Ukraine: grenier et laboratoire politique du monde

La réalité à l’envers. Les Etats-Unis sont le véritable agresseur

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Alors que Poroshenko avait nommé Mikheil Saakashvili, l’ancien président géorgien connu comme réformateur, à la tête de la province d’Odessa pour la nettoyer de la corruption, il lui disait quels fonctionnaires celui-ci ne devait pas démettre de leurs fonctions, notamment un chef de la police.

(6ème partie)

CORRUPTION TOUS AZIMUTS

La corruption suit la tendance ascendante. Alors que nous étions en Ukraine, le Monde diplomatique de juin avait un titre très clair: “Vaine réforme policière à Kiev. Une lutte anticorrupion sous pression internationale”. Son auteur commençait par l’arrestation de Oleksandr Avakov, 29 ans, par le Bureau national anticorruption d’Ukraine (NABU) pour fraude d’un demi-million d’Euros dans une livraison de sacs à dos aux forces armées. “Dans les minutes qui suivirent l’intervention, des unités de la police et de la garde nationale furent dépêchées pour empêcher les perquisitions et pour gêner le travail des enquêteurs du NABU – un organisme qui, né en avril 2015 d’une campagne anticorruption menée par des OMG et par les Occidentaux, est considéré comme l’institution la plus indépendante dans son secteur”.

La personne arrêtée était le fils unique de Arsen Avakov, le tout-puissant ministre de l’intérieur (et candidat potentiel à la présidence). “La lutte de l’Ukraine contre la corruption n’est pas moins essentielle que le combat contre l’agression russe”, a dit John Sullivan, secrétaire d’Etat adjoint étatsunien, des centaines de jeunes policiers ont été recrutés – surnommés “police selfie” pour s’être pris en photos lors de leur investiture, euphorique comme il se doit – mais un cinquième ont déjà abandonné dû aux surmenage, obstacles posés par l’ancienne garde, désillusion, dévaluation des salaires.

Lagarde fait tout pour pouvoir dominer l’Ukraine par l’intermédiaire de ses prêts.

Par contre, Christine Lagarde , directrice générale du triste Fonds monétaire international, s’est dit, en juin dernier, “très encouragée par l’adoption de la loi sur le Haut tribunal anti-corruption (HACC) par le parlement ukrainien, ce qui constitue une avancée importante pour les autorités”

Lagarde fait tout pour pouvoir dominer l’Ukraine par l’intermédiaire de ses prêts. Comme beaucoup d’ONG, le FMI a besoin pour sa survie de pays en difficulté, sinon à quoi servirait-il?! Elles présentent donc la situation des pays de la manière qui leur convient le mieux. Lagarde n’a pas manqué de réaffirmer “l’engagement” du FMI dans un commuiqué des plus hypocrites: “[Remettre l’Ukraine] sur la voie d’une gouvernance économique saine [sic] et d’une croissance durable, tout en protégeant les personnes vulnérables [sic] dans la société. … Nous souhaitons aider l’Ukraine sur la voie de la stabilité et de la prospérité économique”.

Six mois auparavant, en décembre 2017, elle s’était pourtant dit “profondément préoccupé[e] par les récents événements en Ukraine qui pourraient faire reculer les progrès réalisés dans la mise en place d’institutions indépendantes pour lutter contre la corruption de haut niveau”. Elle parlait de la tentative de limiter l’indépendance du Bureau national anticorruption [NABU] qui avait arrêté le mois précédent pour fraude Oleksandr Avakov, fils du ministre de l’intérieur, lequel l’avait immédiatement fait libérer, comme je l’ai mentionné au début de cet article.

A la même époque, le journaliste du Spiegel allemand qui interviewait Saakashvili concluait: “Trois ans après le renversement de l’ancien président Viktor Yanukovych, l’Ukraine est dans un état déplorable. La lutte contre la corruption non seulement n’a pas été gagnée, mais elle n’a même pas vraiment commencé”.

Joe Biden, le vice-président étatsunien de l’époque, affirme qu’“il a dû diriger presque chaque étape de l’administration de Porochenko après l’arrivée au pouvoir de celui-ci” et qu’il “téléphonait à Poroshenko et Yatsenyuk presque chaque semaine” pendant des mois.

Parce que le système est complètement gangréné. “Absolument personne n’essaye même de cacher ses propres intérêts financiers”, a déclaré Mustafa Nayyem, un nouveau parlementaire poussé dans la politique par son professeur à l’université Stanford, le politologue étatsunien Francis Fukuyama. Comme dans beaucoup de pays en voie de développement, un poste politique est avant tout vu comme un tremplin vers la richesse en se remplissant les poches.

Ce 17 juillet, Vitaliy Shabunin, le dirigeant du Centre d’Action Anti-Corruption non-gouvernemental, se faisait attaquer et son visage recouvert d’une substance chimique verte alors qu’il protestait devant le Bureau national anticorruption (NABU) qui venait de décider de … fermer l’enquête sur le fils du ministre de l’Intérieur.

Cet exemple montre la similarité des mentalités en Ukraine et aux Etats-Unis, expliquant comment leurs services collaborent étroitement. En 2014, un rapport de 6.000 pages de la commission sénatoriale du renseignement “a établi que la CIA avait systématiquement menti au Congrès et à la Maison Blanche sur la gravité et l’efficacité des ‘techniques d’interrogatoire renforcées’ infligées aux détenus”, ajoutant que les sénateurs s’étaient vus refuser l’accès à 9.400 documents. Ils ont demandé à Obama qui a fait la sourde oreille. “La commission a réagi en abandonnant sa demande. Et c’est elle le chien de garde le plus menaçant du Congrès” des Etats-Unis. Ce sont les mots du professeur Michael Glennon, de la Fletcher School of Law and Diplomacy de l’université Tufts dans le Massachusetts, l’institution la plus prestigieuse dans le domaine des sciences politiques et relations internationales.

Tout le contraire, au lieu d’enquêter sur les politiciens corrompus, le système s’attaque à ceux qui les dénoncent. En mars dernier, le procureur ukrainien avait demandé qu’on inflige cinq ans de prison à ce Shabunin pour avoir attaqué un blogueur. Or, il s’est avéré que, selon des journalistes et des organisations de défense des droits civiques, en réalité celui-ci est un provocateur affilié au président Poroshenko et aux services de sécurité ukrainiens…

L’exemple vient du haut. L’Occident parle abondamment de la corruption du président renversé Yanukovych en 2014 (mais un coup d’Etat, comme au Honduras, n’est pas le moyen de changer de président). Maintenant, dit Saakashvili, “La cote de popularité du président Poroshenko est bloquée autour de dix pourcent. Il n’a pas rempli sa promesse de vendre son empire commercial, et les fuites des Panama Papers ont révélé qu’il était toujours en train de structurer ses actifs en offshore. Son cabinet d’avocats londonien a récemment envoyé des lettres de menaces aux journalistes tentés de répéter les accusations de corruption portées contre lui par un ancien initié qui s’était enfui au Royaume-Uni”, Oleksandr Onyshchenko (voir plus bas).

“Poroshenko choisissait ses amis en fonction de qui avait de l’argent. Je n’en avais pas. En tant que tel, je ne peux pas dire que nous étions amis”, continue Saakashvili qui avait fait ses études à Kiev avec Poroshenko à l’époque de la Perestroika. “Le président lui-même soutenait les pires clans d’Odessa, y compris des bandits, des meurtriers et des fonctionnaires corrompus”. Alors qu’il avait nommé ce réformateur pour nettoyer cette ville portuaire particulièrement corrompue, “Poroshenko lui a même dit quels fonctionnaires à Odessa il ne devait démettre de leurs fonctions en aucune circonstance. La liste comprenait le chef de la police d’un important district de la ville”.

Le politologue ukrainien Volodymyr Fessenko décrit la politique en Ukraine comme “un marécage où des mouvements brusques ne sont pas possibles”. Peu patient, Mikheil Saakashvili, le plus grand réformateur des ex-pays de l’Est, avec ses critiques a de plus en plus irrité Poroshenko qui a fini par révoquer sa nationalité ukrainienne en été 2017.

Vitaliy Shabunin, le dirigeant du Centre d’Action Anti-Corruption non-gouvernemental, est attaqué et son visage recouvert d’une substance chimique verte alors qu’il protestait devant le Bureau national anticorruption qui venait de fermer l’enquête sur les malversations du fils du ministre de l’Intérieur.

David Sakwarelidse, un autre parmi les jeunes réformateurs géorgiens venus en Ukraine après l’Euromaidan, et nommé procureur-général adjoint mais saboté par son supérieur, “un homme d’une mauvaise réputation légendaire”, dit: “Au moins, nous avons réussi à secouer le système. Si vous voulez des réformes, vous devez venir d’un monde différent. Poroshenko vient de l’intérieur. À ce jour, il ne sait pas vraiment ce que sont des réformes”.

Un pas en avant, deux pas en arrière, dans ce jeu aux plus hauts échelons. Si les nouveaux intellectuels et militants EuroMaidan essaient de garder espoir, le peuple, lui, n’est pas dupe. Voici les résultats de sondages d’avril 2018: “près de 70% des personnes interrogées estiment que le pays a besoin de transformations radicales, 10% pensent qu’il vaut mieux laisser les choses telles qu’elles sont, mais pas moins, mais 16% sont favorables au retour des choses. […] Au cours des cinq dernières années, le nombre de personnes estimant que la corruption a augmenté est passé de 49% à 61%. […] Le nombre de ceux qui pensent que la corruption est une maladie qui empêche le développement de la société ukrainienne (55%) a augmenté progressivement”.

C’est ce que dit Shabunin: “les gouvernements passent et la corruption reste. L’élite politique d’aujourd’hui est dans la continuité de l’ancienne. Le président Poroshenko était ministre de l’Économie dans le gouvernement de Yanukovych. Si la figure politique change, la manière de penser reste la même”.

Parfois le personnage reste. Ainsi nous avons Roman Nasirov, chef des Douanes et directeur général des Impôts. En 2013, avant le coup, il était déjà Vice-président du conseil d’administration de la société nationale d’alimentation et de céréales de l’Ukraine. En 2016, il a même été élu président de l’Organisation Intra-Européenne d’Administration fiscale, un forum pour aider les pays européens à améliorer leurs fonctionnalités fiscales, avec le soutien de l’Union européenne, du FMI, et des États-Unis. Nasirov a été arrêté en novembre 2017 pour fraude de 75 millions de dollars dans des recettes fiscales liées à un accord sur le gaz. En janvier il a été renvoyé du gouvernement.

Des commentateurs disent qu’acheter des votes n’est pas très différent des pratiques au Congrès étatsunien ou au parlement britannique

Co-inculpé est Oleksandr Onyshchenko, un autre politicien pareillement actif dans les gouvernements précédents, vice-ministre des situations d’urgence et des affaires concernant la protection de la population contre les conséquences de la catastrophe de Tchernobyl, puis élu au parlement depuis 2012. Il a été forcé de s’exiler à Londres et puis en Espagne d’où il a dévoilé, en avril dernier, des enregistrements audio soi-disant impliquant le président Petro Poroshenko dans un projet criminel avec son ancien ministre de l’écologie et des ressources naturelles, Mykola Zlochevskiy, qui aurait menacé de poursuites pénales “si quelqu’un ne vote pas pour sa législation”. Il accuse également le président d’acheter les votes des parlementaires à un prix variant de 20.000 à 100.000 dollars la pièce.

Des commentateurs disent qu’acheter des votes n’est pas très différent des pratiques au Congrès étatsunien ou au parlement britannique, chaque pays ayant son système d’”incitations” à faire voter ses “serviteurs du peuple”, que ce soit les dons financiers aux campagnes électorales, le “pork barrel” où des fonds publics sont utilisés pour des projets conçus pour plaire aux électeurs ou aux législateurs et gagner des votes, les privilèges, les pressions, les chantages, ou simplement les ruses et intrigues, telles que décrites dans la série télévisée britannique “House of Cards” au lendemain du Thatchérisme.

Pour en finir avec le cas d’Onyshchenko, il est intéressant de noter ici comment on peut noyer le poisson et accomplir un “character assassination”. Un mois après l’histoire des enregistrements audio –naturellement qualifiés de faux par le gouvernement ukrainien – le 23 mai dernier, l’agence de presse ukrainienne 112 Ukraine titrait: “L’ancien député ukrainien Onyshchenko peut avoir des liens avec les services spéciaux russes”. Comme source elle citait le bulletin de la Fakty-ICTV, dont le propriétaire est l’oligarche Victor Pinchuk pré-mentionné, et qui avait titré deux jours auparavant, soit le 21 mai: “Les services spéciaux russes sont derrière Onishchenko”.

A son tour, Fakty se basait sur un “American media”, qui n’est qu’une autre feuille de chou encore plus amusante: Times Square Chronicles, qui se spécialise dans les spectacles sur la bien connue scène new-yorkaise, et dont la propriétaire est une ancienne actrice, Suzanna Bowling. Qui sait pourquoi, tout à coup, celle-ci a publié l’article d’un inconnu, Vincent K. Steele, sur un sujet politique, le 18 mai 2018, avec pour titre: “L’oligarque pro-russe Onyshchenko pourrait aider à déstabiliser l’Ukraine”

C’est sur cette base des plus détournées qu’on conclut que, “Selon le média américain [sic], Onishchenko n’est pas seulement un oligarque ukrainien, mais un homme du monde criminel au passé de gangster”

Comme le dit Brian Bonner, ancien journaliste du Minnesota et rédacteur-en-chef du Kyiv Post, le plus ancien journal anglophone d’Ukraine depuis 1999: “Le manque de ressources fait que de nombreux médias sont à la merci de leurs propriétaires, qui dictent souvent quels événements couvrir et ignorent le principe de l’indépendance éditoriale. Le manque d’argent, dans d’autres cas, incite les journalistes à adopter des pratiques contraires à l’éthique, telles que trouver des clients pour payer des histoires sur mesure ou déguiser la publicité en informations”. Cet article-ci liste les propriétaires des médias en Ukraine et est paru dans “Objective”, un projet de développement des médias lancé en 2013 par Niras/BBC, financé par le ministère danois des Affaires étrangères, pour l’Ukraine, Biélorussie, Moldavie, Géorgie, Arménie, Azerbaïdjan et Turquie. Le journalisme d’investigation est la priorité absolue du programme.

“[La corruption] est cyclique”, explique Artem Sytnyk, qui est à la tête du NABU, “Mais l’intensité de ces attaques augmente. Et c’est directement lié au fait que nous enquêtons de plus en plus sur des affaires criminelles mettant en cause des personnes qui disposent de ressources médiatiques, matérielles, ou administratives qu’elles retournent contre nous”.

Cela va jusqu’au point que Nazar Kholodnytskyi, le chef du bureau spécial anticorruption du procureur général (SAPO), a été dénoncé pour malversations par le Bureau national anticorruption (NABU) mais sans résultat. Ceux chargés de lutter contre la corruption sont eux-mêmes corrompus.

Même les grands alliés de l’Ukraine sont préoccupés. Il y a un an, Jean-Claude Juncker, le président de la Commission européenne disait que la corruption était “l’un des gros problèmes de ce pays” …

HYPOCRISIE: HAUTS OFFICIELS OCCIDENTAUX PARTENAIRES D’UN POLITICIEN CORROMPU

C’est le moment de décrire l’hypocrisie de ces grands dirigeants occidentaux. En avril 2014, au lendemain du coup d’Etat, les Anglais ont convoqué un sommet mondial avec la participation de dizaines de pays y compris les paradis fiscaux traditionnels: Bermuda, Monaco, l’Isle of Man. Et les grands mots de pleuvoir. La chef du home office (ministère anglais de l’intérieur) alors aux mains de l’actuelle premier ministre Theresa May a parlé de “notre détermination commune à mettre fin à la culture de l’impunité et à empêcher que des sociétés corrompues abusent de nos sociétés ouvertes et de nos économies ouvertes pour blanchir et cacher des fonds volés”. Et d’aider cette pauvre Ukraine à récupérer les 100 milliards de dollars de fonds volés par les officiels précédents. A la base de cette action était un retrait bancaire de 23 millions de dollars qu’un ex-officiel du gouvernement renversé voulait transférer à Chypre – “une somme banale” pour la City de Londres, mais qui devait servir d’exemple.

“Pendant des décennies, des centaines de milliards de dollars ont disparu des pays les plus pauvres du monde et se sont retrouvés – via les paradis fiscaux et secrets de l’Europe, de l’Asie du Sud-Est et des Caraïbes – dans le système bancaire, l’immobilier et les marchés du luxe de l’Occident. Selon la Banque mondiale, entre 20 et 40 milliards de dollars sont volés chaque année par des officiels de pays en développement. Les pays riches n’ont retourné que 147,2 millions de dollars de ces actifs entre 2010 et 2012, soit bien moins qu’un cent par dollar détourné”.

La Serious Fraud Office (SFO) de Londres a alors gelé ces 23 millions ukrainiens et fait enquête. En bref, en janvier 2015, bien moins d’un an plus tard, un juge britannique “a statué que le SFO avait construit son cas sur ‘des conjectures et des soupçons’, et a ordonné que l’argent soit rendu à son propriétaire”, et l’affaire a été close.

Le pire était passé et la fameuse City de Londres a pu respirer car elle recycle chaque année quelque 100 milliards de livres d’argent sale et offre aux escrocs un marché immobilier de premier ordre. Rinat Akhmetov, l’homme le plus riche d’Ukraine (nous reparlerons de lui) a acheté en 2011 une penthouse à One Hyde Park – devant laquelle on peut voir la Household Cavalry royale défiler tous les matins – pour la coquette somme de 136,4 millions de livres ($213 million de dollars) plus 120 million de dollars pour l’arranger à son goût.

(A suivre)

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