Décès du militant révolutionnaire Ben Dupuy

Le révolutionnaire Ben Dupuy dont sa vision et ses organisations ont radicalisé et formé une génération en Haïti tout comme dans la diaspora. 2ème partie et fin

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Ben Dupuy s'exprimant lors d'un Congrès du Parti Populaire National (PPN) en Haïti.

(1ère partie) (English)

Le coup d’État du 30 septembre 1991 en Haïti a été un défi qui a testé et renforcé les organisations du réseau révolutionnaire de Ben Dupuy.

L’ambassadeur itinérant Dupuy revenait d’un voyage de sensibilisation en Scandinavie lorsque le coup d’État a frappé. Après une brève escale à New York, il s’envole rapidement pour Caracas, au Venezuela (alors dirigé par le président Carlos Andrès Perez), où il rencontre le président en exil Jean-Bertrand Aristide.

Le coup d’État sanglant et effronté des Forces armées d’Haïti (FAdH) contre la démocratie naissante d’Haïti et le jeune président extrêmement populaire avait choqué le monde. C’est le moment, dit Dupuy à Aristide, de former une armée de libération pour rétablir son gouvernement au pouvoir. Dupuy a déclaré qu’il pourrait élever des centaines, voire des milliers, de jeunes Haïtiens volontaires, à commencer par sa propre Assemblée nationale populaire (APN), qui pourraient être formés au Venezuela ou dans un autre pays. Aristide écoutait mais hésitait.

Ce serait le début d’une lutte de deux ans entre Dupuy et un secteur opposé du service extérieur et du cercle restreint d’Aristide, qui considérait la voie de la restauration, non comme une insurrection armée des montagnes et des bidonvilles d’Haïti contre l’armée putschiste, mais ” trouver les bons leviers de pouvoir » à Washington, comme l’a dit l’ambassadeur d’Haïti aux États-Unis, Jean Casimir, lors d’un grand rassemblement d’activistes anti-coup d’État à Washington, DC en octobre 1991.

Dupuy était catégoriquement opposé au spectre d’une intervention militaire étrangère américaine en Haïti, qu’il a reconnu dès les premiers jours du coup d’État, avant tout autre diplomate haïtien, comme la fin probable des négociations avec Washington et ses institutions vassales agissant comme intermédiaires, l’Organisation de États américains (OEA) et l’Organisation des Nations Unies (ONU). L’Union soviétique venait de s’effondrer et Dupuy considérait le “Nouvel Ordre Mondial” de Washington comme une bête sans contraintes ni scrupules.

Ben Dupuy

Sa croisade virtuellement solitaire pour déjouer leur poussée interventionniste a été incarnée par une réunion au début de 1993 au cours de laquelle le secrétaire général de l’ONU, Boutros Boutros-Ghali, a reçu Aristide au siège de l’ONU à New York. Selon son récit, Dupuy s’est pratiquement forcé à la réunion où il s’est assis sans y être invité à table au milieu des autres diplomates visiblement mal à l’aise et du chef de l’État déchu.

“Qu’est-ce que vous voudriez qu’on fasse?” demanda placidement Boutros-Ghali à Aristide, selon Dupuy, qui regardait fixement de l’autre côté de la table. Peut-être troublé par la présence de Dupuy, Aristide a tourné autour du pot, selon le récit de Dupuy, et n’a pas demandé ce jour-là que l’ONU place Haïti sous ses pouvoirs du chapitre 7, où le Conseil de sécurité prend le contrôle d’un pays.

Cependant, Aristide a demandé l’intervention du Conseil de sécurité dans une lettre du 7 mai 1993 à Boutros Ghali et le 16 juin 1993, le Conseil de sécurité a placé Haïti sous le chapitre 7 avec sa résolution 841, signalant ainsi l’inévitabilité d’une invasion.

Comme Dupuy, Cuba, dans une lettre du 14 juin 1993 au Conseil, s’était vivement opposée à cette décision, « s’opposant avec la plus grande énergie à l’adoption par le Conseil de sécurité de mesures concernant la situation intérieure de ce pays » parce qu’elle créerait « un dangereux précédent qui s’inscrit dans la lignée de plusieurs tentatives antérieures de doter cet organe de pouvoirs et d’un mandat plus étendus que ceux accordés par la Charte ».

En demandant au Conseil de sécurité de se saisir du cas d’Haïti, Aristide a cédé son leadership et son contrôle sur les efforts de sa propre restauration à un organe international contrôlé par la nation même qui a participé au coup d’État qui l’a renversé” a écrit dans une déclaration du 26 juin de la Commission d’enquête d’Haïti sur le coup d’État du 30 septembre, basée à New York, qui était dirigée par l’ami proche et allié de Ben, Ramsey Clark, l’ancien procureur général des États-Unis. “Ayant usurpé le contrôle de la crise en Haïti, l’ONU et les États-Unis ont commencé à forcer Aristide dans un coin.

En réponse, le 23 juin 1993, Dupuy a démissionné de son poste d’ambassadeur itinérant d’Haïti avec une lettre ouverte à Aristide qui déclarait “sans prétendre être plus patriote que quiconque, je pense qu’il est extrêmement dangereux de mettre la souveraineté nationale du pays aux mains d’une organisation internationale dont la véritable défense des droits des peuples, voire son impartialité, peut légitimement être mise en doute à l’heure actuelle.

Pendant ce temps, Dupuy travaillait fébrilement sur bien d’autres fronts. En décembre 1991, la Commission d’Haïti, qui avait des cadres d’Haïti Progrès à sa tête, a envoyé la première grande délégation des droits de l’homme en Haïti après le coup d’État. Cette enquête dirigée par Ramsey Clark a été relatée dans le documentaire Killing the Dream de Crowing Rooster Arts de 1992, qui a été diffusé à l’échelle nationale en grande pompe sur le réseau PBS.

À l’intérieur d’Haïti, l’embargo international a bloqué l’importation d’Haïti Progrès. Le journal envoya donc dans le pays une imprimante portable qui produisit clandestinement une version locale du journal. À cette époque pré-Internet, les articles devaient être soit dictés par téléphone, soit envoyés par des communications de modem à modem, soit transmis par des liaisons radioamateurs, ce que Ben avait maîtrisé dans ses opérations clandestines sous les régimes Duvalier.

Les cadres de l’APN ont mené de nombreux actes de sabotage clandestins, comme l’abattage d’arbres à la scie à chaîne sur les routes entre Port-au-Prince et Pétionville pour empêcher le transport des soldats. Dupuy a également proposé à Aristide un largage aérien de tracts, qui a ensuite été réalisé par le pilote haïtien Frantz Gabriel,  basé en ce temps-là à Poughkeepsie, et le militant pour la démocratie Patrick Élie.

Le réseau de Dupuy a entrepris de nombreuses autres opérations clandestines contre le coup d’État, mais le 19 septembre 1994, les troupes américaines ont finalement débarqué en Haïti, commençant une occupation militaire de six ans qui a été transférée à l’ONU en 1995.

Malgré les demandes du peuple, Washington n’a pas permis à Aristide de récupérer les trois années qu’il a passées en exil, et en 1996, son ancien allié René Préval est devenu chef de l’État. Haïti Progrès de Dupuy, APN, et son nouveau groupe de soutien basé aux États-Unis, le Réseau de soutien à Haïti (HSN), ont travaillé avec acharnement pour résister et dénoncer la campagne de privatisation des industries d’État d’Haïti menée par Préval.

En 1999, à l’approche des élections de l’an 2000, l’APN se transforme en Parti National Populaire (PPN). Ce n’était pas un parti électoral bourgeois traditionnel, mais suivait le modèle léniniste d’une « organisation de combat » de cadres disciplinés.

Pendant ce temps, le nouveau parti d’Aristide, la famille Lavalas, formé en 1996, a balayé les élections législatives et présidentielles de 2000, portant à nouveau Aristide au pouvoir le 7 février 2001. Les États-Unis, désormais dirigés par George W. Bush, ont immédiatement entamé une politique diplomatique et économique, et campagne politique pour renverser Aristide, et Dupuy avec le PPN est venu à sa défense.

L’une des fortes recommandations de Dupuy à Aristide était d’abandonner les relations avec Taiwan et de reconnaître la République populaire de Chine. A cette fin, Dupuy conduisit deux délégations en Chine pour envoyer des palpeurs et promouvoir le projet d’établir des relations, mais ce ne fut pas le cas.

Dupuy conduisit deux délégations en Chine pour envoyer des palpeurs et promouvoir le projet d’établir des relations.

Aristide a de nouveau été renversé lors d’un deuxième coup d’État le 29 février 2004. Ayant prévu cette éventualité, Dupuy avait formé des cadres sélectionnés du PPN pour des opérations clandestines, qu’ils ont menées avec succès lors du deuxième coup d’État.

Pendant ce temps, aux États-Unis et au Canada, Dupuy a dirigé une coalition qui a dirigé en 2005 et 2006 le Tribunal international sur Haïti, qui a tenu des audiences à Washington, DC, Boston, Miami et Montréal.

En 2006, plusieurs membres d’Haïti Progrès quittent le journal pour fonder Haïti Liberté. Suite au tremblement de terre de 2010 et à la facilitation par les États-Unis de l’élection de Michel Martelly, une scission s’est produite au sein du PPN et d’Haïti Progrès, entraînant l’éviction de Ben en 2011, ce qu’il a appelé le “coup d’État”.

Dès 2012, il reprend contact avec ses anciens camarades d’Haïti Liberté et conseille régulièrement le journal sur sa ligne éditoriale et ses analyses. Il a fait plusieurs voyages à New York pour participer aux événements d’Haïti Liberté.

Au cours de la dernière décennie de sa vie, Ben Dupuy est devenu un incontournable du restaurant Tap Tap de Miami Beach, aux côtés de son vieil ami, chanteur et compositeur Manno Charlemagne, décédé en 2017.

Dupuy souffrait déjà d’emphysème et fin 2022, un médecin soupçonnait qu’il avait peut-être développé un cancer du poumon après avoir fumé des cigarettes Pall Mall non filtrées pendant toute une vie. Cependant, le médecin a déconseillé le traitement, citant l’âge et la fragilité de la santé de Ben.

Jusqu’à son entrée dans une maison de retraite de Miami Beach en août 2022, Ben a maintenu des contacts réguliers avec ses anciens camarades à New York et en Haïti.

Malgré la détérioration de son corps et une légère confusion et répétition, l’esprit de Ben est resté vif jusqu’à ses derniers jours. Alors que ses amis et sa famille visitaient son chevet, il conversait avec eux sur les événements mondiaux et les développements en Haïti.

Jusqu’à la fin, il a maintenu son approche intellectuelle méthodique, en s’appuyant sur les leçons qu’il avait apprises au cours de ses neuf décennies de vie.

Le dernier des sept frères et sœurs à mourir, il laisse dans le deuil ses quatre enfants – Frantz, Mike, Regine (Gigi) et Sarah – ainsi que sept petits-enfants et cinq arrière-petits-enfants.

Un mémorial pour célébrer sa vie aura lieu au Guarino Funeral Home à Brooklyn’s Canarsie, NY le 3 juin de 11h à 14h.

D’autres mémoriaux sont prévus à Miami fin mai, à Haïti Liberté en juin, et plus tard en Haiti.

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