Ariel Henry en campagne pour un CEP introuvable (2)

(2ème partie)

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Samuel Henry Saturné, le chef du cabinet d’Ariel Henry

De l’Accord de Montana aux non-alignés, tous font des mises en garde au chef de la Primature sur son projet d’organiser des élections cette année. D’ailleurs, pour l’ancien Premier ministre a.i (2019-2020) de Jovenel Moïse, Jean Michel Lapin, qu’on ne peut qualifier d’opposant, encore moins de radical, « Il ne pourrait avoir de passation du pouvoir avec des dirigeants légitimement élus pas avant l’année 2025 », tout en expliquant, « Qu’il faudrait au moins 18 mois minimum en temps normal pour organiser des élections ».

Pour Danio Siriac, cette affaire de CEP que le chef de la Transition, Ariel Henry, sort comme un épouvantail, n’est rien d’autre qu’une ruse pour garder le pouvoir. Car, selon le porte-parole de l’OPL, si le Premier ministre voulait mettre en place un CEP consensuel, il agirait autrement. « Cette démarche ne sous-entend pas qu’Ariel Henry veut organiser les élections. Sinon, il l’aurait entamé immédiatement après le 21 décembre. Il s’agit plutôt d’une stratégie pour faire durer l’Accord et rester le plus longtemps possible au pouvoir.

 C’est tout ce qui l’intéresse », estime Danio Siriac qui pense que toute cette agitation ne concerne que les partis politiques ayant signé l’Accord Karibe. Même son de cloche du côté du parti Uni-Haïti, formation politique très modérée en dépit de ses prises de position très critiques contre le comportement du régime de Transition. Clarens Renois, chef de ce parti, à l’image des autres leaders politiques plus radicaux, n’est pas plus tendre à l’égard de l’équipe au pouvoir. Lui aussi fait des mises en garde contre toute tentative de collaboration avec Ariel Henry dans cette affaire de CEP et de scrutins dans ce contexte. « Cette initiative de former le CEP est nulle et non avenue. Car le contexte n’est aucunement favorable. Côté politique, aucun compromis large n’a été dégagé. De plus, le contexte sécuritaire ne favorisera pas l’organisation des élections. Je lance une mise en garde aux secteurs consultés afin qu’ils ne se fassent pas complices d’une telle aventure qui n’a pas de lendemain » a estimé le Président du parti Unir-Haïti. Enfin, la mise en garde du parti Louverturien et Réformiste, un signataire de l’Accord du 21 décembre, qui croit malvenue cette démarche au moment où le pays traverse une crise sécuritaire sans précédent.

Danio Siriac, porte-parole de l’OPL

Pour son Président Emmanuel Ménard, il s’agit ni plus ni moins que de la provocation. « Je trouve que c’est de l’indécence pure, nous dénonçons cette démarche. Nous mettons en garde tous les secteurs de la Société civile pour ne pas cautionner cette mascarade. Une fois de plus le Premier ministre Ariel Henry a montré son incapacité de rassembler et faire un consensus national. Mis à part la situation sécuritaire délétère du pays et les problèmes d’ordre politique, techniquement, pour l’année 2023, les élections ne sont pas possibles » soutient-il. Pourtant, en dépit de ces mises en garde, voire du refus catégorique de collaborer à tout processus ayant pour objectif d’organiser des élections générales cette année dans le pays, Ariel Henry qui n’a aucune autorité pour faire cesser les atrocités des kidnappings semble vouloir relancer le processus électoral. Ainsi, au cours de la deuxième semaine du mois d’avril 2023, le locataire de la Villa d’Accueil, a décidé, à travers son chef de cabinet, Samuel Henry Saturné, d’écrire aux responsables de divers Secteurs afin de faire parvenir les noms de leurs représentants au sein du futur Conseil Electoral Provisoire (CEP).

Selon le courrier qui est parvenu aux acteurs de la Société civile le 10 avril dernier, entre autres, l’Association des Journalistes Haïtiens (AJH) et l’Association Nationale des Médias Haïtiens (ANMH), il était demandé aux responsables de ces organisations de se présenter à 16 heures à Musseau, Delmas 60, à la Résidence officielle du chef du gouvernement le mercredi 12 avril 2023 pour une rencontre avec le Premier ministre de facto dont l’objectif était de faire le point sur la situation politique du pays, tout en leur demandant de communiquer les noms de leurs représentants au plus tard le 17 avril 2023 auprès du Bureau du chef de la Transition.

D’après un extrait du courrier reçu par le Secrétaire général de l’AJH, Jacques Desrosiers,  « (…) Cette rencontre rentre dans le cadre des dialogues avec le locataire de la Primature, en vue d’une sortie de crise, mais aussi pour le renforcement des institutions du pays. Nous sommes en pleine période de transition, nous ne devons pas écarter les possibilités liées à l’organisation des élections. Ce serait un pas important. (…) Nous travaillons en vue de doter nos forces de sécurité des moyens et de la formation nécessaire pour les mettre en situation de faire face efficacement à la situation actuelle. La préparation de bonnes élections prend beaucoup de temps. Il est important que l’organe électoral commence au plus tôt à travailler en vue de remettre en place ses structures à travers le pays » a écrit le Bureau de la Primature. Si le Courrier adressé à l’AJH est moins explicite sur le but, celui destiné à Jacques Sampeur, le Président de l’ANMH, est sans équivoque puisque Samuel Henry Saturne lui avait demandé de se concerter avec l’AMIH, (Association des Médias Indépendants d’Haïti) pour proposer des noms.

Il a même été précisé la désignation des neuf (9) membres du futur Conseil Électoral tout en faisant allusion à ce que les noms allaient être soumis au HCT suivant le consensus du 21 décembre. Car, le chef du cabinet avait noté qu’« Il s’agit maintenant pour le gouvernement de soumettre au Haut Conseil de la Transition (HCT), vingt (20) noms de personnalités issues de structures représentatives de la société haïtienne de l’intérieur et de la diaspora parmi lesquels le choix de neuf (9) membres sera effectué. Pour ce faire, le Premier ministre m’a demandé de retourner vers vous, dans la continuité de notre collaboration en vous demandant de proposer une seconde personne. Les critères sont toujours les mêmes : Être haïtien, résider dans le pays, jouir d’une excellente réputation et n’avoir jamais été condamné à une peine afflictive ou infamante, avoir un niveau universitaire, justifier d’une dizaine d’années d’expérience professionnelle, avoir une formation juridique ou administrative, ou une bonne connaissance des questions électorales », écrit Samuel Henry Saturné, le chef du cabinet d’Ariel Henry.

Clarens Renois, Président du parti Unir-Haïti

Pour la petite histoire, non seulement Jacques Sampeur en tant que Président de l’ANMH n’a pu honorer de sa présence la Villa d’Accueil le mercredi 12 avril en question, pour cause de voyage à l’étranger, mais l’ironie tragique de l’histoire est que le Vice-Président de l’association, Robert Denis, PDG de Canal Bleu TV, avait été kidnappé la veille à proximité de son domicile à Pétion-Ville par les gangs dont tout le monde critique l’incapacité du gouvernement à combattre, rendant impossible l’organisation de tout scrutin dans ce contexte. Evidemment, l’ANMH a décliné l’invitation en ces termes  « Après consultations internes, l’ANMH a convenu de ne pas prendre part à cette initiative et a choisi de décliner votre invitation. L’argument de la majorité de nos membres est que la question de l’insécurité qui affecte la vie nationale, de toute évidence, échappe au contrôle de votre gouvernement. À notre avis, organiser des élections dans un tel contexte est tout simplement irréaliste. Par ailleurs, nous restons fermement attachés aux prescrits de notre Constitution sur la manière de former le Conseil électoral. Aussi, ne comprenant pas le bien-fondé de la nouvelle formule adoptée par votre gouvernement, nous avons opté pour rester en dehors de ce nouveau processus. »

D’ailleurs, c’est là tout le problème du pouvoir avec son projet de CEP et son souhait d’organiser les joutes électorales en cette année 2023. Si personne n’a rien contre l’organisation d’un quelconque scrutin pour remplacer le personnel politique de la Transition et réactiver des institutions comme le Sénat et la Chambre des députés, sans oublier les Mairies et les autres assemblées locales totalement dysfonctionnelles, c’est le contexte dans lequel le gouvernement espère organiser ces élections générales qui ne convient pas. Comme le disait si justement d’ailleurs, Jacques Desrosiers de l’AJH « Aucun candidat ne peut oser prendre les rues et organiser sa campagne électorale dans un tel contexte.

 La stabilité est donc urgente » reconnaît le dirigeant de cette organisation. En fait, il n’y a pas que les oppositions ou la Société civile qui s’interrogent sur l’opportunité de lancer un tel processus maintenant, alors même que la République tout entière fait face à ce phénomène d’insécurité sans pareil et que personne n’est épargné. Les autorités en place et leurs alliés politiques entre autres le SDP reconnaissent et admettent eux-mêmes que le moment n’est pas propice à des campagnes électorales, période où il y a une grande effervescence à travers tout le pays sans ignorer que tous les coups ou presque sont permis en Haïti. Pourtant, Me André Michel, l’ex-avocat du peuple, croit dur comme fer que le Premier ministre Ariel Henry doit aller de l’avant en soutenant mordicus qu’il n’y a pas d’autre alternative.

« C’est très difficile de réaliser la révision constitutionnelle et les élections générales dans un contexte où le Pays est pris en otage par les gangs armés. Malgré tout, nous accueillons favorablement la démarche du Premier Ministre tendant à la mise en place du Conseil Electoral Provisoire conformément au consensus du 21 Décembre, étant donné que, de toute façon, il faudra, dans un avenir raisonnable, assurer la passation démocratique du pouvoir à des élus choisis souverainement par la population. Le Premier ministre ne pourra pas rester indéfiniment au pouvoir sans donner la parole au peuple Haïtien. La seule et unique manière de transmettre démocratiquement le pouvoir reste et demeure les élections. Voilà pourquoi, le gouvernement et les forces de sécurité doivent tout faire pour créer un climat sécuritaire favorable aux élections. Nous attendons le support de la Communauté internationale dans ce domaine. Nous comptons sur le HCT et le gouvernement pour monter un CEP crédible avec des hommes et des femmes d’horizons divers. Nous plaidons pour l’intégration de tous les acteurs dans la mise en place du CEP. Aucun acteur ne doit être laissé de côté » défend Me André Michel du SDP qui était interrogé par Le Nouvelliste le jeudi 13 avril 2023.

Or, malgré ce plaidoyer du défenseur du régime de la Transition en faveur de la formation du CEP et l’organisation des élections cette année, certains demeurent sceptiques sur la participation d’un grand nombre d’acteurs et de partis politiques ayant un certain crédit auprès de la population qui, franchement, a d’autres chats à fouetter que d’aller se livrer dans les rues parsemées de gangs armés comme on conduit des brebis à l’abattoir. Prenons le cas du PHKT, pourtant un parti de la coalition au pouvoir et signataire de tous les Accords portés par Ariel Henry. A en croire son Président, Liné Balthazar, cette affaire du CEP et d’élections, il n’y croit pas du tout compte tenu de la méthode employée par le pensionnaire de la Villa d’Accueil qui pense réussir sans l’accord des autres acteurs politiques. Balthazar va même faire la comparaison entre le CEP et les élections ayant eu lieu sous la présidence de Michel Martelly et le processus engagé aujourd’hui par Ariel Henry. Une façon pour dire que c’est une opération mort-née qu’a entreprise le « Roi Henry » des années après.

« C’est une manière de procéder assez courante chez ce gouvernement. Ils pensent qu’ils peuvent décider de tout, de manière unilatérale, au nom du peuple, et sans le peuple. C’est la première fois qu’un gouvernement estime qu’il peut organiser une élection sans impliquer les partis politiques. Il est encore tôt pour dire si le PHTK va participer au processus ou non. Cependant, la méthode adoptée n’augure pas un aboutissement. Michel Martelly était élu, il a monté son CEP mais il n’était pas parvenu à réaliser des élections tout seul. Il avait fallu qu’il négocie avec les forces politiques » se souvient Liné Balthazar, chef du parti de l’ancien Président Michel Martelly et proche du chef de la Transition.

Imperturbable devant toutes ces critiques et sur sa façon de voir les choses, on a été surpris le jeudi 13 avril 2023 qu’Ariel Henry en personne, lors d’une Conférence de presse sur un programme social initié par le gouvernement à hauteur de 21 milliards de gourdes dont une participation de 15 milliards apportés par le Fonds Monétaire International (FMI), annonce, comme si de rien n’était, une nouvelle initiative en partenariat avec le Haut Conseil de la Transition.

(A suivre)

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