Généralement, je ne suis pas vraiment attiré par les romans, à part quelques rares tirés des faits historiques ou d’histoires vraies. Je suis plutôt genre essai, histoire et naturellement politique. J’ai reçu, depuis un certain temps, le dernier ouvrage de mon ami et collègue Philomé Robert titré : Vagabondages éphémères, paru chez Caraïbéditions à Paris. Pris par les actualités sociopolitiques haïtiennes et françaises de ces derniers temps et par mes propres écrits, j’ai complètement zappé cet opus que j’avais pourtant déposé sur mon bureau pour lecture. Il aura fallu un classement au cours d’un jour férié pour que je tombe sur l’ouvrage. Sitôt trouvé, je me suis mis immédiatement à parcourir le livre de Philomé.
Parcourir, en fait, je veux dire lire, dans la mesure où Vagabondages éphémères se lit, en vérité, d’un trait tant il est fluide et captivant. Je m’en veux d’avoir failli passer à côté de ce roman qui apporte un peu de fraicheur dans la littérature haïtienne de cette décennie. Journaliste de profession, mais homme à multiples facettes, Philomé Robert, ce natif du Nord d’Haïti (Limbé), n’est point à son coup d’essai. Depuis son arrivée en France vers les années 2000, il nous a déjà démontré son talent en nous gratifiant de textes d’une haute portée intellectuelle et littéraire, et ce, sur le plan journalistique ou en tant qu’écrivain dans divers journaux que je dirigeai à Paris. Son premier pamphlet en 2012 : Exil au crépuscule avait annoncé la couleur. De cet essai, on voyait déjà arriver l’âme d’un futur grand auteur sachant magner savamment les lettres. En livrant aux lecteurs ce premier roman très original, il vient de confirmer ce que tous pensaient de lui : il a de l’inspiration.
En effet, Vagabondages éphémères, comme son nom l’indique, est un roman tiré de ses multiples pérégrinations à travers la France et dans le monde, particulièrement sur le continent africain où celui qui assure les week-ends de la chaîne de télévision France 24, compte de nombreux admirateurs. Ce premier roman réussi de Philomé est, en vérité, un vrai coup de maître dans la manière qu’il s’y prend pour conter cette histoire ou les histoires entre différents personnages qu’il a mis en scène. Là où le génie de Philomé, en tant que romancier, s’est vraiment manifesté, c’est que les lecteurs ne savent jamais à l’avance à quel moment ils vont changer de direction pour se trouver sur les quais de la gare de Lyon à Paris ou dans un Taxi brousse dans la capitale sénégalaise (Dakar) ou encore dans son patelin du Limbé (Haïti) toujours dans des aventures époustouflantes.
Plus on avance dans la lecture de Vagabondages éphémères de Philomé Robert, plus on fait corps avec les personnages à qui il donne vie et qui voyagent à travers le temps. Pour ceux qui aiment voyager, ce roman est le chemin le plus court pour commercer à découvrir le monde sans jamais quitter son fauteuil ni sa ville de résidence. Voyez-vous, Vagabondages éphémères est une invitation aux grands périples des temps modernes. De la Havane à Rio de Janeiro en passant par Port-au-Prince sans oublier les escapades sur les grands rochers bordant le fleuve du Colorado, dans le grand Ouest américain, les personnages de Philomé sont mouvants, mobiles. En revanche, si l’auteur fait beaucoup voyager ses personnages, dans le roman, il demeure attaché et fidèle à un coin de terre qui lui est cher: Haïti.
Cette terre de contraste pluriculturelle où l’esprit des « loas », non pas celles de Montesquieu, mais des divinités ramenées de la lointaine Afrique durant la tragique traversée de l’Atlantique au cours de la période de la tragédie de l’esclavage et de la colonie européenne du nouveau monde reste incrusté dans la chair et dans le sang des afro-descendants. Partout dans le roman, l’auteur ne cesse de faire des excursions historiques voilées sur ce passé restant bien vivace. Il ne rate aucune opportunité, bien entendu dans le cadre de son écrit, pour évoquer les « hounsi kanzo, manger-loa, asson », et autres esprits « loas » qui ont jalonné l’histoire d’Haïti et qui façonnent encore la vie des haïtiens d’où qu’ils vivent.
Cet attachement à la culture du terroir, exprimé avec fierté dans les œuvres romanesques et littéraires, il n’y a que chez les auteurs haïtiens ou d’origines haïtiennes qu’on le trouve. C’est tout à leur honneur de s’imprégner d’un héritage qui les distingue de leurs confrères d’autres pays. Philomé Robert se place et se classe parmi ses contemporains haïtiens qui ont toujours manifesté leur attachement viscéral à cette culture qu’ils ont en partage avec ceux du Benin, du Burkina-Faso, du Sénégal, du Brésil, de Cuba, de Guyana, etc. L’auteur de Vagabondages éphémères ne s’est pas trompé quand il fait parler ses personnages même quand certains se retrouvent à Thiais dans la banlieue parisienne ou à Gorée, port négrier du Sénégal, où furent embarqués contre leur gré des milliers d’africains : hommes, femmes et enfants pour un voyage sans retour pour les Amériques.
Antilles-Afrique, même combat. Pour un ancien exilé politique, naturellement la politique et l’histoire ne sont jamais trop loin. L’auteur n’oublie point d’aborder de manière subtile et intelligente le triste sort de son pays aujourd’hui. Alors qu’il fut dans le temps la mère de toutes les libertés et le pays de l’espoir sur qui, le continent Mère, l’Afrique, a dû compter pour se tirer de haut. Jadis pays modèle, aujourd’hui pays paria. L’auteur a su en peu de mots, sans pour autant mélanger les genres, glorifier ce pays à l’évidence qui compte plus que tout pour lui sans chercher à minimiser les maux du présent. Par un tour de force, cet ancien étudiant de la faculté de Linguistique appliquée de l’Université d’Etat d’Haïti (UEH) et de l’Université de Paris I Sorbonne, a fait dire à un douanier sénégalais imaginaire combien Haïti a servi à l’émancipation politique et intellectuelle de l’Afrique. « Haïti ? Mon pauvre ami ! On ne peut pas dire que vous soyez gâtés ni par la nature ni par vos politiciens. Mais quelle histoire ! Vous nous avez montré la voie, à nous africains, savez-vous ? » Page 120. Quel talent ! Sacré Robert !
Autre caractéristique du roman de Philomé, l’absence d’un lieu statique pour décor ou plus exactement les multiples unités de lieux où se déroulent les trames de ce roman accrocheur. Les personnages à qui on fait grâce de ne pas tous les énumérer dans cette présentation tant il y a pléthore, déambulent d’une métropole à l’autre, d’une contrée à l’autre. Si a priori tout semble parti de la bourgade du Limbé, suivez mon regard, il n’est pas étonnant qu’on se retrouve tantôt dans la forêt de Meudon, un clin d’œil sans doute, tantôt à Port-au-Prince avec ses anciens trains de la Haitian Américan Sugar Company, tantôt devant la cathédrale Notre-Dame de Paris et l’Arc de Triomphe ou encore à Rome, la ville éternelle, dans les vestiges du Colisée, pourquoi pas à Marseille dans le Sud de la France, etc. Le moins que l’on puisse dire, les Maricia, Héloïse, Consuelo, Cyrillia, Meredith, Gabriel, Hamidou, Shannon et tant d’autres, ont su profiter de l’esprit fertile de leur géniteur pour découvrir le monde.
Ces personnages aux noms exotiques qui sont au cœur d’une série d’histoires éparse mais se reliant l’une et l’autre nous emmènent dans une succession de contes les uns plus attrayants que les autres. A la vérité, après la lecture du roman de Philomé, j’ai été franchement bluffé. Il est vrai que bien avant de prendre moi-même connaissance du fond et de la forme de Vagabondages éphémères, plusieurs de mes amis qui ont eu la chance de le lire m’avaient fait tout un panégyrique de cet ouvrage qui vient de s’inscrire dans la lignée des grands romans qui marqueront le temps et l’espace. Il est drôle ! Captivant ! Par le temps où certains ont tendance à bouder l’intelligence pour s’adonner à une littérature de comptoir, donc sans corpus, rien de tel que le roman de Philomé Robert pour se réapproprier de ce qui se fait en mieux dans le genre romanesque. Vagabondages éphémères, est une pépite ! Il a été publié l’année dernière à Paris par Caraïbéditions.
WKF