Washington et Ottawa font le ménage politique en Haïti!

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Jimmy Chérizier alias « Barbecue »

(1e partie)

 

Ceux qui pensent que la Communauté internationale ne fait pas de politique en sont pour leur frais. La preuve: « L’Opération Mani pulite » (Opération Mains Propres) que les Etats-Unis et le Canada décident de mener en Haïti depuis quelques semaines. Pour bien comprendre ce qu’apparemment ont entrepris les américains par le biais de leurs fidèles alliés canadiens en Haïti, une petite explication s’impose sur la notion de « l’Opération Mains Propres ». Qu’est-ce que c’est « l’Opération Mani pulite » ? C’est une opération politico-judiciaire menée en Italie à la fin des années 80 jusqu’au milieu des années 90 visant le monde politique et économique italien. Cette opération judicaire de grande ampleur et menée à grande échelle sur la quasi-totalité du territoire d’Italie par les autorités au plus haut niveau s’attaqua surtout à la mafia, ses connexions et ramifications politiques et criminelles mettant en péril l’avenir de la démocratie italienne, voire l’existence même de l’État italien.

Durant cette enquête au long cours qui a duré des années, des centaines de personnalités politiques, économiques et de la Société civile du pays ont été identifiées comme faisant partie d’un vaste conglomérat criminel mettant à mal la stabilité politique du pays. Pratiquement tous les rouages de la société italienne étaient touchés par ce vaste système de corruption publique, de trafic de drogue, de financement illicite des partis politiques, de détournement de fonds, et de pot-de-vin, ce qui avait conduit à une série de meurtres et d’assassinats politiques spectaculaires sans précédent en Italie depuis sa fondation.

La mafia qui est une organisation criminelle et philanthropique touche à tout et pour atteindre son objectif, cette organisation s’emploie à recruter dans son rang les gens de toute origine et de toutes catégories sociales. Ainsi, en Italie, à cette époque et peut-être encore aujourd’hui, mais à une plus petite échelle, la mafia a eu dans ses rangs les membres des trois Pouvoirs établis : l’Exécutif, le législatif et le judicaire. De ce fait, les enquêtes menées par un Parquet spécial établi à Milan conduit par un quarteron de magistrats incorruptibles placés sous l’autorité d’un Procureur général, Francesco Saverio Borrelli, avaient permis de mettre en lumière l’implication ou la participation d’un nombre inimaginable de hauts fonctionnaires, de sénateurs, de députés, d’anciens Premiers ministres, (appelé Président du Conseil en Italie), une foultitude d’entrepreneurs, de banquiers et d’hommes d’affaires de la Péninsule.

« L’Opération Mani pulite » ? C’est une opération politico-judiciaire menée en Italie à la fin des années 80 jusqu’au milieu des années 90 visant le monde politique et économique italien.

Après le procès historique et la condamnation des centaines de mafiosi et d’accusés de tous bords mêlés à cette entreprise criminelle et de déstabilisation de la société, tous les grands partis politiques traditionnels et historiques italiens ont été soit auto-dissous soit disparus devant l’indignation de la population qui découvrit stupéfaite l’implication et la collaboration des hommes publics, de grandes figures et les noms des grandes familles du pays à cette organisation mafieuse. Du Parti socialiste italien (PSI) au Parti démocrate chrétien  (PDC) en passant par Parti libéral italien (PLI) sans oublier le Parti socialiste démocratique italien (PSDI), tous ont disparu depuis du paysage politique italien en ouvrant une nouvelle ère politique beaucoup mieux compatible à la vie démocratique d’un État qui se respecte.

Pour certains spécialistes, l’« Opération Mani Pulite » (Opération Mains Propres) a donné naissance à une nouvelle République en Italie tant elle était salutaire pour les Italiens et pour le pays tout entier. Aujourd’hui, l’Italie respire un peu mieux que dans les années 80 et 90.  Voilà pour l’explication. Maintenant, regardons ce que cherchent ou veulent vraiment les autorités américaines en Haïti demeurant un des Pré-carrés des Etats-Unis depuis la première occupation du pays dans les années 1900. Après plus de 19 années passées sous les bottes des « Marines » et un Gouverneur US qui supervisa en personne les affaires intérieures haïtiennes, Washington estima que la situation était sous contrôle et que le moment de passer la main à une équipe cent pour cent haïtienne était arrivé.

Du coup, en 1934, sous la présidence de Sténio Vincent, les autorités américaines quittèrent la capitale haïtienne, Port-au-Prince, et rentrèrent chez elles tout en maintenant un contrôle strict sur le pays en supervisant de loin la marche de la République. Mais, préoccupés à garder leur leadership sur les grandes affaires du monde, les Etats-Unis laissent leurs subalternes à Port-au-Prince gouverner tant que ces derniers restent dans le cadre dicté avant le départ du Gouverneur en 1934, à savoir Haïti demeurera un allié fidèle et exécutera à la lettre tout ce que lui demande Washington. La dictature et autre absence des droits de l’homme n’émeuvent point les Etats-Unis. Les révolutions de Palais de Port-au-Prince où l’on change de dirigeants politiques comme on change de chemise non plus tant que ces politiques ne revendiquent pas une autre appartenance idéologique ou un rapprochement avec l’autre bloc comme l’on disait dans le temps.

Mais, au fil des années, la situation socio-économique, voire politique se dégrade et les cadres quittent au fur et à mesure le pays pour s’installer un peu partout dans le monde, notamment au Canada, en France et naturellement aux Etats-Unis où ils sont légion. Jusque-là rien d’alarmant pour ce pays Tuteur ne demandant qu’une chose : la fidélité de Port-au-Prince à sa politique impérialiste dans les grandes instances internationales ou régionales (ONU, OEA, etc). Entretemps, la gestion politique, l’ordre et l’autorité de l’Etat disparaissent petit à petit après la disparition de la dernière grande dictature encouragée et soutenue à bout de bras durant 29 longues années. La démocratie qui devrait remplacer cet ordre ancien n’a jamais pu trouver réellement sa place dans la Cité. Un nouveau castre politique et économique s’est créé. La classe moyenne qui est partout dans le monde le poumon de la société perd le souffle et sa situation sociale elle aussi se dégrade jusqu’à ce qu’elle intègre ce que le feu Professeur Leslie F. Manigat appelait : la massification.

La classe moyenne haïtienne aujourd’hui n’existe plus en Haïti. Une partie se trouve dans la diaspora. L’autre partie se noie dans la grande masse qui constitue la classe la plus défavorisée. Le peuple des bidonvilles et les ghettos. Là encore, ce changement d’échelle social dans le sens inverse n’inquiètent ni les autorités de tutelle à Washington ni les subalternes au pouvoir à Port-au-Prince qui, entretemps, se livrent à une guerre sans pitié pour garder les acquis qu’ils ont gagnés depuis leur accession au timon des affaires en association avec les quelques oligarques économiques et d’affaires corrompus jusqu’au dernier.  Dans un jeu de rôle savamment organisé, ces deux entités partagent le gâteau de la richesse du pays. Toujours avec la complicité de Washington ou les bienveillances des autorités de la Maison Blanche et du Département d’Etat, par le biais de l’Ambassade américaine en Haïti.

Une Légation devenue un véritable Etat dans l’Etat donc contrôlant absolument tout ou presque sur le plan politique. La République d’Haïti au 20e siècle devient un Etat paria, au fur et à mesure qu’une génération d’hommes et de femmes sans scrupule s’accaparent tous les leviers des pouvoirs politiques et économiques constitués très souvent avec le soutien de l’Oncle Sam qui ferme les yeux sur leurs activités criminelles en tout genre : trafic de drogue, trafic d’armes et de minutions, corruption d’État, fraude électorale, financement des groupes armés, etc, etc. Et pour cause. Une bonne partie de ceux ayant accédé aux responsabilités publiques ou au pouvoir économique, très souvent assez jeunes d’ailleurs, travaillent ou deviennent des Agents de la politique américaine en Haïti.

Une sorte d’accord tacite existe entre eux. Ils informent le gouvernement américain sur tout ce qui se passe dans la société et Washington les laisse mener leurs affaires comme bon leur semble quitte à devenir leur complice dans des activités criminelles et la corruption d’Etat. Ainsi naît une sorte de complicité réciproque entre l’élite politique et économique haïtienne de toute tendance et les autorités de Washington qui retournent la tête sur le comportement et l’agissement de ces femmes et hommes qui tiennent tous les pouvoirs sans jamais avoir à l’idée qu’il faut faire quelque chose pour la grande masse de la population, laissée à l’abandon.

Jimmy Chérizier

Une curieuse politique qui va donner naissance à l’éclosion des groupes armés et gangs qui contrôlent effectivement aujourd’hui pour la plupart la quasi-totalité de la capitale haïtienne et une grande partie du territoire national. Et dans cette confusion ou du moins ce mélange de genres, la société va se retrouver avec deux catégories de groupes armés : ceux dont les activités se tournent exclusivement au banditisme à savoir : enlèvements, meurtres, viols, trafics de drogues, etc. Et ceux-là qui se placent dans un tout autre registre qui est une sorte de « Protecteurs des veuves et orphelins » ou prenant la forme d’un « Robin des bois » du XXIe siècle qui volent aux riches pour donner aux pauvres. Cette catégorie qui fonctionne à visage découvert, c’est important de le rappeler, récuse le terme de « gang ». Ces membres ou tout au moins le premier d’entre eux, Jimmy Chérizier alias « Barbecue » qui, après avoir passé 14 ans dans l’institution policière en tant qu’Agent du système, a préféré déserter et se mettre, selon lui, au service des laissés-pour-compte.

Un choix qu’il assume, certes, avec les armes à la main en se présentant en « Révolutionnaire » mais qu’il a du mal à faire accepter par une partie de l’élite haïtienne quoique soutenu par une large frange de la population des bidonvilles et des ghettos. C’est un positionnement qui trouble même les grands spécialistes politiques au-delà des rives d’Haïti. Dans la mesure où même à Washington, Ottawa et à l’Organisation des Nations Unies (ONU) à New-York, Jimmy Chérizier était la seule personnalité non politique ou seul « chef de gang » qui a été pris en compte dans la première série de sanctions prises contre ceux qui menacent la stabilité d’Haïti, d’après la terminologie en vigueur aujourd’hui, par la Communauté internationale, principalement, les Etats-Unis et le Canada.

Gilbert Bigio, Reynold Deeb et Sherif Abdallah

Pourtant, tout le monde en Haïti y compris, d’ailleurs, les autorités américaines et canadiennes, connaît les noms et les visages des membres du Secteur économique et financier qui financent depuis des décennies les groupes armés à travers le pays.  Mais ces gens, mis à part leur origine, sont si puissants en Haïti et à l’étranger que Washington et Ottawa réfléchissent à deux fois avant de rendre public les noms de quelques-uns. Il aura fallu près d’un mois après la publication de la liste des hommes politiques tombés en disgrâce pour que le gouvernement canadien publie timidement les noms de trois puissants hommes d’affaires tombés, eux aussi en disgrâce, dans le cadre de l’« Opération Mains Propres » lancé conjointement par Washington et Ottawa. Il s’agit de Gilbert Bigio, Sherif Abdallah et Reynold Deeb.  (A suivre)

 

C.C

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