Quatre procès sont intentés contre la révocation par l’administration de Donald Trump du Temporary Protection Status (TPS) concernant un total de plus de 300.000 citoyens de Haïti, El Salvador, Nicaragua, Honduras, Syrie, Yémen, Somalie, Soudan, Soudan du Sud et Népal. Le TPS leur accorde un statut légal avec permis de travail en attendant que les conditions – sinistres naturels ou politiques – s’améliorent dans leur pays afin qu’ils puissent retourner en étant assurés que leur vie et leur santé ne sera plus en danger.
En Californie, le juge fédéral Edward Chen a déjà estimé en octobre dernier que « Parce qu’il est prouvé que le président Trump et/ou la Maison Blanche ont influencé le Department of Home Security sur les décisions du TPS pour qu’ils soulèvent au moins une question sérieuse sur le fond, la question qui reste est de savoir s’il existe la preuve que le président Trump entretient de l’hostilité contre les étrangers non-blancs, non-européens ayant influencé sa décision (et donc celle du ministre) ». Nous parlons évidemment de l’appellation de “shithole” (trou de merde) décernée par Trump dans son langage habituel à ces pays. Dans le cas d’Haïti il a ajouté en juin 2017 que “tous les Haïtiens ont le Sida”… Et surtout, il a dit lors d’une réunion officielle: “Pourquoi avons-nous besoin de plus d’Haïtiens? Sortez-les”, ce qui constitue une instruction claire à ses officiels. Il y a également un procès à Boston et à Washington, DC.
Ici à New York, Haïti-Liberté, FANM (Family Action Network Movement, autrefois Fanm Ayisyen Nan Miyami) et neuf citoyens Haïtiens sont présentement devant le juge William Kuntz II à la cour fédérale à Brooklyn. Le procès a débuté ce lundi avec une conférence de presse très dynamique, suivie par tous les principaux médias, y compris le New York Times, le Daily News et même Fox News. Plusieurs Haïtiens et notables étatsuniens ont pris la parole, notamment Gerald Michaud qui travaille comme aide en fauteuil roulant à l’aéroport de LaGuardia, titulaire TPS depuis 2010: « Grâce au TPS, j’ai pu faire ma vie ici à New York et aider mon fils en Haïti», ainsi que neuf autres membres de sa famille. « Je ne sais pas ce que je ferai si je suis forcé de retourner en Haïti et je sais que beaucoup d’autres sont dans la même situation que moi ».
Jumaane Williams, conseiller municipal de la ville de New York, s’est exprimé très énergiquement, disant que, « Trump a traité Haïti et des nations africaines de ‘pays trous de merde’”, mais “la seule merde que je vois est celle qui sort de sa bouche”. “Mettre fin au TPS n’est basé que sur la bigoterie, et je crois que la justice et la décence prévaudront devant les tribunaux avec le procès qui commence aujourd’hui ».
Finalement, une des députées de New York, Nydia Velázquez, a exprimé la seule solution possible: «Le Congrès doit utiliser le délai de 18 mois dans cette décision pour élaborer une solution législative responsable. À cette fin, je continuerai à faire avancer mon projet de loi, H.R. 4253, la Loi Etatsunienne “Promise Act”, qui protégerait les bénéficiaires du TPS contre l’expulsion et, en définitive, offrirait une voie vers la citoyenneté”. «Les immigrés protégés dans le cadre de ce programme sont nos amis et nos voisins. Nous ne pouvons pas leur tourner le dos, car cette administration les met cruellement en péril», a-t-elle ajouté.
Marleine Bastien, directrice de FANM, Jocelyn Gay, représentante d’Haïti-Liberté, Sejal Zota, directrice juridique du projet national sur l’immigration de la National Lawyers Guild (NIPNLG), Steven Forester, coordonnateur des politiques d’immigration à l’Institut pour la justice et la démocratie en Haïti (IJDH), Alison Hirsh, vice-présidente du syndicat UIES 32BJ, la députée Yvette D. Clarke, la députée Michaelle C. Solages, – la première personne d’origine haïtienne élue à la législature de l’État de New York – le conseiller municipal Mathieu Eugene, haïtien-étatsunien, Carl Hamad-Lipscombe, directeur adjoint de l’Alliance noire pour une immigration équitable, ont tous et toutes exprimé leur soutien à cette action en justice.
A l’intérieur, les avocats de trois cabinets importants, Kurzban, Kurzban, Tetzeli & Pratt P.A (Kurzban) – très connu depuis toujours pour sa défense des immigrés – Mayer Brown LLP – présente dans le monde entier et leader de la représentation juridique pro bono – et Clarel Cyriaque ainsi que le NIPNLG ont fait appel à de très sérieux experts à commencer par Ellie Happel, la directrice du Projet Haïti à la Global Justice Clinic de la faculté de droit de l’Université de New York. Elle a travaillé sur le terrain de 2011 à 2017 et publié en automne 2017 un rapport sur les conditions en Haïti qui refute point par point les arguments de l’administration Trump pour terminer le statut TPS, notamment que la crise du logement est énorme et qu’il faudrait construire 500.000 maisons pour remplacer celles détruites par le tremblement de terre de 2010, rendant par conséquent impossible le retour des 59.000 Haïtiens titulaires du TPS.
L’expert suivant était Michael Posner, fondateur de Human Rights First, défenseurs des droits humains en Haïti dans les années 1980, ancien assistant Secrétaire d’État pour la démocratie, les droits humains et le travail (DRL), actuellement co-directeur du Centre des affaires et des droits humains de la Stern School of Business de l’Université de New York, et professeur de Business & Society dans cette même école de business, ainsi que membre du conseil d’administration du Service international pour les droits de l’homme.
Il a méthodiquement expliqué comment fonctionne le département d’Etat, démontrant que l’administration Trump a ignoré les faits rapportés par ses propres services, notamment l’ambassade des Etats-Unis à Port-au-Prince qui est “les yeux et les oreilles” du département d’Etat et l’organe qui devrait être le plus respecté pour établir la politique des Etats-Unis mais qui a été court-circuité par la secrétaire du Homeland Security, Elaine Duke, quand elle a déterminé en novembre 2017 que le TPS devait être terminé.
Ce mardi était le tour de Leon Rodriguez, un autre expert de poids, fonctionnaire de l’Etat depuis 1988, et notamment directeur des services d’Immigration des Etats-Unis (USCIS – United States Citizenship and Immigration Services) de 2014 à 2017. Lui aussi a expliqué en détail comment le Department of Homeland Security décide des politiques à adopter. Il a conclu à plusieurs reprises que tous les faits pertinents doivent être pris en compte, ce qui n’a pas du tout été le cas dans cette révocation du TPS qui a été “une violation des pratiques de longue date de ce département” et “une fausse interprétation assez grave des statuts”, très probablement teintée de biais politique.
Ont également été appelés à témoigner les plaignants suivants: Naïscha Vilme, Rachelle Guirand, Kim Ives, journaliste à Haïti-Liberté, et Marleine Bastien, directrice de FANM dont l’interrogatoire va continuer ce mercredi.
Au cours des deux premiers jours, le tribunal a été bondé de gens venus de la Communauté haïtienne et de militants progressistes étrangers en solidarité avec la cause des immigrants et pour cela on a dû ouvrir une autre chambre pour faciliter l’audience.
La tactique des avocats du département de la Justice, menés par Joseph Marutollo, procureur adjoint des Etats-Unis, a essentiellement été d’essayer de saboter la crédibilité et l’impartialité de ces experts et témoins, par exemple montrant que Happel avait tweeté contre Trump en 2016, que Posner avait été conseiller de Hillary Clinton lors de la campagne électorale de celle-ci, et que le témoignage de Rodriguez ne correspondait pas à celui qu’il avait précédemment donné à la partie défenderesse.