7 février 2021, chronique d’un échec attendu !

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Jovenel Moïse dans un message à la Nation le 7 février 2021

 C’est un échec. Nous sommes le 10 février 2021, soit trois jours après la date fatidique.  Jovenel Moïse est toujours Président d’Haïti. Il n’est pas en fuite. Pire, Jovenel Moïse demeure officiellement au Palais national. Un affront pour les opposants au pouvoir ! L’opposition haïtienne a échoué. Certes, elle a réédité le coup de Me. Gérard Gourgue de 2001, avec la nomination de Me Joseph Mécène Jean-Louis comme « Président » provisoire de la Transition.  Une scène qui a fait rigoler beaucoup de monde en Haïti et dans la diaspora comme il y a 20 ans. Incontestablement, l’opposition n’a pas pu instaurer son gouvernement de transition. Une nouvelle « Année zéro » pour les leaders de l’opposition plurielle qui juraient de pendre « haut et court » l’un des chefs d’Etat le plus détesté par la classe politique haïtienne. L’An I de la Transition, ce sera pour plus tard. Jovenel Moïse, une fois encore, n’a pas cédé. « Il restera au pouvoir jusqu’au 7 février 2022 » dit-il dans un message diffusé sur les réseaux sociaux ce même dimanche 7 février. 

 Il a su déjouer tous les pièges et résister aux manifestations de l’opposition. Depuis la mi-janvier 2021, tous les dirigeants de l’opposition sont vent debout. Il faut qu’il parte et doit partir le 7 février, disaient-ils. Du Secteur Démocratique et Populaire (SDP) à Pitit Dessalines en passant par la Direction Politique de l’Opposition Démocratique (DIRPOD) et le Mouvement Troisième Voix (MTV), chacun de son côté se mobilise, tantôt ensemble, tantôt seul. L’objectif : faire plier le Président coûte que coûte le 7 février 2021. Avec quelques ratages à l’allumage pour cause de division, la machine à mobiliser s’était mise en marche. Mais, très tôt aussi, le pouvoir avait pris très au sérieux la menace. La riposte est donnée par le principal intéressé lui-même. En effet, face à la menace de destitution pour cause de fin de mandat, Jovenel Moïse avait pris à témoin le pays, tout au moins une partie de la population, dans une Déclaration faite à la Nation en date du 25 janvier 2021. 

 Prétextant une communication sur l’insécurité et le kidnapping qui deviennent des faits divers dans la région métropolitaine de Port-au-Prince, le chef de l’Etat avait vite bifurqué sur le sujet qui l’intéresse et dont tout le monde attendait sa version sur la date de la fin de son mandat au Palais national. Après avoir abordé des points, certes cruciaux sur la conjoncture sociopolitique, Jovenel Moïse était revenu sur la thématique de l’heure : 7 février 2021. En tant qu’« ingénieur », il s’est rapidement converti en professeur de mathématiques pour laisser comprendre qu’il est entré en fonction un 7 février 2017 et que la fin de son mandat de cinq années ne peut être que le 7 février 2022. Article 134.1, selon les prescrits de la Constitution. Point barre ! Comme pour donner une fin de non-recevoir à ceux réclamant son départ avant cette date, selon l’article 134.2, il déclare : quelqu’un qui pense le contraire non seulement se trompe de date mais il rêve. Car, il n’avait nullement l’intention de satisfaire les vœux de ses adversaires. Il faut dire qu’à la vérité, en Haïti, pas grand monde n’avait imaginé une minute que le pouvoir allait changer de main le 7 février 2021. 

en vérité, ils savaient que c’était mission impossible ; dans la mesure où ils avaient mal jugé la force non pas politique de Jovenel Moïse

 Aucun risque de se tromper, pas même les dirigeants de l’opposition plurielle ne l’avaient pensé. Certes, beaucoup le souhaitaient. Mais, en vérité, ils savaient que c’était mission impossible ; dans la mesure où ils avaient mal jugé la force non pas politique de Jovenel Moïse mais son audace politicienne. Si pour l’opposition de la branche la plus radicale et ceux qui seraient prêts à accepter le compromis avec le régime Tet Kale, la date du 7 février 2021 était celle pouvant booster un peu la mobilisation populaire contre l’élu du parti PHTK, pour celui qui n’a jamais fait grand cas de cette opposition disparate, 7 février 2021 n’était en fait qu’une date comme les autres dans le cheminement inéluctable vers la conclusion de son mandat de 5 années en 2022. Plus mature politiquement que la quasi-totalité des dirigeants et leaders des oppositions qui, par manque d’arguments, s’en prennent même à la Communauté internationale, Jovenel Moïse a fini par démontrer que le courage en politique et surtout l’intelligence se paient. 

 Sur cette affaire de date de fin de mandat, dès le départ, l’occupant du Palais national savait que tout allait se jouer là-dessus vu que jamais l’opposition n’allait s’unir pour présenter ce fameux front commun qui aurait pu le déstabiliser, voire le renverser. Après les deux épisodes de « Peyi Lock », périodes durant lesquelles il a su garder un profil bas, terré chez lui à Pèlerin 5, histoire de faire le mort et de laisser passer la tempête, Jovenel Moïse a réalisé que plus rien ni personne, en tout cas en Haïti, ne pourra l’empêcher de poursuivre son petit bonhomme de chemin jusqu’aux prescrits des articles 134.1 et 134.2 de la Constitution de 1987 qui fixe son mandat à 5 ans à partir de la date de son entrée en fonction. Sauf cas contraire à ses prévisions. Au moment où l’opposition dans sa globalité tire à boulet rouge sur le Core Group et la Communauté internationale en général, Jovenel Moïse, lui, malin, en fin lecteur des « Œuvres essentielles » d’un certain Dr François Duvalier, cageole cette Communauté internationale dont, en Haïti, sauf les myopes et les malentendants ne voient et n’entendent sa puissance dans les affaires internes haïtiennes. 

 D’ailleurs, un article fort intéressant et enrichissant de celui qui est devenu un spécialiste de la politique haïtienne, le brésilien Ricardo Seitenfus, paru dans le quotidien Le Nouvelliste de la semaine du 29 janvier 2021 nous enseigne plein de choses sur la problématique des fins de mandat présidentiel en Haïti. Surtout que cet ex-diplomate apporte, comme il le fait depuis un certain temps, la preuve que finalement ni l’opposition ni les dirigeants haïtiens ne contrôlent pas grand chose s’agissant de grandes décisions politiques à chaque fois que la situation sociopolitique devient compliquée pour le pays. Dans son « Papier » intitulé : « Les Dés sont jetés, Exhumer Haïti n’est pas à la portée des simples amateurs » l’ancien Représentant spécial de l’OEA en Haïti entre 2009 et 2011 et auteur de plusieurs ouvrages de références sur les crises politiques dans ce pays un peu particulier dans l’hémisphère nord américain, Ricardo Seitenfus, dessine avec brio le scénario qui attend les acteurs de l’opposition. 

 Une analyse d’un fin connaisseur du milieu politique haïtien qui corrobore ce que nous avons déjà et à maintes reprises écrit tendant à démontrer que les deux protagonistes – opposition et pouvoir – ne maîtrisent point les données qui se précisent de plus en plus et au fur et à mesure que nous avançons dans le processus électoral et la fin du mandat du chef de l’Etat. Ricardo Seitenfus multiplie les exemples et les faits démontrant que le Core Group et la Communauté internationale finiront par imposer leur verdict aux deux entités comme ils l’ont toujours fait depuis la transition de 2004 avec la chute et le départ en exil du Président Jean-Bertrand Aristide. Or, c’est ce que les oppositions en Haïti n’ont toujours pas compris pour leur malheur dans le sens qu’à chaque fois les « amis d’Haïti » tranchent toujours en faveur de la continuité par peur d’un lendemain chaotique. C’est-à-dire en faveur du pouvoir sortant même si le personnel du Palais national change de tête d’affiche. 

 Peine est de constater qu’aucun des leaders de l’opposition dite radicale et même au sein de la branche la plus modérée, par peur d’être taxée pro-Jovenel, ne s’aperçoit que c’est le même scénario qui est en train de se mettre en place avec un Jovenel Moïse qui, longtemps, a compris le jeu de ses amis de l’Internationale. En effet, le locataire du Palais national a vite remarqué que même quand le Core Group émet discrètement une note de presse truffée d’incohérences sur sa gouvernance, c’est juste pour l’inciter à apporter un petit correctif dans les décisions qu’il prend, mais rien de grave. Les critiques un peu sournoises des membres du Core Group vis-à-vis du Président de la République sur les multiples décrets et arrêtés présidentiels de l’année écoulée ne sont en réalité destinées qu’à endormir les plus radicaux au sein de l’opposition et modérer l’appétit d’un Président devenu grand consommateur de décrets et arrêtés qui ne sont soumis à aucun contrôle et dont les signatures des membres du Conseil des ministres ne servent que de paravent. 

Sans aucune alternative qui aurait pu susciter un débat ou tout au moins semer le doute au sein des membres du Core Group durant toute l’année dernière, l’opposition haïtienne n’avait aucune chance de dérouter ces diplomates en poste dans la capitale haïtienne de leur mission qui est de maintenir le statu quo afin d’empêcher un vrai soulèvement populaire qui est synonyme de changement de régime politique comme en 1986 sous la dictature de feu Jean-Claude Duvalier. Ce que l’opposition doit avoir à l’esprit, c’est que la Communauté internationale, à travers le Core Group, craint comme la peste que le pays ne vire à l’anarchie incontrôlable pour que les grandes puissances via l’ONU ou l’OEA ne se trouvent dans l’obligation de monter une nouvelle fois un autre Corps expéditionnaire pour se positionner en Haïti. Une décision gravissime qui signifierait leur échec en Haïti depuis leur arrivée fin des années 90. Constatant que l’opposition n’est pas en mesure de comprendre cela, l’ONU, l’OEA et l’OIF (Organisation Internationale de la Francophonie) jouent finalement franc jeu en soutenant ouvertement et sans vergogne la partition que le Président Jovenel Moïse leur a soumise.

 Elle consiste, en fait, à les faire accepter, peut-être en désespoir de cause, l’alternative qui lui parait le plus consensuelle et sans doute qui fait l’unanimité au sein de ces trois institutions internationales : la réforme constitutionnelle tant souhaitée par tous mais jamais concrètement entamée et les élections générales au cours de cette année 2021 pour renouveler le personnel politique. C’est tout ce que demandent le Secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, celui de l’OEA, Luis Almagro et celle de l’OIF, Louise Mushikiwabo. Et comme un présage, on a le sentiment que le Président Jovenel Moïse, sur ces deux thématiques, tiendrait parole. Il sait aussi qu’il n’a pas le choix. D’où, finalement et en toute logique, l’envoi à Port-au-Prince dès la fin de l’année 2020 en soutien à ces deux décisions, d’émissaires et deux Conseillers chargés de guider et d’orienter le pouvoir sur ces sujets très controversés pour l’opposition qui a réalisé qu’elle s’est fait piéger par Jovenel Moïse qui est sur le point de réaliser le plus grand holdup politique et institutionnel depuis 1987 : une nouvelle Constitution avec un referendum populaire à la clé et des élections générales et ceci à lui tout seul. 

 Puisque, en l’absence du Parlement et sans accord politique avec l’opposition sur la composition du Conseil Electoral Provisoire (CEP) et le Comité Consultatif Indépendant (CCI), il arrive à faire avaler son plan de la « Nouvelle Haïti » aux deux instances internationales les plus engagées politiquement et institutionnellement en Haïti depuis plus de trente ans. Devant tous ces faits marquants où le chef de l’Etat ne cesse de renforcer ses assises, que fait l’opposition ou que propose-t-elle en guise d’alternative au pouvoir qu’elle voulait remplacer le 7 février 2021, rien ? Sinon de la chamaillerie avec une « Ribambelle » de propositions de sortie de crise dont aucune ne porte le sceau de l’unanimité encore moins de soutien collectif de l’ensemble de cette grande famille très divisée même au moment où elle devrait serer les rangs pour gagner contre un pouvoir, certes non populaire, mais vachement efficace grâce à ses soutiens de l’extérieur et certains gangs armés qui prennent fait et cause pour lui. 

 Dans ces conditions, il parait évident qu’il ne pouvait se passer quoique ce soit qui  pût menacer sérieusement le Président Jovenel Moïse le 7 février 2021. Bien sûr les manifestations organisées par l’ensemble de l’opposition dans la capitale ont drainé du monde. Bien sûr, les semaines précédant le 7 février, on sentait une certaine nervosité et effervescence politique à travers le pays : Gonaïves, Les Cayes, Miragoâne, Cap-Haïtien, Hinche, etc. Mais, honnêtement rien de bien méchant. Bien sûr Me André Michel, Porte-parole du « Secteur Démocratique et Populaire » avait annoncé qu’un Accord politique entre les différentes forces politiques de l’opposition et de la Société civile pour la gestion de la Transition avait été signé dans l’après-midi du samedi 30 janvier 2021. La fameuse CNT (Commission Nationale de la Transition).  Un Accord, rappelons-le, dont on a déjà fait écho dans l’une de nos Tribunes. 

 Bien sûr le nouveau Président de ce qui reste des sénateurs (10), Joseph Lambert, s’est érigé en sauveur du dernier recours et a tenté en vain d’organiser son « Grand dialogue national » à Tara’s La Sapinière les 3 et 4 février 2021 pour finalement annoncer son annulation faute de participants. Bien sûr quelques journalistes étrangers curieux et avides d’événements sensationnels étaient arrivés dans la capitale. Ils ont assisté, incrédules, à l’échec d’une opposition qui, à aucun moment, n’avait pris conscience non pas de ses forces mais de ses faiblesses face à un régime qui était en 2019 à deux doigts de rendre son tablier. Mais, rapidement avait compris qu’en définitive, derrière tout ce tohu-bohu, il n’y avait pas vraiment une alternative crédible pour convaincre personne, surtout pas le Core Group et à travers lui la Communauté internationale et encore moins Washington. 

Quant à la population, face aux hésitations des leaders de l’opposition, elle préfère rester sur ses gardes

 D’ailleurs, en pleine discussion sur le départ ou non de Jovenel Moïse, le Porte-parole du Département d’Etat américain (Affaires étrangères), Ned Price, a comme sonné la fin de la récréation en déclarant « Conformément à la position de l’Organisation des Etats Américains sur la nécessité de poursuivre le transfert démocratique du pouvoir exécutif, un nouveau Président élu devra succéder au Président Jovenel Moïse au terme de son mandat, le 7 février 2022 ». Ce soutien publiquement assumé par la nouvelle Administration américaine au processus électoral de Jovenel Moïse arrivait comme par hasard 24h avant la date que les oppositions au pouvoir considéraient comme étant le dernier jour de l’élu du PHTK au Palais national. Le lendemain de cette prise de position des officiels américains, six congressmen de Washington ont choisi eux d’attirer l’attention du nouveau Secrétaire d’Etat US, Anthony Blinken, sur les dérives anti-démocratiques de l’Administration haïtienne. Mais, on imagine qu’il était déjà trop tard pour ce Jour-J. 

 Puisque à ce moment l’on avait retrouvé le Président de la République en plein cœur du Carnaval de Jacmel pendant que ses opposants étaient en train de s’épuiser dans une chaleur insupportable d’une salle d’hôtel de la capitale pour donner une conférence de presse juste pour annoncer qu’ils ont constaté que le pays n’avait plus de Président de la République. Quel contraste ! Quant à la population, face aux hésitations des leaders de l’opposition, elle préfère rester sur ses gardes et manifester suivant son humeur, peu convaincue que Jovenel Moïse devrait partir avant que l’opposition ne soit en ordre de marche. La Transition politique peut donc encore attendre. Combien de temps encore ? Un, deux, trois mois ? En vérité, seule l’opposition détient la réponse. Finalement, 7 février 2021 n’était qu’un rêve pour l’opposition jamais une réalité encore moins une conviction. 

 

C.C  

 

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