion à part cela, comme on peut le voir, entre autres, en Grèce où les Européens et leurs banques sont en train de dépecer le pays depuis 2009 avec la complicité du FMI.

D’après les documents mêmes de l’EuroMaidan, en 2012, donc avant le coup d’état, seulement 13% de la population était en faveur de rejoindre l’OTAN! 26% la Russie, et 42% voulait rester neutres. De quel soulèvement populaire pro-occidental parle-t-on à propos de l’EuroMaidan?!

Même un Serhiy Melnychuk, parlementaire, ex-commandant du bataillon Aidar, se dit opposé à devenir membre de l’OTAN et en faveur d’une Ukraine neutre. Répondant aux questions de Samuel Ramani, doctorant à l’université de Oxford et journaliste au Washington Post, il a affirmé: “Je suis contre l’adhésion potentielle de l’Ukraine à l’OTAN. […] La position officielle de l’Ukraine en ce moment est de devenir membre de l’OTAN, ce qui viole les appels du mémorandum de Budapest en faveur de la neutralité ukrainienne. Nous souhaitons bénéficier de certains des avantages d’une intégration plus étroite avec l’Europe, comme un régime sans visa, mais nous devrions nous opposer à notre intégration au bloc de sécurité de l’OTAN. Au lieu de cela, l’Ukraine peut mener un nouveau système de sécurité collective, qui inclura tous les pays neutres”.

Francesco F., le volontaire italien du bataillon Azov dit la même chose: “Nous voulons une Ukraine unie, mais indépendante de la Russie, de l’OTAN ou des fausses valeurs de l’Union européenne”.

Alors, les néo-nazis ont fait le travail pour les Etats-Unis, avec l’aide de manifestants de bonne foi, en balayant leur ennemi pro-russe Yanukovych. La capacité organisationnelle des bataillons de volontaires était déjà présente lors de l’Euro-Maidan, dit ce même Melnychuk.

Puis, “ces milices volontaires ont été soutenues parce que l’esprit révolutionnaire d’Euro-Maidan a cédé la place à un renouvellement du pouvoir de la bourgeoisie”. La population voulait un pays stable et transparent, et tout ce qu’elle a obtenu est une nouvelle cabale de politiciens corrompus, dans un mouvement de balançoire.

Aussi maintenant les gens se tournent-ils vers les jeunes, néo-nazis. Leur discours est clair et franc, et ils comprennent comment fonctionne la verticale du pouvoir en Ukraine. Andriy Biletsky, le parlementaire néo-nazi et ancien commandant du bataillon Azov, l’explique dans une interview vidéo en 2010, bien avant le coup d’état. “Yanukovych est moins que rien, tout comme Yuchenko [le président précédent], un mou, fade, absolument incapable, comme Brejnev, un zéro – Yulia Timoshenko aussi. Yanukovych ne sera jamais le leader pro-russe tout comme Yuchenko n’était pas le leader pro-occidental. Ce n’est autre qu’une façade derrière laquelle se trouvent toujours les mêmes clans juifs. Ils changent les cartes mais le fond reste le même. Akhmetov [l’oligarche] peut se retourner à tout moment contre Yanukovych […] et l’argent coulera dans les poches de Yulia Timochenko pour qu’elle remette la vichivanka (chemise traditionnelle ukrainienne brodée) et parle de nouveau d’agression russe. Kolomoyskyi [l’actuel président] qui soutenait à une époque Yulia, prendra ses distances pour ne pas prendre des risques, et financera Yanukovych pour qu’on entende la TV déverser de la merde sur l’OTAN. Ce sont toujours les mêmes personnes qui ont déjà financé une dizaine de fois des projets complètement différents. C’est aussi simple que cela. Pour nous c’est du vide”.

Non seulement ils ne veulent pas l’OTAN mais ils n’ont rien contre la Russie. Shaun Walker du Guardian londonien est allé sur place, accompagnant une unité du bataillon Azov. “Je n’ai rien contre les nationalistes russes, ni une grande Russie”, a déclaré Dmitry, alors que nous traversions la nuit sombre de Mariupol dans une camionnette, un mitrailleur positionné à l’arrière. “Mais Putin n’est même pas un Russe. Putin est un Juif” […] [Dmitry] croit que l’Holocauste n’est jamais arrivé […] même si leur point de vue est déplaisant, ils ne sont pas anti-russes; en fait, la lingua franca du bataillon est russe et la plupart ont le russe comme première langue. L’Ukraine a besoin “d’un dictateur fort pour arriver au pouvoir qui pourrait verser beaucoup de sang mais unir la nation dans le processus”.

Ce thème anti-sémite revient. Dixit le le volontaire suédois susmentionné, Mikael Skillt. Après l’Ukraine il veut aller en Syrie et combattre dans le camp du président Bashar al-Assad “contre le zionisme international”, donc, aux côtés des Russes.

L’EST DU PAYS DOUBLEMENT TOUCHE

Avec un demi-million d’habitants, Mariupol est la 2ème ville de la province de Donetsk, à l’est du pays, faite capitale administrative depuis l’indépendance de la ville de Donetsk. De fortes batailles ont fait rage juste après le coup d’état entre les séparatistes et l’armée ukrainienne qui l’a finalement recapturée. Le bataillon Azov, entre autres, continue à patrouiller dans la région face à des offensives des séparatistes. Le jour de l’An 2017, l’armée ukrainienne a recommencé les bombardements dans un show de force à l’occasion de la visite du sénateur étatsunien John McCain à Mariupol, venu apporter “le soutien moral des Etats-Unis”.

Mairie de Donetsk, principale ville de la région très industrielle du Donbass, dans la partie orientale de l’Ukraine. Elle est aux mains des indépendantistes pro-russes – arborant drapeaux et couleurs russes et de la République populaire de Donetsk – depuis avril 2014, au lendemain du coup d’Etat pro-occidental. Pareil statut pour la voisine République populaire de Luhansk.

Nous n’avons pu y aller ni au Donbass car il faut des permis impossibles à obtenir étant donné qu’il s’agit d’une zone conflictuelle, cherchant son indépendance de l’Ukraine. Encore moins en Crimée où des barrages tiennent éloignés toute personne étrangère à la région, et avant tout les journalistes. La guerre de propagande est plus féroce que celle sur le terrain. Quand le journaliste Mark Franchetti du Sunday Times de Londres est revenu après trois semaines en plein conflit entre forces ukrainiennes et séparatistes, il a rapporté qu’il n’a “trouvé aucune preuve que Moscou armait et finançait systématiquement [ces derniers]”. Cela a été le tollé général car sa “représentation contrastait avec la ligne officielle du gouvernement ukrainien et de l’Occident” qui voulait que c’est la Russie qui fomente la rébellion.

Autre difficulté pour voyager sur de longues distances en Ukraine, les routes principales reliant Odessa au reste du pays sont exécrables, avec de très nombreuses sections archi-remplies de nids-de-poule. Comme le dit un conducteur: “Souvent, en choisissant entre les points de contrôle en Ukraine, on doit choisir une bonne route, mais pour attendre pendant des heures aux postes de contrôle, ou passer des heures à travers jardins et potagers en détruisant sa voiture mais en arrivant à un point de contrôle relativement vide”.

Toute l’infrastructure va à vau-l’eau. Le centre d’Odessa n’est que cours intérieures délabrées. Dans les prisons, “Il est impossible d’enlever la moisissure car elle a pénétré les murs de part en part. Cela n’a pas de sens de faire des travaux ici. Il faut un nouveau bâtiment”, a dit le vice-ministre de la Justice Denys Tchernychov lors d’une visite de ces locaux avec l’Agence France Presse.

Donbass, le nom de cette région de l’est vient de la contraction entre Donets, le 4ème fleuve du pays, et Bassin. C’est le bassin minier du pays: mines de charbon et sidérurgie, souvent dangereuses pour les travailleurs, la propriété des oligarches. La capitale, Donetsk, fondée en 1869 autour de l’usine métallurgique d’un Gallois, John Hughes, a deux millions d’habitants – la moitié russes – dans sa zone métropolitaire, la 5ème de l’Ukraine et une des principales villes d’affaires. Sauf que depuis 2014, ce n’est plus l’Ukraine, mais une république autonome. Uniquement reconnue par l’Ossétie du sud, elle-même un Etat non-reconnu qui fait officiellement partie de la Géorgie. Les combats ont toujours lieu en dehors de la ville contre l’armée et les bataillons ukrainiens qui essaient de la reconquérir. On entend régulièrement les tirs d’artillerie et voit les traces de destruction dans la ville. Une Gaza européenne.

Pareil statut pour la voisine République populaire de Luhansk, située 170 km encore plus à l’est, tout contre la Russie. Ici aussi la moitié des habitants se déclarent russes, mais 85% parlent cette langue. Cette fois, la ville a été fondée en 1795 par un industriel écossais, Charles Gascoigne.

Plusieurs organisations progressistes viennent à l’aide de ces séparatistes, d’Espagne, Italie, Allemagne, Suède, Grèce. “Pour la première fois dans l’histoire européenne récente, nous avions un gouvernement dans un pays européen avec un élément nazi”, dit Andreas Zafeiris, le professeur de beaux-arts d’Athènes. C’est ce qui l’a décidé à ouvrir en 2017, avec des camarades, un bureau de la “People’s Republic of Donetsk” dans le quartier rebelle de Exarchia à Athènes. Mais aussi le fait que la Grèce est directement concernée. “Le soulèvement de Kiev faisait partie d’une série de” révolutions oranges” soutenues par les Etats-Unis, pas seulement en Europe mais aussi au Moyen-Orient. Cette situation ukrainienne est une expérience qui peut être utilisée dans toute l’Europe”, ajoute Zafeiris. “La Grèce, avec une grande crise économique, et dans un emplacement stratégique important – près de la Syrie, la mer Noire, la mer Egée – a beaucoup en commun avec l’Ukraine … C’est pourquoi les navires de l’OTAN utilisent la mer Egée, une mer grecque, comme leur terrain de jeu. Certains politiciens ici en Grèce veulent faire du pays la première ligne de ce front, et ce serait un grand désastre pour nous”.

L’Ukraine et la Grèce ont également des populations en commun. Alors que celle-ci compte 17.000 immigrés ukrainiens, 90.000 Grecs habitent en Ukraine, les 9/10 dans la région de Donetsk. Ce sont des descendants de Grecs de l’époque byzantine et même antique, ou des exilés de gauche arrivés (dans plusieurs pays de l’Est) au lendemain de la guerre civile de 1946-49, car tous les émigrés Grecs partis dans les années 1940 à 60 n’avaient pas un but économique. Le nouveau bureau d’Athènes a, entre autres, ouvert une école grecque à l’université Horlivka de Donetsk.

Depuis lors, l’Ukraine aurait bien besoin d’un apport migratoire. Dans le dossier sur le “Bouleversement démographique en Europe” paru en juin dernier, le rédacteur-en-chef du Monde diplomatique, Philippe Descamps, nous donne des chiffres: “En trente ans, la Roumanie a perdu 3,2 millions d’habitants, soit 14% de sa population de 1987. L’hémorragie est encore plus intense chez ses voisins: 16,9% en Moldavie, 18% en Ukraine, 19,9% en Bosnie, 20,8% en Bulgarie et en Lituanie, ou encore 25,3% en Lettonie. Peut-on imagner une France qui aurait perdu le quart de sa population de 1987 et qui n’aurait plus que 41 millions d’habitants?”

Andriy Parubiy, co-fondateur du parti néo-fasciste Svoboda et maintenant président du parlement ukrainien depuis avril 2016, accueille l’Assistant Secretary of State étatsunienne Victoria Nuland, la même qui l’avait choisi et qui avait dit: “Fuck the European Union” parce que celle-ci ne jouait pas leur jeu.

Chiffres confirmés par le démographe et politologue Emmanuel Todd dans son récent ouvrage “Où en sommes-nous ? Une esquisse de l’histoire humaine”: entre 1995 et 2015 la Lithuanie a perdu 21,6% de sa population, le Luxembourg en a gagné… 50%.

Dans ce même dossier du Monde diplomatique, Cécile Marin, compare France et Ukraine, dans une note en se basant sur l’étude des France Meslé, Gilles Pison et Jacques Vallin de l’Institut national d’études démographiques, publiée dans Population et Société, de juin 2005: “France-Ukraine: des jumeaux démographiques que l’histoire a séparés”: “À la veille de la seconde guerre mondiale, l’Ukraine et la France avaient non seulement des superficies quasi équivalentes, mais aussi le même nombre d’habitants : 41 millions. Davantage marquée par le conflit, l’Ukraine connut ensuite et durant plus de trois décennies une progression très proche de sa jumelle démographique. L’avantage d’une population plus jeune était atténué par une moindre fécondité par rapport à une France en plein baby-boom. Rattrapée au début des années 1960 en matière d’espérance de vie, la France reprenait de l’avance à la faveur de la stagnation économique et sociale qui caractérisait l’Union soviétique au temps de Leonid Brejnev. Puis tout bascula… Près de trente ans après le chaos qui suivit l’effondrement de l’URSS, l’Ukraine ne compte plus que 42,5 millions d’habitants, soit guère plus qu’en 1939 et 24,5 millions de moins que la France. Cette dernière pourrait même abriter deux fois plus de personnes qu’elle à l’horizon”.

Tout a commencé à l’Est “avec la chute du mur de Berlin [événement que je qualifie de clé] et l’imposition du capitalisme sauvage”, avec pour résultats: chute de la fécondité et exil des plus jeunes et entreprenants. Cela semble reparti.

Odessa, elle, est remplie d’une autre population: des touristes par milliers, surtout des pays de l’Est mais aussi d’Israël et d’Allemagne. Et des jeunes diplômés – surtout indiens et africains – de la faculté de médecine sur la cérémonie desquels nous sommes tombés devant le majestueux théâtre national, se prenant en multiples photos (on les appelle “médecins selfie”) devant les anciens bâtiments et les statues, et dans les parcs fleuris qui surplombent la mer Noire.

(A suivre)

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