Ukraine: grenier et laboratoire politique du monde

La réalité à l’envers. Les Etats-Unis sont le véritable agresseur

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Sevastopol, Crimée, 2013 – Le métropolite Lazare de Simferopol célèbre les 1025 ans de la christianisation de la région en la présence des présidents ukrainien Viktor Yanukovych et russe Vladimir Putin. L’Ukraine et la Russie ont un passé très entrelacé.

(3ème partie)

CRIMEE, LA FARCE

Chomsky aussi s’est exprimé sur l’annexation dite illégale de la Crimée par la Russie, notant que l’invasion de l’Irak était un crime beaucoup plus grand et que les Etats-Unis avaient pareillement envahi militairement Guantanamo Bay à Cuba en 1903 pour y établir leur base, et ne l’ont jamais restituée malgré les demandes de Cuba depuis son accession à l’indépendance en 1959.

La flotte russe de la mer Noire est basée à Sébastopol en Crimée depuis 1783 quand le Prince Potemkin de l’empire russe l’a fondée. Son contrat de location a été renouvelé par l’Ukraine en 2010 jusqu’en 2042.

“Il est certain que la Russie a des arguments beaucoup plus forts. Même en dehors d’un fort soutien interne à l’annexion [de la part de la population russe locale], la Crimée est historiquement russe; elle possède le seul port d’eau chaude [qui ne gèle pas en hiver] de la Russie, le port de la flotte russe; et a une signification stratégique énorme. Les États-Unis n’ont aucune prétention à Guantanamo, à part son monopole de la force “. Il ne fait aucun doute que la Crimée serait devenue un port de l’OTAN, en pleine mer Noire.

La flotte russe de la mer Noire est basée à Sébastopol en Crimée depuis 1783

Dans une allocution suivant l’annexion de la Crimée, le président Vladimir Putin a exposé les griefs profonds de la Russie avec l’alliance. “Ils nous ont menti à plusieurs reprises, ont pris des décisions derrière notre dos, nous ont placés devant un fait accompli. Cela s’est produit avec l’expansion de l’OTAN à l’est, ainsi que le déploiement d’infrastructures militaires à nos frontières », a-t-il déclaré au parlement russe. “En bref, nous avons toutes les raisons de supposer que l’infâme politique [occidentale] d’endiguement, menée aux XVIIIe, XIXe et XXe siècles, continue aujourd’hui”.

Un point intéressant: l’annexation de la Crimée est le facteur qui a mis la Russie au ban du monde, et en particulier Putin. Mais en 2016, le journaliste Mark Franchetti du Sunday Times de Londres a interviewé Mikhail Gorbachev, le dernier président soviétique, adulé par l’Occident mais méprisé par les Russes qui l’accusent d’avoir vendu et dilapidé leur empire. Franchetti a été très étonné quand Gorbachev lui a confié qu’il aurait agi de la même manière que Putin”: “Je suis toujours la volonté du peuple et la majorité en Crimée voulaient être réunis avec la Russie”.

A l’instar de Chomsky, Seumas Milne rappelle les interventions occidentales et relativise ces événements: “Le coût en vies humaines de l’engagement par procuration de la Russie en Ukraine a jusqu’ici été minime par rapport à toute intervention occidentale importante à laquelle vous pouvez penser depuis des décennies”.

Tout comme Eugene Robinson du Washington Post, prix Pulitzer: “Nous sommes censés être choqués – choqués! – qu’une grande puissance militaire puisse fabriquer un prétexte pour envahir une nation plus petite et plus faible? Je suis désolé, mais est-ce que tout le monde a oublié les événements malheureux en Irak il y a quelques années? Pour être clair, mes sentiments sont avec le gouvernement ukrainien légitime, pas avec le régime néo-impérialiste en Russie. Mais franchement, les États-Unis ont une réputation trop mauvaise pour insister sur le respect absolu de l’intégrité territoriale des États souverains. Avant l’Irak il y avait l’Afghanistan, il y avait la guerre du Golfe Persique, il y avait le Panama, il y avait la Grenade. Et même si nous condamnons Moscou pour son agression scandaleuse, nous nous réservons le droit de lancer des missiles meurtriers au Pakistan, au Yémen, en Somalie et qui sait où ailleurs”.

Notons qu’il ne manque pas d’ajouter un déni de la Russie tout à fait à la sauce libérale étatsunienne: la Russie a fabriqué ce prétexte?! Régime néo-impérialiste? À part la Syrie pour soutenir le gouvernement (et tirer Obama hors d’une mauvaise passe) je ne vois pas d’autre intervention internationale. Le gouvernement ukrainien légitime? J’ose espérer qu’il parle de celui renversé par le coup d’état.

LA FORMIDABLE AVANCÉE DE L’OTAN VERS L’EST

Revenons en arrière. Juste après la chute du mur de Berlin en 1989, dit Chomsky, “Mikhail Gorbachev, qui était un vrai homme d’État, a fait une offre incroyable. Il a offert de permettre à l’Allemagne d’être unifiée et de rejoindre l’OTAN, une alliance militaire hostile. Vous regardez l’histoire du dernier siècle, c’est franchement étonnant. Je veux dire, l’Allemagne à elle seule avait détruit à plusieurs reprises la Russie, même quand la Russie était soutenue par l’Occident”.

2 décembre 1989, à La Valette (Malte). Première réunion au sommet entre les Etats-Unis et l’Union Soviétique, considéré comme la fin officielle de la guerre froide. Grands sourires de Bush I et de son ministre des affaires étrangères, James Baker, car ils se préparent à tromper Gorbachev avec la fausse promesse de ne pas étendre l’OTAN.

Mais il l’a fait contre la promesse que l’OTAN n’avancerait “Pas un pouce à l’est”, soit pas dans l’ex-Allemagne de l’Est. Bush I s’est empressé de le faire, et Clinton a suivi à plein régime. Sous sa présidence l’OTAN est entrée en République tchèque, en Hongrie et en Pologne en 1999. Puis en Bulgarie, Estonie, Latvie, Lithuanie, Roumanie, Slovaquie, Slovénie, en 2004. Puis en Albanie et Croatie en 2009, et l’année dernière au Montenegro. Bref, tous les anciens alliés russes, membres du Pacte de Varsovie. Quand Gorbachev s’est amèrement plaint à l’époque, on lui a dit que ce n’était qu’une promesse verbale…

Dans un discours au Carnegie Council for Ethics in International Affairs de New York en 2010, Stephen Cohen, professeur d’études russes aux l’universités de Princeton et de New York confirme que pour la Russie, l’OTAN représente “une promesse brisée”, “une hypocrisie”, “un manque de confiance” et “un encerclement militaire”, bref “une expansion de l’influence étatsunienne” jusqu’aux frontières même de la Russie, sur les anciens territoires de l’Union Soviétique. Voilà l’état d’esprit des Russes quand a eu lieu le coup d’état en Ukraine.

En fait, cette offre de Gorbachev n’était pas étonnante mais rentrait directement dans le cadre de la stratégie défensive de son pays: “Les dirigeants soviétiques préféraient que les forces étatsuniennes restent en Europe et que l’OTAN reste intacte, car ils pensaient qu’un tel arrangement maintiendrait pacifiée une Allemagne réunifiée”. N’oublions pas que de toutes les invasions, celle des nazis allemands a atteint le record de 24 millions de soldats et citoyens soviétiques tués, comparé à moins d’un demi-million chacun pour l’Angleterre et les Etats-Unis.

On observe cette préoccupation déjà à l’époque. La fameuse conférence de Yalta de février 1945 – précisément dans cette Crimée! – avait été préparée par celle de Moscou d’octobre 1944 dont on parle beaucoup moins et à laquelle seulement les Anglais et les Soviétiques avaient participé. Churchill avait montré à Stalin un bout de papier – le Percentage Agreement (*) – sur lequel il avait griffonné une proposition de zones d’influence post-guerre de leurs deux pays: la Pologne, la Bulgarie, la Roumanie, l’Albanie, la Yougoslavie et la Tchécoslovaquie tombant dans l’orbite soviétique, la Grèce dans celle des Anglo-Etatsuniens qui voulaient garder un accès à la Méditerranée orientale. Et l’Armée rouge avait respecté cet accord, laissant les communistes grecs se faire massacrer par les Anglais et ensuite les par Etats-Unis lors de la guerre civile de 1946-49. Mais le point qui nous intéresse est que “les Soviétiques voulaient une zone tampon pour se protéger contre de nouvelles invasions de l’Europe occidentale, qui avaient tourmenté tant l’URSS que la Russie tsariste”.

Le fameux Percentage Agreement que Churchill avait proposé à Staline en griffonnant sur un bout de papier les zones d’influence d’Europe de l’Est divisées entre l’Ouest et la Russie.

L’Ukraine et la Géorgie sont de tels Etats-tampon, que l’Occident essaie toujours de recruter, soi-disant pour les protéger. “Une grande puissance en déclin, avec une population vieillissante et une économie unidimensionnelle n’a pas en fait besoin d’être contenue” confirme le professeur Mearsheim à propos de la Russie, reflétant la position des réalistes dans le débat initié lorsque Clinton a poussé à l’expansion de l’OTAN en 1998. “Personne ne menaçait personne”, avait dit le super-diplomate étatsunien George Kennan qui avait été présent à la création de l’OTAN, en ajoutant: “Ce qui me dérange, c’est le caractère superficiel et mal informé de tout le débat du Sénat. J’ai été particulièrement dérangé par les références à la Russie comme pays mourant d’envie d’attaquer l’Europe occidentale. Les gens ne comprennent-ils pas? Nos différences dans la guerre froide étaient avec le régime communiste soviétique. Et maintenant, nous tournons le dos à ceux qui ont monté la plus grande révolution sans effusion de sang de l’histoire pour éliminer ce régime soviétique”.

“Et la démocratie russe est aussi avancée, sinon plus, qu’aucun de ces pays [d’Europe de l’Est] que nous venons d’enrôler [dans l’OTAN] pour les défendre contre la Russie . Cela montre si peu de compréhension de l’histoire russe et de l’histoire soviétique. Bien sûr, il va y avoir une mauvaise réaction de la part de la Russie, et ensuite [les promoteurs de l’aggrandissement de l’OTAN] diront que nous vous avons toujours dit que c’est comme ça, que les Russes sont [des agresseurs] – mais c’est faux”.

Et c’est ce qui est arrivé 16 ans plus tard en Ukraine: la Russie est l’agresseur, claironnent les Occidentaux. Et, tout comme avec les Jeux Olympiques d’hiver de Sotchi mentionnés par Kissinger, maintenant les Russes essaient à nouveau de sortir de l’isolement vers lequel l’Occident les a poussés. Quand on a demandé à Bill Burns, président du Carnegie Endowment for International Peace et ancien ambassadeur en Russie sous Bush I, ce que Putin attend du tout récent sommet d’Helsinki avec Trump: “Je pense qu’il veut pouvoir montrer que la Russie n’est plus isolée, qu’elle est de retour à la table des grandes puissances et que le passé est passé, et maintenant nous pouvons continuer à gérer le monde, une grande puissance avec une autre”.

Kissinger aussi aurait voulu que l’Ukraine soit un Etat-tampon, à tout le moins neutre. “Si l’Ukraine veut survivre et prospérer, elle ne doit pas être l’avant-poste de l’un contre l’autre – elle devrait fonctionner comme un pont entre eux”, la Russie et les Etats-Unis. Mais ce sont exactement les mêmes mots que le président renversé, Yanukovych, avait dit dès son élection en 2010: “L’Ukraine devrait être non-alignée et agir comme un pont entre la Russie et l’Europe”.

Gorbachev aussi aurait souhaité une collaboration entre Russie et Etats-Unis. Mais, a-t-il dit lors de son interview au Sunday Times sur la dissolution de l’Union Soviétique: “Ils ont pensé:” Maintenant nous sommes le chef du monde. ” Ils ne souhaitaient pas véritablement aider la Russie à devenir une démocratie stable et forte. L’ancien dirigeant soviétique estime que “les origines de la crise entre la Russie et l’Occident se situent dans le triomphalisme américain à la fin de la guerre froide”.

La très distinguée académicienne Mary Elise Sarotte, de Harvard et de la Johns Hopkins School of Advanced International Study à Washington, qui a publié “1989: La lutte pour créer l’Europe de l’après-guerre froide” est tout à fait d’accord: “L’Occident a choisi un avenir qui perpétue une Europe divisée et a laissé la Russie à la périphérie”.

Au lieu de synergie, il y a eu l’expansion progressive de l’OTAN vers l’est sur le territoire de l’ex-Union soviétique, de laquelle Gorbachev, tout comme Putin, est “profondément critique”. Car la dissolution du Pacte de Varsovie aurait dû être suivie par celle de l’OTAN puisque la guerre froide était terminée.

Gorbachev est pourtant très critique de l’autoritarisme de Putin mais ses vues convergent sur le plan historique et stratégique avec l’actuel dirigeant russe, que le professeur Mearsheimer considère d’ailleurs comme “un stratège de première classe qui devrait être craint et respecté par quiconque le défie en politique étrangère”. Pour Franchetti, spécialiste des questions russes, c’est Gorbachev “le plus grand homme d’État vivant au monde”. En commençant son interview, celui-ci avait dit: “Je veux que les gens entendent mes opinions à un moment où la situation dans le monde me préoccupe grandement”.

ETATS-UNIS: RISQUER LA GUERRE POUR MAXIMISER LEUR PUISSANCE

Pareille crainte chez Chomsky qui confie dans la conversation radiophonique susmentionnée: “Maintenant, le dernier pas auquel nous sommes confrontés, est l’effort pour amener l’Ukraine dans l’OTAN. Et c’est … vous savez, “risqué” est un peu un euphémisme. C’est jeter les bases de ce qui pourrait devenir une guerre majeure – une guerre nucléaire”.

Roberts explose: “Mais Noam, est-ce dû à l’orgueil à Washington? Ou sont-ils si déterminés à avoir l’hégémonie sur le monde qu’ils ne peuvent pas penser ou qu’ils ne voient pas le risque? Parce que c’est un risque énorme, on pourrait penser que les gens seraient attentifs et prudents, et pourtant il semble qu’ils ne savent même pas que c’est un risque”.

Ils voient que c’est un risque, d’où le fait qu’un organe aussi officiel que Foreign Affairs, du Council on Foreign Relations, ait publié cet article de Mearsheimer, et même en première page. Si c’est étonnant à première vue que cette publication étatsunienne ait admis leur responsabilité, ce n’est pas seulement que sa portée est limitée aux milieux intellectuels et que ce genre d’exercice perpétue l’illusion de la démocratie aux Etats-Unis, mais c’est qu’ils estiment vraiment que la situation est grave.

“Mais je pense que Washington, vous savez, ils ont leur propre logique – nous devons maximiser notre puissance, sans limites [souligné par moi]” conclut Chomsky.

20 octobre 2016, Bruxelles, Belgique, quartier-général de l’OTAN. Le secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg, reçoit le président de l’Ukraine, Petro Poroshenko, au cours d’une de leurs nombreuses rencontres. En resserrant son étreinte autour de l’Ukraine, l’OTAN a provoqué la réaction prévisible de la Russie, une crise internationale qui dure depuis 2014.

Je pensais à la loi de la jungle: les plus forts l’emportent. Mearsheimer le dit plus élégamment: “les États ne sont pas satisfaits avec une certaine quantité de pouvoir, mais recherchent l’hégémonie pour la sécurité parce que la composition anarchique du système international crée de fortes incitations pour les États à chercher des occasions d’acquérir du pouvoir au détriment des concurrents […] éliminant toute possibilité de défi par une autre grande puissance, ce qu’on appelle le néoréalisme offensif”. Pas étonnant alors qu’il rejette “la théorie de la paix démocratique, qui prétend que les démocraties ne se font jamais ou rarement la guerre entre elles”.

Et Mearsheimer approuve l’historien britannique E. H. Carr qui, dans son livre de 1939, “The Twenty Years ‘Crisis”, affirme que “les relations internationales sont une lutte de tous contre tous, les Etats mettant toujours en premier lieu leurs intérêts”. Dans les universités étatsuniennes, les cours de Politique étrangère commencent toujours par, “Quels sont les intérêts des Etats-Unis?” Mearsheimer ajoute: “Les droits abstraits, tels que l’autodétermination, sont largement vides de sens lorsque les états puissants se querellent avec des états plus faibles”.

Le reste, le verbiage que nous avons vu plus haut, ne sert qu’à présenter ce diktat de manière la plus acceptable à l’opinion publique internationale, et ce y compris aux journalistes.

Plus récemment, au moment du coup d’Etat en Ukraine, mais parlant de la Chine, le professeur Yuen Foong Khong de l’université de Oxford rappelle la “longue (et bipartisane) tradition dans la pensée stratégique étatsunienne: les administrations successives ont souligné que l’intérêt vital des États-Unis est d’empêcher un hégémone hostile de dominer aucune des principales régions du monde».

Et Chomsky ajoute: “En outre, il est généralement admis que les Etats-Unis doivent “maintenir leur prédominance”, car “c’est l’hégémonie étatsunienne qui a maintenu la paix et la stabilité régionales” – ce dernier terme signifiant en réalité: subordination aux demandes étatsuniennes.

PREVENIR LA MONTEE DE L’EURASIE: DIVISER POUR REGNER

L’encerclement de la Russie a commencé bien avant cette dite agression contre l’Ukraine. Bien avant la chute du mur de Berlin. Bien avant la guerre froide, qui n’a pas débuté par une agression soviétique, mais à cause d’une impulsion historique de longue date des élites anglo-étatsuniennes pour encercler et contrôler l’Eurasie. “Depuis près de trois siècles”, dit Mahdi Darius Nazemroaya, chercheur au Centre for Research on Globalization de Montreal et collaborateur à Al Jazeera, Press TV et Russia Today, “la stratégie anglo-étatsunienne a été de prévenir la montée des trois puissances potentielles de ce continent: Russie, Chine et Inde”.

La stratégie britannique: diviser pour régner. L’Angleterre a acquis Chypre en Méditerranée orientale en 1878 de l’empire ottoman, pour avoir une base au Proche-Orient. Ils ont choisi cette île pour le caractère pacifique de ses habitants et parce qu’“il y avait une petite minorité musulmane qui pourrait être utilisée contre la majorité grecque”. L’ile est divisée depuis 1974 quand la Turquie a envahi la partie nord qu’elle occupe toujours illégalement, causant des centaines de tués, déplacés et dommages matériels.

Ils ont, par exemple, opposé la Russie tsariste à la Turquie ottomane, soutenant militairement cette dernière dans la guerre de Crimée (encore!) Au 19ème siècle, la France à l’Allemagne par les accords de Locarno de 1925 qui traitait des territoires d’Europe centrale après la première guerre mondial. Et ensuite les Nazis aux Soviétiques, les laissant s’exterminer les uns les autres, d’où les bons rapports de l’Angleterre (et des Etats-Unis) avec Adolph Hitler et les Nazis jusqu’à la veille de la deuxième guerre mondiale, et d’où, en partie, leur décision d’attaquer l’Allemagne d’abord en Afrique, laissant le gros du travail à l’URSS.

C’est surtout quand ils ont dû accorder l’indépendance à leurs territoires que les Anglais ont utilisé à fond le classique “diviser pour régner”, soit semer la discorde. Comme ils l’ont fait en Palestine, en Irlande, dans le sous-continent indien, à Chypre. La déclaration Balfour de 1917 ouvrant la voie à la naissance d’Israël en 1948 et à la défaite et la dispersion des Palestiniens, créant un mega-conflit au coeur de l’islamisme et de l’islamphobie bien actuels. La guerre civile irlandaise de 1922-23 causée par le traité Anglo-Irlandais accordant l’indépendance à l’Irlande, celle-ci étant très actuellement un des principaux problèmes du Brexit. La loi sur l’indépendance de l’Inde de 1947 divisant l’Inde britannique en Pakistan (indépendant le 14 août) et Inde (indépendante le 15 août) qui sont en perpétuel conflit depuis lors, y compris avec course au nucléaire. Le patronage de la Turquie à partir de 1954 pour contre-carrer la demande d’auto-détermination de Chypre, débouchant vingt ans plus tard sur l’invasion de l’île par la Turquie, problème resté insoluble à ce jour.

Le Brexit est la dernière occasion en date pour l’Angleterre d’utiliser cette carte de la division, qu’elle a joué “depuis… 500 ans pour créer une Europe désunie”, comme l’écrit le journaliste de The Economist, Tom Nuttall, dans le New Statesman de Londres. Et il donne des exemples, entre autres, “elle peut acheter la Pologne avec la promesse de continuer à financer les autoroutes, ou l’Estonie avec l’engagement de contribuer davantage aux missions de l’OTAN”. Aussi, “le président de la Commission Européenne, Jean-Claude Juncker, a averti les 27 d’être vigilants face aux tactiques britanniques de diviser pour régner”. Nuttall rappelle aussi que, quoiqu’en disent les partisans du Brexit, “La Grande-Bretagne a souvent imposé son point de vue à Bruxelles”. Sans parler du sabotage de l’Union européenne. Ce n’est pas une coïncidence que la vaste majorité des articles et analyses critiquant l’UE sont toujours venus de Londres, et de Washington bien sûr.

(*) Pour la petite histoire, Churchill s’était exclamé: “Ne va-t-on pas penser que c’est cynique d’avoir disposé de tels problèmes, si fatidiques pour des millions de personnes, d’une manière si désinvolte? Brûlons ce morceau de papier”, mais Staline lui a conseillé de le garder et il se trouve maintenant aux archives nationales britanniques.

(A suivre)

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