7 février 2021, retour sur un « Vrai-Faux coup » d’Etat !

(1e partie)

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La manière dont les présumés putschistes ont été arrêtés complique plus la position du Président Jovenel Moïse qu’il lui rende service.

Il fallait s’y attendre. Le 7 février 2021 ne pouvait passer sous silence en Haïti. En tout cas sur le plan politique. Quelque chose devait se passer. Et il s’en est passé des choses ce jour-là. Après plus de trois années de mobilisation de l’opposition pour renverser le Président Jovenel Moïse avant la fin de son mandat sans y parvenir, les opposants au pouvoir avaient dû revenir sur leur position de départ afin de fixer leur stratégie sur un point qu’ils estimaient plus raisonnable. Ce point était la date du 7 février 2021. Pourquoi les leaders de l’opposition avaient-ils choisi cette date ? La réponse est on ne peut plus simple. 

Jovenel Moïse a pris de court l’opposition qui n’avait pas pensé qu’il pouvait aller si loin sans le soutien de la population.

Les articles 134.1 et 134.2 de la Constitution de 1987 amendée qui laissent la porte ouverte à toutes les interprétations qu’on veut. La confusion et la contradiction que permettent ces deux articles en question facilitent donc ce choix. Pour l’opposition, il devenait plus facile et plus simple de se concentrer sur une date précise au lieu de mener un combat quasi impossible sur une surface trop étendue qui pourrait la mener jusqu’en 2022 qui est le choix du Président Jovenel Moïse, là aussi selon la Constitution. Si l’on observe bien le comportement des deux protagonistes depuis un an sur le terrain, l’on constatera que l’année 2021 est l’année de tous les défis. L’on dirait même que cette année sera consacrée à la démonstration de force de part et d’autre des lignes Maginot. Pendant que le chef de l’Etat, en l’absence du Parlement, détient la totalité des pouvoirs depuis 2020 et s’empresse de marquer le paysage de manière irréversible des sceaux de sa vision politique, les leaders de l’opposition plurielle, toute tendance confondue, ont fait du 7 février 2021 un leitmotiv et ont concentré toute leur énergie politique à rendre possible ce qu’ils n’ont pas pu faire trois années auparavant. 

 Les deux camps n’arrêtaient point de peaufiner leur stratégie et fourbissaient leurs armes en attendant le jour-J qui était ce fameux 7 février 2021. A malin à malin et demi. L’un surveillait l’autre comme le lait sur le feu, comme on dit. Chacun ne perdait pas de vue l’autre. Sauf que, dans les deux camps, les partisans attendaient une action spectaculaire. Les dés étaient jetés. Pour Jovenel Moïse, il était hors de question de quitter le pouvoir ce 7 février 2021 comme le lui avait réclamé l’opposition. Pour bien montrer qu’il n’était pas prêt de céder aux sirènes des oppositions, il avait choisi l’année 2020 pour lancer les fondations de tous ses grands chantiers. Et de faire de l’année 2021 celle de l’aboutissement de ses grands travaux institutionnels : referendum constitutionnel et élections générales. Avec ces initiatives, Jovenel Moïse a pris de court l’opposition qui n’avait pas pensé qu’il pouvait aller si loin sans le soutien de la population. En guise de réponse, les oppositions au régime auraient dû concentrer toute leur énergie à mobiliser la population pour contraindre le Président à renoncer au pouvoir, vu, selon elles, son impopularité dans le pays. Mais çà c’était la partie visible de l’iceberg. Comme dans tous les mouvements de contestation ou de lutte politique, il y a les dits et les non-dits. 

 Il y a les déclarations publiques, les tapages médiatiques et les actions plus ou moins secrètes qu’on emploie ou qui se préparent sans pour autant éveiller les soupçons. Mais, ceci est aussi valable pour les deux camps. L’opposition n’avait peut-être pas pris au sérieux le Président Jovenel Moïse quand celui-ci avait mis en place, par décret, son Agence de renseignements dénommée : Agence Nationale de l’Intelligence (ANI). Pire, il avait averti les responsables de l’opposition que ses espions sont déjà lâchés dans la nature (opérationnels) en vue de traquer les moindres faits et gestes de l’opposition et ceux qui tentent de déstabiliser le pays quand il a parlé des kidnappeurs qui rendent la vie impossible dans la capitale et ses faubourgs. En fait, ANI a été créée, justement, dans la perspective du 7 février 2021 date à laquelle tout le monde s’attendait à ce qu’il se passe des choses sans savoir quoi. Si l’histoire par nature ne peut s’arrêter, en Haïti, depuis l’indépendance, elle ne fait que se répéter. Les historiens parlent de constance, surtout à chaque fin de mandat d’un Président de la République. 

En Haïti, depuis l’avènement de Jean-Bertrand Aristide au pouvoir , il est devenu comme interdit d’analyser le comportement politique dans ce pays de façon sereine, objective sans pour autant être neutre

Depuis 1990, que ce soit pour le début ou la fin d’un quinquennat présidentiel, l’affaire se solde rarement par une apothéose. L’arrivée ou le départ du chef du Pouvoir exécutif commence toujours par des péripéties, controverses, malentendus et contestations. Cela doit changer. Le pays ne peut plus continuer à jouer tous les cinq ans le même scénario. A un moment, le film devient désuet et ne fait rire personne. Sauf, peut-être, les acteurs qui ne comprennent pas que leur film est dépassé.  Prenons le fiasco ou le brouillage politique qui s’est produit dans la nuit du 6 et 7 février 2021 dans la localité de Petit Bois dans la commune de Tabarre près de Port-au-Prince. Une vraie mascarade politique pour les deux camps. Dans la mesure où ni l’un ni l’autre ne sort grandi de cette grotesque mise en scène qui montre avec dextérité le niveau de ceux qui appellent à nous diriger et ceux qui prétendent le faire. Bien sûr, comme nous l’avons établi plus haut, le 7 février 2021, il devait impérativement se passer un évènement politique en Haïti puisque les acteurs ou les tenants de statu quo l’avaient décidé. La population, prise en otage, n’avait point le choix : elle devait être en première loge pour assister, impuissante, à cette mascarade dont, une fois encore, elle est la grande victime. Finalement, en Haïti, on perd du temps.

Nous avons titré notre Tribune de « vrai-faux coup d’Etat» sur ce qui s’était passé le 7 février dernier parce qu’on a pris le temps de se renseigner de part et d’autre. Par notre positionnement de rester plus au moins objectif depuis le début de la crise, chaque camp nous a livré sa version des faits. On lit ça et là sur les réseaux sociaux qu’il s’agissait d’un nouveau coup monté par un certain monsieur Sola, spécialiste d’une firme européenne d’origine espagnole, qui serait au service du pouvoir PHTK depuis, d’ailleurs, Michel Martelly. Pourquoi pas? En revanche, si tel en est le cas, il y a là un vrai problème avec cette entreprise de Communication dont, pourtant, on loue les réussites en Haïti depuis des années, même au sein de l’opposition. Pourquoi y aurait-il eu un problème ? Parce que tout simplement l’opération ou le montage a lamentablement foiré et n’apporte rien de bénéfique pour le pouvoir. Car, la manière dont les présumés putschistes ont été arrêtés complique plus la position du Président Jovenel Moïse qu’il lui rende service. 

 Certes, contrairement à ce qu’on entend, on peut toujours déjouer un coup d’Etat avant même que les auteurs passent à l’acte ou n’arrivent sur les lieux de leur forfait. Mais, c’est quand il s’agit d’un coup d’Etat militaire avec complicité civile. Puisque, laisser les présumés assaillants armés jusqu’aux dents pénétrer dans l’enceinte soit du Palais présidentiel soit à la résidence privée du chef de l’Etat, c’est prendre le risque de déclencher une guerre civile. Mais, dans le cas contraire, comme l’ont indiqué les autorités haïtiennes, on craint fort que les « désœuvrés » qu’on découvre sur les photos publiées à l’envi sur les réseaux sociaux n’aient été tous en mesure de porter une charge contre les bungalows qui servent de Palais national à Port-au-Prince depuis le séisme de 2010. Les autorités gouvernementales ont prétendu avoir eu des informations selon lesquelles ces gens se préparaient à prendre d’assaut le Palais national avec pour finalité l’arrestation du Président Jovenel Moïse qui devrait intervenir dans la nuit du 6 février et sa conduite à la résidence de Petit Bois. Soit ! 

 Dans ce cas, pourquoi les autorités n’avaient-elles pas mis le chef de l’Etat en sécurité ou même fait semblant qu’il avait été arrêté par les complices du Palais selon le plan et attendre de pieds fermes la petite bande pour les cueillir dans l’enceinte même du Palais ? On est persuadé qu’à ce moment-là personne n’allait émettre le moindre doute sur ce coup de force contre le régime. C’est pourquoi le terme « vrai-faux coup d’Etat » employé ici s’accorde aussi bien au pouvoir en place qui serait l’auteur de ce montage ubuesque qu’aux concepteurs de ce putsch raté qui serait l’œuvre d’un groupe d’amateurs en mal de pouvoir. Pour nous, c’est un ratage complet du régime si vraiment ses services de renseignements (ANI et d’autres entités) l’avaient mis au parfum sur une éventuelle action des chefs de l’opposition qui envisageraient d’installer un des leurs au Palais national le 7 février 2021 par la force.

  Maintenant, regardons le profil d’au moins deux personnalités du groupe, puisque, parmi les 23 individus arrêtés, il y a en a qu’on ne peut pas considérer comme étant des comploteurs. Tels que: les chauffeurs, les agents de sécurité des hautes personnalités, les gens de service, etc. même par le fait de ce qu’on pourrait considérer comme le syndrome de Stockholm, c’est-à-dire, ces gens auraient  pris fait et cause pour leurs employeurs, rien ne peut prouver qu’ils étaient membres à part entière du complot. Ce ne sont à la rigueur que de simples « lampistes ». Ils doivent pouvoir recouvrer rapidement leur liberté sans conditions. Il ne doit pas avoir deux poids et deux mesures dans cette sombre histoire. Néanmoins, pour certaines personnalités, il y a de quoi s’interroger et se questionner sur leur réelle motivation, implication et surtout leur présence dans ce lieu à cette heure « chanpwèl ». En Haïti, depuis l’avènement de Jean-Bertrand Aristide au pouvoir et la suite qu’on connaît tous, il est devenu comme interdit d’analyser le comportement politique dans ce pays de façon sereine, objective sans pour autant être neutre. Et pour cause. La neutralité reste une notion très relative et toujours très difficile s’agissant des faits sociaux.

(A suivre)

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