Les victimes du Cancer : Des oubliés de l’État !

Partie I : Le lourd fardeau des victimes

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Des victimes du cancer

Le cancer tue plus que le sida, la tuberculose, la malaria et les infections respiratoires. Le coût de son traitement est astronomique pour la majorité des Haïtiens et Haïtiennes vivant dans l’extrême pauvreté. Les mieux lotis parviennent à se faire soigner aux Etats-Unis, à Cuba ou en République Dominicaine. Mais d’autres familles doivent compter sur la générosité de bienfaiteurs (rices) sur les réseaux sociaux, l’internet et à la radio pour vaincre ce mal que l’Etat semble ignorer.

Enquête

«J’imagine que si j’étais en Haïti, je serais déjà mort », lance Emmanuel Paul, ex-journaliste reporter à Radio Vision 2000, licencié en Sociologie, Anthropologie et Economie à l’Université d’Etat d’Haïti (UEH). « J’ai subi plusieurs séquences de radiation, chimiothérapie et de chirurgie. Certains malades du cancer en Haïti pourraient être traités s’il y avait la radiothérapie. C’est un véritable problème ! »

Paul se bat depuis 2015 contre un cancer du cou et du nez. Sa maladie est diagnostiquée à la section d’urgence du Boston Médical aux Etats-Unis au stade 4B (niveau très avancé), pendant qu’il était en voyage d’études.

Emmanuel Paul

Considérant la situation oncologique du pays, cette découverte tragique a bousculé sa vie et a changé complètement son plan d’avenir, puisqu’il voulait retourner au bercail, après ses études en système de taxation américaine. « C’est un traitement très efficace, très coûteux, très dangereux et qui demande un niveau d’expertise assez élevé », précise-t-il à propos de la radiothérapie. Le natif de Grande Saline dans le département de l’Artibonite, admet tout de même que la radiothérapie a des effets secondaires considérables.

Cependant, « ses résultats sont en général plus satisfaisants que la chimio. En réalité, ils sont complémentaires. Certains types de cancers nécessitent et la radiation et la chimio. Parce que la radiothérapie tue les cellules cancéreuses plus rapidement », nuance Paul.

Il confie que la dernière fois qu’il a demandé le prix d’un traitement, on lui a dit que ça pourrait globalement coûter entre 100 à 500 mille dollars américains si l’on considère les tests avancés, l’énergie nucléaire et le personnel. Un coût inaccessible pour les personnes à revenu faible et moyen en Haïti, un pays où la majorité de la population vit avec moins que deux dollars par jour.

Paul est chanceux parce que contrairement aux autres, « les soins généraux sont donnés à frais réduits ». Des frais qu’il aura à payer à l’avenir. « Cependant, j’ai dû consentir des dépenses extraordinaires que je n’ai même pas évaluées », concède celui qui doit débuter son doctorat en septembre 2018, en Econométrie à Northeastern University – là où il a effectué une maitrise en Comptabilité et Finance.

Paul Emmanuel, n’est pas l’unique survivant du cancer. Il y en a plusieurs dizaines.

Marie Carmelle Jean-Marie (MCJM), ex-ministre haïtien de l’Economie et des Finances est l’une des rares à triompher du cancer. Son cas est considéré comme un miracle – par ses proches qui pleuraient sa mort pendant la maladie.

VIDEO – « Ma famille s’apprêtait à m’enterrer », MCJM – atteinte du Cancer !

L’impact économique du cancer est important et augmente. Le coût économique annuel total du cancer en 2010 était estimé à environ 1,16 milliard de dollars américains, révèle l’Organisation mondiale de la Santé (OMS). Les populations des pays à revenus faibles et/ou moyens sont les premières victimes.

« Elle souffre, pleure énormément, a perdu toute motricité et reste clouée sur un lit d’hôpital », en ces termes Rose Gabrielle Dulièpre, bouleversée parle de sa sœur, dans une vidéo qui a fait le tour des réseaux sociaux dont Facebook, au début du mois de janvier 2018. « Recevoir ma sœur dans cette situation survenue du jour au lendemain, a été plus qu’un choc. Imaginez une personne qui sort du bureau, se met au lit en santé et se lève le lendemain incapable de piper mot ».

L’artiste Manno Charlemagne

Rose Mérie Duliepre, 42 ans, mère d’un garçon de 4 ans est tombée dans le coma des suites d’un cancer du cerveau (tumeur cérébrale) et d’un éventuel Accident vasculaire cérébral (Avc).

La vidéo vise à lever des fonds pour qu’elle subisse une intervention chirurgicale d’urgence impossible en Haïti. Sa sœur sollicite « la générosité des âmes de bonne volonté pour collecter les fonds nécessaires afin de l’emmener à Cuba ». Selon elle, le temps ne joue pas en faveur de la patiente.

« Elle a envie de vivre. Elle peut récupérer. Tout n’est pas perdu. Mais cela requiert beaucoup d’efforts et d’innombrables sacrifices. Ce qui est dur c’est qu’elle se voit souffrir et en est consciente. Ce sont des nuits sans sommeil et des journées sans repos. C’est dur ! Sa famille n’a pas les moyens de venir à son secours », ajoute-t-elle.

Généralement, les fonds sollicités lors de ces levées de fonds sur Internet ou à la radio ne sont pas en dessous de 40 mille dollars américains – qu’une famille à revenu faible voire moyen est incapable de collecter seule.

Car le combat contre cette maladie, pour les familles reste un combat solitaire.

Cancer : une maladie politiquement invisible !

Pour la dernière décennie – les morts dus au cancer sont nombreux.

Jean Laurent Nelson

Citons notamment : l’ex maire de Port-au-Prince / chanteur engagé Emmanuel Manno Charlemagne décédé d’un cancer du poumon et du cerveau aux Etats-Unis, le photojournaliste Thony Bélizaire d’un cancer de la bouche, l’ancien sénateur Dr Turneb Delpé aux Etats-Unis, l’artiste peintre Normil André, l’ex-premier ministre Marc Louis Bazin, le diplomate Myrtho Bonhomme aux Etats-Unis d’un cancer de l’estomac, le poète et peintre Serge Legagneur, le militant des droits humains Jean Claude Bajeux d’un cancer du poumon en Haïti, l’animateur Joseph Marie Damas dit Joe Damas des suites d’un cancer du poumon aux Etats-Unis, l’ancien recteur et professeur d’université Pierre-Marie Paquiot d’un cancer des reins à Cuba, l’ex-député Jean Laurent Nelson au Canada d’un cancer de l’estomac, le journaliste Duly Lambert à cause d’un cancer du système lymphatique en Haïti, l’anthropologue – prêtresse du vodou et professeure d’Université Rachel Beauvoir Dominique, et son père l’Ati national Max Gesner Beauvoir.

La liste est encore plus longue quand on y ajoute les anonymes qui se comptent par milliers. Le cancer fait partie des 5 premières causes de morbi-mortalité en Haïti, alors qu’il est loin d’être considéré comme une priorité de Santé Publique.

Selon des estimations combinées, il y a entre 8 et 10 mille nouveaux cas de cancer chaque année en Haïti.

Plusieurs raisons expliquent le taux élevé de la mortalité et l’incidence du cancer : la non opérationnalité d’un programme national structuré de dépistage, de prise en charge et de traitement ; l’absence de centre oncologique moderne dans le pays ; le non diagnostic d’un grand nombre de cas du fait que les gens ne se rendent pas à l’hôpital ; l’absence de sensibilisation couvrant tout le pays autour des quelques programmes qui existent pour encourager à les utiliser et enfin, l’absence de méthodes modernes de traitement des diagnostics qui se font majoritairement très tard.

Des programmes de lutte contre le cancer sont implémentés, notamment par l’Institut haïtien d’oncologie (IDHO) de la Société haïtienne d’oncologie (SHONC), Zanmi Lasante (ZL) à l’Hôpital de Mirebalais (HUM) et l’Innovating Health International (IHI) à l’hôpital St Luke. Mais ils ne sont pas trop connus des victimes du cancer et sont inaccessibles aux populations dans les régions reculées, malgré le fait que certains acceptent les patients qui ne peuvent pas payer.

« Les projets mis en oeuvre sont faiblement coordonnés et petits en taille (The projects implemented are poorly coordinates and are small in size). Les données que nous avons sont mauvaises, donc nous ne connaissons pas l’impact global de ces programmes (The data that we have is poor so we don’t know the overall impact of the screening programs). Afin d’améliorer toute donnée, nous avons besoin de plus de coordination du MSPP et de plus de sensibilisation sur la disponibilité des services (In order to improve any data, we need more coordination from the MSPP and more awareness of the availability of services)», explique Dr Vincent DeGennaro responsable de l’IHI qui implémente un vaste projet anti cancer en Haïti depuis pas moins de cinq ans.

« Le cancer est un grand problème et continuera à être un problème plus large à l’avenir (Cancer is a large problem in Haiti and will only continue to be a larger problem in the future », ajoute-t-il, précisant que certaines cellules cancéreuses sont tuées plus facilement par la chimiothérapie et certaines sont plus facilement tuées par les radiations.

De plus, ce sont des initiatives pour la plupart qui restent sur papier. Par exemple, l’Organisation Panaméricaine de la Santé / l’Organisation mondiale de la Santé (OPS/OMS) dit aider la Direction de santé de la Famille (DSF) du MSPP à mettre en œuvre les quatre composantes de base d’une soi-disant lutte anticancéreuse (prévention, dépistage, diagnostic et traitement précoce, et soins palliatifs) afin de prévenir et de guérir un grand nombre de cancers, et de soulager les souffrances. Mais aussi, dans l’élaboration de plan stratégique national de prévention et de contrôle du cancer du col de l’utérus et dans sa dissémination à travers le pays.

Ce plan stratégique a été revu par le MSPP en 2008 avec l’appui technique de l’OPS et du Fond des Nations Unies pour la Population (UNFPA) – (rapport cancer col ML Tucker).

Par ailleurs, le ministère de la Santé publique avance dans des documents officiels que « la prévention reste le meilleur moyen de lutter contre le cancer », pourtant à ce niveau-là, rien n’est fait pour endiguer le problème. « En Haïti, les structures de prise en charge sont rares dans le système de santé », lit-on.

Des statistiques régionales, pour l’Amérique latine et les Caraïbes notent qu’Haïti a le taux d’incidence le plus élevé pour le cancer de la matrice – soit 94 pour 100 mille avec un taux de mortalité estimé à 53 pour 100 mille.

Même Dr Cornelly qui est responsable de la section oncologie dudit ministère dénonce le fait qu’il n’y a rien de concret et que même ses propositions ne sont pas prises en compte. Son programme de dépistage des cancers du col de l’utérus, du sein et de la prostate, soumis aux autorités en 2011 peine à être appliqué.

« Cela fait 7 ans depuis que j’ai soumis le projet. Ça n’a jamais démarré. Je voulais l’implanter dans les 10 départements géographiques du pays et à partir de là – aller vers les communes et les sections communales. La seule chose en rapport au projet qui a été fait- c’est avec Medishare et Innovating Health International – des organisations internationales, se plaint-il. Le cancer est un problème urgent de santé publique, mais ne constitue nullement une priorité pour les autorités ».

Selon lui, l’incidence du cancer en général, du col de l’utérus en particulier est très élevée. Des statistiques régionales, pour l’Amérique latine et les Caraïbes notent qu’Haïti a le taux d’incidence le plus élevé pour le cancer de la matrice – soit 94 pour 100 mille avec un taux de mortalité estimé à 53 pour 100 mille. Tandis que pour le Nicaragua, l’incidence est de 61 pour 100 mille et la mortalité de 29 pour 100 mille.

Le médecin reconnait toutefois que le MSPP parvient à insérer des médicaments utilisés dans la chimiothérapie dans la liste des médicaments essentiels, faisant diminuer leur prix et les rendant beaucoup plus accessibles.

Dans le profil de mortalité par cancer relevé par l’OMS en 2014, la prostate se place en première position avec 34.3%, suivi de l’estomac avec 9.6%, le foie avec 8.7%, de la trachée – bronches et poumon 7.2% chez les hommes. Du côté des femmes, le cancer du col de l’utérus occupe la première place avec 17.9%, celui du sein avec 13.9%, de l’estomac avec 7.4%, de la trachée- bronches et poumon avec 7.3%.

Un combat tous azimuts

Pour essayer de trouver des solutions au problème, Dr Jean Cantave membre fondateur de la SHONC et professeur à la Faculté de Médecine et de Pharmacie (FMP) de l’Université d’Etat d’Haïti (UEH) recommande « l’élaboration d’un programme national de lutte contre le cancer, la tenue d’un registre national du cancer, l’implantation de 3 grands centres oncologiques dans le pays, la formation de ressources humaines dans ce domaine, le renforcement des structures au niveau des hôpitaux départementaux et communaux pour la prévention, le dépistage et la prise en charge des cancers, et la recherche dans ce domaine ».

Si rien de concret n’est fait, la maladie continuera à s’étendre à travers le monde, notamment dans les pays en développement comme Haïti. Ceci, avec 22 millions de nouveaux cas attendus annuellement à l’horizon 2030, contre 14 millions en 2012, révèle un rapport publié en 2014 par le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC/IARC), une agence spécialisée de l’OMS. Les décès seront aussi en hausse, passant de 8,2 millions en 2012 à 13 millions en 2030, malgré des progrès importants dans les traitements proposés dans certains pays.

Dans la lutte solitaire contre le cancer, l’un des aspects fondamentaux, c’est qu’il faut savoir identifier les gens sur qui on peut compter, mais aussi le support moral. Ce qu’a fait Emmanuel Paul qui a eu la chance de recevoir le support de sa maman, des amis clés spécialement la journaliste Marie Lucie Bonhomme et de l’ex-ministre de l’Economie et des finances Marie Carmelle Jean-Marie. « Ces gens-là ont fait le déplacement d’Haïti à Boston pour venir me supporter dans tous les sens. Cela signifie beaucoup pour moi », considère-t-il, ignorant jusqu’à présent les antécédents de sa maladie.  « J’ai souvent entendu dire le cancer peut être héréditaire ou dû à d’autres conditions. Soit les cigarettes et l’alcool. Bon ! Il faut dire que je n’ai jamais été directement exposé à aucune de ces choses et je n’ai pas de parents ayant un historique du cancer. Il y a aussi d’autres raisons que j’ignore, n’ayant pas des connaissances en oncologie ».

Environ un tiers des décès liés au cancer sont dus aux cinq principaux risques comportementaux et alimentaires: indice de masse corporelle élevé (obésité), faible consommation de fruits et légumes, manque d’activité physique (sédentarité), usage du tabac et consommation d’alcool, selon l’OMS.

Pas moins de 10.7% de la population haïtienne est obèse et la consommation totale d’alcool par habitant en litre d’alcool pur est de 6.4, selon des statistiques de 2014.  En attendant un coup d’?il des autorités, les victimes se fient à Dieu, à la religion et à leur optimisme, tout en apprenant à cultiver l’amour de la vie et à s’accrocher davantage à la foi. « Lorsqu’on vit avec le cancer, on doit savoir que chaque jour vécu est une bénédiction de Jéhovah », soutient Emmanuel Paul. Appelant les victimes du cancer à éviter le stress au maximum réputé scientifiquement pour ses conséquences néfastes, il lance un message d’espérance à ces milliers d’Haïtiennes et Haïtiens souffrant dans l’indifférence des autorités.

« Le cancer est une maladie comme toutes les autres. Il peut être plus dangereux mais ce n’est jamais la fin. Plus on est fort, plus on a la capacité de la vaincre ! ».

* ENQUET’ACTION est un média en ligne d’investigation journalistique, de journalisme multimédia et de journalisme de fond, créé en février 2017 à Port-au-Prince et lancé officiellement en juin 2017. Axé sur le journalisme de qualité qui croit à un accès libre à l’information, il ambitionne de devenir une source d’informations indispensable pour les médias nationaux et internationaux, de même pour le public. Il est né de la volonté de renouer avec les fondamentaux du journalisme qui vise la quête de vérité afin de permettre à la presse de jouer véritablement son rôle de contre-pouvoir.
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