Au cours du dernier semestre 2022, les missions canadiennes n’ont pas arrêté de se suivre en Haïti. Depuis la demande faite par les autorités haïtiennes réclamant une intervention militaire internationale dans le pays pour les aider à éradiquer les groupes armés et rétablir la sécurité, il y aura bientôt 3 mois, et tout le monde reste dans le brouillard des deux côtés de la mer des Caraïbes.
Si à Port-au-Prince, le Premier ministre de facto, Ariel Henry, ne perd pas l’espoir d’obtenir l’arrivée de cette force multinationale qu’il a officiellement sollicitée en déclarant le jeudi 22 décembre à l’hôtel Karibe, lors des vœux des grands commis de l’État,
« Je dois souligner la solidarité des membres du gouvernement qui ont été unanimes pour lancer aux pays amis d’Haïti un appel à une assistance robuste pour aider la PNH à reprendre le contrôle du territoire. Nous avons des raisons de croire que cette assistance va arriver.
Nous en avons besoin pour réaliser ce qui est la mission principale du gouvernement intérimaire, c’est-à-dire remettre notre pays sur les rails de la démocratie, reconstruire nos institutions et rendre la direction des affaires du pays à des élus librement choisis par le peuple haïtien ».
Du côté de Washington et surtout d’Ottawa qui sous-traite le dossier pour les Etats-Unis, c’est le noir complet. Certes, pas un jour ne se passe sans qu’on ne parle de la crise haïtienne dans les officines internationales. Dans toutes les Chancelleries des pays amis d’Haïti, le drame haïtien est au menu mais sans plus. A l’ONU, il y a eu moult débats et de Résolutions sur ce dossier. Mais, là aussi, rien ne presse. Pendant ce temps, en Haïti, il n’y a aucun répit du côté des gangs armés qui poursuivent leur percée sur le terrain face à de pauvres policiers qui, en dépit des efforts énormes, perdent du terrain.
Dans la capitale, les familles continuent de se terrer dans les chambres à coucher, les écoles ne fonctionnent qu’à un très faible pourcentage. Le Ministère de l’éducation nationale se met même à faire un comptage quotidien du nombre d’établissements scolaires fonctionnant à travers le pays. Les assassinats, le kidnapping, les attaques à main armées se poursuivent même en cette période de trêve des fêtes de Noël comme si de rien n’était. Bref, le régime de Transition conduit par le Dr Ariel Henry, à vue d’œil, est complètement dépassé par la situation. Le gouvernement américain, lui-même, ne cesse de lancer des alertes et des messages conseillant à ses ressortissants vivant dans le pays de ne pas sortir. Il demande même aux diplomates en poste à Port-au-Prince dont la présence n’est pas trop nécessaire de rentrer dans leurs foyers aux Etats-Unis.
La quasi-totalité des diplomates accrédités en Haïti vont s’installer de l’autre côté de la frontière, à Santo Domingo, tandis que les services des ces Missions diplomatiques ne fonctionnent qu’au cas par cas quand ils ne sont pas carrément fermés. Pourtant, malgré tous ces signes avant-coureurs, de détresse et de « sauve-qui-peut », le gouvernement canadien qui porte le dossier ne semble toujours pas saisir ce qui se passe en Haïti bien qu’il ait déjà organisé plusieurs rencontres soit par vidéo-Conférences soit en présentiel avec les diplomates et hauts fonctionnaires chargés de cette affaire.
Ne comprenant toujours ce qui se passe en Haïti, le Premier ministre Justin Trudeau qui est totalement perdu dans ce dossier et est incapable de dire au Président américain Joe Biden que le Canada ne souhaite plus porter le dossier, continue de gagner du temps avec l’espoir que tout le monde finira par oublier cette affaire d’intervention militaire en Haïti que personne ne souhaite vraiment. Alors, pour se faire, il envoie dans la capitale haïtienne, Port-au-Prince, une nouvelle délégation de haut rang, histoire de voir si c’est réellement vrai ce qu’on raconte sur Haïti. Si les dirigeants de ce pays ne sont plus en mesure de rétablir la sécurité dans les rues et de protéger les vies et surtout s’il n’y a toujours pas de consensus entre les protagonistes sur la demande de Ariel Henry.
Ainsi, deux mois jour pour jour après la première mission qui avait séjourné en Haïti et rencontré tous les acteurs concernés par la crise : entité politique, Société civile, patronat, etc, une nouvelle mission était arrivée en Haïti le mercredi 7 décembre 2022. Cette délégation devait séjourner trois jours afin de rencontrer les mêmes protagonistes que les officiels canadiens avaient déjà rencontrés au mois d’octobre dernier. D’ailleurs, le Département des Affaires mondiales Canada n’avait pas cherché à compliquer les choses. Le Communiqué qu’il a publié pour annoncer l’objectif de ce voyage à Port-au-Prince était clair comme de l’eau de coco. «Cette Mission vient compléter les rencontres et les discussions virtuelles qui se déroulent en parallèle. La Mission, dirigée par Bob Rae, ambassadeur du Canada auprès des Nations Unies, visera à favoriser une plus grande unité entre les principaux intervenants en faveur d’une voie et d’un processus politiques pour des élections démocratiques.
Dans le cadre de cette Mission diplomatique, l’ambassadeur Rae consultera également des personnalités politiques de haut niveau, des membres de la Société civile, les Nations-Unies et d’autres acteurs clés sur les options permettant de soutenir les efforts menés par les Haïtiens pour faire face aux crises humanitaires et de sécurité, et sur le rôle que le Canada pourrait jouer dans la réponse internationale», annonçait le gouvernement canadien. Donc, rien de nouveau sous le soleil d’Haïti qui puisse faire croire que le Premier ministre Trudeau a déjà un plan, compte tenu des informations qu’il a déjà eues sur la situation. On est donc au point mort. Comme nous le disions plus haut, dans cette affaire, Ottawa ne fait que gagner du temps dans la mesure où il est le seul avec Washington à être s’engagés dans un dossier qu’aucun autre de leurs partenaires, à part eux, ne veut.
Robert (Bob) Rae, ambassadeur du Canada auprès des Nations-Unies, était accompagné pour cette seconde Mission, de Sylvie Bédard, Directrice générale de l’Amérique centrale et des Caraïbes et de l’ambassadeur du Canada en Haïti, Sébastien Carrière. Dès son arrivée le 7 décembre et durant trois jours, ce diplomate chevronné a mené tambour battant des discussions avec l’ensemble des parties prenantes de la crise sociopolitique et de la Transition. Même ceux qui ne comptent que pour des prunes ont été reçus par le diplomate canadien, c’est dire que le Canada veut tout savoir et ne veut rien négliger. La journée du jeudi 8 a été la plus remplie. Ce jour-là, la délégation a eu des entretiens avec presque tous les Haïtiens susceptibles de lui apporter la moindre information dont Trudeau ne sait pas encore ou qu’il feint de ne pas savoir sur le drame que vit le peuple haïtien.
Quant au chef du gouvernement intérimaire, Ariel Henry, Bob Rae a plus ou moins rassuré celui-ci dont la demande d’intervention est toujours à l’étude et pour laquelle le gouvernement canadien continue de chercher des partenaires pour l’accompagner.
« Aujourd’hui, l’ambassadeur du Canada auprès des Nations-Unies, Bob Rae, la Directrice générale de l’Amérique centrale et des Caraïbes, Sylvie Bédard et l’ambassadeur du Canada en Haïti, Sébastien Carrière, ont discuté avec le Premier ministre, Dr Ariel Henry, de la manière de relever ensemble les défis auxquels Haïti est confronté » a publié dans un Tweet l’Ambassade du Canada en Haïti. Mais, comme annoncé, l’Envoyé spécial canadien tenait à réentendre tous ceux qui comptent dans cette crise, en priorité les acteurs de premier plan comme ceux de divers Accords politiques.
Mais, comme toujours, c’est le Groupe de Montana qui a été le premier à être reçu, après Ariel Henry. Le Président élu de l’Accord du 30 août, Fritz Alphonse Jean, aussi bien que son Premier ministre, Steven Benoit, lui aussi élu, ont rencontré les membres de la Mission canadienne. Ces deux élus de Montana étaient accompagnés d’autres membres du Bureau de Suivi de l’Accord (BSA), notamment Jacques Ted Saint Dic. Toujours par Tweet, on a appris que « La façon de parvenir à un consensus politique a été le sujet de discussion entre des représentants de l’Accord de Montana, l’ambassadeur du Canada auprès des Nations-Unies, Bob Rae, la Directrice générale de l’Amérique centrale et des Caraïbes, Sylvie Bédard, et l’ambassadeur du Canada en Haïti, Sébastien Carrière » le jeudi 8 décembre 2022.
Le Groupe de Montana qui demeure l’interlocuteur privilégié pour la Communauté internationale après le Premier ministre de facto Ariel Henry sur la Transition n’a pas vraiment facilité le travail de Robert (Bob) Rae et de son équipe qui attendaient sans doute une sorte de lassitude de la part de ce Groupe face au chef de la Primature. Et pour cause. La position des membres de Montana qui n’a pas varié d’un iota sur l’évolution de la Transition demeure un vrai problème pour le Premier ministre canadien, Justin Trudeau, qui dit attendre un consensus entre les protagonistes avant de lancer l’opération militaire réclamée par le gouvernement haïtien. En effet, quand on écoute Steven Benoit qui a pris part aux discussions avec Bob Rae, Ariel Henry reste le premier obstacle pour la Transition et de ce fait, difficile d’aller aux élections avec lui à la tête du pouvoir. Ce membre discret mais influent de l’Accord du 30 août dit avoir souligné pour la Délégation canadienne que les élections ont toujours été l’argument principal du Groupe de Montana, mais sans Ariel Henry.
Le Premier ministre élu de Montana explique à Robert (Bob) Rae que « Nous sommes pour les élections. Mais nous lui avons expliqué qu’on ne peut pas les réaliser avec Ariel Henry au pouvoir. Les élections peuvent se tenir à la fin de la Transition, dans 18 à 24 mois. Mais, avant d’y parvenir, il faut notamment rétablir la sécurité. Et le chef du gouvernement actuel est incapable de garantir la sécurité. En conséquence, nous appelons à la démission d’Ariel Henry. » Comme on le voit, ce ne sont certainement pas des propos qui allaient enchanter un Justin Trudeau dans sa quête de trouver du soutien extérieur pour l’aider à embarquer l’armée canadienne dans une intervention militaire dont même Washington redoute l’effet inverse de ce qui est recherché. Bien que le Premier ministre estime lors de son entrevue de fin d’année avec la presse canadienne le mardi 13 décembre 2022 qu’« Il y a un niveau de confiance entre le peuple haïtien et le Canada qu’ils ont moins avec d’autres alliés, donc on est bien positionné pour ça. L’une des choses qu’on cherche à faire, c’est justement d’emmener avec nous d’autres pays du Sud. Afin que cette intervention ne soit celle du Nord et de l’Occident qui viennent au secours d’Haïti. »
L’ambassadeur Bob Rae s’est entretenu aussi avec la frange économique ou d’affaires du pays, plus exactement ceux de la région métropolitaine de Port-au-Prince. Le Secteur religieux n’a point été négligé par les Envoyés spéciaux. Les dignitaires et leaders de diverses confessions ont été reçus le vendredi 9 décembre dans l’après-midi juste avant la fin et le départ de la Mission canadienne. Tout ceci pour permettre, semble-t-il, aux autorités d’Ottawa qui, décidément ont bien du mal à se faire une idée, de comprendre ce qui se passe en Haïti.
C’est le deuxième déplacement dans la capitale haïtienne de Robert (Bob) Rae en moins de deux mois et celui-ci n’écarte d’ailleurs pas de revenir bientôt à Port-au-Prince toujours pour essayer de décortiquer le langage des acteurs socio-politiques du pays. Le temps que les décideurs de la Communauté internationale comprennent clairement ce que disent les politiciens haïtiens pour leur permettre de prendre une décision cohérente et efficace dans cette crise, les poules auront certainement des dents et les enfants quant à eux cesseront de croire au Père Noël! Autant dire que les Missions canadiennes et américaines ne finiront jamais de se succéder en Haïti.