La nomination de Gousse comme PM annonce le penchant de Martelly pour la répression

L’histoire et les câbles de WikiLeaks le laissent entrevoir

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De droite à gauche, le président Michel Martelly et son Premier ministre désigné, Bernard Honorat Gousse.

Bernard Gousse, que le président haïtien Michel Martelly vient de choisir comme Premier ministre le 6 juillet dernier, était tellement répressif, incontrôlable et inefficace alors qu’il était ministre de facto de la Justice sept ans auparavant, que Washington et ses alliés haïtiens et internationaux avaient dû exiger sa démission, tel que l’indiquent des câbles secrets de l’ambassade des États-Unis à Port-au-Prince.

Ces câbles proviennent de ce qu’on peut appeler une mine de 1918 dépêches de l’ambassade des États-Unis concernant Haïti, fournies à Haïti Liberté par l’organisation de presse WikiLeaks.

C’est un homme honnête. Il a de l’expérience dans l’administration publique,” de dire le chef de cabinet de Martelly, Thierry Mayard-Paul à l’Associated Press. “Nous croyons que M. Gousse peut sortir ce pays du marasme.

Tout le monde, y compris ses propres soutiens dans le secteur privé, s’entendent pour reconnaître que Gousse aura été un échec total…

Mais l’ambassade des États-Unis à Port-au-Prince en était venue à une conclusion bien différente vers la fin du terme du dernier poste occupé par Gousse à titre de fonctionnaire public, le qualifiant d’« échec total » en tant que ministre de la Justice. Dans d’autres câbles, l’Ambassade et ses interlocuteurs en Haïti se lamentent de son “comportement tortueux,” le traitent d’« entêté », et s’interrogent à savoir s’il n’est pas plutôt un « obstacle » pour arriver à résoudre le cas d’un prisonnier politique de renom.

Tout le monde, y compris ses propres soutiens dans le secteur privé [haïtien], s’entendent pour reconnaître que Gousse aura été un échec total, que ce soit dans le domaine de la sécurité ou de celui de la justice ” écrivait l’ambassadeur des États-Unis à l’époque, James Foley, dans un câble diplomatique en date du 3 juin 2005.

La nomination de Gousse comme Premier ministre semble d’ores et déjà vouée à l’échec. Le 8 juillet, 16 des 30 sénateurs haïtiens ont signé une résolution annonçant qu’ils voteraient contre Gousse, annulant de fait ses chances pour être ratifié. Ces sénateurs, auxquels devraient se joindre éventuellement d’autres parlementaires, ont fait savoir dans leur résolution que Gousse était inacceptable, à cause de la « répression, des arrestations arbitraires et des tueries perpétrées dans les quartiers de Port-au-Prince » au cours de sa gestion en 2004 et 2005.

Gousse est similaire à François «Papa Doc» Duvalier en ce sens qu’il représente un secteur de la classe dirigeante haïtienne qui est si réactionnaire qu’il est parfois en conflit avec Washington. Les racines idéologiques de ce secteur remontent au président Dumarsais Estimé (1946-1950) et inclut d’autres idéologues et portes-parole de droite comme le colonel Himmler Rébu, l’ancien chef des «rebelles» Guy Philippe, et même Michel Martelly. Ses représentants prennent souvent une fausse posture nationaliste, citant «la souveraineté d’Haïti» quand ils sont pressés par les Etats-Unis d’adopter une certaine façade démocratique ou de se plier à des mesures anti-corruption et à d’autres diktats de l’empire. «Bien qu’ils adoptent une rhétorique nationaliste, nous savons qu’ils sont protégés par l’occupation militaire étrangère d’Haïti dont ils sont les alliés», a déclaré Ben Dupuy de l’Assemblée Populaire Nationale (APN), organisation anti-impérialiste, en 1997 pour résumer la nature de ce secteur.

L’Ambassade des États-Unis à Port-au-Prince se lamente du “comportement tortueux” de Bernard Gousse, le traitent d’« entêté », et s’interrogent à savoir s’il n’est pas plutôt un « obstacle » pour arriver à résoudre le cas d’un prisonnier politique de renom.

Donc, ce n’était pas tant la brutalité de Gousse qui lui aura aliéné les États-Unis et leurs alliés, mais son refus (du moins dans l’action) d’opérer sous le commandement de la force d’occupation de l’ONU – connue comme la MINUSTAH – que Washington mettait en place pour superviser Haïti après le coup d’État du 29 février 2004 contre l’ex-président Jean-Bertrand Aristide.

Par exemple, le 28 février 2005, Gousse déployait la police haïtienne pour réprimer une manifestation au Belair lors du premier anniversaire du coup d’État, causant la mort d’au moins six manifestants et faisant beaucoup plus de blessés. Le chef militaire de la MINUSTAH, le lieutenant général brésilien Augusto Heleno Ribeiro, s’était plaint à l’Associated Press le jour suivant, à l’effet que les crimes de la police « avaient empoisonné un climat que les Casques bleus travaillaient à améliorer depuis deux mois », et qu’à présent la MINUSTAH « était perçue sous un jour complètement différent » par la population.

Corroborant les dires d’Heleno, le 4 mars le chef civil de la MINUSTAH Juan Gabriel Valdés déclarait au Miami Herald: « Nous ne pouvons pas tolérer des exécutions, nous ne pouvons pas tolérer les fusillades sans contrôle, nous ne permettrons pas des abus de droits humains, », tout en promettant que « les Casques bleus de l’ONU interviendront — et utiliseront la force si nécessaire – si la police haïtienne attaquait à nouveau des civils sans armes ».

Des fonctionnaires de l’ONU se plaignaient aussi à l’ambassade des États-Unis. Le commissionnaire canadien de la CIVPOL (Police civile de l’ONU) David Beer a dit à l’attaché politique de l’Ambassade que « ses plans pour le déploiement de la PNH [Police nationale d’Haïti] de concert avec la CIVPOL ont été mis sous le boisseau depuis des mois », suivant un câble secret du 7 juin 2005. Gousse prenait effectivement la tête de la police, et « en dépit de l’accord déclaré par la PNH, […] ce plan n’a pas été mis en pratique. »

Beer aussi « insistait pour que l’Unité de contrôle de foule (CIMO) ne soit pas déployée sans une escorte de la CIVPOL, mais l’accord est souvent ignoré dans la pratique, » comme cela s’est produit durant la fatidique manifestation du 28 février 2005.

« Il y a encore des incidents, de faire valoir Beer, là où le ministre de la Justice Gousse envoie le CIMO directement sous ses ordres, circonvenant les contrôles de Beer, » indique ce câble. « Beer a dit que l’incident du 22 mai [2005] au Bel Aire [sic], au cours duquel un agent du SWAT a trouvé la mort, était un exemple du comportement tortueux de Gousse. »

Un autre cas d’insatisfaction de l’ONU avec Gousse est décrit dans un câble du 9 juin 2005, où le chef des affaires électorales de la MINUSTAH Gérard Le Chevallier s’est plaint du ministre de la Justice truquant un document émanant de l’étranger que l’ONU tentait de faire passer comme haïtien. « LeChevallier s’est plaint le 1er Juin que le projet de décret [électoral], présenté par le [Conseil électoral provisoire haïtien] CEP (écrit secrètement par la MINUSTAH) plusieurs semaines auparavant, avait été bloqué au sein du Conseil des ministres par le ministre de la Justice Gousse, qui a insisté sur ce que LeChevallier a caractérisé de ‘changements inutiles’,» rapporte le câble. L’ONU et les États-Unis s’inquiétaient aussi de voir Gousse leur faire mauvaise presse en incarcérant nombre de personnalités de premier plan du gouvernement d’Aristide et du parti Fanmi Lavalas comme prisonniers politiques sans inculpation et sans jugement.

Gousse a suggéré que le Père Gérard Jean-Juste, un prêtre catholique pacifique avec des liens étroits avec le parti d’Aristide, s’était « compromis dans des actions terroristes » lorsque le régime l’a fait mettre en prison, rapportait Haïti-Progrès en octobre 2004. Des mois plus tard, après qu’Amnesty International l’ait considéré comme un «prisonnier de conscience, » le ministère public concédait qu’il n’y avait pas de preuve contre Jean-Juste et celui-ci était libéré (seulement pour être arrêté à nouveau en juillet 2005).

Cependant, le prisonnier qui préoccupait le plus l’ambassade des États-Unis était l’ex-Premier ministre d’Aristide, Yvon Neptune, qui avait été aussi emprisonné sous les auspices de Gousse. Pour obliger les autorités de facto soit de le mettre en accusation et le faire comparaître en cour, soit de le libérer après huit mois de détention au tristement célèbre Pénitencier national, Neptune entamait une grève de la faim en février 2005, flirtant avec la mort ce pourquoi s’est alarmée l’Ambassade. L’ambassadeur Foley rencontrait les dirigeants du « Gouvernement intérimaire d’Haïti » ou GIOH (comme on désignait le régime de facto) – le président Boniface Alexandre, son chef de cabinet Michel Brunache, et le Premier ministre Gérard Latortue – le 21 mars 2005 pour exercer des pressions visant à apporter une solution au cas de Neptune, ainsi qu’il l’indiquait dans un câble du 23 mars. Après « avoir mis l’accent sur le côté inacceptable à l’extrême de voir Neptune mourir sous la garde du GIOH, » Foley proposait « le transfert de Neptune du Pénitencier national à une ‘annexe’ résidentielle de la prison », et son « conseil » fut suivi par la suite.

L’Ambassade était « enclin à vouloir travailler avec les hommes d’affaires, les partis politiques et des groupes de droits humains pour ouvrir un espace vers une solution finale » à l’emprisonnement de Neptune, écrivait Foley, mais qui se demandait « si le ministre de la Justice Gousse. . . veut être partie prenante de cette solution ou bien constituer un obstacle en ce sens. »

« Gousse aura été personnellement la force, la seule la plus puissante, la plus implacable pour la persécution des prisonniers politiques en Haïti, » de dire Brian Concannon Jr., directeur de l’Institut pour la justice et la démocratie en Haïti, et qui a oeuvré à la libération de Jean-Juste et de Neptune. « Gousse a personnellement (et illégalement) annulé des ordres de libération émis par des juges et même par ses propres procureurs. »

Tout en se montrant agressif à l’endroit des personnalités Lavalas, Gousse a oeuvré à défendre des violateurs de droits humains. Quand l’exdictateur Jean-Claude Duvalier, actuellement sous enquête et en résidence surveillée, est revenu en Haïti au mois de janvier dernier, Gousse a argumenté contre son inculpation dans un éditorial pour Le Nouvelliste, écrivant que « la notion de crime contre l’humanité ne peut être utilisée par les tribunaux haïtiens. »

À titre de ministre de la Justice, Gousse a aussi aidé à vider de tout contenu le procès historique de Raboteau pour la condamnation (in absentia) du leader d’extrême droite de l’escadron de la mort FRAPH Louis Jodel Chamblain, qui était revenu en Haïti comme l’un des dirigeants des “rebelles” qui avaient aidé à renverser Aristide en février 2004.

La conduite scandaleuse de Gousse a commencé à alimenter des discussions parmi les tuteurs d’Haïti dans les coulisses.

« Après avoir lui-même agi comme juge improvisé pour les tribunaux des ‘rebelles’ contre les sympathisants Lavalas après le coup d’État, Chamblain était devenu plutôt un embarras pour le régime de facto et ses patrons des États-Unis, » rapportait Haïti- Progrès en août 2004. « De sorte qu’il a conclu un marché pour un nouveau procès avec le ministre de facto de la Justice Bernard Gousse et, le 22 avril il s’installait à la prison de Pétionville, où il prenait ses aises en toute liberté et sortait régulièrement pour aller manger et participer à des agapes. » Gousse avait déjà déclaré que Chamblain méritait le pardon à cause « de ses grands services rendus à la nation » en aidant au renversement du gouvernement constitutionnel haïtien et n’avait « rien à craindre » de la justice haïtienne sous sa gouverne, d’après Haïti Progrès.

Donc, c’est sans aucune surprise que le 17 août 2004, un tribunal à la sauvette rejetait la condamnation de Chamblain pour le meurtre de masse de Raboteau, en le déclarant « non coupable, à l’aube, à la suite d’un procès nocturne en continu de 14 heures, auquel un seul témoin de l’accusation osa se montrer, et ce n’était pas un témoin oculaire, » rapportait Haïti-Progrès. « Le jugement avait été annoncé seulement trois jours ouvrables plus tôt. »

Néanmoins, Chamblain restait dans sa situation de semi-emprisonnement, attendant un nouveau jugement sous d’autres chefs. L’ambassade des États-Unis s’inquiétait de le voir mis en liberté par Latortue et Gousse, un embarras supplémentaire pour Washington. Sous le titre de « Manigances autour de Chamblain », un câble du 15 mai 2005 décrit comment le Premier ministre Latortue promettait à l’ambassade des États-Unis que son gouvernement ne sortirait pas Chamblain de prison. « Latortue nous a assurés que Chamblain ne serait pas libéré, disant que le ministre de la Justice Gousse était d’accord avec lui à ce sujet, » écrivait le chargé d’Affaires Douglas M. Griffiths. “Il l’a répété en deux fois, disant que Chamblain ne serait pas libéré tant qu’il serait Premier ministre. »

C’était, évidemment, un mensonge, et Chamblain était libéré trois mois plus tard. Tout récemment, on voyait Chamblain debout à côté de Duvalier peu après le retour de ce dernier, agissant à titre de chef de sécurité.

La conduite scandaleuse de Gousse a commencé à alimenter des discussions parmi les tuteurs d’Haïti dans les coulisses. Au cours d’une rencontre le 20 mai avec des fonctionnaires de l’ambassade des États-Unis et d’autres membres du “Noyau”, le chef de la MINUSTAH Valdés a rapporté que des leaders politiques haïtiens de façon écrasante sentaient que « le GIOH devrait procéder au remplacement de quelques membres du cabinet, spécialement du ministre de la Justice Gousse, » rapportait l’ambassadeur Foley dans un câble daté du 25 mai. « Valdés a fait valoir que le président était en faveur du remplacement de Gousse, mais s’inquiétait pour ne pas créer un ‘martyr pour la souveraineté haïtienne’ si cela laissait l’impression que Gousse était renvoyé afin de faire libérer Neptune. L’ambassadeur français était d’avis que le président et le Premier ministre n’avaient pas encore arrêté leur décision au sujet de Gousse. Valdés a dit que remplacer Gousse serait une bonne chose et pour la justice et pour la sécurité en Haïti, mais que le timing était certainement délicat. »

Même des membres de la bourgeoisie d’Haïti ont proposé de remplacer Gousse par des gens comme Charles Gervais, qui est actuellement l’avocat de Duvalier et l’éminence grise du président Martelly. « L’homme d’affaires Réginald Boulos est celui qui nous a proposé cela nous disant que Charles est ‘intelligent mais pas entêté comme Gousse ‘ », a rapporté Foley dans un câble du 13 juin 2005.

Le 14 juin, Gousse a été finalement remercié de ses services suite à une lettre de dix membres du Congrès des États-Unis à la secrétaire d’État Condoleezza Rice réclamant son renvoi immédiat, en ces termes: « (il) a clairement démontré ne pas vouloir assumer ses obligations d’une manière objective et responsable. »

Gousse fut remplacé par Henri Dorléans, qui « s’est présenté lui-même comme l’antithèse de Gousse, ouvert, amical, et tourné vers l’action. » ainsi que le rapportait l’ambassadeur Foley dans un câble du 5 juillet 2005.

« En tant que fonctionnaire en 2004 et plus récemment comme avocat indépendant, Gousse a montré un troublant dédain quant à l’obligation qu’a Haïti de poursuivre les crimes de droits humains, » a dit à Haiti Liberté Amanda Klasing, une experte sur Haïti pour Human Rights Watch.

La nomination de Gousse, qu’elle soit maintenue ou non, tend à refléter un « dédain » similaire de la part du président Martelly, dont les affinités de droite s’affichent de plus en plus. Son premier choix, l’ultraconservateur homme d’affaires Daniel Rouzier, a été bruyamment rejeté par le Parlement.

À son retour d’Espagne le 9 juillet, un journaliste de Radio France International a demandé à Martelly: « Et si Bernard Gousse est rejeté?

« Il n’y a pas de ‘si’,” de répondre Martelly, « c’est Gousse que je veux !

Traduit de l’anglais par Guy Roumer

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